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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
17 mars 2016

Cohabitation dans une France en crise le 16 mars 1986 (2)

« Je ne suis pas le Premier Ministre et vous n’êtes pas le Président de la République, nous sommes deux candidats, à égalité, et qui se soumettent au jugement des Français. » (Jacques Chirac à François Mitterrand le 28 avril 1988). Seconde partie.


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Les élections législatives du 16 mars 1986 ont apporté une majorité parlementaire opposée au Président de la République. Ce fut une configuration inédite sous la Ve République. Malgré la réticence de certaines personnalités, la cohabitation s’ouvrait dans un contexte de rivalité présidentielle entre les deux têtes de l’exécutif.


Le second gouvernement Chirac et premier gouvernement de la cohabitation

Ce fut assez rapidement, dès son allocution télévisée du 17 mars 1986, que François Mitterrand nomma Jacques Chirac à Matignon. Sans surprise et sans manigance, selon la tradition républicaine du chef du parti le plus important qui avait déjà prévalu chez René Coty en préférant le 1er février 1956 Guy Mollet à Pierre Mendès France comme Président du Conseil lors de la victoire du Front républicain le 2 janvier 1957.

Pendant la formation du gouvernement, les journalistes étaient installés en nombre sur le perron de l’Élysée, attendant au froid l’annonce du Secrétaire Général de l’Élysée, et à un moment, François Mitterrand est venu lui-même leur servir un café chaud pour bien montrer qu’il n’était pas du tout impliqué dans ce gouvernement qui fut finalement nommé le 20 mars 1986 (on oublia de nommer un Ministre de la Santé, d’où de nouvelles nominations le 25 mars 1986).

Jacques Chirac bénéficia de la très courte majorité UDF-RPR : il a ainsi réussi à caporaliser toute sa majorité, considérant que si un parlementaire faisait défaut, ce serait François Mitterrand qui en bénéficierait.

La première conséquence, c’est que Raymond Barre n’a pas formé de groupe parlementaire et laissa ses partisans au sein du groupe UDF (ce fut une erreur stratégique qui lui coûta l’Élysée). Cela signifiait aussi qu’aucun barriste ne ferait barrage à un gouvernement de cohabitation. De nombreux barristes y furent nommés, dans des postes essentiellement techniques : Pierre Méhaignerie, président du CDS, à l’Équipement, au Logement, à l’Aménagement du Territoire et aux Transports ; René Monory à l’Éducation nationale ; Georges Chavanes au Commerce, à l’Artisanat et aux Services ; Bernard Bosson aux Collectivités locales puis aux Affaires européennes ; Adrien Zeller à la Sécurité sociale ; Jean Arthuis à la Consommation et à la Concurrence ; et Ambroise Guellec à la Mer.

La deuxième conséquence, c’est que Jacques Chirac pouvait jouer sur le veto de François Mitterrand pour refuser certaines nominations : ainsi, Étienne Dailly ne fut pas nommé à la Justice (à la place, Albin Chalandon) ; ni Jean Lecanuet aux Affaires étrangères (à la place, Jean-Bernard Raimond, qui vient de mourir, le 7 mars 2016) ; ni non plus François Léotard à la Défense (à la place, André Giraud ; François Léotard, qui a eu la Culture en 1986, fut finalement plus tard nommé à la Défense dans le deuxième gouvernement de la cohabitation en 1993) : ni même Valéry Giscard d’Estaing au Redressement national (qui aurait couvert l’Économie et l’Emploi). La nomination de Charles Pasqua à l'Intérieur n'a posé aucun problème à François Mitterrand en raison de l'estime réciproque qu'ils nourrissaient l'un pour l'autre et du passé de résistant de Charles Pasqua.

Les autres ministres du gouvernement furent : Édouard Balladur, en véritable vice-vizir, à l’Économie et aux Finances, chargé de réaliser les privatisations ; Bernard Pons aux Dom-tom ; Philippe Séguin aux Affaires sociales et à l’Emploi ; Alain Madelin à l’Industrie ; François Guillaume, président de la FNSEA, à l’Agriculture ; Michel Aurillac à la Coopération ; André Rossinot aux Relations avec le Parlement.

Enfin, parmi les sous-ministres, on peut citer en particulier : Alain Juppé au poste stratégique du Budget, Hervé de Charette, Michel Noir, Robert Pandraud, Jacques Douffiagues, Alain Carignon, Alain Devaquet, Michèle Barzach, Yves Galland, Gérard Longuet, André Santini, Claude Malhuret, Philippe de Villiers, Didier Bariani, Gaston Flosse et Michèle Alliot-Marie.

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Lors du premier conseil des ministres réuni à l’Élysée le 22 mars 1986, l’atmosphère fut glaciale et tendue. François Mitterrand est apparu en sphinx froid et distant, à la limite de l’impolitesse, ne saluant aucun des ministres et refusant de figurer sur la traditionnelle photographie du gouvernement sur le perron de l’Élysée. Jacques Chirac avait d’ailleurs demandé à ses ministres de ne jamais discuter des projets politiques devant le Président de la République, réservant le temps du débat aux conseils de cabinet qu’il allait organiser à Matignon.


Le long fleuve pas tranquille de la cohabitation

Cette première cohabitation a innové une nouvelle pratique des institutions : le pouvoir s’est déplacé de l’Élysée à Matignon, mais n’a pas pour autant renforcer l’influence du Parlement. Au contraire, sous prétexte de contexte institutionnel délicat (cohabitation et majorité très courte), Jacques Chirac a pu imposer la discipline au sein de sa majorité. Ce fut le cas aussi dans d’autres cohabitations, même lorsque la majorité était large (comme sous Édouard Balladur).

Jacques Chirac a tenté de déconstruire tout ce que le pouvoir socialo-communiste avait bâti les cinq années précédentes, et en particulier en suppriment l’impôt sur les grandes fortunes, en rétablissement le scrutin majoritaire à deux tours pour les élections législatives, en privatisant les entreprises qui ont été nationalisées par la gauche et en réformant l’audiovisuel public.

Mais, en embuscade, François Mitterrand a réussi à faire valoir son autorité présidentielle en refusant de signer les ordonnances pour le scrutin majoritaire, les privatisations et l’audiovisuel public. Il l’a annoncé le 14 juillet 1986 en pleine garden-party, et cela a failli faire exploser la cohabitation. Jacques Chirac n’a toutefois pas voulu s’enliser dans un débat constitutionnel (le Président de la République a-t-il le droit de refuser de promulguer des ordonnances ?) et a pris un peu plus de temps en passant par la voie de la loi (c’était juste une manœuvre de François Mitterrand puisque ce dernier avait admis qu’il ne pourrait pas refuser de promulguer les lois, même celles qui ne lui plaisaient pas).

Au-delà des attentats terroristes d’Action directe (notamment l’assassinat de Georges Besse le 17 novembre 1986 commis entre autres par Jean-Marc Rouillan, qui avait été remis en liberté en 1981 par une loi d’amnistie voulue par François Mitterrand, et qui s’est permis dans une interview le 23 février 2016 à Radio Grenouille de faire l’apologie des lâches terroristes des attentats du 13 novembre 2015 à Paris) et du conflit en Nouvelle-Calédonie (avec la prise d’otages dans la grotte d’Ouvéa qui a été "réglée" entre les deux tours de l’élection présidentielle), il y a eu aussi les manifestations contre le projet de loi réformant les universités et porté par Alain Devaquet, qui fut retiré après la mort de Malik Oussekine le 6 décembre 1986.

Dans les conférences internationales, Jacques Chirac a imposé sa présence aux côtés de François Mitterrand et cela, au détriment du Ministre des Affaires étrangères. Y compris lors des conférences de presse ponctuant la conférence internationale.

Ce fut donc une cohabitation conflictuelle qui termina très mal puisque les deux têtes de l’État furent candidates à l’élection présidentielle de 1988 (entretenant le suspens, François Mitterrand ne s’était déclaré que le 22 mars 1988) et elles ont été qualifiées au second tour.

Pour préparer le débat télévisé entre les deux tours, le 28 avril 1988, François Mitterrand avait porté le niveau de machiavélisme et de mesquinerie à son comble en imposant la largeur de la table qui allait séparer les deux protagonistes : elle fut de la même largeur que celle du conseil des ministres, pour mettre Jacques Chirac en état de subordination et pas au même niveau d’égalité.

Du coup, il y a eu ce fameux échange où Jacques Chirac a lancé : « Permettez-moi de vous dire que ce soir, je ne suis pas le Premier Ministre et vous n’êtes pas le Président de la République, nous sommes deux candidats, à égalité, et qui se soumettent au jugement des Français, le seul qui compte. Vous me permettrez donc de vous appeler "Monsieur Mitterrand". », et François Mitterrand de répondre très goguenard : « Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier Ministre ! ».


Issue de la première cohabitation et les suivantes

Jacques Chirac fut largement battu par François Mitterrand au second tour de l’élection présidentielle du 8 mai 1988, avec seulement 46,0% des voix (près de 2,5 millions de voix les séparèrent, plus de quatre millions au premier tour !).

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Échaudé par cette mauvaise expérience, lorsque la coalition UDF-RPR retrouva le pouvoir à l’issue des élections législatives du 28 mars 1993, Jacques Chirac, bien que chef du parti le plus important, refusa de retourner une troisième fois à Matignon et laissa son vice-vizir faire le job de la deuxième cohabitation… au point que ce dernier, Édouard Balladur, se trouva des ailes pour loucher vers l’Élysée.

Jacques Chirac finit par être élu Président de la République le 7 mai 1995 après avoir battu son "ami de trente ans" Édouard Balladur au premier tour le 23 avril 1995.

Une troisième cohabitation fut pratiquée, très différente des deux premières, où Jacques Chirac prit le rôle de Président de la République avec un Premier Ministre issu de l’opposition, Lionel Jospin (son concurrent du second tour à la présidentielle). Cette cohabitation est survenue après les élections législatives du 1er juin 1997 qui ont été anticipées par Jacques Chirac lui-même avec la dissolution de l’Assemblée Nationale décidée le 21 avril 1997 (Patrick Devedjian : « On était dans un appartement avec une fuite de gaz. Chirac a craqué une allumette pour y voir clair ! »).

Cette cohabitation dura cinq années au lieu des deux années habituelles, jusqu’à l’élection présidentielle de 2002. Le pire était évidemment que c’était Jacques Chirac lui-même qui se précipita dans cette cohabitation alors que les élections n’étaient prévues que pour mars 1998. Cette idée, provenant de Dominique de Villepin (Secrétaire Général de l’Élysée) et approuvée par Alain Juppé (Premier Ministre), pourrait être à l’origine de la fin de la pratique de dissolution, les successeurs ayant trop peur de renouveler cette fâcheuse mésaventure.

C’est ce qui a fait circuler cette petit blague : François Mitterrand a inventé le septennat de cinq ans (1981 à 1986 et 1988 à 1993), tandis que Jacques Chirac a inventé le septennat de …deux ans ! (1995 à 1997).

Néanmoins, Jacques Chirac gagna l’élection présidentielle qui ponctua cette troisième cohabitation, largement avec plus de 82% des suffrages exprimés, Lionel Jospin ayant été éliminé dès le premier tour.

L’expérience historique a montré qu’un Premier Ministre en exercice avait très peu de chance de gagner l’élection présidentielle, surtout en période de cohabitation : Jacques Chirac en 1988, Édouard Balladur en 1995 et Lionel Jospin en 2002 l’ont appris à leurs dépens.


La cohabitation est-elle encore possible ?

Ce fut le principal argument présenté pour faire la réforme du quinquennat. Là encore, j’étais parmi les ultra-minoritaires à avoir voté contre le quinquennat lors du référendum du 24 septembre 2000 (je faisais partie des rares 2,7 millions d’électeurs ayant voté non, soit seulement 6,8% des électeurs inscrits).

Il était ainsi avancé qu’en faisant élire le Président de la République tous les cinq ans et en faisant élire les députés tous les cinq ans un mois après, on éviterait la cohabitation.

En fait, rien n’est évident. Cette réforme a surtout enrégimenté encore un peu plus la majorité parlementaire puisque les députés sont encore plus tributaires de l’élection de leur champion à l’Élysée. Et donc plus godillots. Qu’on ne se méprenne pas avec les prétendus "fraudeurs" du PS aujourd’hui : aucune motion de censure ne sera votée d’ici 2017, alors que la motion de censure est le seul réel pouvoir des députés, et seul moyen d’exprimer son opposition quand on s’oppose …vraiment aux projets du gouvernement ! Le reste n’est que posture, et ce n’est pas nouveau, le RPR n’a cessé de faire une guerre de position aux gouvernements de Raymond Barre entre 1976 et 1981 mais n’a jamais voté de motion de censure contre eux.

Rien n’est évident car rien n’empêche en effet qu’un Président de la République soit élu début mai, en raison de sa personnalité, et qu’une majorité de députés qui soient opposés à ce Président soit choisie par les électeurs en mi-juin. Dans un tel cas, la cohabitation serait directement liée au mandat présidentiel et le Président de la République aurait sa légitimité contestée dès sa prise de fonction.

D’ailleurs, le principe même de cohabitation repose sur un postulat de moins en moins prouvé aujourd’hui : sur la bipolarisation du paysage politique. Or, avec l’irruption du Front national dans le débat politique au plus haut niveau électoral, la tripolarisation du paysage politique rend la cohabitation encore plus probable puisqu’il renforce les hypothèses de non-concordance de tendance politique entre l’Élysée et le Palais-Bourbon…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 mars 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Mitterrand.
Jacques Chirac.
Le scrutin proportionnel.
Valéry Giscard d’Estaing.
Raymond Barre.
Édouard Balladur.
Jacques Chaban-Delmas.
Alain Peyrefitte.
Jean Lecanuet.
René Monory.
Laurent Fabius.
Lionel Jospin.
Pierre Mauroy.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160316-cohabitation-2.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/cohabitation-dans-une-france-en-178789

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/03/17/33501705.html

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