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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
5 août 2016

La légende Léon Blum (2) : le littérateur audacieux

« Lorsque nous nous sentons parfois enfermés dans les divisions, les dissensions, les intrigues, nous n’avons qu’une chose à faire : monter un peu plus haut, nous élever, regarder le but. Et alors, nous verrons que nous sommes profondément d’accord. Nous ressemblons à ces voyageurs qui, dans la montagne, se voient pris dans les nuages et dans le brouillard. Eh bien, on n’a qu’une chose à faire : monter, monter plus haut, et quand on monte plus haut, on trouve l’air pur, la lumière libre et le soleil. » (Léon Blum, le 21 avril 1919). Deuxième partie.


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Après avoir rappelé les principales réalisations politiques de Léon Blum, je reviens plus précisément sur son itinéraire intellectuel et politique et notamment, sur ses tentations littéraires de jeunesse. Ayant raté Normale Sup, il compléta sa formation littéraire par une formation juridique pour devenir haut fonctionnaire.


Homme de lettres

Né le 9 avril 1872 à Paris, Léon Blum fut peut-être un homme de lettres avant d’être un homme politique. Il a fait connaissance de l’écrivain André Gide au lycée Henri-IV et ils ont fait ensemble un petit journal qui publiait quelques-uns de leurs écrits (en 1889). Élève très brillant (il remporta de nombreux prix d’excellence durant sa scolarité), il écrivait des poèmes dès l’âge de 12 ans et avait l’ambition d’être écrivain. Pendant ses études, il a publié de nombreux textes dans plusieurs revues, comme "La Conque", "Le Banquet", "Gil Blas", "La Grande Revue", "Matiin", etc.

Son indignation parfois arrogante face à l’injustice a joué beaucoup contre l’étudiant qu’il était : « Le fond de ma nature d’enfant était l’insubordination, la révolte contre toute autorité. J’étais un élève indiscipliné, je me sauvais du lycée. Ma passion contre l’injustice est aussi vieille que ma conscience. » (témoignage de 1932, cité par Julie Rouzaud dans son mémoire de master de droit privé soutenu le 9 septembre 2014 à Bordeaux).

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Ce fut aussi l’époque où Léon Blum fut fasciné par Maurice Barrès qui l’avait touché comme écrivain : « À une société très positive, très froidement sceptique, que Renan et Taine avaient dressée soit à la recherche tranquille des faits, soit au maniement un peu détaché des idées, Barrès venait apporter une pensée sèche en apparence, mais sèche comme la main d’un fiévreux, une pensée toute chargée de métaphysique et de poésie provocante. Il parlait avec une assurance catégorique, à la fois hautaine et gamine, et si dédaigneuse des différences ou des incompréhensions ! Toute une génération, séduite ou conquise, respira cet entêtant mélange d’activité conquérante, de philosophie et de sensualité. » (1903).

En 1890, il intégra Normale Sup mais en fut exclu l’année suivante par manque de motivation. Il a alors acquis une double compétence universitaire avec deux licences, les lettres en 1891 et le droit en 1894. Il fut reçu au concours du Conseil d’État (aujourd’hui à la sortie de l’ENA) en 1896 (il n’a que 23 ans). Il s’est donc retrouvé haut fonctionnaire tout en ayant quelques envies littéraires.


Haut fonctionnaire

Ses fonctions au Conseil d’État lui ont permis pendant vingt-cinq ans de comprendre le fonctionnement de l’État. En 1910, il fut nommé maître des requêtes au Conseil d’État et fut commissaire du gouvernement auprès de la section du contentieux. Son esprit pointilleux a fait qu’il initia certaines jurisprudences importantes de la justice administrative notamment sur l’imprévision des contrats administratifs. Il fut aussi le directeur de cabinet du ministre socialiste Marcel Sembat dans les gouvernements d’union sacrée dirigés par René Viviani et Aristide Briand, du 27 août 1914 au 12 décembre 1916.

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Sa collaboration avec Marcel Sembat a plus tard inspiré des polémiques pour protester contre une famille un peu trop préservée du front pendant la guerre : « Sans doute la bonne place occupée par Léon Blum dans les ministères ne fut pas étrangère à l’heureux sort de ses [quatre] frères. Ainsi fut réalisé ce miracle : une famille de cinq garçons dans la force de l’âge parvenant à "tirer" les quatre ans de la guerre, non seulement sans morts ni blessés, mais sans avoir vu le front. Quelle famille française pourrait en dire autant ? » ("L’Action française" du 14 juillet 1936). Rappelons par exemple pour mémoire que le Président de la République Paul Doumer, qui fut assassiné le 7 mai 1932, fut durement frappé par la guerre, à l’instar d’autres familles françaises, puisqu’il perdit sur le front quatre de ses cinq fils (sur huit enfants en tout) : Marcel, René, André et Armand.


Chroniqueur littéraire et essayiste

Appréciant la littérature, Léon Blum rédigea des critiques littéraires en commentant les livres et pièces de théâtre dès 1892 (et jusqu’en 1901) dans la "Revue blanche" (très libertaire) à laquelle d’autres grandes plumes collaborèrent : Charles Péguy, Paul Verlaine, Guillaume Apollinaire, Émile Zola, Stéphane Mallarmé, Marcel Proust, Paul Claudel, Alfred Jarry, Jules Renard, etc. Il collabora aussi, entre autres, dans "La Revue latine" et bien sûr, plus tard, dans "L’Humanité", et, fréquentant les salons parisiens où il rencontra nombre d’intellectuels, il se fit une réputation de bon critique littéraire. Il publia aussi des livres sur Goethe en 1901 et sur Stendhal en 1914.

En 1907, il a même écrit un essai sur le mariage et sur l’expérience préconjugale de la jeune fille ("Du Mariage"), où il développait des idées très libérales en matière de mœurs à une époque particulièrement puritaine. Un essai où il préconisait l’égalité sexuelle de l’homme et de la femme et donc l’émancipation sexuelle de la femme avant le mariage en évoquant le « préjugé niais et funeste » de la virginité qu’il qualifiait de « long sacrifice pour elles, puisqu’elles sont coincées : aimer en dehors du mariage, c’est s’excepter du mariage. Et l’on ne vit que pour se marier un jour. Renoncer à l’amour qui tente ou renoncer au mariage, comprimer l’impulsion naturelle ou briser avec la convention sociale. » et rappelait que le désir s’apprenait : la « femme devient plus séduisante aux hommes à mesure qu’elle est formée à l’amour ».

Il distinguait très nettement amour basé sur le désir et mariage vu comme une institution sociale : « L’intensité du désir s’éteint naturellement que ce soit chez la femme ou chez l’homme. La communauté de vie précipite cela, accélère la satiété car elle rend la possession trop fréquente et trop facile. ». En juillet 1892, il avait déjà publié un petit texte sur l’amitié des jeunes filles, puis une autre nouvelle en 1893 où il expliquait qu’un jeune homme devrait aimer trois jeunes filles en même temps.

N’aurait-il jamais publié son essai sur le mariage s’il avait envisagé une vie politique de premier plan ? Si, puisqu’il a quand même pris l’audacieuse décision de sa réédition en 1937, en plein Front populaire, ce qui fit scandale dans les milieux politiques. En 1907, Octave Mirabeau avait proposé ce livre au prix Goncourt mais Léon Daudet l’avait catégoriquement refusé. Le livre a cependant eu un grand succès commercial à 1907, puisqu’en un an, dix éditions ont été lancées.


Député

Léon Blum fut élu pour la première fois député de la Seine le 16 novembre 1919, troisième et dernier élu sur la liste menée par le socialiste indépendant Joseph Paul-Boncour (futur Président du Conseil du 18 décembre 1932 au 28 janvier 1933) opposée à la liste du Bloc national menée par Alexandre Millerand (le leader de la majorité, futur chef du gouvernement du 20 janvier 1920 au 23 septembre 1920 et futur Président de la République du 23 septembre 1920 au 11 juin 1924).

Cependant, la SFIO n’a obtenu que 64 députés au lieu des 103 précédents. Le Bloc national de Georges Clemenceau gagna largement les élections, en hommage au Père La Victoire.

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L’activité parlementaire de Léon Blum était assez dense. Dès 1919, il fut le secrétaire du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale avant de présider le groupe jusqu’en 1936 (avec une interruption entre 1928, son échec, et 1929, son retour, pendant laquelle Vincent Auriol l’a remplacé). En 1920, Léon Blum s’opposa à la réforme fiscale du Ministre des Finances Frédéric François-Marsal (futur très bref Président du Conseil du 8 juin 1924 au 14 juin 1924) en soutenant le projet de Vincent Auriol qui fut par la suite le Ministre des Finances du Front populaire. En 1921, Léon Blum proposa la nationalisation des chemins de fer. Il défendit aussi en 1921 et 1922 l’octroi d’un budget de la recherche sur la radioactivité.

Sachant que l’Allemagne était dans l’incapacité de rembourser à la France les dettes de guerre, Léon Blum s’opposa fermement au gouvernement de Raymond Poincaré qui décida l’occupation de la Ruhr pour faire pression sur l’Allemagne (entre le 11 janvier 1923 et le 25 août 1925), car cette décision était en train d’isoler diplomatiquement la France et n’a eu aucune conséquence économique en faveur de la France. Cette prise de position fut à l’origine des attaques contre Léon Blum dont les détracteurs insistaient sur sa proximité avec l’Allemagne pour ne pas parler carrément de trahison.

Léon Blum fut réélu député de la Seine le 11 mai 1924 dans la vague du Cartel des gauches qui consacra la grande victoire des radicaux d’Édouard Herriot. Léon Blum refusa que les socialistes participassent au gouvernement mais préconisa leur soutien à Édouard Herriot qui, comme Ministre des Affaires étrangères, allait à la conférence de Londres, dans le sens, selon Léon Blum, de ce qu’aurait voulu Jean Jaurès (arbitrage, sécurité, désarmement).

Parmi ses prises de positions pendant cette période, Léon Blum a soutenu la hausse des indemnités parlementaires en 1926 malgré les campagnes antiparlementaires de l’époque, et réclama le droit de vote aux femmes dès 1927.

Le retour au scrutin majoritaire desservit Léon Blum qui fut battu au second tour des élections législatives du 29 avril 1928, par le communiste Jacques Duclos (8 199 voix contre 6 801). Il ne fut réélu ensuite député qu’à la suite d’une élection partielle à Narbonne (consécutive à la mort d’un député socialiste) dès le premier tour le 23 décembre 1929 avec 760 voix d’avance sur son concurrent. Dans cette législature dominée par Raymond Poincaré et André Tardieu, Léon Blum est devenu le principal leader de l’opposition au Palais-Bourbon. Il y milita notamment pour faire appliquer la loi sur les assurances sociales. Face à la hausse du chômage en début 1931 (à la suite de la crise de 1929), Léon Blum défendit le principe de crédits pour secourir les demandeurs d’emploi et a interpellé le gouvernement de Pierre Laval.

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Très actif aussi pour défendre les viticulteurs de sa circonscription, il fut réélu très largement dès le premier tour le 1er mai 1932. Ces élections virent la victoire de la gauche radicale. Après le renversement du gouvernement d’Édouard Herriot (le 14 décembre 1932), Léon Blum a soutenu ceux de Joseph Paul-Boncour et d’Édouard Daladier. Il contribua néanmoins à renverser le gouvernement d’Édouard Daladier le 23 octobre 1933 en refusant un prélèvement exceptionnel sur les revenus, afin de préserver le pouvoir d’achat. Initiateur d’une commission d’enquête sur l’affaire Stavisky, il apporta son soutien Édouard Daladier (revenu à la tête du gouvernement) lors des émeutes du 6 février 1934.

Ensuite, rejetant les crédits exceptionnels du Ministère de la Guerre en 1934, Léon Blum voulait que l’Allemagne fût impliquée dans les négociations sur le désarmement et le contrôle (l’Allemagne était déjà sous le contrôle de Hitler).  Il s’opposa aussi le 15 mars 1935 à la prolongation à deux ans du service militaire décidée par le gouvernement de Pierre-Étienne Flandrin, puis, le 29 novembre 1935, il a nourri avec Paul Reynaud une polémique sur l’hypothèse d’une dévaluation du franc. Il s’est également préoccupé de l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie.

En 1934 et 1935, Léon Blum fustigea les gouvernements nommés après la crise du 6 février 1934 qu’il considérait (excessivement) aussi fascistes que les ligues d’extrême droite : « fascisme militaire des ligues et fascisme jésuitique de Doumergue et de Tardieu ». Du 9 février 1934 au 8 novembre 1934, Gaston Doumergue, ancien Président de la République, a en effet dirigé un gouvernement comprenant de nombreux anciens Présidents du Conseil, dont Édouard Herriot, André Tardieu, Pierre Laval, Albert Sarraut, et qui comprenait aussi Pierre-Étienne Flandrin, Philippe Pétain, Louis Barthou, Henri Queuille, et Louis Marin.

Réclamant la dissolution de la Chambre des députés pendant cette période très troublée, Léon Blum a parallèlement noué des accords avec les communistes qui ont préfiguré le Front populaire (rejoint par les radicaux en perte de vitesse).

Léon Blum fut réélu à Narbonne le 26 avril 1936 dès le premier tour. Ce fut son dernier mandat, initialement pour quatre ans, mais prolongé de deux ans à cause de la guerre, comme pour tous ses collègues députés, si bien qu’en principe, il l’était encore jusqu’en 1942 (tout comme Albert Lebrun était en principe encore Président de la République jusqu’en …1946).

Dans le prochain article, je présenterai la nature de l’engagement politique de Léon Blum.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Hollande quatre-vingts ans après.
Daniel Mayer.
Gaston Defferre.
Charles De Gaulle.
Joseph Caillaux.
Aristide Briand.
Pierre Laval.
Guy Mollet.
André Gide.
La Première Guerre mondiale.
Sarajevo.
Le Front populaire.
Léon Blum.
Jean Jaurès.
Pierre Mendès France.
Jean Zay.
John Maynard Keynes.
Le colonel de La Rocque.
Charles Péguy.
Ce qu’est le patriotisme.
Louis-Ferdinand Céline.
Philippe Pétain.
Pierre Laval.
L'Allemagne en 1933.
L'Espagne en 1936.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160604-leon-blum-2.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-legende-leon-blum-2-le-181558

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/08/05/33869612.html



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