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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
8 janvier 2016

François Mitterrand le politicien et l’extrême droite

« Mitterrand, c’est le type du politichien. Il n’a absolument rien pour lui que l’ambition, le désir de prendre la place le jour où il le pourrait. » (Charles De Gaulle, 22 septembre 1965).


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Les nostalgiques des années Mitterrand vont être servi cette année 2016 avec le vingtième anniversaire de la mort de François Mitterrand ce vendredi 8 janvier 2016 et le centenaire de sa naissance le 26 octobre 2016. D’ailleurs, les documentaires et autres articles concernant l’ancien Président de la République ont fleuri depuis le début décembre 2015, tant dans la presse que dans l’audiovisuel.

Pourfendeur de la Ve République, François Mitterrand s’est moulé dans les institutions comme un roi, bien mieux que De Gaulle. Au point d’avoir atteint le record de longévité d’un Président de la République française avec quatorze ans de règne. Un record qui ne pourra plus jamais être égalé, en tout cas quatorze années successives, à cause de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui limite cette longévité à deux mandats consécutifs de cinq ans. Il faut remonter à Napoléon III pour retrouver une telle longévité pour un chef d’État.

Mais à part la longévité et le livre des records, que reste-t-il de François Mitterrand ? Pas grand chose sinon son cynisme. À son actif, soyons honnête quand même, il a été un ardent défenseur de la construction européenne et à ce titre, il est sans doute le dernier Président français à avoir cru en l’Europe. Comme Valéry Giscard d’Estaing. Leurs successeurs n’ont fait que gérer des situations de fait sans initiative particulièrement marquante pour renforcer l’intégration européenne. À son passif, il a laissé un bébé grandir qui, aujourd’hui, a atteint sa pleine maturité électorale : le Front national et la famille Le Pen.

Je profite donc de cet anniversaire pour évoquer François Mitterrand et l’extrême droite.


Entre 1934 et 1945

Son passé est maintenant connu même si, durant sa Présidence, il avait tout fait pour réduire au silence toute information le concernant (le livre de Pierre Péan de 1994, "Une Jeunesse française. François Mitterrand, 1934-1947" est un document très fouillé sur cette période).

Issu d’une famille nombreuse de la bourgeoisie provinciale catholique, François Mitterrand est parti faire des études à Paris, dans le futur IEP de Paris et à la faculté de lettres et de droit pour devenir avocat. Il fut adhérent en novembre 1934 des Croix-de-feu dirigées par le colonel François de La Roque, qui est un militant de droite nationaliste, mais républicain, chrétien social, et qui fut par la suite résistant et déporté sous l’Occupation. En 1936, après la dissolution des Croix-de-feu, François Mitterrand fréquentait des amis issus de La Cagoule, un groupuscule armé d’extrême droite, sans y appartenir lui-même.

En particulier, c’est Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal, père de Liliane Bettencourt et ami d’Eugène Deloncle (dirigeant de la Cagoule que l’homme d’affaires avait financée), qui lui trouva un emploi après la guerre (comme directeur de "Votre Beauté") et qui l’encouragea à s’implanter électoralement dans la Nièvre (parce qu’Eugène Schueller était un ami de Patrice Flynn, l’évêque de Nevers).

Rédigeant des articles dans un journal proche du Parti social français (le successeur des Croix-de-feu), François Mitterrand écrivit quelques pamphlets contre les étrangers, en particulier : « Désormais, le Quartier Latin est ce complexe de couleurs et de sons si désaccordés qu’on a l’impression de retrouver cette tour de Babel à laquelle nous ne voulions pas croire. ». Des photographies publiées dans la presse d’extrême droite de l’époque attestent aussi de sa présence lors de la manifestation "anti-métèques" du 1er févier 1935 organisée par l’extrême droite.

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Pendant la guerre, après avoir été fait prisonnier par les Allemands en juin 1940 et s’être évadé en janvier 1942, François Mitterrand a été recruté dans l’administration à Vichy. Dans une lettre datée du 22 avril 1942, il a écrit que le retour de Pierre Laval ne lui faisait pas beaucoup peur, et il rencontra Philippe Pétain le 15 octobre 1942 comme l’un des responsables du comité d’entraide aux prisonniers rapatriés de l’Allier. Il entra dans la Résistance vers mars 1943 mais fut décoré de l’ordre de la Francisque par Pétain eu printemps 1943 (n°2202) au titre des prisonniers de guerre. Il rompit toute relation avec Vichy en fin mai 1943. Pour beaucoup de gaullistes,  François Mitterrand avait été encouragé à recevoir la Francisque car c’était une couverture idéale.

François Mitterrand était donc, jusqu’au milieu de la guerre, dans des milieux certes nationalistes et pétainistes mais il n’était en aucun cas fasciste ni antisémite (De La Rocque avait contesté le statut des Juifs). Ce qu’on peut lui reprocher, c’est d’avoir fait une OPA des mouvements de prisonniers à partir de 1943, grâce à la "reconversion" gaulliste de son pétainisme, et que cette démarche a été la base de sa légitimité politique après la guerre au sein de petits partis politiques de centre gauche (UDSR, puis CIR).


Entre 1945 et 1981

C’est pendant cette période de fin de la guerre que François Mitterrand se lia d’amitié avec René Bousquet, le terrible secrétaire général de la police de Vichy du 18 avril 1942 au 31 décembre 1943, organisateur de la rafle du Vel’ d’hiv’. Blanchi étonnamment par la justice, René Bousquet tenta sans succès une carrière politique en se présentant aux élections législatives du 23 novembre 1958, sous l’étique UDSR, le parti de François Mitterrand.

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Devenu un banquier influent et un homme de presse (assurant la succession de Jean Baylet à "La Dépêche du Midi"), il a soutenu la campagne présidentielle de François Mitterrand en 1965. François Mitterrand continua à voir René Bousquet ainsi que son collaborateur Jean-Paul Martin jusqu’en 1986, les invitant à Latché et même à l’Élysée (Jean-Paul Martin est mort en 1986 et des accusations contre René Bousquet s’intensifièrent à partir de cette même année). Selon Georges-Marc Benhamou, il aurait lâché : « Une carrière ainsi brisée à 35 ans, et ce n’est pas supportable. (…) Bousquet en souffrait cruellement. Imaginez cette cassure, cette carrière foudroyée. ».

François Mitterrand a aussi reçu pour le second tour de l’élection présidentielle du 19 décembre 1965 le soutien du candidat d’extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancour. Là encore, les voix n’ont pas d’odeur et il avait bénéficié de l’antigaullisme de Jean-Louis Tixier-Vignancour et de son directeur de campagne Jean-Marie Le Pen qui en voulaient à De Gaulle d’avoir fait accéder l’Algérie à l’indépendance. De plus, au cours d’un témoignage judiciaire, François Mitterrand avait soutenu le général Raoul Salan le 17 mai 1962 lors du procès de ce dernier, défendu par …Jean-Louis Tixier-Vignancour.

Ce qui a fait dire à De Gaulle le 24 novembre 1965 : « Mitterrand et Bousquet, ce sont les fantômes qui reviennent : le fantôme de l’anti-gaullisme issu du plus profond de la collaboration. Que Mitterrand soit un arriviste et un impudent, je ne vous ai pas attendu pour le penser. Mitterrand est une arsouille. » (discussion avec Alain Peyrefitte).

Bien plus tard, un de ses pourtant partisans, peu de temps avant sa mort, n’a pas hésité à le balancer aussi : « François Mitterrand, vous savez, je l’ai toujours servi loyalement mais je n’ai jamais été mitterrandiste. C’était un homme qui venait de l’extrême droite et qui a toujours été à l’extrême droite. » (Georges Frêche, en 2009). Georges Frêche, ancien député-maire de Montpellier et président du conseil régional de Midi-Pyrénées, n’a jamais été nommé ministre (ni par François Mitterrand, ni par Lionel Jospin).

Pendant la période d’opposition de l’union de la gauche, tout au long des années 1970, François Mitterrand a réussi à mettre hors de compétition le Parti communiste français, faisant du PS la première force à gauche. Son élection le 10 mai 1981 a marqué la réussite de sa patiente stratégie d’union de la gauche alors qu’il n’avait jamais montré dans sa jeunesse une passion débordante pour le marxisme.


Entre 1981 et 1996

Le "maréchalisme" de François Mitterrand a été très mal ressenti par ses plus proches soutiens. Entre 1984 et 1991, François Mitterrand fit déposer chaque année une gerbe de fleurs sur la tombe de Philippe Pétain. Ses prédécesseurs ne l’avaient fait qu’une seule fois au cours de leur mandat (en novembre 1968, en février 1973 et en novembre 1978). Il arrêta cette pratique en 1992 lorsque la polémique s’est enflée.

Devenu très impopulaire à partir de 1983, en particulier sur les sujets économiques mais aussi sociétaux, comme l’enseignement (en juin 1984, plus d’un million de personnes ont défilé en faveur de l’école libre et contre le projet Savari), François Mitterrand a cherché, à défaut de gagner les élections législatives de mars 1986, d’empêcher l’alliance UDF-RPR d’obtenir la majorité absolue. Pour cela, il a profité d’un appel d’air aux thèses du Front national à Dreux en septembre 1983 (17% lors des élections municipales partielles) et il a modifié en avril 1985 le scrutin électoral en instituant la proportionnelle intégrale (sur la base des analyses électorales des élections cantonales de mars 1985).

Pour faire mûrir le FN, François Mitterrand a encouragé les chaînes de télévision publiques à inviter dans leurs émissions politiques le leader du FN, à savoir Jean-Marie Le Pen. Le directeur adjoint du cabinet à l’Élysée de l’époque a confirmé ces consignes qui se voulaient des ordres, notamment auprès de François-Marie de Virieu, l’animateur de "L’Heure de vérité".

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De fait, Jean-Marie Le Pen a fait un tabac lors de sa première apparition comme invité de "L’Heure de vérité" le 13 février 1984 sur Antenne 2. Aux élections européennes du 17 juin 1984, le FN a grimpé jusqu’à 10,9%, à 0,2% du PCF. Fondé formellement en 1972, le FN venait d’être "regénéré" médiatiquement en 1984 grâce à François Mitterrand.

La stratégie électorale de François Mitterrand ne fut pas couronnée de succès car l’alliance UDF-RPR a finalement obtenu de justesse la majorité absolue de l’Assemblée Nationale le 16 mars 1986, à quelques sièges près (deux), assurant au futur Premier Ministre Jacques Chirac une discipline majoritaire très ferme, tandis que trente-cinq députés FN (avec 9,6%) ont fait leur entrée au Palais-Bourbon.

En début avril 1988, pour continuer dans sa stratégie d’encouragement du FN, François Mitterrand, candidat à sa réélection, renouvela sa position en faveur du droit de vote des étrangers tout en indiquant qu’il ne le réaliserait pas. Des propos inutilement polémiques visant à encourager la colère des moins modérés et à renforcer la candidature de Jean-Marie Le Pen qui a réussi à obtenir 14,4% des suffrages exprimés au premier tour de l’élection présidentielle du 24 avril 1988. François Mitterrand a été réélu sans beaucoup de difficulté après un entre-deux tours particulièrement âpre.


Hollande et Valls sur les pas de Mitterrand

Ce cadeau empoisonné à la droite, la gauche a eu plus tard l’amère surprise d’en être la principale victime avec l’élimination de Lionel Jospin du second tour de l’élection présidentielle de 2002.

Depuis 2011, les niveaux électoraux très élevés du FN marquent une nouvelle étape au point de se demander si François Hollande et Manuel Valls ne jouent pas avec le feu pour 2017 (notamment en réalisant le programme du FN sur la déchéance de la nationalité), car la seule possibilité de gagner l’élection présidentielle prochaine est de se retrouver dans un second tour face à Marine Le Pen qu’il a donc fallu favoriser dans les médias et dans le débat public en général en en faisant sa principale interlocutrice.

François Mitterrand, à titre posthume, est devenu une sorte de …docteur Frankenstein, ne maîtrisant plus la créature qu’il a contribué à faire croître dans le plus redoutable des cynismes, et ses héritiers socialistes en jouent et abusent de manière plus que menaçante.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (8 janvier 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Mitterrand, l’homme du 10 mai 1981.
François Mitterrand et la peine de mort.
François Mitterrand et le Traité de Maastricht.
François Mitterrand et l’extrême droite.
François Mitterrand et l’audiovisuel public.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160108-mitterrand.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-mitterrand-le-politicien-175948

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/01/08/33137659.html




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