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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
9 juillet 2015

L’oxi mord la Grèce

Démagogie : « Attitude consistant à flatter les aspirations à la facilité ou les préjugés du plus grand nombre pour accroître sa popularité, pour obtenir ou conserver le pouvoir. » (Larousse).


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Eh oui, ceux qui rappellent le cliché de la Grèce, initiatrice de la démocratie (la citoyenneté sans les femmes, sans les pauvres), oublient parfois que les Grecs ont inventé également la démagogie. Alexis Tsipras, le Premier Ministre grec d’un gouvernement de coalition anti-européenne réunissant l’extrême gauche et l’extrême droite, en décidant d’un référendum blitzkrieg, sans donner le temps d’une campagne sereine et réfléchie, a posé un acte magistral de démagogie qui fera date dans l’histoire du monde. 61,3% des suffrages exprimés, soit 36,1% des inscrits (cela n’en reste pas moins un score très élevé par rapport au "oui", mais il faut savoir prendre un peu de recul) ont dit "non" à l’accord du 25 juin 2015 entre la Grèce et ses créanciers. Mais de toute façon, l’accord était déjà caduc avant même la confirmation de l’organisation de ce référendum. La constitutionnalité du référendum et la brièveté de la campagne ont été largement contestées.

On pourrait aussi imaginer d’autres référendums du même genre, pourquoi pas ? Par exemple, poser la question : êtes-vous contre le chômage ? ou encore, comme a ironisé Daniel Cohn-Bendit le 7 juillet 2015 sur France Inter (prêt à jouer les médiateurs entre négociateurs allemands et négociateurs grecs), demander aux peuples européens s’ils sont favorables à l’immigration. On aurait facilement 80% de non, mais concrètement, on ferait quoi, avec ce "non" ? Rien. Parce que le problème ne peut trouver des solutions que dans la responsabilité d’hommes ou de femmes d’État. Or, il ne semble plus y en avoir en Europe actuellement. On pourrait aussi demander par référendum aux peuples des dix-huit autres pays de la zone euro s’ils acceptent toujours d’être solidaires de la Grèce. Qu’en penserait monsieur Tsipras ?

La rencontre entre Angela Merkel et François Hollande à l’Élysée le 6 juillet 2015 n’a pas donné grand chose. L’axe franco-allemand est plus que jamais déstabilisé par la crise grecque. La réunion de l’Eurogroupe du 7 juillet 2015 à Bruxelles s’est également soldé par une absence de négociation. La raison de l’échec ? Le gouvernement grec n’est venu avec aucune nouvelle proposition (elle est attendue le 9 juillet 2015), les mains dans les poches, ce qui a déconcerté une large majorité de pays de la zone euro.

Le plus irresponsable a été bien sûr Alexis Tsipras. Cela fait cinq mois qu’il élude les discussions, cinq mois qu’il cherche à gagner du temps, écartelé par sa majorité europhobe d’extrême gauche et d’extrême droite (le 27 juin 2015, il a même reçu le soutien des 17 députés d’Aube dorée pour organiser le référendum) et par la nécessité de trouver de nouvelles aides financières. Pourtant, le temps joue contre les Grecs. Depuis le 28 juin 2015, les banques sont fermées et cette situation en pleine période touristique est une véritable catastrophe économique.

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Depuis quelques semaines, Alexis Tsipras jouit pourtant en France d’une extraordinaire caisse de résonance médiatique, alors qu’il faut imaginer que dans le paysage politique, il serait une sorte de mélange de Marine Le Pen et de Philippe Poutou. Serait-il le successeur d’Hugo Chavez dans le rôle médiatique du héros révolutionnaire, au moment où les États-Unis rétablissent leurs relations diplomatiques avec Cuba ? Cela semble même donner des ailes à l’ancien apparatchik du PS, Jean-Luc Mélenchon, qui semblait pourtant intimidé lorsqu’il l’a salué, comme un simple "badaud" (néanmoins parlementaire), au Parlement Européen de Strasbourg le 8 juillet 2015.

L’arrogance du leader de l’extrême gauche grecque est déconcertante parce qu’il est totalement en dehors de la réalité. D’ailleurs, de nombreux électeurs grecs qui ont voté "oui" au référendum ont peur de l’avenir proche : l’irresponsabilité d’Alexis Tsipras va se payer très cher pour le peuple grec, malheureusement, car le père Noël n’existe pas.

La plus prévisible est la Chancelière allemande Angela Merkel. Justement, elle ne veut pas jouer le rôle de la mère Noël. Elle dirige un pays qui a fait d’énormes efforts depuis une dizaine d’années et qui commence à voir les fruits de cette politique. Par ailleurs, les Allemands ont une peur folle de l’inflation et d’une monnaie faible à cause du mark de Weimar, qui a précipité Hitler au pouvoir. La classe politique est complètement unie en Allemagne pour refuser les coups de menton, le chantage et même, selon les mots de Jean-Claude Juncker, la "trahison" d’Alexis Tsipras.

Enfin, entre les deux, entre la Grèce et l’Allemagne, complètement absent des négociations, on a un Président de la République française François Hollande qui se moque complètement de l’avenir de l’Europe et qui ne cherche qu’à faire de la politique politicienne intérieure : comment récupérer l’aile gauche de sa majorité pour l’élection présidentielle de 2017 ? Résultat, aucune position française claire : quelles sont les limites que la France veut donner à la Grèce ? Comment sortir de la crise ? La seule indication a été le discours du Premier Ministre Manuel Valls à l’Assemblée Nationale le 8 juillet 2015 où il a proclamé le souhait de la France d’éviter un Grexit, mais il n’a pas dit comment.

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La France s’est séparée de l’Allemagne. Elle est isolée et ne pèse pas grand chose parce que la parole de la France aussi prête à confusion : depuis trois ans, à une moindre mesure, la France aussi joue avec les règles de l’euro, elle prévoit des déficits toujours en dessous de la réalité. Elle repousse à plus tard la réduction de la dette. La France n’est pas en position d’avoir une influence déterminante, et c’est cela qui est inquiétant. Qu’on n’aime pas la personnalité est une chose, une autre est d’admettre que Nicolas Sarkozy avait une meilleure maîtrise du destin de la France en Europe.

Le Grexit ? La contraction de Greece et d’Exit et qui signifierait le départ de la Grèce de la zone euro. Inutile de dire que le Grexit coûterait très cher aux Grecs, avec une dévaluation d’environ 30 à 40% de leurs avoirs. Et une absence de solidarité européenne qui leur est pourtant indispensable financièrement. Sans celle-ci, ce serait la faillite de l’État, avec les gros risques que cela pourrait signifier. Comme s’il n’y avait déjà pas assez de pauvres en Grèce.

Depuis le "non" qui, inutilement, a nargué tous les pays qui ont voulu aider la Grèce (et qui l’ont déjà aidée pour plus de 200 milliards d’euros !), ce sont environ quinze pays sur les dix-neuf de la zone euro qui voudraient le départ de la Grèce. Des pays qui se sont beaucoup sacrifiés, comme l’Espagne, l’Irlande, le Portugal, sont particulièrement en colère contre le chef du gouvernement grec. En clair, le coup de poker risque bien d’être perdu pour Alexis Tsipras, d’où cette très grande irresponsabilité de vouloir à la fois le beurre et l’argent du beurre.

Certains pays européens sont aussi en colère car ils considèrent qu’il y a des sujets européens bien plus graves que la crise grecque qui n’ont toujours pas de réponse appropriée comme l’immigration depuis la Méditerranée et la forte menace terroriste.

Que pensent les partisans de la construction européenne en France ? On constate une vraie division qui n’est pas forcément selon les clivages politiques. Certes, le PS a réussi miraculeusement à garder son unité en souhaitant le maintien de la Grèce dans la zone euro : l’aile gauche suivant la volonté d’Alexis Tsipras de rester dans la zone euro, et l’autre aile, que j’appellerais gouvernementale, qui vient d’être définie ce mercredi.

En revanche, à droite et au centre, la situation est beaucoup moins claire. Ainsi, l’ancien commissaire européen Michel Barnier a déclaré qu’il fallait absolument garder la Grèce dans l’Eurogroupe car son départ coûterait très cher à tout le monde, au peuple grec, évidemment, mais aussi à l’Europe en général, tant financièrement que géopolitiquement avec trois menaces : la position stratégique au centre des Balkans de la Grèce dans une région très sensible (celle qui a déclenché la Première Guerre mondiale), le transit des djihadistes et les migrations. Henri Guaino semble aussi assez proche de cette position.

Mais cela ne semble pas être l’avis majoritaire et beaucoup reprennent la position d’Angela Merkel (comme 67% des Français, selon un sondage Odoxa pour "Le Parisien" et i-Télé publié le 3 juillet 2015) : puisqu’ils ne veulent plus négocier, qu’ils s’en aillent. Ou plutôt : d’accord pour un accord, mais pas à n’importe quel prix. C’est notamment la position d’Alain Juppé et de Valéry Giscard d’Estaing.

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Les postures ne sont pas simples à définir car on est encore en pleine incertitude. C’est clair que si le gouvernement grec était assuré de rester dans la zone euro quoi qu’il se passe, il pourrait toujours demander plus, puisque l’Europe serait alors une "bonne poire". Sentiment que l’Allemagne ne veut absolument pas suggérer.

Si la Grèce réussissait à rester dans la zone euro, cela voudrait dire qu’Alexis Tsipras aurait gagné son pari fou, et que son populisme à trois balles serait efficace. Les conséquences politiques seraient incalculables : cela donnerait aux démagogues de tout poil un argument électoral majeur. Cela avantagerait en France la seule Marine Le Pen (que l’extrême gauche française arrête d’imaginer que Syriza se traduirait par un Front de gauche en France !). En Espagne aussi, cela avantagerait des mouvements populistes comme Podemos.

Mais si la Grèce sortait de la zone euro, cela pourrait coûter encore plus cher à tout le monde. Cela ferait aussi le jeu des démagogues puisqu’ils pourraient se prévaloir de la première sortie d’un pays de la zone euro. Politiquement, la construction européenne en serait profondément secouée car il s’agirait plutôt de déconstruction européenne, d’autant plus que le Royaume-Uni organisera bientôt un référendum sur son maintien dans l’Union Européenne.

Le Grexit est une véritable arme nucléaire. Sa menace doit permettre de responsabiliser les dirigeants grecs mais sa mise en application serait du perdant-perdant.

Par ailleurs, la responsabilité des pays européens et principalement de la France est claire dans l’adhésion de la Grèce à la zone euro. Ce fut Valéry Giscard d’Estaing, qui a aidé au retour de la démocratie en 1974, qui a fait le forcing pour la faire adhérer à l’Europe des Neuf à l’époque dès 1979. Et ce fut Jacques Chirac qui retourna la réticence initiale de ses partenaires européens pour inclure la Grèce dans la zone euro dès le démarrage. Un ministre grec avait d’ailleurs réussi le tour de force, alors que son pays n’était pas encore admis dans le club de l’euro, de mettre aussi en lettres grecques les billets en euros.

Ce n’est pas aider la Grèce ni l’Europe de vouloir être séduit par les sirènes d’Alexis Tsipras. François Hollande devrait se rappeler que la fermeté permettrait une meilleure base de discussion pour aboutir à un accord acceptable par tous. Actuellement, le contribuable français a aidé le peuple grec à hauteur de 3 à 4 000 euros par ménage fiscal, c’est déjà énorme. C’est révoltant d’avoir en face un comportement comme celui du Premier Ministre grec et cela l’encourage par cette faiblesse à visée purement électoraliste.

Il serait temps que François Hollande prenne enfin cette initiative dont il a parlé depuis trois ans : afin de résoudre cette crise, la dépasser et proposer une réelle gouvernance de la zone euro. En redéfinissant le rôle des institutions de la zone euro, et, pourquoi pas, en proposant à chaque peuple d’y adhérer librement ?

Et pendant ce temps, la Chine est en train de vivre une grave crise boursière (chute de 5,9% à la bourse de Shanghai pour la seule journée du 8 juillet 2015, de 32% depuis le 12 juin 2015 ; et la bourse de Shenzhen s’est effondrée de 40% depuis la même date)…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (9 juillet 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Alexis Tsipras.
Antonis Samaras.
Mauvaise Grèce ?
La construction européenne.
L’Europe de Victor Hugo.
Tournant historique pour l’euro.
Le TSCG.
Il y a dix ans, le référendum sur le TCE.
Le Traité de Maastricht.
Angela Merkel.
La débarrosoïsation de l’Europe.
Les priorités de Jean-Claude Juncker.
La parlementarisation des institutions européennes.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150709-crise-grecque-b.html

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/l-oxi-mord-la-grece-169572

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/07/09/32332558.html


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