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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
9 février 2021

George Shultz, le fossoyeur de la guerre froide

« La négociation est un euphémisme pour capitulation si l’ombre de la puissance n’est pas projetée sur la table des négociations. »


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Une telle citation est peu significative de l’homme d’ouverture et de modération. Elle fut prononcée à propos du conflit au Nicaragua. L’un des piliers du parti républicain aux États-Unis est mort ce samedi 6 février 2021 à Standford, en Californie. George P. Shultz, réputé homme modéré et républicain très influent encore en l’an 2000, venait d’avoir 100 ans quelques semaines plus tôt, le 13 décembre 2020 (né à New York).

À l’origine économiste, diplômé de la prestigieuse Université de Princeton et du non moins prestigieux Massachusetts Institute of Technology de Boston, il enseigna à Boston puis à Chicago. Ancien Marine qui a combattu le Japon de 1942 à 1945, conseiller du Président Dwight Eisenhower, George Shultz fut trois fois ministre auprès des Présidents Richard Nixon puis Ronald Reagan : Secrétaire au Travail (équivalent de Ministre du Travail) du 22 janvier 1969 au 1er juillet 1970, puis Secrétaire du Trésor (équivalent de Ministre des Finances) du 12 janvier 1972 au 8 mai 1974. Entre le 1er juillet 1970 et le 11 janvier 1972, il fut directeur du Budget, considéré aussi comme une fonction essentielle du gouvernement.

Quittant le navire en période de Watergate, George Shultz s’est "recyclé" en étant un des dirigeants du grand groupe de travaux publics Bechtel. Pourtant, le ministre appréciait le fin stratège qu’était Richard Nixon : « Nixon aimait penser de manière stratégique (…). Lorsqu’il était soumis à beaucoup de pression, il pouvait fixer une stratégie et la mettre en œuvre, et cela fonctionnait. ». C’est comme cela qu’il a réussi à "déségréger" plusieurs écoles dans des États du Sud. Cependant, il a su très vite que la postérité serait sans complaisance avec Nixon à cause du Watergate.

Mais "l’affaire de sa vie", ce fut sa nomination comme Secrétaire d’État (équivalent de Ministre des Affaires étrangères et troisième personnage de l’État après le Président et le Vice-Président) par le Président Ronald Reagan, du 16 juillet 1982 au 20 janvier 1989, jusqu’à la fin du second mandat de Ronald Reagan. Il fut parmi l’un des plus "longs" chefs de la diplomatie américaine et il le fut à une période clef des relations internationales avec la fin de la guerre froide qui préfigura la chute de l’URSS. George Shultz a succédé au général Alexander Haig, ancien commandant suprême des forces alliées en Europe, considéré comme "faucon", et contraint à la démission le 24 juin 1982 après des désaccords avec les autres membres et conseillers du gouvernement Reagan.

Nouer des liens de confiance avec des dirigeants soviétiques n’était pas facile. George Shultz a expliqué dans le "Washington Post" du 11 décembre 2021 comment cela s’est passé : « Souvent, dans ma carrière, j’ai vu qu’une véritable empathie est essentielle pour établir des relations solides et confiantes. En 1973, alors que j’étais Secrétaire au Trésor, j’ai assisté à une cérémonie de dépôt de gerbes à un mémorial de la Seconde Guerre mondiale à Leningrad, avec le Ministre soviétique du Commerce extérieur Nikolaï Patolitchev. Pendant  que nous marchions, Patolitchev, un vieil homme rugueux, a décrit le bilan effroyable de la Bataille de Leningrad. Des larmes coulaient sur son visage et son interprète sanglotait. Quand nous étions sur le point de partir, j’ai dit à Patolitchev : "Moi aussi, j’ai combattu pendant la Seconde Guerre mondiale, et j’ai eu des amis tués à mes côtés". En regardant le cimetière, j’ai ajouté : "Après tout, ce sont des soldats qui ont vaincu Hitler". Face aux morts, j’ai fait mon meilleur salut de Marine, et Patolitchev m’a remercié de la démonstration de mon respect. Plus tard, à ma grande surprise, j’ai découvert que j’avais gagné la confiance des dirigeants soviétiques grâce à cette visite. ».

George Shultz a encouragé un climat de détente Est-Ouest lors de l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en 1985, après des tensions perceptibles lors du premier mandat de Ronald Reagan (notamment avec la crise des missiles, les Américains installant des Pershing pour faire.face aux missiles soviétiques SS-20 braqués vers l’Europe de l’Ouest). George Shultz a fait la connaissance de Gorbatchev dès l’enterrement du prédécesseur, Konstantin Tchernenko, et a découvert un homme modéré avec qui l’on pouvait dialoguer. Shultz a dû vaincre le scepticisme et la méfiance de Caspar Weinberger (Ministre de la Défense) et Bill Casey (directeur de la CIA), mais a su convaincre Ronald Reagan des bienfaits de l’ouverture.

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George Shultz a effectivement adoré travailler avec Ronald Reagan qu’il avait conseillé sur son programme économique lors des primaires républicaines de 1980 : « C’était un plaisir de travailler avec Reagan. Il était très amusant. Lui et moi avons bien travaillé ensemble. ». Reagan voulait utiliser la fibre personnelle dans sa diplomatie, selon Shultz : « Il posait des questions sur les dirigeants chinois : comment sont-ils ? Il posait des questions sur les dirigeants soviétiques. Chaque fois qu’il rencontrait un dirigeant étranger, il se demandait toujours : de quel genre de personne s’agit-il ? Il voulait comprendre les gens avec qui il avait affaire. ».

Cela n’a pas empêché quelques tensions entre George Shultz et Ronald Reagan. Ainsi, dans un tweet du 7 février 2021 cité par "Le Monde", l’historien Michael Richard Beschloss, expert dans l’histoire des Présidents des États-Unis, a évoqué une scène que lui avait confiée Shultz profondément en colère contre Reagan qui était arrivé à un entretien avec Gorbatchev sans l’avoir préparé. Shultz l’a alors pris entre quatre yeux et l’a sermonné en disant qu’il ne faudrait plus jamais reproduire cette situation.

S’il a pris sa "retraite" politique à la fin de la Présidence de Ronald Reagan, George Shultz a néanmoins continué à garder une grande influence sur le parti républicain et a beaucoup conseillé George W. Bush (fils) en 2000 pour constituer son équipe. Membre du Hoover Institute, il a continué à rencontrer de nombreux dirigeants de son pays (en particulier Barack Obama, Hillary Clinton, etc.). Comme son successeur direct, James Backer, George Shultz soutenait la création d’une taxe carbone pour lutter contre les changements climatiques. Le Hoover Institute, dans le communiqué annonçant sa disparition, a rappelé : « Il est l’un des deux seuls Américains à avoir occupé quatre fonctions différentes au sein du gouvernement fédéral. ».

Encore en décembre 2020, peu avant son centenaire, George Shultz avait des mots assez désagréables pour le Président sortant Donald Trump qui refusait alors sa défaite face à Joe Biden. Pour Shultz, la politique extérieure des États-Unis pendant le mandat Trump était illisible, sans stratégie et incohérente. Il a regretté le déclin de la réputation de son pays à l’étranger et l’accroissement de la méfiance de ses alliés. Et il savait que cela mettrait beaucoup de temps pour retrouver un climat international serein.

D’ailleurs, il n’hésitait pas à enseigner sa règle numéro une de gouvernance, apprise très tôt au cours de sa longue carrière, qu’il a proposée dans la même tribune au "Washington Post" le 11 décembre 2020 : « Le 13 décembre marque mes 100 ans de jeunesse. J’ai beaucoup appris au cours de cette période, mais avec le recul, je suis frappé de constater qu’il y a une leçon que j’ai apprise tôt et que j’ai réapprise encore et encore : la confiance est la monnaie du royaume. Quand la confiance était dans la salle, quelle que soit la salle (famille, école, sport, bureau, gouvernement, armée), de bonnes choses se sont produites. Lorsque la confiance n’était pas au rendez-vous, aucune bonne chose ne se produisait. Le reste n’est que détail. ». Il utilisait souvent l’expression "It’s the coin of the realm" qu’on pourrait ici traduire littéralement sans faire de contresens.

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Pour lui, le meilleur moyen de résoudre des situations conflictuelles, c’est de nouer des relations personnelles avec les dirigeants des pays protagonistes afin de pouvoir parler des problèmes et de construire une certaine confiance. C’était son objectif pour les relations avec l’URSS et la Chine communiste dans les années 1980, notamment pour réduire l’arsenal nucléaire.

George Shultz confiait aussi la méthode de Reagan pour convaincre : « Un jour (…), j’ai apporté un projet de discours de politique étrangère au bureau ovale pour que Reagan l’examine. Il a lu le discours et a dit : "C’est très bien", puis il a commencé à l’annoter. Dans la marge d’une page, il a écrit "histoire". J’ai demandé ce que cela signifiait. "C’est le point le plus important, a-t-il déclaré. Ajouter une histoire pertinente engagera vos lecteurs. De cette façon, vous ferez appel non seulement à leur esprit, mais à leurs émotions". Il m’a fait comprendre que raconter une histoire aide à défendre votre cause d’une manière qu’aucune idée abstraite ne peut le faire : une histoire crée un lien émotionnel et des liens émotionnels construisent la confiance. ».

Usant d’un humour presque british, George Shultz est revenu encore et toujours à la confiance : « C’est la grande leçon que j’ai apprise ces cent premières années. J’ai hâte de voir quelle sera la grande leçon de mes cent prochaines années. Nous sommes à un moment charnière de l’histoire, et l’avenir ne sera pas comme le passé. Mais je sais que la confiance en fera partie. C’est la monnaie du royaume ! ». De ce second centenaire, il n’en a bu que quelques semaines…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 février 2021)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
Georges Shultz.
Dick Cheney.
Joe Biden : enfin la démocratie restaurée !
Capitole : Trump et la dictature du moi.
Il y a 20 ans : George W. Bush vs Al Gore.
De la Démocratie en Amérique.
USA 2020 : and the Winner is Joe Biden !
Il y a 20 ans : George W. Bush vs Al Gore.
USA 2020 : le suspense reste entier.
Bill Gates.
Albert Einstein.
Joe Biden.
Rosa Parks.
Jean-Michel Folon.
Henri Verneuil.
Benoît Mandelbrot.
Covid-19 : Donald Trump, marathonman.
Bob Kennedy.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210206-george-shultz.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/george-shultz-le-fossoyeur-de-la-230819

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/02/08/38803646.html






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