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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
30 juin 2016

Peuple et populismes (2)

« Le référendum a été perdu pour une raison simple : parce que c’était un référendum. Le référendum souffre d’une faiblesse congénitale. Car dans un référendum, le "oui" est au singulier et le "non" est au pluriel. » (Valéry Giscard d’Estaing, le 23 septembre 2005 à Paris). Seconde et dernière partie.


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Après avoir évoqué le Brexit et les tentations (grandes) de vouloir contourner la décision du peuple britannique (tant par les pro-remain que par les pro-leave), j’évoque les référendums sur l’Europe en France et la nécessité de faire des référendums de choix et pas des référendums de fait accompli.


Les trois référendums sur l’Europe en France

En France, il y a eu trois référendum sur l’Europe. Rappelons-le car les populistes antieuropéens ont la mémoire courte.

Certains oublient par exemple que le peuple français a approuvé le 23 avril 1972 l’adhésion du Royaume-Uni à la future Union Européenne, avec 68,3% de "oui" (60,2% de participation). Faudrait-il que le peuple français soit également consulté sur le Brexit ?

Certains qui passent toutes leurs journées à dénigrer l’euro (qui a sauvé l’économie française lors du krach du 15 septembre 2008) oublient que le peuple français a approuvé le 20 septembre 1992 la mise en place de la monnaie unique européenne, avec 51,0% de "oui" (69,7% de participation).

Certains oublient aussi que les légitimités populaires sont souvent bouleversées au cours du temps (à part en juin 2007, pas une seule majorité parlementaire sortante ne fut renouvelée en France depuis 1978, et cela continuera probablement au moins jusqu’en 2022 !). Or, si le TCE fut effectivement rejeté (clairement) par le peuple français le 29 mai 2005, avec 54,7% de "non" (69,3% de participation), le candidat Nicolas Sarkozy avait clairement annoncé, dans ses promesses électorales, qu’il proposerait ce qui est devenu le Traité de Lisbonne afin de ne pas bloquer des institutions européennes qui n’étaient pas adaptées à une Europe des Vingt-huit (la règle de l’unanimité étant impossible à tenir sauf dans des domaines essentiels).

Et le peuple français l’a élu le 6 mai 2007 avec 53,1% des voix (84,% de participation) à la Présidence de la République, en connaissance de cause (au contraire de François Hollande, Nicolas Sarkozy a fait ce qu’il avait annoncé durant sa campagne présidentielle). D’ailleurs, au premier tour de cette élection présidentielle, le 22 avril 2007, le total des voix des candidats qui s’étaient prononcé contre le TCE deux ans auparavant n’était que de 21,7%. Cherchez l’erreur dans la cohérence du peuple français !

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D’ailleurs, certains au Royaume-Uni imaginent une pirouette de cette manière. Pas un nouveau référendum (ce serait trop "gros") mais il est clair qu’à la Chambre des communes, il y a une large majorité de députés contre le Brexit (même s’il y a eu une large majorité pour approuver l’organisation du référendum). Certains députés pourraient néanmoins l’approuver parce que respectueux des résultats de ce référendum. Il peut aussi être question de nouvelles élections législatives, anticipées en automne 2016, et si une majorité contre le Brexit se dessinait, la légitimité du Brexit pourrait vaciller : c’est la raison pour laquelle David Cameron mais aussi Boris Johnson (qui se mord les doigts d’avoir fait une telle campagne) font tout pour retarder au plus tard l’amorçage officiel du Brexit.

Je reviens sur le discours qui parle de "trahison" concernant le référendum du 29 mai 2005 (cela fait onze ans maintenant, combien de temps entendrons-nous encore cet argument ?). Le peuple français avait l’occasion de confirmer ce vote au moins deux fois, lors de l’élection présidentielle de 2007 (déjà évoquée) et de celle de 2012. Or, au contraire, paradoxalement, il a élu un candidat qui avait montré clairement son adhésion à ce qui est devenu le Traité de Lisbonne. Où est l’illégitimité du Traité de Lisbonne ? Admettons que pris au dépourvu (malgré l’annonce durant sa campagne), le peuple français fut surpris de voir son élu, Nicolas Sarkozy, présenter le Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007. Mais sa ratification a été adoptée aussi par le député François Hollande dans le scrutin public du 7 février 2008. Pourtant, le peuple français l’a élu Président de la République le 6 mai 2012 avec 51,6% des voix (80,4% de participation), et là, sans surprise puisque son vote de ratification du Traité de Lisbonne datait de 2008.


Passer du plébiscite à la consultation de fond

Les deux derniers référendums sur l’Europe ont apporté en France un débat sain et utile. Le fond l’a emporté sur les préoccupations de politique politicienne, c’est heureux. Car le sujet était important mais complexe. Très complexe. Et c’est là que je veux en venir. Le principe du référendum est essentiel bien sûr pour saisir le peuple d’un sujet essentiel. Mais à mon humble avis, il n’est pas utilisé avec la bonne méthode.

En effet, lors des débats sur le Traité de Maastricht comme sur le TCE treize ans plus tard, l’une des principales critiques faites aux deux projets, très justifiée, c’était leur complexité juridique. Le texte, accessible aux citoyens (heureusement), était particulièrement indigeste et même des responsables politiques pouvaient avoir du mal à en comprendre tous les termes, tous les méandres.

Cette complexité juridique reste pourtant nécessaire. Nous sommes dans un monde complexe et il faut préciser les différentes décisions afin de les intégrer dans le corpus de lois de chaque nation, corpus déjà lui-même très compliqué. Cette complexité est d’ailleurs l’une des causes de l’étouffement de l’idée européenne : on ne comprend plus l’Europe qui est trop compliquée et qui s’occupe de trop de détails.

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Or, il y aurait un moyen d’éviter cette complexité lors d’un référendum, un moyen de revenir à l’essentiel sans s’occuper des arguties juridiques que seuls les spécialistes de droit peuvent comprendre et discuter. Ce serait d’ailleurs un moyen beaucoup plus démocratique. Ce serait de faire des référendums en amont et pas en aval.

Je m’explique : jusqu’à maintenant, le gouvernement français (je reste à l’échelle nationale mais c’est valable dans les autres pays européens s’il s’agit d’un sujet européen, bien sûr), négocie un nouveau traité avec d’autres gouvernements et signe avec eux le texte final. Il est complexe, est l’aboutissement de longues négociations parfois nocturnes, et fait des centaines de pages. Ensuite, selon les cas (le bon vouloir du Président de la République en France), ce texte est soumis au référendum pour ratification. Comme c’est un texte négocié, pas une virgule ne peut être modifiée dans sa ratification. Donc, on met le peuple français devant le fait accompli : c’est du tout ou rien. Ou ça passe, ou ça casse.

À petite échelle, De Gaulle avait fait cette politique du "tout ou rien". Lors du référendum du 27 avril 1969, il avait en effet posé une seule question sur deux sujets (création des régions et réforme du Sénat). La logique aurait voulu qu’il posât deux questions mais De Gaulle considérait justement les institutions en "tout ou rien", et "moi ou le chaos". Résultat, il y a eu 52,4% de "non" (80,1% de participation). Même à l’époque (glorieuse) de De Gaulle, les mécontentements l’avaient emporté. Alors, maintenant…

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Notons d’ailleurs qu'à ma connaissance, personne ne s’est insurgé quand le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas a finalement court-circuité la décision populaire en faisant adopter la loi n°72-619 du 5 juillet 1972 portant création et organisation des régions (créant les conseils régionaux) avec les mêmes frontières que celles prévues dans le projet rejeté par le peuple français !


Une démocratie apaisée

Une démocratie à la fois intelligente (en bonne compréhension) et apaisée, reconnaissant au peuple le droit de choisir sa voie, ce n’est pas le mettre sur le fait accompli du "tout ou rien" mais lui faire choisir chacun des principes de cette voie.

Ainsi, un référendum en amont, avant les négociations, me paraîtrait beaucoup plus pertinent. D’une part, parce qu’il éviterait la complexité juridique (le texte n’est pas encore rédigé), d’autre part, parce qu’il reposerait le sujet sur l’essentiel. Quelques questions avec réponse individuelle à chaque question et pas une réponse globale comme sous De Gaulle.

On pourrait ainsi imaginer ce genre de questions multiples : "Acceptez-vous de donner mandat au gouvernement pour négocier un traité instituant une majorité qualifiée au lieu de l’unanimité ?", etc. Ainsi, sauf à avoir des "non" à chaque question, le mandat de négociation aura été clairement défini, et on peut alors imaginer une ratification aussi par le peuple en aval, texte donc signé et non modifiable, mais qui devrait être adopté s’il est conforme aux choix du peuple consulté en amont.

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Cette méthode aurait deux intérêts : le premier est se focaliser sur l’essentiel et pas sur les mille et un articles illisibles d’un traité non corrigible ; le second est de découpler complètement le sujet du référendum des considérations politiciennes. Comment interpréter la consultation en termes d’adhésion ou de rejet du pouvoir si les résultats, c’étaient trois "oui" et deux "non" ?


Ne plus jouer à la roulette russe

Oui, il faut écouter bien sûr le peuple car la démocratie est encore le meilleur système (selon le mot de Winston Churchill le 11 novembre 1947 à Londres : « le pire à l’exception de tous les autres »), et tous les autres systèmes ont montré leur horreur consubstantielle : honte à ceux qui comparent l’Union Européenne au IIIe Reich ou à l’Union Soviétique !

Mais on ne peut plus jouer à la roulette russe ou au poker avec une nation. Les "opinions publiques", parce que nos pays sont en crise structurelle (qui n’a rien à voir avec l’Union Européenne ; au contraire, une telle union a pour but justement de répondre au phénomène de mondialisation qui surgit indépendamment des Européens, auquel il faut répondre), expriment souvent leur mécontentement à chaque occasion électorale.

D’ailleurs, maintenant, on sait que si les personnalités politiques jouent au poker avec le peuple, ils perdront à tous les coups parce que le peuple les voit venir avec leurs gros sabots. Justement parce que les électeurs sont mieux informés. Condorcet disait : « Plus un peuple est éclairé, plus ses suffrages sont difficiles à surprendre. (…) Même sous la Constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave. » et aussi : « Toute société qui n'est pas éclairée par des philosophes est trompée par des charlatans. ».

Il faudrait donc que les représentants du peuple prennent leurs responsabilités en bâtissant de nouveaux projets d’avenir en concertation avec le peuple, avec ce genre de référendum en amont que je propose, donnant les grandes lignes, sans se perdre dans des détails juridiques qui dépassent même la classe politique. Cela éviterait le "tout ou rien" suicidaire (de type 49-3 à l’échelle du pays) qui empêcherait toute perspective d’avancée historique dans un sens ou dans un autre.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Peuple et populismes.
Le Brexit.
Jean-Claude Juncker, premier Président de la Commission Européenne issu des urnes.
La France des Bisounours à l’assaut de l’Europe.
L’Europe, c’est la paix.
Le Traité de Maastricht.
Le Traité constitutionnel européen (TCE).
Le Traité de Lisbonne et la démocratie.
Le référendum alsacien.
Nuit Debout.
Démocratie participative.
Vote électronique.
Monde multipolaire.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160624-populismes-2.html

http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/peuple-et-populismes-2-182405

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/06/30/34024843.html

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