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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
10 août 2016

Le burkini réseau en question

Faudrait-il trancher entre le droit sacré à une vie privée et une laïcité jusqu’au fond de la culotte ? L’obligation du port du burkini dans une réception privée pose la question d’un retour en arrière des mœurs imposé par un islam de plus en plus implanté en France. En ce sens, c’est la polémique elle-même qui est un fait sociologique.


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L’affaire du burkini dans un parc aquatique privé près de Marseille est l’une des polémiques qui enflamment régulièrement la France et seulement la France. Cela a commencé avec le voile à l’école il y a un peu moins de trente ans, puis cela a pu se décliner sur les cantines scolaires, la viande hallal, l’abattage rituel, la burqa à la crèche, etc.

Penser que ce type de discussions passionnelles serait stérile n’apporte pas grand chose au débat : l’existence même de la polémique est un fait sociologique important en France parce que tout ce qui touche à la laïcité, à la religion, et plus précisément depuis trente-cinq ans, à l’islam, est une chose extrêmement sensible aux yeux de nombreux Français, à tort ou à raison.


"Détente entre femmes"

Les faits sont les suivants : une association marseillaise de femmes visiblement musulmanes (Smile 13, smile pour sœurs marseillaises initiatrices de loisirs et d’entraide) a loué un parc aquatique privé près de Marseille (Speedwater Park) pour permettre à ses membres ou invitées de se baigner sans se montrer en maillot de bain.

Sur son site Internet, l’association affirme ainsi : « Le but premier de l’association est de faciliter l’accès à l’eau aux femmes par le biais d’activités physiques et de loisirs. » en ajoutant : « Tout simplement, parce qu’on a toutes besoin de petits moments comme ça où on pense juste à nous lol, Smile 13 organise régulièrement des journées piscine/détente entre femmes ;-) Les biens loués sont tous équipés d’une maison avec piscine sans vis-à-vis (…). ».

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L’affiche, quant à elle, est très explicite et expose pourquoi cela a suscité tant de protestation et d’incompréhension. Deux choses sont en fait choquantes.


Burkini obligatoire

La première concerne la tenue de bain : « Exceptionnellement, le parc autorise la baignade en burkini et jilbeb de bain » et l’affiche précise même : « Je compte sur vous pour respecter la "awra" et donc, de ne pas venir en deux pièces (parties doivent être cachées de la poitrine aux genoux), le minimum est un maillot une pièce avec paréo ou short-caleçon ».

Sur le site Internet, il est précisé la même chose : « J’invite les sœurs qui participeront à avoir un bon comportement ; c’est-à-dire avoir une tenue adéquate (pas de maillot deux pièces, les parties du haut du buste aux genoux doivent être cachées), même si nous ne sommes qu’entre filles, nous n’allons pas aller à un défilé de mode lol, préservez-vous autant des femmes que des hommes mais soyez à l’aise quand même, on est là pour se détendre, rencontrer des sœurs ou venir avec des amies pour avoir une petite parenthèse de notre quotidien. » (j’ai corrigé les très nombreuses fautes de français). Ce "quotidien" ne semble pas très rose pour ces femmes…

Autorisation très étonnante du parc aquatique, car pour des raisons d’hygiène, les établissements de bain rendent souvent obligatoire le port du maillot de bain classique et même parfois, interdisent le short de bain.

Dans son règlement intérieur, le parc aquatique en question annonce d’ailleurs clairement la couleur (avec deux fautes de français) : « Seuls les maillots une pièce et deux pièces ainsi que le short de bain (avec filet) sont autorisés pour la baignade. Toutes autres tenues de bain ne seront pas acceptés » (sic). Seuls, précise son site Internet, « les tee-shirts spéciaux de protection UV sont tolérés. ».


Domaine privé

Cette question de tenue obligatoire ne me choque pas vraiment car c’est une journée privative dans un établissement privé et c’est se mêler des affaires privées que de vouloir régenter la tenue de ses propres invités. Je suis déjà allé dans des réceptions où le carton d’invitation insistait sur « tenue de soirée exigée » etc. La tradition stupide des enchères de la jarretière dans certains mariages n’est pas plus pertinente que l’obligation du burkini, mais reste du domaine privé et chaque individu a le droit de faire ce qu’il veut tant qu’il respecte la loi et les personnes (en l’occurrence, je trouve que cette tradition, même si elle permet de financer un voyage de noces, ne respecte pas vraiment la mariée !).

Même le Palais-Bourbon impose aux hommes le port de la cravate et le 17 avril 1985, Jack Lang, alors Ministre de la Culture, avait créé la polémique, lors d’une réponse à une question au gouvernement d’un député, en se présentant devant l’hémicycle habillé d’une veste en col Mao fermé (créée par le styliste Thierry Mugler qui a gagné en notoriété), cachant la cravate qu’il portait pourtant. Mais là, c’était du ressort du domaine public, pas privé.

Toutefois, même si cela relève de soirées privées, de nombreuses discothèques ou clubs de nuit ont été épinglés pour une certaine forme de ségrégation à l’entrée.

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A contrario, les espaces naturistes peuvent également choquer s’ils sont imposés à tous dans le domaine public.


Considérations religieuses …ou personnelles

Plus généralement, le port du burkini n’est pas seulement une affaire de religion, et de la peur que celle-ci envahisse tous les pores de la société française, une inquiétude renforcée par la multiplication des attentats terroristes d’origine islamiste, mais également une affaire de pudeur, qui est une notion très personnelle, qui peut d’ailleurs évoluer au fil d’une existence, et qui touche d’abord à l’intime.

On peut imaginer en effet que beaucoup de personnes (pas seulement des femmes) puissent avoir des réticences de montrer leur corps à demi-nu pour diverses raisons, divers complexes etc. ; une infirmité, un surpoids, des poils trop nombreux, etc. peuvent expliquer aisément une coquetterie dont la religion n’a que faire (d’ailleurs, on peut même se trouver beau dans son corps et ne pas vouloir le montrer aux autres, ou ne le réserver qu’à son conjoint), au même titre qu’un végétarien ne mange pas de porc mais pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la religion.

Cependant, il s’agit bien, ici, de considérations religieuses et elles sont plus difficilement évitables. D’ailleurs, certaines personnes ont voulu réagir en se prêtant aux interprétations du Coran et en affirmant qu’il n’y a aucun texte qui interdise aux femmes musulmanes de se baigner en simple maillot de bain. Hélas, au contraire du christianisme, l’islam est une religion qui n’a aucune hiérarchie, donc, aucune autorité morale ne puisse apporter "la" version officielle d’interprétation des textes.


Interdit aux hommes

Ce qui m’a le plus choqué, c’est la ségrégation sexuelle et cela, je ne suis pas sûr que ce soit légal, même si c’est privatif, car cette ségrégation est anticonstitutionnelle. L’affiche proclame en effet que cette journée est réservée : « exclusivement pour les femmes et les enfants » avec une précision : « garçon autorisé jusqu’à 10 ans ». Dommage pour le frère qui a 11 ans !

Au nom de quoi les familles doivent-elles être séparées dans une telle journée de loisirs ? C’est cela qui va à l’encontre du "vivre ensemble" tel que la République française le conçoit. Elle tolère et accepte naturellement la pratique religieuse, de toutes les religions, mais rejette toute forme de discrimination, en particulier sexuelle.

Le ridicule va jusqu’à rappeler quand même aux femmes qui viendraient que le « personnel » est quand même « mixte » (heureusement !). Si ce qui rend l’interdiction des hommes sans objet puisqu’il y aura quand même des hommes…

Cette discrimination sexuelle est particulièrement affligeante dans la vie sociale actuelle et est contraire aux valeurs de la République. Non seulement c’est antirépublicain mais c’est aussi antifamilial puisque cela exclut l’homme au même titre que lorsque l’homme voudra se baigner, sa femme ne l’accompagnera pas de peur de montrer son corps aux autres hommes. Cela alors que des villes comme Paris et Lyon fêtent cet été le 70e anniversaire du bikini !

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On voit d’ailleurs dans la rédaction du site Internet de l’association que cette journée aquatique est d’abord une audace que prennent ces femmes musulmanes ; en quelques sortes, il faut être courageuses pour pouvoir se détendre entre elles, sans hommes qui semblent être de véritables éléments contraignants dans leur vie. On peut donc imaginer que leur retirer ce genre de journée (elles n’iraient pas dans une piscine sans burkini de toute façon) leur retirerait tout accès à cette détente et les désocialiseraient encore un peu plus.


Réactions très clivées ou très légères

Dès que la polémique, la semaine dernière, a fait irruption dans le domaine public, le sénateur-maire de la commune où se situe ce parc aquatique (privé, je précise) a publié un arrêté interdisant la tenue de cette journée, en raison des risques de trouble public. Il est néanmoins probable que si l’association invitante protestait contre cet arrêté, la justice administrative lui donnerait raison car il s’agit, je le répète, d’une simple journée privée.

L’association a subi depuis la semaine dernière des flots de réactions assez agressives et a publié le 6 août 2016 le communiqué suivant : « Nous sommes tristes et inquiètes d’assister au déferlement de haine raciste, de grossièreté et de menaces dont nous sommes la cible, en tant qu’association mais également individuellement. Entre les insultes, les sollicitations incessantes des journalistes et les menaces de mort qui ont visé des membres de l’équipe, dont une personne a reçu, par la poste, une lettre nominative figurant des balles de revolver, la situation est devenue surréaliste. ».

Cette association a en outre changé certaines pages de son site Internet (entre le 6 et le 9 août 2016), en retirant de ses phrases son prosélytisme islamique d’origine au profit d’informations plus factuelles, notamment sur ses activités d’enseignement de la langue arabe. Le site a ainsi supprimé des phrases comme : « Apprendre cette belle langue, avec laquelle la révélation du Noble Coran a été faite à notre très cher et bien-aimé Prophète Mohamed Salla Allahou ‘alayhi wa salam, n’est autre qu’une bénédiction d’Allah ta’ala. » ; ou encore : « Qu’Allah ta’ala vous guide dans votre recherche de savoir et votre ambition à vous perfectionner pour la face d’Allah Azzawajel. ». De même, une phrase qui reprend la ségrégation du parc aquatique a été supprimée : « Notre sœur N*** dispense déjà des cours d’arabe et de Coran aux enfants à la Mosquée des Cèdres, elle dispensera des cours aux femmes et aux enfants à compté du 1er septembre (…). ».

Du côté du parc aquatique, c’est la lâcheté qui prédomine et des responsabilisés qui ne s’assument pas. Son dirigeant a affirmé que l’association n’avait fait que le contacter mais ce n’est pas du tout vrai, c’était toute une organisation et c’était bouclé depuis longtemps puisque la date était fixée au samedi 10 septembre 2016, d’où l’affiche d’ailleurs.


Comment réagir à une telle polémique ?

La réaction raisonnable oscillerait entre deux réflexes antagonistes.

Le premier réflexe serait de laisser dans le domaine privé tout ce qui relève d’une initiative dans le domaine privé. Au nom de quoi aurais-je à intervenir dans une réception privée dont certains éléments me choqueraient voire me troubleraient ? Cela ne devrait pas me regarder.

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Cependant, le second réflexe prendrait assez rapidement place : comment peut-on encore accepter cette double obligation d’avoir des vêtements de baignade qui vont à l’encontre de l’hygiène élémentaire (et interdits comme tels) et d’organiser une discrimination sur la base unique du sexe et de l’âge (pour les garçons) ? On imagine que dans la tête des organisatrices, un garçon de 10 ans et demi va avoir des obsessions sexuelles à la seule vue d’une femme habillée en burkini, on croit rêver !

D’ailleurs, certains musulmans sont violemment opposés au burkini, mais pas forcément pour une bonne raison : ils considèrent que le vêtement colle trop à la peau et donc, moule trop le corps qui, ainsi, est mis à découvert ! Je soupçonne cependant que la mode du burkini chez les musulmanes répond aussi à un intérêt purement économique : avec ce nouveau produit créé par un styliste libanais en Australie, cela ouvre évidemment un nouveau marché particulièrement juteux…


Peur d’une "islamisation" de l’Europe ?

Tout cela alimente la peur d’une "invasion islamique" que les attentats terroristes ne font rien pour éteindre. Ce sont même des provocations inutiles, similaires, dans un autre sens, à l’apéro saucisson vin rouge organisé le 12 juillet 2011 par des députés UMP particulièrement maladroits : là aussi, c’était une initiative privée mais qui avait un objectif clairement polémique et provocateur. Rappelons pour l’anecdote que ce groupe de députés UMP n’existe même plus en tant que tel…

Il ne faut pas non plus oublier que peu de jours auparavant, selon le "Daily Mail" du 27 juillet 2016, à Geldern, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, un Land de l’Allemagne voisine, six hommes musulmans barbus proférant des insultes en allemand et en arabe, ont fait violemment irruption dans une piscine naturiste. Ils ont notamment menacé les femmes nues qui s’y baignaient de toutes les « exterminer » en raison de leur « infidélité ». Ce type d’agression crée à l’évidence un climat d’insécurité et de perte d’identité qui se répand dans toute l’Europe indépendamment de la vague terroriste.


Retour en arrière

Tout cela n’augure rien de bon : il s’agit avant tout d’un véritable retour en arrière de l’ordre moral. Peut-être qu’il ne faut pas voir ces singularités dans un sens religieux mais plutôt dans un sens chronologique.

Dans la France de tradition catholique, au début du XXe siècle, les femmes auraient porté des vêtements de bain à peu près pareils à ces burkinis. La ségrégation entre les sexes a duré d’ailleurs très longtemps, notamment dans la vie scolaire (mon lycée était encore non mixte à mon époque) et on peut encore lire dans les villages "école pour filles" ou "école pour garçons" sur les vieux murs des mairies. Enfin, il n’était pas rare de voir les dames âgées, pas du tout musulmanes, porter un foulard sur la tête, encore dans les années 1970.

L’implantation de l’islam en France semble en fait surtout ramener la société française dans un passé lointain, dans une période archaïque où les relations sociales étaient dominées par les hommes machistes face à des femmes soumises et aux ordres. C’est plus d’un siècle de luttes progressistes qui se trouve ainsi bafoué avec ce type d’initiative …privée.


En finir avec les provocations…

Peut-être faudrait-il seulement écouter d’autres musulmans s’interroger sur ce qu’il se passe en France ?

Le journaliste algérien Aziz Benyahia s’est ainsi interrogé le 8 août 2016 : « Nous ne pouvons nous abstenir de faire grief à ceux des musulmans qui persistent à se singulariser de la sorte, sachant bien que la société "occidentale" est arrivée à un tel niveau de crispation à l’égard des musulmans, compte tenu de l’actualité, que la moindre anicroche sera déformée dans le sens d’une plus grande marginalisation (…). ».

Et le journaliste de conseiller : « Il nous semble plus intelligent (…) d’éviter de tendre des bâtons pour se faire battre. Adapter certains comportements, éviter les provocations inutiles et se faire remarquer par son exemplarité ; cela pourrait être beaucoup plus efficace que s’entêter dans des parties de bras de fer inutiles et perdues d’avance (…). Pour faire le parallèle avec le Speedwater Park, [les musulmans] autoriseraient-ils les étrangers vivant chez eux à privatiser des plages pour leurs amateurs de nudisme et des salons pour leurs soirées libertines ? ».

Et de terminer ainsi : « Pourquoi ne pas prendre de la hauteur (…) au lieu de chercher querelle aux autres en voulant leur imposer, qui plus est chez eux, une vision du monde que l’islam dans sa seule et unique vérité condamne tout simplement ? » ("Algérie Focus").


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 août 2016)
http://www.rakotoarison.eu


(La première illustration est un tableau de Pablo Picasso, "Jacqueline aux mains croisées", peint le 3 juin 1954, huile sur toile, 116 x 88,5 cm, exposé au Musée National Picasso à Paris).


Pour aller plus loin :
La laïcité depuis le 9 décembre 1905.
Le burkini réseau en question.
L’apéro saucisson vin rouge (12 juillet 2011).
Terrorisme islamiste.
L’esprit républicain.
Le patriotisme.
Représenter le prophète ?
L’islam rouge (19 septembre 2012).
La laïcité et le voile.
La burqa et la République.
Terrorisme et islamisme.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160805-burkini.html

http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/le-burkini-reseau-en-question-183613

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/08/10/34173039.html


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