Sapritchti ! Folcoche a 100 ans !
« Coucher avec un vieux, quelle horreur ! Mais avec un jeune, quel travail ! »
Ce vendredi 29 juillet 2016, la comédienne Alice Sapritch aurait franchi le centenaire. Elle n'aurait pas été la première. En fait, connue pour son âge "avancé", en en faisant même sa marque de fabrique (aux "Grosses Têtes" de Philippe Bouvard, sur RTL, elle répondait systématiquement « T’occupe ! » quand on lui parlait de son âge), cela surprend que ce centenaire n’ait pas été atteint depuis longtemps !
Avec ses airs un peu revêches, Alice Sapritch, morte d’un cancer à 73 ans le 24 mars 1990 à Paris, manque au cinéma et au théâtre. D’une allure qui pourrait être un mélange de Margaret Thatcher et de Marie-France Garaud, tenant haut le verbe, elle pratiquait l’autodérision à un très haut degré de fantaisie. Son principal imitateur, Thierry Le Luron, ne la ratait d’ailleurs jamais dans chacun de ses spectacles.
Trois prestations mémorables
Je l’ai "connue" (façon de parler !!) dans la fameuse adaptation à la télévision du roman autobiographique d’Hervé Bazin "Vipère au poing". Le roman fut publié en juin 1948 et le téléfilm réalisé par Pierre Cardinal a été diffusé la première fois le 14 septembre 1971. J’avais lu le roman avant de voir le film (j’ai vu le film plutôt aux débuts des années 1980), qui raconte la lutte entre une mère sans amour, appelée Folcoche par ses enfants (folle et cochonne), et Brasse-Bouillon, le fils qui lui résistait. Alice Sapritch, loin de tout humour, campait cette dame hautaine à la perfection, et c’est rare de voir une adaptation qui corresponde aussi parfaitement à l’imagination que suscite la lecture du livre.
L’année 1971 fut d’ailleurs l’année de la révélation au grand public pour Alice Sapritch (elle avait alors déjà 55 ans !) avec son rôle de Folcoche dans ce téléfilm, et aussi avec son rôle, là aussi secondaire (les héros sont Yves Montand, le valet, et Louis de Funès, le ministre déchu), de gouvernante nymphomane dans le film qui a connu un grand succès (5,6 millions d’entrées en France) "La folie des grandeurs" réalisé par Gérard Oury et sorti le 7 décembre 1971, une adaptation très libre et humoristique de la pièce "Ruy Blas" de Victor Hugo transformée en grosse farce.
La scène, à la fin, du striptease d’Alice Sapritch devant Yves Montand (initialement, le scénario avait été écrit pour Bourvil qui est mort entre temps) est une pépite du cinéma français, d’autant plus qu’il a fallu convaincre la grande actrice de se déshabiller (certaines plans furent néanmoins doublés par Sophia Palladium, une vraie stripteaseuse qui était légèrement plus mince).
Alice Sapritch a marqué un autre téléfilm, "L’affaire Marie Besnard", réalisé par Frédéric Pottecher et Yves-André Hubert, et diffusé pour la première fois sur TF1 les 12 et 19 avril 1986, en prenant, aux côtés de Bernard Fresson, le rôle principal, celui de la supposée "empoisonneuse de Loudun" qui est morte quelques années avant ce film, à 83 ans le 14 février 1980.
Marie Besnard avait été arrêtée le 21 juillet 1949 pour douze meurtres par empoisonnement à l’arsenic qui auraient été commis entre le 1er juillet 1927 et le 16 janvier 1949, dont son mari, mort le 25 octobre 1947, ses parents et ses beaux-parents. Dans les prélèvements des douze corps, on avait retrouvé de l’arsenic en quantités non négligeables. Elle risquait la peine de mort (elle fut soutenue par Charles Trenet), et elle fut acquittée le 12 décembre 1961 par la cour d’assises de la Gironde au bénéfice du doute, l’un des experts, spécialiste de l’étude des sols, avait ébranlé la certitude des jurés : « Vous avez enterré vos morts dans une réserve d’arsenic ! ».
Durant les années 1950, l’affaire judiciaire fut aussi passionnelle et médiatisée que l’affaire Grégory et la diffusion de ce téléfilm en avril 1986 fut également un événement médiatique important. Alice Sapritch fut, là aussi, comme avec Folcoche, très crédible en Marie Besnard. Elle a obtenu pour ce rôle la seule récompense de sa carrière (ce qui est un peu injuste), un 7 d’or de la meilleure comédienne en 1986 (l’attribution des 7 d’or avait commencé seulement en 1985).
Seconds rôles
Née le 29 juillet 1916 dans ce qui était encore l’empire ottoman, et d’origine arménienne (on sait ce que cela signifie à cette époque), Alice Sapritch a passé toute son enfance à Istanbul avant d’émigrer à Bruxelles puis à Paris où elle a suivi des cours de théâtre au Cours Simon et au Conservatoire.
À la Libération, elle était amoureuse de l’écrivain Robert Brasillach qui fut exécuté pour collaboration, et finalement, elle épousa le 27 septembre 1950 Guillaume Hanoteau, ancien avocat recyclé dans l’écriture, le journalisme ("Paris Match", RTL) et la chronique mondaine (il fut aussi acteur et joua dans le film "Le bon plaisir" de Francis Girod), mari qu’elle quitta vingt années plus tard (en 1971).
Alice Sapritch a multiplié les rôles secondaires, tant au cinéma (de 1950 à 1985) qu’à la télévision (de 1961 à 1989), et avait commencé par le théâtre (de 1949 à 1984). Sa première représentation était dans une pièce de son futur époux Guillaume Hanoteau et elle a joué aussi dans des pièces de Gabriel Marcel, Eschyle, Jean Tardieu, Fiodor Dostoïevski, Eugène Ionesco, et même Gotlib.
Pour la revoir
Pour rendre hommage à Alice Sapritch, je propose ici quelques courts extraits de ses deux prestations éclatantes de 1971, ainsi que des interviews et imitations.
1. Téléfilm "Vipère au point" (1971)
La scène de l’arrivée de la mère sans émotion pour ses enfants qu’elle n’a pas vus depuis longtemps est assez représentative de la psychologie de Folcoche.
Lors d’un repas familial, la guerre d’usure se poursuit dans la confrontation du regard de Brasse-Bouillon que Folcoche finit par interrompre.
2. Film "La folie des grandeurs" (1971)
La scène mémorable de l’effeuillage d’Alice Sapritch devant Yves Montand est un véritable exploit : malgré son physique particulier, aux traits sévères, la comédienne est parvenue à se rendre attirante et sexy.
3. Émission télévisée "Le jeu de la vérité"
Le 30 mai 1986, Alice Sapritch répondait aux questions des téléspectateurs lors de l’émission "Le jeu de la vérité" animée par Patrick Sabatier. Parmi les questions, celle, peu délicate, d’un téléspectateur qui s’étonnait de sa fréquentation des homosexuels.
Ne manquant pas d’humour, elle a alors répondu avec un grand esprit de répartie et expliqua que les homosexuels étaient des êtres drôles, célibataires et ont une voiture, et elle a confessé qu’elle n’avait pas de chauffeur et que ses amis homosexuels étaient donc bien indiqués pour ses trajets personnels : « Pendant que l’un gare la voiture, l’autre ouvre la portière ! ».
4. Avec Thierry Le Luron
Alice Sapritch fut la victime récurrente de l’imitateur Thierry Le Luron qui était souvent féroce avec elle.
Dans une émission diffusée le 10 mai 1977, Thierry Le Luron, avec la voix de Philippe Bouvard, a interviewé la vraie Alice Sapritch et s’inquiétait de sa sexualité. L’actrice confiait qu’elle ne se promenait pas en métro à Paris mais en bus, en faisant remarquer : « Il y a d’autres personnes mieux qualifiées que moi pour être agressées. ». Et son dernier conseil à l’adresse des jeunes : « Baisez et n’en parlez plus ! ».
Enfin, Thierry Le Luron, prenant le rôle d’Alice Sapritch, a répondu le 8 janvier 1983 aux questions de l’animateur Michel Drucker. Il était allongé sur une banquette, avec un turban sur la tête et maniait le très long fume-cigarette (cigarette allumée il me semble).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 juillet 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Alice Sapritch.
Coluche.
Eugène Ionesco.
Gotlib.
Une comédienne centenaire...
Charles Trenet.
Yves Montand.
Gérard Depardieu.
Michel Galabru.
Bernard Blier.
Pierre Dac.
Thierry Le Luron.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160729-alice-sapritch.html
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/sapritchti-folcoche-a-100-ans-183066
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/07/29/34103698.html