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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
31 mars 2016

Imre Pozsgay, homme-clef de la transition démocratique hongroise

« L’histoire est allée trop vite pour Imre Pozsgay. À la fin des années 1980, son destin s’annonçait glorieux. Ce tribun massif, aussi rond que jovial, avec une voix rauque et un regard espiègle, faisait partie de la poignée de communistes rénovateurs qui avaient compris que le statu quo n’était plus possible dans l’ex-Europe soviétisée. » (Yves-Michel Riols, "Le Monde" du 17 octobre 2011).


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J’avais parlé de lui lorsque j’avais évoqué Arpad Goncz en octobre dernier. Imre Pozsgay vient de mourir à 82 ans ce vendredi 25 mars 2016 à Budapest. Très populaire, très bon orateur, au langage cru du parler vrai à la grande différence de ses camarades communistes, Imre Pozsgay a pris une part essentielle dans la transition démocratique de la Hongrie à la fin des années 1980 mais n’a pas pu la mener à bien, englouti par les flots des élections libres.


L’apparatchik prudent

Né le 26 novembre 1933 à Kony, Imre Pozsgay a adhéré au Parti ouvrier populaire hongrois (communiste) en 1950 et y prit rapidement des responsabilités locales. Son parti s’est transformé après l’insurrection du 23 octobre 1956 en Parti socialiste ouvrier hongrois (communiste) au sigle MSZMP. Janos Kadar, apparatchik stalinien modèle, conquit le pouvoir en renversant le Premier Ministre Imre Nagy avec l’aide des chars soviétiques. C’était Youri Andropov, l’ambassadeur de l’Union Soviétique en Hongrie, qui supervisa les opérations. Janos Kadar fut le secrétaire général du Parti socialiste ouvrier hongrois du 25 octobre 1956 au 27 mai 1988 et à ce titre, le premier dirigeant hongrois.

Imre Pozsgay suivit des études d’anglais à Budapest et publia un article dans un journal le 15 décembre 1957 intitulé "Révolution ou contre-révolution ?" où il analysa les événements de 1956 de manière très stalinienne en qualifiant l’insurrection de « parfaite contre-révolution » et le réformateur Imre Nagy de personnage « sans scrupule » arrivé au pouvoir grâce à « la terreur blanche enragée » pour rétablir les « règles d’un État bourgeois et capitaliste ». Il s’est investi dans l’appareil communiste tout en donnant des cours de marxisme-léninisme. Il a soutenu un mémoire de philosophie en 1970.

Il fut notamment nommé directeur du département de presse du comité central du parti puis vice-ministre de la Culture en 1975. Enfin, comme membre à part entière du gouvernement de Gyorgy Lazar (mort le 2 octobre 2014 à 90 ans) qui fut Président du Conseil des Ministres du 15 mai 1975 au 25 juin 1987. Imre Pozsgay fut d’abord Ministre de la Culture du 22 juillet 1976 au 27 juin 1980 puis Ministre de l’Éducation du 27 juin 1980 au 25 juin 1982, ce qui l’amena aussi à intégrer le comité central du parti.


L’évolution vers les thèses réformatrices

Progressivement, Imre Pozsgay se rapprocha des thèses réformatrices et publia même un rapport ("Le Tournant et la Réforme") qui fut largement diffusé dans le pays. Janos Kadar le limogea du gouvernement en 1982. Imre Pozsgay devint alors secrétaire général du Front populaire patriotique, organisation associée au MSZMP et présidé par Gyula Kallai de 1967 à 1989 (Gyula Kallai fut Premier Ministre du 30 juin 1965 au 14 avril 1967 et Président de l’Assemblée Nationale d’avril 1967 à mai 1971). Élu député au cours d’une élection partielle en 1983, il fut réélu aux élections législatives du 8 juin 1985 sur la liste nationale unique et réélu le 25 mars 1990 (jusqu’en 1994).

Vieux et malade, Janos Kadar fut progressivement écarté du pouvoir. Karoly Grosz dirigea le gouvernement du 25 juin 1987 au 24 novembre 1988 et succéda à Janos Kadar à la tête du parti communiste du 27 mai 1988 au 7 octobre 1989.

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Imre Pozsgay, qui était le principal meneur des réformistes au sein du parti communiste, fut nommé Ministre d’État, du 25 juin 1987 au 23 mai 1990, dans le gouvernement de Karoly Grosz et dans celui du successeur de celui-ci, Miklos Nemeth, Premier Ministre du 24 novembre 1988 au 23 mai 1990. Imre Pozsgay assista le 27 septembre 1987 au congrès fondateur du Forum démocratique hongrois (démocrate-chrétien) de Jozsef Antall, ce qui apporta sa caution politique au principe du multipartisme.


Le réformiste reconnu

Pendant ces trois années de transition, Imre Pozsgay est parvenu à faire gagner la cause réformatrice au détriment des communistes conservateurs, au point que le nouveau dirigeant de la Hongrie, Karoly Grosz, a rencontré Ronald Reagan et Margaret Thatcher pour soutenir ses réformes libérales dans une économie sclérosée.

Devenu membre du bureau politique du parti communiste, Imre Pozsgay a voulu tester les capacités de Mikhaïl Gorbatchev à résister à la volonté réformatrice de la Hongrie. En octobre 1988, il a ainsi annoncé que les barbelés étaient dépassés à la frontière entre la Hongrie et l’Autriche, et le 28 janvier 1989, dans une interview radiophonique, il a proclamé que l’insurrection de 1956 était un « soulèvement populaire contre un pouvoir oligarchique ». Au contraire de novembre 1956, il a compris que l’Union Soviétique ne réagirait plus. Le 16 juin 1989, au cours d’obsèques nationales, fut réhabilité Imre Nagy, exécuté le 16 juin 1958 par le pouvoir encore stalinien. La ligne réformatrice s’est retrouvée majoritaire au sein de la présidence au dépens de la ligne conservatrice menée par Karoly Grosz.


Une Europe qui se libère elle-même du joug communiste

Il faut reprendre le contexte général de l’Europe centrale et orientale de l’époque. En juin 1989 eurent lieu les premières élections semi-démocratiques en Pologne avec en août 1989 le premier gouvernement non communiste. Et en novembre 1989, la chute du mur de Berlin fut directement la conséquence de la politique libérale de la Hongrie sur ses frontières.

En effet, dès le 2 mai 1989, Imre Pozsgay fit ouvrir la frontière austro-hongroise à quatre passages. Le démantèlement complet des barbelés fut décidé le 3 juillet 1989. Imre Pozsgay co-organisa avec Otto de Habsbourg-Lorraine (1912-2011) le fameux pique-nique paneuropéen du 19 août 1989 qui accueillit 600 Allemands de l’Est à Sopronkohida, à la frontière austro-hongroise, après avoir invité les Allemands de l’Est à prendre leurs vacances en Hongrie et en leur assurant qu’ils ne seraient pas inquiétés à la frontière.


La table ronde de 1989

Le parti communiste organisa une table ronde avec les partis d’opposition de mars à septembre 1989 qui a abouti à la proclamation de la nouvelle République de Hongrie le 23 octobre 1989 (avant la chute du mur de Berlin). Si la dissolution des milices ouvrières, la suppression de la présence du parti au lieu de travail et un audit comptable ont été acceptées, un problème se posait sur la désignation du chef de l’État.

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Les communistes avaient abordé les discussions avec l’opposition en souhaitant imposer un système présidentiel, ce qui aurait facilité l’élection d’Imre Pozsgay à la tête de la future République. En effet, comme il était un réformiste très populaire et charismatique, Imre Pozsgay aurait été élu assez facilement par le peuple. Au contraire, l’opposition militait pour un régime parlementaire avec une représentation à la proportionnelle, avec un gouvernement fort et un Président faible (considérant toujours l’hypothèse qu’Imre Pozsgay aurait été élu).

Acceptant beaucoup de concessions pour faire accepter la candidature d’Imre Pozsgay, les communistes proposèrent même l’élection du Président par un référendum, ce qui l’aurait rendu moins légitime qu’une élection normale. L’accord de la table ronde s’est établi autour d’un mode de scrutin où la moitié des députés seraient élus au scrutin majoritaire et l’autre moitié à la proportionnelle, mais aucune précision n’a été apportée sur le mode de désignation du Président de la République ni la date de son élection.


La transition d’octobre 1989 à août 1990

Le 7 octobre 1989, le Parti socialiste ouvrier hongrois qui était en même temps l’État fut dissout et le nouveau Parti socialiste hongrois fut créé à sa place. Normalement, Imre Pozsgay aurait dû être désigné à sa tête mais il échoua (il ne fut que vice-président).

Cela a créé un véritable vide du pouvoir que certains partis d’opposition ont mis à profit pour imposer un référendum sur le mode d’élection du Président de la République. Le référendum a eu lieu le 26 novembre 1989 et le peuple a décidé avec une courte majorité (50,1%) l’élection du Président après les élections parlementaires. Les communistes auraient voulu une élection au suffrage universel direct et ont eux-mêmes fait organiser le référendum du 29 juillet 1990 qui fut un échec par sa très grande manque de participation.

En attendant de combler le vide institutionnel, le député Matyas Szuros fut désigné Président de la République par intérim du 18 octobre 1989 au 2 mai 1990 puis Arpad Goncz, élu Président de la nouvelle Assemblée Nationale (élue le 25 mars 1990), lui succéda du 2 mai 1990 au 4 août 1990, jusqu’à l’élection présidentielle du 4 août 1990 par les parlementaires qui confirmèrent Arpad Goncz (qui assuma deux mandats de cinq ans). Imre Pozsgay, candidat malheureux des communistes, fut battu à l’élection présidentielle et présida le groupe de son parti de mai à novembre 1990.


Les élections de 1990 et l’échec de Pozsgay

Imre Pozsgay aurait souhaité devenir le premier Président de la nouvelle Hongrie. Mais la Hongrie ne voulait pas se choisir son Gorbatchev ni son Eltsine, elle voulait chasser les communistes du pouvoir trop longtemps monopolisé, même les réformateurs.

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Aux premières élections législatives libres du 25 mars 1990, le Forum démocratique hongrois de Jozsef Antall fut le grand vainqueur avec 24,7% des voix en remportant 165 sièges sur 386. Les anciens communistes furent laminés avec 10,8% (et seulement 33 sièges) se retrouvèrent pour la première fois dans l’opposition. À noter que Viktor Orban (qui avait réclamé la réhabilitation d’Imre Nagy en 1988), avec son Fidesz, faisait déjà 8,9% des voix (et 22 sièges). La classe politique a été complètement bouleversée comme dans les autres pays du bloc communiste.

Imre Pozsgay quitta alors le nouveau parti socialiste l’année suivante et créa et présida de mars 1991 à janvier 1996 l’Alliance démocratique nationale, nouveau parti dont la très faible audience (0,5% des voix aux élections législatives du 8 mai 1994) a abouti à sa dissolution. Après un nouvel échec aux élections législatives du 10 mai 1998, et parallèlement à une activité essentiellement universitaire et éditoriale, Imre Pozsgay a soutenu et conseillé à partir de 2005 le leader du Fidesz Viktor Orban, l’actuel Premier Ministre depuis le 29 mai 2010 (et entre le 6 juillet 1998 au 27 mai 2002). Un soutien qui n’est pas si surprenant dans la mesure où les positions réformatrices d’Imre Pozsgay se complétaient par des positions purement souverainistes issues de sa famille de petits paysans.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 mars 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Joachim Gauck.
Arpad Goncz.
Imre Pozsgay.
Vaclav Havel.
La Pologne.
L’Union Soviétique.
L’Allemagne réunifiée.
Jean-Paul II.
Helmut Kohl.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160325-imre-pozsgay.html

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/imre-pozsgay-homme-clef-de-la-179408

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/03/30/33584723.html

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