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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
24 décembre 2018

Noël 2018 à la télévision : surenchère de nunucheries américaines

« La télé est dangereuse pour les hommes. L’alcoolisme, le bavardage et la politique en font déjà des abrutis. Était-ce nécessaire d’ajouter encore quelque chose ? » (Louis-Ferdinand Céline, 1961).


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Comme c’est la "trêve des confiseurs", comme on dit, passons à un succès très anecdotique. Quoi qu’on en dise, et malgré l’essor généralisé d’Internet, la télévision joue encore un rôle essentiel dans le divertissement et l’information des "masses". Les statistiques d’audience le démontrent tous les jours. Peut-être que le public captif de la télévision est de plus en plus âgé, et raisonne dans son comportement comme il y a vingt ou trente ans, et que les plus jeunes ont abandonné depuis longtemps cet outil peu adaptable au profit d’Internet et de ses programmes de création audiovisuelles ajustés au cas par cas (podcast, replay, etc.).

Cette petite introduction me sert à évoquer, à la veille de Noël, un genre télévisuel qui semble avoir beaucoup de succès : les téléfilms sur le thème de Noël. En ce moment, vous ne pouvez pas les rater si vous allumez votre téléviseur : l’après-midi, le soir, même le matin parfois, en semaine ou le week-end, beaucoup de chaînes du bouquet TNT diffusent des téléfilms ayant pour thème Noël. C’est facile à les reconnaître : il y a le mot "Noël" dans le titre : "Le roman de Noël", "L’amour de Noël", "Noël en joie", etc. (ces titres n’en sont peut-être pas, ce sont des exemples issus de mon imagination).

Des créations sur le thème de Noël, ce n’est pas nouveau et cela a pu faire de très belles pièces de théâtre, comme "Le Père Noël est une ordure" ou encore de beaux films comme l’excellent "Garde à vue", avec Michel Serrault, Romy Schneider, Lino Ventura et Guy Marchand (réalisé par Claude Miller et sorti le 23 septembre 1981), même si ce film se passe plutôt à la Saint-Sylvestre, cela reste la période de Noël.

L’enjeu commercial est très important. L’aspect spirituel et religieux de Noël est oublié depuis longtemps (ce qui est regrettable) au profit de son aspect commercial dans les grandes surfaces (en gros, après la Toussaint, et avant les soldes et la Saint-Valentin). Mais ici, ce n’est pas une question de grandes surfaces, c’est une question de prix de la minute de publicité et d’audiences. Le fameux temps de cerveau disponible à remplir.

La concurrence est âpre et cette année 2018 fut rude. La première chaîne à avoir "dégainé" Noël fut 6ter (groupe M6) qui a consacré une journée de téléfilms sur Noël le 16 septembre 2018 (à 100 jours de Noël). Ensuite, TFX a commencé sa programmation de téléfilms de Noël le 20 octobre 2018, suivie de C8 à partir du 28 octobre 2018, puis de TMC à partir du 1er novembre 2018. France 4, W9 (groupe M6), HD1 (TF1 séries). Enfin, les deux géantes du lot, M6 et TF1, ont commencé leur "guerre" de Noël après les vacances de la Toussaint, les deux le même jour, le 5 novembre 2018. Toutes arrêteront le 31 décembre 2018. Les deux diffusent deux téléfilms sur Noël tous les jours. L’année dernière, TF1 avait largement battu M6 en audiences. Il faut savoir que plus de 2 millions de personnes regardent ce genre de téléfilms chaque jour, à une heure de la journée où il y a probablement autre chose à faire, même pour ceux qui n’ont pas un emploi "ordinaire". Je crois que ces dernières semaines, en tout cumulé, ce n’est pas loin de la centaine de téléfilms sur Noël par semaine qu’on en est. Risque d’overdose.

Même sur LCP-Public Sénat qui ont passé les 20 et 21 décembre 2018 une séquence Père MacroNoël avec l’adoption ultrarapide de la "loi gilets jaunes" (texte connu seulement le 19 décembre 2018).

Restons au sujet initial. Pour la programmation dont je parle, d’imagination, en fait, il n’y en a pas beaucoup, ou plutôt, tous, quasiment tous les téléfilms sont du même ressort que je vous propose donc ici d’esquisser en exclusivité ! Ainsi, plus la peine de les regarder, puisqu’ils racontent tous la même histoire.

Il faut d’abord comprendre que ce sont tous des téléfilms américains, et comme souvent aux États-Unis, on aime enfoncer les clous, moraliser, insister sur les bons sentiments, au risque de la niaiserie, au besoin, culpabiliser les méchants et honorer les gentils. Le scénario est digne des romans à l’eau de rose les plus mièvres. Normal, on ne demande pas une œuvre d’exception, juste de quoi emballer celles et ceux qui aiment l’amour et Noël. Le manichéisme aidant, vous allez vous identifier aux "bons" personnages.

Prenez en premier lieu une femme. C’est elle, l’héroïne. Elle est belle, jeune, et sa situation professionnelle est plutôt enviable, mais elle a cependant plein de scrupules et d’interrogations. Elle est belle mais n’est pas sûre de sa beauté. Elle est intelligente mais manque de confiance en elle. Elle a raison mais se demande si elle n’a pas tort.

Elle habite dans une grande ville (New York, Chicago, Los Angeles, etc.). Elle recherche l’amour mais ne le trouve pas selon l’idée bien machiste qu’on ne peut pas faire deux choses en même temps : s’occuper de sa carrière et fonder une famille. Elle a choisi la première, elle n’a pas la seconde. Et puis, elle est hyperexigeante, elle cherche un amour aussi "parfait" qu’elle va organiser le Noël "parfait". Qui pourrait rentrer dans de telles cases ?

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Il y a une petite variante, qui peut sembler diamétralement opposée, mais cela change à peine les choses : elle peut avoir un fiancé, ou même un compagnon, qui a généralement une encore plus prestigieuse carrière qu’elle, et tout est bien clean de ce côté-là. Si le mariage n’est pas encore fait, il est préparé avec minutie, tout sera "parfait" (le mot "parfait" est essentiel dans ces téléfilms, vous le verrez pour préparer le Noël "parfait"). Précision, rigueur, argent aussi, l’homme (que je nommerai le "méchant") est l’archétype du bon partie (pour la société américaine) : riche, bien né, défendant les valeurs familiales, bon technicien, bon comptable, bon avocat, mais piètre artiste, et pas rigolo du tout. Austère comme tout.

Noël, c’est l’occasion de le fêter en famille. Elle retourne alors dans son village natal, y retrouve la maison de son enfance où ses parents vivent encore (ou pas). "L’homme" n’a pas trop le temps de préparer la fête et la rejoindra la veille ou le jour même (heureusement, les avions ne sont pas pour les chiens).

Du coup, elle a le temps de se refaire à cette vie d’ancien temps. Nostalgie de l’enfance et de l’adolescence. Elle retrouve ses anciens camarades de classe, peut-être son premier amour de collégienne. Bref, dès le départ, vous comprenez que son compagnon officiel, elle l’a déjà complètement oublié. C’est juste sa garantie alimentaire pour toute la vie, mais pas vraiment le pied question affection et amour.

À ce moment-là, généralement, la femme croise un garçon de son âge qui n’a pas réussi : il est resté au village. Donc, pas d’étude, et métier plutôt manuel. Ce n’est pas une tare, la preuve, c’est que cet homme-là, justement, c’est le "gentil". Il est plein de délicates attentions pour l’héroïne.

Variante : une tempête de neige bloque la fille et l’homme gentil du village dans l’aéroport d’une petite ville de l’Amérique profonde lors d’une correspondance (alors, forcément, ça crée des liens).

Ils passent des bons moments ensemble, à cause d’un projet commun (réparer la salle municipale, peindre le hangar ou, tout bêtement, préparer Noël au village). Ils rient ensemble, ils mangent des saucisses ensemble, ils sont à l’aise, se confient. Mais, alors que vous le voyez gros sur la figure, la femme n’a pas compris que le gentil l’aime. Pire, elle se confie à lui sur le mode confident/amitié, parlant des défauts de son fiancé ou de sa recherche désespéré de l’amour. Le gentil n’ose pas dire : ben, si, il y a moi. D’ailleurs, si cela se trouve, la jeune femme croit que le copain en question est homosexuel. Donc, elle n’y porte pas attention sur le plan du désir.

Pour en arriver à la prise de conscience de la femme, à savoir, découvrir l’éclat d’amour dans le regard du gentil et se détacher du méchant (qui a oublié la fête de Noël car il avait trop de travail), c’est-à-dire, à la fin du téléfilm, vous devez vous farcir (comme la malheureuse dinde) tous les épisodes de cette vie au village pour préparer Noël. Vous y apprenez que les chaînes de télévision françaises sont un tantinet trop rapides pour Noël car aux États-Unis, on ne se préoccupe de Noël qu’une fois finie la dinde de Thinksgiving (dernier jeudi du mois de novembre, le jour férié le plus important des Américains, avec le 4 juillet).

Vous avez alors droit à tout : la maison est grande, on peut donc beaucoup la décorer. Il faut bien sûr faire les fameux coockies (recette transmise de mère en fille depuis quinze générations). D’habitude, l’héroïne ne sait pas cuisiner, en ville, elle travaille et se nourrit de hamburgers ou de pizza achetés dans des fastfoods dehors, etc. (ce régime bien gras ne semble cependant pas affecter sa ligne harmonieuse).

Pour Noël, pas question d’acheter des coockies tout faits, il faut les faire maison. Surtout si l’on décide de faire une réception peu avant Noël (inviter ses cent vingt-quatre collègues pour inaugurer la nouvelle piscine installée dans le jardin, par exemple). Parfois, on sonne à la porte et c'est un groupe de gentils voisins qui interprètent un chant de Noël avec de délicieux biscuits.

Le choix du sapin est toute une méthode très définie. Il faut le plus grand, car on le mérite bien. C’est presque religieusement qu’on le transporte jusqu’à chez soi. Jamais seul. Sa décoration suit elle aussi des codifications très précises, selon un rituel familial bien établi. Ainsi, c’est la grand-mère qui place l’étoile en haut du sapin, et ce n’est pas n’importe quelle étoile, elle est, elle aussi, transmise de père en fils depuis sept générations.

Cette étoile, ou une autre boule de Noël a une importance tellement fondamentale que si jamais on la perd ou pire, si on la casse, c’est la catastrophe thermonucléaire définitive. Elle est considérée comme une relique ou un morceau de la (vraie) croix du Christ. En gros, pour résumer la séquence, le malheur s’abattrait sur toute la famille en cas de manque de respect de la boule de pépé.

Il y a parfois un spectacle, qu’il faut préparer, cela permet à la femme de gagner du temps avant de déclarer sa flamme au gentil, car vous semblez oublier qu’il y a plein de choses à faire pour spectacle : la mise en scène mais aussi la décoration, les costumes, la musique, la sono, et veiller à pouvoir bien le filmer le jour J, et aussi, le cas échéant, convaincre le maire de prêter la salle (parfois, le maire est un méchant et n’en veut pas, de ce spectacle, parfois, il est un gentil et peut même faire partie du casting).

Bien sûr, dans l’histoire, il est aussi question du Père Noël, avec toutes sortes d’histoire autour de lui (un Père Noël dépressif par exemple, qu’il va falloir convaincre de reprendre son traîneau pour ne pas décevoir les enfants).

Ah, justement, j’ai oublié de vous parler des enfants. Pas de téléfilm sur Noël sans enfants. C’est simple, en fait, ces téléfilms sont d’abord faits pour être regardés par des enfants (les horaires dans la journée ou le week-end le prouvent). Vous restez donc tolérants sur le ton volontairement simpliste, les sentiments faciles à déceler : tout doit être compris d’un enfant de 8 ou 10 ans.

À quoi servirait la magie de Noël sans enfants ? D’ailleurs, l’amour est synonyme d’enfants qui en sont les fruits naturels. Or, justement, le méchant, à savoir, le fiancé absent, vous savez, celui qui bosse comme un fou pour reprendre la multinationale de papa, il ne sait pas ce que c’est, un enfant. Il en a peur. Il ne sait pas s’en occuper et surtout, pour lui, c’est synonyme de perte de temps, et donc d’argent. Il a mieux à faire que pouponner. Il ne le rejette toutefois pas, car il sait que le fiston deviendra un jour son héritier à la tête de sa future multinationale. Parallèlement, l’héroïne, dotée de tous les attributs d’une princesse de conte de fée, est évidemment en attente de maternité. Curieusement, le gentil camarade du village aime, lui aussi, les enfants.

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Bien sûr, il y a des variantes. Par exemple, l’héroïne a déjà des enfants et vient avec eux quelques jours de vacances dans son village natal. Leur père les connaît à peine (c’est vrai que, comme le temps passe vite, les enfants changent très vite, difficile de se mettre à jour sans arrêt !). En revanche, le gentil du village, lui, a tout de suite accroché avec eux. Vous imaginez déjà qu’il fera un excellent père de substitution.

Dans d’autres variantes, vous pouvez interchanger les enfants avec un animal domestique. Par exemple, l’héroïne a un chien qu’elle adore (parce que petite, un chien du même type lui avait sauvé la vie, ou un truc comme cela). Alors que le mari méchant de la ville n’aime pas les chiens et le chien le lui rend bien. En revanche, le gentil des champs l’a tout de suite adopté. Ils jouent comme des fous dans le champ du voisin. Notez que dans ces téléfilms à l’eau de rose, on préfère les chiens aux chats : le chat est méchant, l’agresseur, et attaque le chien qui est gentil, une victime.

On ne vous épargne pas le chocolat chaud avec les coockies, le lait de poule, la dinde farcie géante dont l’échec de la cuisson équivaudrait à l’Apocalypse familiale, que sais-je encore ?

L’intérêt de ces téléfilms tous identiques est sociologique : ils décrivent à répétition (c’est très pédagogique, la répétition, à force, ça rentre dans le cerveau, comme les publicités) la société américaine moyenne. Pas celle des villes folles, mais celle de l’Amérique profonde, où les espaces sont gigantesques, où le transport en commun est l’avion, le pick-up l’équivalent de la trottinette en ville, les maisons au minimum deux cents mètres carré avec deux étages, un salon cathédrale (pratique pour installer le sapin géant), un grand garage et un jardin immense bien visible de la rue du lotissement.

Les voisins ont une importance cruciale et le pire dans une vie sociale est de se faire détester des voisins. Si bien qu’il est impératif de décorer votre maison car les voisins ne comprendraient pas que vous ne le fassiez pas (parmi les variantes, il y a la concurrence acharnée entre deux voisins sur le mode : c’est moi qui ai la plus grosse décoration).

Le retour aux sources est un élément fondamental aussi dans la société américaine. Les valeurs traditionnelles y sont toujours encouragées. Ainsi, l’actif a du mal à concilier sa vie urbaine à cent à l’heure et la nostalgie d’une vie dans les terres, dans la campagne, où habitent encore ses parents, ses premiers amis, ses frères et sœurs, etc. et probablement encore son cœur.

Autre valeur américaine, le droit à une seconde chance. Finalement, la jeune fille qui retrouve son premier amour (elle l’a quitté pour poursuivre ses études d’avocate dans une grande ville) lui accorde une seconde chance (et tant pis pour le fiancé qui a oublié qu’il avait une femme dans sa vie).

Les plus ambitieux des téléfilms se terminent avec non seulement l’amour entre l’héroïne et le gentil du village (ça, vous l’aviez deviné dès la première minute du téléfilm), mais aussi avec un changement radical de la carrière professionnelle de la princesse. On lui a proposé de diriger le plus grand magazine de mode juste après Noël mais finalement, elle décide de rester dans le village parental à remettre en route la vieille librairie sans clients qui lui avait fait connaître ses premiers émois dans ses premières lectures.

Ah, au fait, si vous en avez marre, juste un petit conseil, n’hésitez pas à utiliser votre télécommande, zapper ou même mieux, carrément éteindre votre écran. Dans "La Tentation de l’innocence" (1995), Pascal Bruckner a écrit : « La télévision n’exige du spectateur qu’un acte de courage, mais il est surhumain, c’est de l’éteindre. ».

Vous pouvez d’ailleurs faire la même chose avec ce modeste article dont le seul but, mais pour cela, il fallait aller jusqu’au bout dans sa lecture, est de vous souhaiter de passer une très bonne fête de Noël 2018 !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 décembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Noël 2018 à la télévision : surenchère de nunucheries américaines.
Françoise Giroud.
François de Closets.
Pierre Desgraupes.
Sibyle Veil.
René Rémond.
Philippe Gildas.
Pierre Bellemare.
Jacques Antoine.
Bernard Pivot.
Michel Polac.
Alain Decaux.

_yartiNoel2018A04




http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181225-television-noel.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/noel-2018-a-la-television-210977

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/12/22/36960491.html




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