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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
17 octobre 2015

La révocation de l’Édit de Nantes le 17 octobre 1685

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » (Article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclamée le 26 août 1789).


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Il y a exactement trois cent trente ans, le 17 octobre 1685, le roi Louis XIV a signé l’Édit de Fontainebleau qui révoqua l’Édit de Nantes signé par son grand-père Henri IV le 13 avril 1598. La répression contre les protestants fut très forte et réanima les guerres de religion. Il a fallu attendre le 9 décembre 1905 pour trouver une pacification religieuse en France, après la déclaration générale de liberté du culte intégrée dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (article 10).

Les conséquences de ces persécutions furent très importantes. Ainsi, près de 800 000 Français protestants s’exilèrent hors des frontières françaises malgré l’interdiction de Louis XIV qui promettaient aux réfugiés les galères s’ils étaient arrêtés. Ce fut une émigration massive qui fut une chance pour les pays d’accueil. Eh oui, encore une immigration positive, tant pis pour les Cassandre qui sans arrêt saturent les médias pour évoquer un supposé "grand remplacement", crainte criante voire hurlante qui ne se comprend que dans leur manque de confiance en eux et dans leur incapacité à se sentir bien avec leur propre identité, sentiment de faiblesse et antipatriotique par excellence.


Guerres de religion et postures politiques

Revenons à 1685. Ou plutôt à 1598. L’Édit de Nantes n’a pas été une mesure de tolérance voulue par Henri IV. Il faut plutôt le comprendre comme le résultat d’une longue négociation dans le but de pacifier la France en stoppant les guerres de religion et d’encourager sa prospérité économique.

D’autres textes royaux avaient déjà été signés antérieurement concernant les protestants, et notamment pour accorder la liberté de pratiquer leur culte, comme l’Édit de Saint-Germain-en-Laye du 17 janvier 1562 (Charles IX n’avait que 12 ans, le texte avait été préparé par la régente Catherine de Médicis et son Chancelier Michel de L’Hospital), en échange de la restitution des lieux de culte occupés, édit qui fut amendé par l’Édit d’Amboise du 19 mars 1563 (le duc de Guise, François de Lorraine, avait fait massacrer une cinquantaine de protestants à Vassy le 1er mars 1562), ainsi que l’Édit de Longjumeau du 23 mars 1568, supprimé par l’Édit de Saint-Maur du 23 septembre 1568, et le Traité de Saint-Germain-en-Laye du 8 août 1570.

Puis, est survenu le massacre de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572, qui fut la conséquence d’une paix rejetée par les catholiques, de l’impopularité du mariage du futur Henri IV le 18 août 1572 (avec la fameuse reine Margot,sœur de Charles IX : elle catholique, lui protestant n’ayant pas le droit d’entrer dans une église catholique, ils se marièrent sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris), et de l’attentat contre Coligny le 22 août 1572 (Coligny fut soupçonné d’avoir été le commanditaire de l’assassinat du duc de Guise le 18 février 1563, et fut finalement lui-même assassiné lors du massacre de la Saint-Barthélemy), massacre qui engendra jusqu’à 30 000 morts dans toute la France selon certaines estimations (Ambroise Paré en a réchappé), et cela a ensuite abouti à une paix formalisée par l’Édit de Boulogne du 11 juillet 1573.

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L’origine du massacre de la Saint-Barthélemy pourrait être la peur de la famille royale de se retrouver seule dans Paris, sans défense après le départ des Guise de Paris (pour protester contre les concessions aux protestants et le retour en grâce de Coligny). Pour éviter une émeute, ils auraient alors décidé d’éliminer préventivement tous les chefs militaires protestants à Paris, puis, avec l’agitation, le peuple a lynché tous les protestants qu’il croisait. Cette version reste encore en discussion chez les historiens.

Une petite parenthèse sur Coligny qui avait pris beaucoup d’ascendant sur le jeune roi Charles IX, sans doute au grand dam de sa mère Catherine de Médicis, et qui avait rejoint le parti de la réforme aux côtés du prince de Condé (assassiné le 13 mars 1569). Après avoir retrouvé grâce auprès du roi, Coligny, blessé au bras et à la main par l’attentat deux jours avant, fut tout de même assassiné chez lui, près du Louvre, son corps dénudé fut ensuite jeté par la fenêtre à la foule, émasculé et décapité dans la cour, puis le reste du corps fut traîné dans les rues de Paris, plongé trois jours dans la Seine et enfin, décomposé, il fut pendu à un gibet par les pieds. En clair, les assassins de Daech n’ont rien inventé

Bref, une longue série d’édits a été signée par Charles IX puis son frère Henri III soit pour donner des droits aux protestants, soit pour les leur retirer, en fonction des circonstances, le tout dans un climat très tendu d’opposition frontale entre catholiques et protestants (les guerres de religion ont eu lieu de 1562 à 1598). Certains édits ont été carrément rejetés par le Parlement de Paris, ou plus généralement par le peuple, d’autres n’ont volontairement jamais été appliqués par le roi.


L’Édit de Nantes du 13 avril 1598

La différence, en 1598, c’est que Henri IV était un ancien protestant (converti le 25 juillet 1593 pour accéder au trône de France, et qui avait déjà abjuré le protestantisme le 26 septembre 1572 pour se protéger d’un éventuel autre massacre) et il avait la ferme volonté de pacifier le pays entre catholiques et protestants. L’Édit de Nantes du 13 avril 1598 a donc fait date dans l’Histoire de France car il a réglé la question des guerres de religion, ce qui n’était pas une mince affaire. Il conserva le catholicisme comme religion d’État du royaume mais accorda aux protestants la liberté de culte ainsi que cent quarante-quatre places fortes (dont La Rochelle, Montpellier, Nîmes, Montauban, Sedan, Royan, Saumur, Bergerac, Niort, Cognac, Alès, Briançon, etc.).

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Néanmoins, l’Édit de Nantes fut peu populaire, contesté tant du côté des catholiques pour les concessions faites que du côté protestants qui trouvaient ne pas avoir obtenu beaucoup de droits. Au contraire, certaines régions du pays ont pu se recatholiciser et la confirmation de l’existence d’une religion officielle conforta le principe de la monarchie absolue de droit divin.

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Très réticent, le Parlement de Paris ne l’a enregistré que le 25 février 1599. Les autres parlements de pays d’états l’ont enregistré au cours de l’année 1600. Encore une parenthèse avec la situation actuelle : cette nécessité de "ratification" d’un édit (ici traité de paix) par l’ensemble des parlements locaux fait étrangement écho au principe de l’Union Européenne dont chaque traité doit être ratifié par la suite par les parlements de chaque État membre.


Une tolérance pour des raisons de politique étrangère

Le successeur (et fils) de Henri IV, à savoir Louis XIII, poursuivit cette politique de conciliation avec l’Édit de Montpellier signé le 19 octobre 1622 dont le but était de stopper la révolte des huguenots dirigés par le duc de Rohan. D’autres révoltes huguenotes ont eu lieu et d’autres traités ont été signés pour rétablir la paix (à Paris, le 5 février 1626, à Alès le 28 juin 1629). L’Édit d’Alès a supprimé en particulier la possibilité de places fortes pour les protestants.

Toutefois, Richelieu voulut préserver l’Édit de Nantes pour des raisons diplomatiques, car il souhaitait préserver son alliance avec les princes allemands (protestants) et avec la Suède dans la Guerre de Trente ans (en raison de sa confrontation avec les Habsbourg).

Mazarin continua une politique favorable aux huguenots surtout pour maintenir une neutralité anglaise (à l’époque, Cromwell avait pris le pouvoir) dans le conflit entre la France et l’Espagne. Beaucoup de huguenots avaient d’ailleurs soutenu le roi lors de la Fronde. À partir de 1659, Mazarin est devenu moins conciliant avec les protestants. La mort de Mazarin le 9 mars 1661 renforça les édits contraignants contre les protestants.


Supprimer le "problème" huguenot

L’arrivée au pouvoir du jeune roi Louis XIV bouleversa ce fragile équilibre. Très rapidement, il fit appliquer scrupuleusement l’Édit de Nantes dans le sens que tout ce qui n’y était pas autorisé fut interdit aux protestants. La Guerre de Hollande (le 29 juin 1673, Louis XIV s’est emparé de Maastricht où D’Artagnan est mort quelques jours plus tôt) et le Traité de Nimègue du 10 août 1678 consacrèrent la France comme grande puissance de l’Europe (même si elle n’a pas réussi à conquérir les Pays-Bas calvinistes), ce qui conforta Louis XIV dans son pouvoir et multiplia les conversions catholiques des notables protestants. La France a retrouvé la paix avec l’Espagne le 17 septembre 1678, avec le Saint-Empire Romain Germanique le 5 février 1679, avec le Brandebourg le 20 juin 1679, avec le Danemark le 2 septembre 1679 et avec la Suède le 26 novembre 1679.

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Très hostile à la "religion prétendument réformée" (RPR), Louis XIV encouragea à partir de 1681 (jusqu’en 1686) les "dragonnades" (ordonnance du 11 avril 1681), souhaitées par Louvois mais réprouvées par Colbert (qui n’empêcha rien car il mourut le 6 septembre 1683), commandées entre autres par le marquis de Boufflers et le duc de Noailles. C’étaient des persécutions cruelles pour obliger par la force, parfois sous la torture, les protestants à abjurer et se convertir au catholicisme, ce qui a provoqué de nombreux assassinats mais aussi des centaines de milliers de conversions (elles furent donc efficaces). Les premières vagues d’émigration des protestants se firent en 1679 vers l’Angleterre et les Provinces-Unies (équivalentes aux Pays-Bas actuel).

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Sur le plan extérieur, Louis XIV devait également donner quelques gages de catholicisme et de fidélité au pape Innocent XI pour faire oublier que la "Fille aînée de l’Église" ne fût pas présente pour aider l’Autriche contre l’empire ottoman au siège de Vienne, levé le 12 septembre 1683.


L’Édit de Fontainebleau du 17 octobre 1685

Ce fut dans ce contexte de volonté d’unifier le royaume (une seule foi, une seule loi, un seul roi ; Bossuet : « Désobéir au roi, c’est désobéir à Dieu lui-même ! ») que Louis XIV, convaincu que le mouvement général de conversions était une large réussite, a signé le 17 octobre 1585 l’Édit de Fontainebleau qui révoqua l’Édit de Nantes : « Dieu ayant enfin permis que nos peuples jouissent d’un parfait repos et que nous-mêmes, n’étant pas occupés des soins de les protéger contre nos ennemis (…), nous voyons présentement, avec la juste reconnaissance que nous devons à Dieu, que nos soins ont eu la fin que nous nous sommes proposés, puisque la meilleure et la plus grande partie de nos sujets de ladite RPR ont embrassé la Catholique. Et d’autant qu’au moyen de l’exécution de l’Édit de Nantes et de tout ce qui a été ordonné en faveur de ladite RPR demeure inutile, nous avons jugé que nous ne pouvions rien faire de mieux pour effacer entièrement la mémoire des troubles, de la confusion et des maux que le progrès de cette fausse religion a causés dans notre royaume et qui ont donné lieu audit édit et à tant d’autres édits et déclarations qui l’ont précédé ou ont été faits en conséquence, que de révoquer entièrement ledit Édit de Nantes. » (17 octobre 1685).

Il est probable que Madame de Maintenon, pourtant très catholique, ne fût pas du tout à l’origine de cette décision alors que les "temporisateurs", Anne d’Autriche et Colbert étaient déjà morts (respectivement en 1666 et 1683). Louvois a contresigné cet édit qui interdit désormais le protestantisme sur tout le territoire français sauf en Alsace. Le Parlement de Paris a enregistré rapidement l’Édit de Fontainebleau, dès le 22 octobre 1585.

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Les conséquences de l’Édit de Fontainebleau furent désastreuses pour l’économie française dans les décennies voire siècles qui ont suivi. En effet, à court terme, le roi a dû faire face à des révoltes et des soulèvements (en particulier aux Cévennes). Mais sur le long terme, ce fut toute une part de la richesse du royaume qui "s’évapora" : au moins 200 000 protestants quittèrent la France dans les années qui suivirent l’Édit de Fontainebleau pour s’établir dans des lieux moins hostiles à la Réforme. Les pays étrangers furent déconcertés et choqués par une telle répression française. Celle-ci diminua dans les faits à partir de 1698 selon la volonté de Louis XIV un peu dépassé par les événements, et ce fut Louis XVI qui mit juridiquement fin à la répression avec l’Édit de Versailles du 7 novembre 1787 (plus d’un siècle plus tard !).


Émigration massive de la population française à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle

Cette émigration massive fut une véritable chance pour les pays d’accueil et contribua à leur prospérité lors de la révolution industrielle. Environ 1% de la population française a quitté définitivement la France, provenant de l’élite, pour s’établir en Angleterre, aux Pays-Bas, en Prusse et aussi en Amérique.

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Le duc de Prusse et grand électeur de Brandebourg, Frédéric-Guillaume Ier de Hohenzollern (arrière-grand-père du fameux Frédéric II de Prusse), profita des persécutions pour accueillir les réfugiés protestants français, notamment par l’Édit de Potsdam du 8 novembre 1585 (soit seulement trois semaines après la révocation de l’Édit de Nantes). Il proposa aux protestants français de les accueillir sur le territoire prussien et brandebourgeois.

Au delà d’un "visa", il accorda aux protestants français une exonération fiscale de dix ans (!), l’autorisation de pratiquer leur religion en français selon la liturgie des églises réformées françaises. L’objectif de Frédéric-Guillaume Ier fut de compenser les grosses pertes démographiques dues à la Guerre de Trente ans et de dynamiser certains secteurs économiques. (L’Allemagne de 2015 semble donc dans cette même tradition d’accueil humanitaire à objectifs économiques).

Cette ouverture des frontières favorisa également la venue des protestants persécutés de Russie ou de Bohême. Potsdam fut transformé en une "plaque tournante" de l’immigration européenne. Malgré l’éloignement géographique et culturel, le Brandebourg accueillit de 1685 à 1731 environ 20 000 protestants français , pour moitié à Berlin même, sur les 60 000 migrants français ayant choisi de se réfugier dans les États allemands. Plus de 3 000 protestants de Metz s’installèrent ainsi à Berlin au début de cette période pour participer à l’essor de la ville. Il faut préciser que Berlin ne comptait plus que 6 000 habitants et que les réfugiés appartenaient à l’élite intellectuelle (ingénieurs, chefs d’entreprise, scientifiques, militaires, etc.). Ils y ont implanté plusieurs manufactures.

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Parmi les descendants de ces migrants français en Allemagne, on peut citer Dorothée Viehmann (qui inspira les frères Grimm pour certains de leurs contes qui transmettaient donc des histoires d’origine française et pas allemande), Lothar de Maizière, dernier Premier Ministre de la République Démocratique d’Allemagne (RDA), le premier démocratiquement élu, du 12 avril 1990 au 2 octobre 1990, son cousin Thomas de Maizière, actuel Ministre fédéral de l’Intérieur en Allemagne (depuis le 28 octobre 2009, sauf du 3 mars 2011 au 17 décembre 2013 où il était à la Défense), et à ce titre, aux prises avec le dossier de la crise des réfugiés en Europe. Tous les deux sont des descendants d’huguenots venus de Maizières-lès-Metz en Lorraine.

D’autres protestants français ont émigré dans d’autres pays, en particulier l’Angleterre, les Pays-Bas, les États-Unis, le Canada et même l’Afrique du Sud (des viticulteurs bordelais y ont produit du vin local), l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce fut le cas de Denis Papin, mathématicien calviniste, l’inventeur de la machine à vapeur et d’un sous-marin, qui s’exila à Londres dès 1675. Parmi les descendants d’huguenots aux États-Unis, de grands noms comme… Éleuthère Irénée du Pont de Nemours (né à Paris, fils d’un huguenot qui a émigré aux États-Unis seulement en 1799), mais aussi Franklin Delano Roosevelt et Warren Buffet.


L’immigration, richesse imprévue

Encore une fois, l’exemple historique de l’émigration massive des huguenots français vers des pays qui ont bénéficié de leur apport pour la révolution industrielle est un exemple parmi d’autres (comme l’émigration irlandaise au XIXe siècle) qui démontrent que les pays d’accueil ont factuellement toujours été bénéficiaires d’une forte immigration, et cela malgré de grandes différences en culture, langue, religion, etc. et malgré, parfois, une forte réticence d’une partie de la population du pays d’accueil, toujours encline à la xénophobie voire au racisme.

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Que cet exemple fasse aussi réfléchir aux défis d’aujourd’hui, en particulier à cette nouvelle "guerre de religion" que le Daech est en train de mener contre tous les "infidèles" et qui a provoqué un déplacement massif de populations dans le monde arabe (un quart de la population totale de la Syrie par exemple).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Louis XIV.
Marignan.
L’émigration irlandaise.
La crise des réfugiés en Europe.
La laïcité depuis 1905.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151017-revocation-edit-nantes.html

http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/la-revocation-de-l-edit-de-nantes-172041

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/10/17/32651224.html

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Commentaires
B
Bonjour et merci à vous pour cet article très instructif.
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Merci de m'avoir lu.

L'intégralité de mes articles (depuis février 2007) se trouve sur le site http://www.rakotoarison.eu
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