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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
30 juillet 2015

C’est Xénophon qu’on assassine ! (2)

La mission de l’école républicaine définie par le physicien Paul Langevin en 1945 : « la promotion de tous et la sélection des meilleurs ».


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Après avoir évoqué quelques réflexions sur l’enseignement, j’aborde le cœur du sujet de la réforme du collège, à savoir le contenu du décret n°2015-544 du 19 mai 2015 signé le même jour que la grève des enseignants protestant contre cette réforme (grève suivie par plus de la moitié des enseignants !).

"Entre deux fous rires" (selon une expression de Laurent Nunez, voir plus loin), Najat Vallaud-Belkacem considère que ceux qui contestent sa réforme ne savent pas lire ou ne comprennent pas ce qu’ils lisent. Pourtant, tout est bien clair et ses opposants ont bien compris.


Le décret

Le gouvernement a utilisé la méthode forte. Il a même signé le décret imposant cette réforme (sans débat à l’Assemblée Nationale !) le jour où les enseignants faisaient grève contre cette réforme. On ne peut pas être plus méprisant pour le corps enseignant en général. La défense du gouvernement, c’est de dire que cette réforme était comprise dans la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et programmation pour la refondation de l’école de la République, un texte de Vincent Peillon, le ministre de l’époque (moyenne de longévité, un ministre par an depuis 2012, c’est dire si la jeunesse est la priorité du quinquennat !). Pourtant, rien dans cette loi qui aurait dû s’appliquer d’abord à l’école primaire ne laissait imaginer la suppression pure et simple de l’enseignement du latin et du grec !

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Aucune écoute, un discours de la ministre particulièrement de mauvaise foi refusant d’admettre que dans cette réforme, il n’y aura plus d’enseignement du latin ni du grec et que la période antique sera seulement évoquée "culturellement" au cours d’ateliers qui n’ont rien d’un enseignement rigoureux et utile et qui s’apparentent plus à une garderie d’enfants pour passer le temps.

La grande innovation, en effet, ce sont les quatre heures hebdomadaires de ces "enseignements pratiques interdisciplinaires" (EPI). L’idée de faire de l’interdisciplinarité est intéressante seulement si les disciplines sont déjà bien acquises. Or, ce que veut faire le gouvernement, c’est remplacer ces disciplines par de l’interdisciplinarité. Autant dire que les élèves n’y comprendront plus rien car on ne peut pas connecter deux informations, deux connaissances sans avoir eu, au préalable et séparément, l’occasion d’apprendre ces deux connaissances.

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En regardant d’ailleurs les emplois du temps imposés par le décret, on s’aperçoit que les fondamentaux ne sont pas assurés. Je ne comprends pas comment on ne propose que quatre heures de français par semaine et trois heures et demi de mathématiques par semaine. Comment les bases pourraient-elles être acquises avec un horaire aussi léger ? Ne vaut-il pas mieux redéployer les quatre heures d’EPI en les répartissant entre français et mathématiques ? Et permettre aux élèves qui ont des facilités des options supplémentaires (latin, grec et aussi d’autres disciplines) ?

La suppression des classes bilangues est aussi un autre scandale. La réponse de la ministre, c’est de dire que dès la cinquième, tous les élèves auront deux langues vivantes. Le problème, c’est que tous les élèves ne sont pas forcément aptes à se disperser aussi tôt : le français et la première langue vivante ne sont pas forcément simples pour certains et il serait préférable de les approfondir avant de passer à une (troisième) langue (j’écris troisième mais c’est normalement seconde langue puisque le français a un autre statut).


Les dégâts de l’idéologie égalitariste

Najat Vallaud-Belkacem considère que pour éviter les disparités intellectuelles entre les élèves, il faut saborder les élèves qui ont des facilités pour les retrouver au même niveau que les élèves qui ont des difficultés et qui ne peuvent pas, effectivement, suivre l’enseignement du latin et du grec. Résultat, on a bien égalité mais vers le bas.

Rien n’empêche le maintien des classes de latin et de grec, rien sauf l’idéologie égalitariste qui, pourtant, a déjà fait des ravages depuis une quarantaine d’années. La réalité, c’est que cela va favoriser les établissements privés sous contrat qui, bien sûr, respecteront les directives de la ministre mais proposeront sans aucun doute des enseignements optionnels supplémentaires de latin et du grec. À force de vouloir l’égalitarisme, cela va cliver la population entre ceux qui ont les moyens de payer une école privée et ceux qui, n’en ayant pas les moyens matériels, n’auront plus les moyens intellectuels de se cultiver au plus haut niveau. C’est ce paradoxe qu’est en train d’engendrer cette réforme incohérente : dans l’intention de réduire les inégalités, elle va les renforcer au point de détruire l’excellence de l’école publique.

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La ministre, « toujours dans un fou rire charmant », a voulu faire une première explication de texte sur RTL le 30 avril 2015 et voici ce que en disait Laurent Nunez, agrégé de lettres et journaliste : « Madame Vallaud-Belkacem a (…) expliqué à Jean-Michel Apathie que le latin ne disparaissait pas vraiment du collège ; une phrase surtout a été prononcée : "Les professeurs de latin seront bien là, demain, devant leurs élèves". Madame la Ministre a raison : les professeurs seront présents. Sa phrase est astucieuse, et cache l’autre réalité : ces professeurs présents ne feront pas cours. En effet, le latin sera, dès la réforme 2016, compris dans des "Enseignements pratiques interdisciplinaires". (…) Voilà ce qui choque si fortement les professeurs de langues anciennes : ils serviront de saupoudrage, de cautions culturelles ; et fourniront juste quelques remarques culturelles, mythologiques… Adieu thème ! Adieu version ! À la place, les professeurs de grec et de sciences physiques, par exemple, écouteront les élèves leur expliquer comment on est passé "du dieu Éole aux éloliennes". » ("Marianne" le 30 avril 2015).

L’absence d’écoute du gouvernement sur ce sujet si fondamental (l’avenir d’une classe de génération) est d’autant plus hallucinant qu’à part quelques "spécialistes des science de l’éducation" et quelques ministres socialistes pour qui le sujet est un marqueur idéologique (qui confond égalité des chances et égalitarisme qui nivelle vers le bas), personne n’approuve une telle réforme.


Des réactions unanimement hostiles

Le 5 juin 2015, une nouvelle pétition rédigée par François Bayrou (pour qui le sujet est très sensible), Jean-Pierre Chevènement, Régis Debray, Luc Ferry, et quelques autres "pseudo-intellectuels" a recueilli en quelques semaines près de trente mille signataires.

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Dans ce texte, les trois anciens ministres de l’Éducation nationale souhaitent revenir aux fondamentaux : « Nous n’acceptons pas l’affaiblissement des disciplines au profit d’une interdisciplinarité floue, sans contenu défini, dont les thèmes sont choisis selon la mode et l’air du temps (…), conduisant au "zapping" pédagogique. L’échange entre disciplines est fécond et mérite mieux que ces faux-semblants. Nous n’acceptons pas que l’égalité des chances soit confondue avec l’égalitarisme niveleur et se résume à la suppression de tout parcours d’excellence. Les victimes de ce renoncement, ce seront d’abord les enfants de milieux populaires ou défavorisés pour qui l’école est le seul recours, car ils ne peuvent avoir accès aux cours privés et aux leçons particulières de leurs camarades plus favorisés. Fidèle à la maxime de Paul Langevin fixant en 1945 la mission de l’école républicaine : "la promotion de tous et la sélection des meilleurs", nous défendons la notion d’élitisme républicain pour que chacun puisse aller au bout de ses capacités. ».

Puis, le texte insiste sur l’importance de réformer d’abord l’école primaire, base des difficultés du collège, et sur la défense des langues vivantes, des classes européennes, internationales, bilangues, qui vont être supprimées, et sur la légitimité du latin et du grec « qui ont fait le socle de la culture et de la pensée française, qui forment les racines de notre langue comme de la langue scientifique mondiale ». La pétition s’en prend aussi au « jargons indécents » et veut promouvoir des « programmes clairs et compréhensibles par tous » : « Le programme d’histoire en particulier doit proposer des repères chronologiques et ne peut réduire à de seuls traits négatifs ou facultatifs la civilisation européenne et l’héritage des Lumières. ».

L’Académie française, généralement timorée et beaucoup trop consensuelle pour s’engager dans un combat politique, s’est cependant redressée lors de sa séance du 11 juin 2015 en adoptant à l’unanimité une déclaration de protestation assez véhémente : « L’exigence constitue le principe fondateur de l’école de la République ; elle doit le rester ou le redevenir. ». Le texte, adressé au gouvernement et intitulé : "Pour une vraie égalité des chances"), a repris les principales critiques émises depuis mars 2015 : « À trop privilégier la "transversalité", on risque de favoriser une dispersion des savoirs, une fragmentation des contenus préjudiciable aux élèves en difficultés, et de retarder la consolidation des acquis de base, qui ne peut être obtenue que par la transmission de savoirs objectifs et mesurables. ».

Avec cette déclaration, les académiciens sont évidemment restés dans leur rôle de défenseurs de la langue française : « Réduire la place des humanités, matrice de notre civilisation, mettre le latin et le grec sur un pied d’égalité avec les langues régionales, dont l’enseignement relève d’une tout autre problématique et renvoie à d’autres finalités, est aussi un mauvais coup porté à la langue française. Apprendre le latin et le grec n’est pas consacrer à des langues "mortes" un temps qui serait mieux employé en étudiant une ou plusieurs langues "vivantes", c’est avant tout découvrir notre propre langue, dont la maîtrise ouvre l’accès à toutes les disciplines et à la culture en général. ».

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Najat Vallaud-Belkacem a répondu aux académiciens le 23 juin 2015 sans apporter aucun élément rassurant ni intéressant. C’est un internaute qui a réagi sur le site Internet personnel de la ministre qui a résumé le mieux tout le problème actuel : « Les zintellectuels ne comprennent rien. Les profs ne comprennent rien. Les académiciens ne comprennent rien. Les journalistes ne comprennent rien. Les syndicats (profs + inspecteurs d’académie) ne comprennent rien. Donc : je suis plus intelligente que tous ces gens-là réunis. Affligeant. » (le 4 juillet 2015).


Les programmes également en question

Parallèlement à la réforme du collège, la réforme des programmes fait aussi discussion.

La nouvelle procédure est de les demander à un Conseil supérieur des programmes. Pourtant, s’il y a bien une décision politique, c’est bien la définition des programmes, en particulier d’histoire. Cela devrait donc être du ressort de la ministre, c’est sa responsabilité par rapport aux citoyens, et pas d’un comité Théodule issu de nulle part. On en connaît l’importance. La République de Weimar avait fait arrêter les cours d’histoire pour les jeunes Allemands en 1914.

La polémique s’est amplifiée depuis avril 2015 sur les chapitres en histoire qui ne seront plus obligatoires, comme l’enseignement de la pensée humaniste ou celui du Siècle des Lumières, ou encore la chrétienté au Moyen-Âge tandis que l’essor de l’islam sera obligatoire ! On croit rêver ! Heureusement, Napoléon restera un chapitre obligatoire.

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La légèreté du gouvernement est telle que l’arrêté du 12 juin 2015 mettant en place les nouveaux horaires du lycée pour la rentrée 2015 (deux mois plus tard seulement !), pour introduire "l’enseignement moral et civique" (une demi-heure par semaine) promis après les attentats de janvier 2015, avait même "oublié" les deux heures et demi d’histoire-géographie en première S et les huit ou quatre heures de philosophie en terminale L et ES !


Une année encore pour dissuader le gouvernement

L’enjeu de l’école est essentiel : former des citoyens responsables et intellectuellement autonomes, capables d’avoir un point de vue personnel et cohérent sur les grands sujets d’avenir, qui sont tous à forte composante scientifique et historique (comme l’environnement, les droits de l’Homme, etc.).

L’arrivée des vacances estivales a empêché toute poursuite de la protestation mais nul doute que les enseignants ne désarmeront pas à la rentrée scolaire. L’opposition parlementaire, menée par Bruno Le Maire sur ce sujet, n’a pas hésité d’ailleurs à affirmer qu’elle abrogerait cette réforme si elle revenait au pouvoir au printemps 2017, ce qui fera une génération sacrifiée pour l’année scolaire 2016-2017.

Nouveaux rythmes scolaires, loi sur le renseignement, réforme du collège, réforme territoriale, retenue à la source de l’impôt sur le revenu qui va plomber une nouvelle fois les entreprises… sans compter une pressante envie de vote obligatoire, de droit de vote aux étrangers fusillant la notion même de citoyenneté française… Mais que restera-t-il de la France après le quinquennat désastreux de François Hollande ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 juillet 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La réforme du collège : le latin et le grec supprimés.
Décret et arrêté du 19 mai 2015 sur la réforme du collège (à télécharger).
Arrêté du 12 juin 2015 sur la réforme des programmes au lycée (à télécharger).
Najat Vallaud-Belkacem.
Vincent Peillon.
Désenchantement des enseignants pour la gauche (sondage à télécharger).
Pétition pour défendre le latin et le grec.


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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150729-reforme-college-2.html

http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/c-est-xenophon-qu-on-assassine-2-170261

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/07/30/32417662.html


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