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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
5 juin 2015

Société barbare ?

Il n’y a malheureusement pas d’autre mot que "barbare" pour qualifier une société qui accepte juridiquement le principe de faire mourir intentionnellement une personne présentant un handicap sans capacité de se défendre. Une acceptation que les impératifs économiques généraliseront à terme. C’est effrayant !


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Ce vendredi 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l’Homme a validé la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014 d’autoriser le CHU de Reims à arrêter l’alimentation de Vincent Lambert. Elle l’a fait loin d’être unanime puisque cinq juges  sur les dix-sept se sont opposés à cet avis.

Cet avis me scandalise, me bouleverse, me renverse car il autorise au plus haut niveau du droit la peine de mort pour des personnes sans défense (et innocentes). C’est un tournant très grave qui surgit où le "droit à la vie" de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme ne protège plus les plus faibles. La Cour européenne a autorisé aujourd’hui la mort intentionnelle d’une personne handicapée qui n’est ni malade ni en fin de vie.

Le Conseil d’État s’était appuyé le 24 juin 2014 sur quatre arguments dont aucun ne tient l’analyse. Premièrement, en se basant sur la loi Leonetti du 22 avril 2005 ; pourtant, la situation de Vincent n’est pas concernée par cette loi car il n’est ni malade ni en fin de vie. Deuxièmement, en se basant sur une triple expertise médicale ; pourtant, les trois médecins avaient conclu qu’il ne fallait justement pas laisser mourir Vincent. Troisièmement, en se basant sur la collégialité de la décision de l’hôpital ; pourtant, les parents de Vincent n’avaient même pas été prévenus et s’étaient par la suite fermement opposés à cette décision, tandis que l’épouse de Vincent est partie vivre en Belgique loin de Vincent (les parents passent toutes leurs après-midi à s’occuper de Vincent). Quatrièmement, en se basant sur la supposée volonté de Vincent ; pourtant, Vincent n’a laissé aucune directive anticipée et a résisté au printemps 2013 à la première tentative de mise à mort en restant trente et un jours sans manger et presque sans boire, montrant une volonté exceptionnelle de rester en vie, et de plus, l’épouse de Vincent n’a fait part de cette volonté seulement quatre ans après l’accident, jamais avant, pourquoi ?

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Cette décision du Conseil d’État du 24 juin 2014 n’a donc pas enu compte des arguments développés par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui avait à deux reprise annulé la décision du CHU de Reims.

Il est clair que la situation de Vincent a été instrumentalisée par tous ceux qui voudraient légaliser l’euthanasie et qui, à terme, amèneraient une société soumise à l’eugénisme qui éliminerait les plus faibles.

Mais au-delà de l’aspect juridique, c’est surtout l’aspect humain et médical qui est révoltant. Les parents de Vincent se battent depuis deux ans et demi pour que leur fils puisse bénéficier des soins minimaux que son état requiert, à savoir des séances de kinésithérapie, des exercices pour stimuler ses sens, et aussi (cela va ensemble), un fauteuil moulé pour pouvoir apercevoir autre chose que le plafond de sa chambre. Pire, il est enfermé et sous surveillance quasi-policière et l’hôpital refuse tout transfert alors qu’un hôpital alsacien qui connaît bien le handicap dont souffre Vincent est prêt depuis longtemps à l’accueillir et à le soigner.

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Aujourd’hui, deux inquiétudes sont grandes : d’une part, sur Vincent lui-même qui est pourtant capable d’avoir quelques échanges relationnels (il est capable de remuer une jambe pour exprimer un inconfort) et qui se verrait mourir une nouvelle fois ; d’autre part, sur toutes les personnes qui ont un handicap grave et leur entourage dévoué, qui voient leur combat quotidien anéanti par cette volonté à rouleau compresseur de vouloir éliminer les plus faibles.

Parce que le médecin qui s’était acharné à vouloir arrêter l’alimentation sans l’accor de la famille a quitté l’hôpital (et s’est même reconverti dans l’activité éditoriale en paradant dans les médias sur le dos de Vincent), j’espère que le CHU de Reims saura réagir humainement à cette situation qui devrait révolter tous ceux qui sont chargés de soigner des patients et dont le but n’est pas d’éliminer les personnes affaiblies mais de rendre leur existence le plus confortable possible.

Ce n’est pas anodin que l’avocat des parents de Vincent ait mis sur le même plan la vie de Vincent et celle de Serge Atlaoui dont l’existence est, elle aussi, soumise à des aléas judiciaires particulièrement éprouvants.

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Tout le monde est concerné par cette décision. Tout le monde peut un jour être confronté à cette douloureuse situation. "Le Soleil vert" sera bientôt la réalité si les citoyens que nous sommes laissent faire… On n’aura peut-être que ce qu’on mérite. Et tant pis pour ceux qui ne pourront pas se défendre face au rouleau compresseur des impératifs économiques…


Aparté

Je reviens aussi sur quelques commentaires de mon précédent article.

L’une des raisons qui amèneraient à précipiter la mort de Vincent Lambert serait qu’il coûterait cher de le maintenir en vie. Cet argument n’a jamais été évoqué officiellement mais tout le monde peut le penser très fortement, pour y souscrire ou s’y opposer.

D’une part, c’est faux de dire qu’il coûte cher : il n’a aucune assistance artificielle pour rester en vie, il est seulement en manque d’autonomie comme des centaines de milliers de personnes dépendantes, ce qui nécessite une action extérieure pour tous les soins y compris l’alimentation et l’hydratation. Bien des personnes qui ont vécu certains graves ennuis de santé et qui ont aujourd’hui retrouvé une vie normale (ou presque) ont coûté bien plus cher que ce que Vincent coûte à la sécurité sociale même en vivant très longtemps.

D’autre part, c’est là un choix grave et réel de société. Le Royaume-Uni, par exemple, laisserait entrevoir un choix qui voudrait que si le patient n’avait pas suffisamment d’argent, il aurait plus de difficulté de se faire soigner dans les meilleures conditions. La France, elle, est basée sur la solidarité nationale et l’égalité de tous les citoyens : elle soigne d’abord et elle réfléchit après. Cela fait certes des déficits mais les gens sont soignés au moins, tout le monde en principe. Les déficits, c’est une question de budget, et de priorité budgétaire. L’euthanasie est une mesure économique effrayante dans une époque de crise financière : sa logique irait très loin si on la mettait en pratique. Ce n’est pas mon idée de l’humain : chaque vie compte, les plus faibles comme les autres, et ceux qui ont besoin d’aide doivent pouvoir l’obtenir d’un État garant de la sécurité et de la solidarité de ses citoyens.

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Autre argument évoqué, son état est incapable de maîtriser ses organes principaux. Et alors ? Il est très loin d’être le seul dans ce cas et c’est le quotidien de tous les hôpitaux et les maisons de retraite et heureusement qu’on n’élimine pas les personnes qui ont un anus artificiel ou qu’on nourrit comme des nourrissons parce qu’elles ne peuvent plus tenir une cuillère ! Quant aux escarres, c’est évitable si le personne bénéficie de séances de kinésithérapie qui compensent l’immobilité de leur corps, mais Vincent en a injustement été privé contrairement à ce qu’impose la circulaire n°2002-288 du 3 mai 2002.

Par ailleurs, toujours concernant mon précédent article ou celui-ci, j’évite de diffuser des photographies de Vincent Lambert par respect pour lui parce qu’il n’a rien demandé, qu’il n’est pas lui-même en mesure d’accepter ou de refuser cette médiatisation d’une partie de sa vie privée. D’ailleurs, son apparence n’apporte rien à la réflexion ou alors, faudrait-il détruire tous les hôpitaux et toutes les maisons de retraite puisque leurs occupants, au visage souvent fatigué et sans expression, seraient selon certains "indignes" de vivre par délit de sale gueule ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (5 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Chaque vie humaine compte.
La décision de la CEDH.
Débrancher ?
La Cour européenne des droits de l'Homme.
La peine de mort.
Les sondages sur la fin de vie.
Les dix ans de la loi Leonetti.
Le vote de la loi Claeys-Leonetti en première lecture.
La loi Claeys-Leonetti en débat parlementaire.
Verbatim de la proposition Claeys-Leonetti en commission.
La proposition Claeys-Leonetti modifiée en commission.
L'euthanasie, une fausse solution.
François Hollande et la fin de vie.
Commentaire sur la proposition Claeys-Leonetti.
La consultation participative du Palais-Bourbon.
La proposition de loi n°2512 (texte intégral).
Le débat sur la fin de vie à l'Assemblée Nationale du 21 janvier 2015.
Les directives anticipées.
L'impossible destin.
La proposition Massonneau.
Présentation du rapport Claeys-Leonetti (21 janvier 2015).
Le rapport Claeys-Leonetti du 12 décembre 2014 (à télécharger).
Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014 (à télécharger).
Le verdict du Conseil d'État et les risques de dérives.
Le risque de la GPA.
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150605-vincent-lambert-2015AN.html

http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/societe-barbare-168211

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/06/05/32161833.html

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