La culture de l’erreur : 4 naufrages et 1 couronnement
« Si vous proposez que l’aventure est dangereuse, je vous propose d’essayer la routine. Elle est mortelle. » (Paolo Coelho).
L’expression "4 naufrages et 1 couronnement" n’est pas de moi. Elle est d’un éditorialiste de France Info le 26 décembre 2016. Elle n’est pas vraiment exacte (pas vraiment des naufrages) mais elle colle à merveille avec le titre d’un film très célèbre. Et elle va plus loin qu’un simple exploit.
Le couronnement, c’est l’accueil en héros du navigateur Thomas Coville ce 26 décembre 2016 à Brest. En partant le 6 novembre 2016, il a réalisé le nouveau record du monde le soir de Noël 2016. Il est des Noëls pas forcément tristes : « Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage » !
Il a fait le tour du monde à la voile en solitaire en 49 jours 3 heures 7 minutes et 38 secondes avec son trimaran "Sodebo Ultim" (du nom de son sponsor), ancien bateau d’Olivier de Kersauson, lui-même ancien recordman du tour du monde en 125 jours 19 heures et 32 minutes le 3 mai 1989.
C’est un record battu largement. Le précédent était de 57 jours 13 heures 34 minutes et 6 secondes le 19 janvier 2008 (Francis Joyon). L’un de ses "ancêtres" était Alain Colas qui avait mis, avec son (fameux) "Manureva" plus trois fois plus de temps, 169 jours, le 28 mars 1974 avec une escale.
Né le 10 mai 1968 à Rennes, Thomas Coville est devenu en quelques heures un nouveau symbole : celui de la persévérance, celui du défi fou, celui du rêve, celui de l’audace, celui du courage… mais aussi celui de l’erreur !
Car ce n’était pas sa première tentative de battre le record du monde. Il a fait auparavant quatre tentatives infructueuses : le 17 janvier 2009 et le 31 mars 2011, il n’était qu’à deux ou trois jours de retard sur le record de Francis Joyon. Le 6 janvier 2008 (sa première tentative), il a dû abandonner au 19e jour après avoir détruit une partie de son bateau : « J’ai envie d’y retourner car j’ai trop d’amertume que cela se termine si tôt. ». Enfin, le 30 janvier 2014, au 13e jour, il a dû également renoncer à cause d’une météorologie peu engageante et un retard déjà trop marqué : « J’ai l’amertume de ne pas aller au bout, une fois de plus. Je n’ai rien à me reprocher, rien à regretter. ».
Lors de la deuxième tentative, Thomas Coville avait cité Marc-Aurèle : « Donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer les choses que je peux changer et la sagesse de faire la différence. ».
Pour résumer, il a fallu de la persévérance et du courage pour essayer pendant cinq tentatives ! Or, il est assez commun de dire qu’il a "échoué" les quatre premières fois. Mais non ! Il a essayé. Cela n’a pas réussi mais il n’a pas échoué. Au contraire, il s’est formé. Il a beaucoup appris lors de ses premiers essais. Sans eux, il n’aurait jamais pu atteindre ce record.
Et c’est là que je souhaite en venir : le succès de la cinquième tentative de Thomas Coville est un hymne à la culture de l’erreur. En France, cette culture est peu intégrée : on doit être parfait, on ne doit jamais faire de faute, on n’a droit à aucune erreur, on est perfectionniste (et en même temps, on consomme le plus d’anti-dépresseurs !!).
Cette exigence de la perfection donne les résultats qu’on peut retrouver dans le dernier classement PISA : les très bons élèves le restent car ils sont poussés, encouragés par le système français. Les moins bons sont de moins en moins bons et décrochent. C’est cette forme d’élitisme qui est à dénoncer aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard si une certaine forme de populisme est très porteur électoralement, défendre la base contre les élites (même les élites en abusent !).
Accepter l’erreur, c’est se dire qu’une erreur est pédagogique (j’ai eu la chance que l’on me l’enseignât au début de mes études supérieures). Ce droit à l’erreur est essentiel dans une entreprise. Thomas Coville a expliqué que son exploit, c’était comme battre le record de saut en hauteur, mais avec seulement deux essais par an !
Au même titre qu’un bébé ne peut tenir debout sur ses pieds à sa première tentative (il faut de nombreuses chutes avant de trouver l’équilibre), il est rare de réussir une entreprise ambitieuse du premier coup. Aux États-Unis et plus généralement, dans les pays de culture anglo-saxonne, cette culture de l’erreur est bien intégrée dans les mentalités.
Par exemple, aux États-Unis, lorsqu’une personne se présente à un emploi avec sur son CV une création d’entreprise qui n’a pas duré, on considère que le candidat a acquis une forte expérience. Tandis qu’en France, on pointerait du doigt la faillite et on serait prêt à mettre le déshonneur sur les cinq générations qui suivraient ! (Heureusement, depuis une dizaine d’années, le droit français a évolué dans le bon sens à ce sujet).
L’autre exemple très commun est la traduction française de l’expression "venture capital" : le "capital risque". Investir dans une entreprise en devenir, c’est en France d’abord un "risque", alors qu’aux États-Unis, c’est avant tout une "aventure". C’est toute une vision du monde qui est différente avec ce genre de "nuances".
Moins il y a ce droit à l’erreur, plus il faut du courage et de la persévérance pour oser entreprendre quelque chose. En effet, si l’erreur devient une punition, il vaut mieux ne pas risquer l’erreur, alors que pourtant, sans rien entreprendre, on ne risque rien mais on est perdant avec certitude. L’écrivain des voyages Nicolas Bouvier disait : « Le voyage, c’est comme un naufrage. Ceux dont le bateau n’a jamais fait naufrage ne connaîtront jamais la mer. ».
C’est d’autant plus étonnant, que cette culture de l’erreur ait encore du mal à s’introduire en France, que la France a été présidée par deux Présidents de la République, les deux plus longs de toutes les républiques confondues depuis deux cent vingt-quatre ans, qui furent précisément des "losers" professionnels : François Mitterrand (14 ans de mandat) et Jacques Chirac (12 ans de mandat) n’ont été élus qu’au bout de leur troisième tentative et beaucoup les avaient enterrés un peu avant leur élection "historique".
C’est une belle leçon de culture qu’a proposée Thomas Coville en même temps que l’exploit sportif en lui-même. Son record sera probablement battu dans le futur proche, car sa propre performance a certainement suscité de nouvelles vocations, de nouveaux défis, de nouveaux rêves.
Donc, bravo à Thomas Coville qui donne ainsi aux Français un petit cadeau de fin d’année que j’espère pas inutile pour l’évolution des mentalités !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 décembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’exploit de Thomas Coville.
Triste Noël 2016 !
La France archaïque.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161225-thomas-coville.html
http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/la-culture-de-l-erreur-4-naufrages-187960
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/12/26/34732675.html