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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
3 février 2017

Le dégagisme, un nouveau sport national ?

« Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme (…) au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous. » (François Mitterrand, le 4 mai 1993 à Nevers).


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Il est toujours assez déplorable d’observer ceux qui, dès qu’on leur donne le signal de départ, s’acharnent, enragés, à lyncher les hommes à terre. Cela donne une certaine notion de leur courage. Pour François Fillon et le "PenelopeGate", comme on appelle "l’affaire" qui le préoccupe depuis dix jours, la présomption d’innocence a été désintégrée, éclatée, foudroyée par un canard déchaîné. La moindre accusation d’une presse servant de petit télégraphiste entre responsables politiques diversement intéressés fait office, pour ces "courageux" lyncheurs, de condamnation définitive.

Cette attaque en dessous de la ceinture donne une idée de la rudesse, pendant ces quelques semaines, de la campagne présidentielle. Tout est possible, donc tout est permis. C’est aussi le signe que le programme national de François Fillon a peu de prise sur ses opposants qui préfèrent s’occuper d’affaires périphériques.

Un internaute a laissé sur le site du journal "Le Parisien" le 2 février 2017 son exaspération : « Prendre dix ou vingt ans plus tard des faits se rapportant à des actes légaux non dissimulés déclarés au fisc qui plus est également accomplis par 20 à 30% des autres collègues, pour amalgamer, déformer artificiellement et grossir ces faits pour faire croire à une faute ne constitue pas de l’information mais un acte politique ! Honte à ceux qui y recourent et pour cela, méritent le plus profond mépris ! La même presse qui est à la manœuvre avait fait élire Hollande. Cette fois, ce sera Le Pen ! Il devient raisonnable de quitter un pays qui tombe aussi bas ! ».

À deux mois  et demi de l’élection présidentielle, passer autant de temps à étaler des informations dérisoires et sans intérêt au regard de l’histoire, quand le pays est un champ de ruines, quand il y a 6 millions de demandeurs d’emploi, plus de 2 000 milliards d’euros de dette publique, plusieurs centaines de victimes assassinées par des terroristes islamistes…

Cela donne le vertige. Comprenez-moi bien : demander la transparence, connaître la probité des candidats à la magistrature suprême n’est pas inutile, c’est même très sain etécessaire, bien sûr, mais pas dans une sorte de chasse à l’homme absolument odieuse. L’homme lui-même aurait sans doute pu en réduire les conséquences s’il avait compris qu’on avait lâché les loups. Ou les chiens, pour reprendre la formule de François Mitterrand qui avait poursuivi ainsi : « L'émotion, la tristesse, la douleur qui vont loin dans la conscience populaire (...) lanceront-elles le signal à partir duquel de nouvelles façons de s’affronter tout en se respectant donneront un autre sens à la vie politique ? Je le souhaite, je le demande et je rends juges les Français du grave avertissement que porte en elle la mort voulue de Pierre Bérégovoy. ».

Dans cette situation, il n’y a pas forcément "un" responsable à cela. Il y a surtout des personnes suiveuses qui aiment mettre de l’huile sur le feu pour exprimer leur colère et exorciser leurs peurs, mais qui vont ensuite se demander pourquoi, dans quelques semaines, il y aura un incendie.

Benoît Georges, du journal "Les Échos", a cité ce 1er février 2017 la fameuse petite phrase de celui qui était alors Premier Ministre, Alain Juppé, en 1995, après le début de la contestation sociale : « On lèche, on lâche, on lynche ! ».

La lèche, c’était juste après la victoire inattendue et très large de François Fillon à la "primaire de la droite et du centre" le 27 novembre 2016. Inattendue car les "médias" s’attendaient à un duel entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, et très large doublement, car avec la légitimité des deux tiers des votants contre un tiers, et une grande participation de 4,4 millions de votants. On pouvait voir ainsi les contorsions d’un de ses plus célèbres adversaires, Jean-François Copé, se déclarer disponible pour aider François Fillon dans sa campagne.

Le lâchage, cela a l’air d’être en cours depuis ce 1er février 2017. François Fillon a réuni dans la matinée les parlementaires LR complètement effondrés (les échos dans leur circonscription sont désastreux) et leur a demandé un peu de temps: « Je vous demande de tenir quinze jours et d’être solidaires ! ».

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Quinze jours ! Mais c’est un siècle, quand le candidat dévisse. Le sondage d’Elabe publié le 1er février 2017 est catastrophique pour François Fillon, réalisé pourtant avant le deuxième article du "Canard enchaîné" : François Fillon s’effondrerait de 6% en intentions de vote, le ramenant loin derrière Marine Le Pen et Emmanuel Macron, et Benoît Hamon commencerait même à le talonner !

Chaque jour qui passe est un désastre pour François Fillon, un épisode de plus dans cette séquence cauchemar, et attendre passivement le déroulement de l’enquête préliminaire serait politiquement une catastrophe. Il faut que François Fillon réagisse plus efficacement.

Dans cette "affaire", probablement un cas d’école dans l’histoire des élections présidentielles pour le futur, François Fillon a réagi très mal dès le début. Il a mis plus de deux jours avant de s’exprimer lui-même, et ceux qui voulaient le défendre, sans le faire exprès, l’ont enfoncé encore un peu plus (la réaction de Valérie Boyer, par exemple).

Au lieu de se défendre, François Fillon a accumulé les fautes de communication. Au lieu d’être transparent, il a multiplié le flou qui a alimenté la suspicion. Sa seule ligne de défense, finalement, c’est la victimisation. Victime d’un complot, même. Le 1er février 2017, il l’a clairement déclaré : ce serait un "coup d’État institutionnel" organisé par la "gauche". Il a conforté cette victimisation lors de son meeting à Charleville-Mézières le 2 février 2017. Peu d’électeurs croiront au complot politique (même si c’était vrai) car c’est une réponse beaucoup trop égocentrée. Il n’existe pas que lui sur Terre. En fait, il existe des millions de gens qui ont des rémunérations très faibles. Ce sont eux, les électeurs. Pas les juges.

Cela fait dix jours que "l’affaire" a éclaté et François Fillon est resté enfermé dans une sorte de déni de réalité. Il ne se considère pas en faute, il n’aurait rien fait d’illégal, et il refuse toute concession. Une attitude, sans doute dictée par l’orgueil, qui n’est pas loin de faire penser au mépris de Valéry Giscard d’Estaing exprimé lors de l’affaire des diamants : cela lui a donné une très mauvaise image en partie responsable de son échec du 10 mai 1981 (on peut se rappeler que sur ses affiches, des malicieux avaient collé des diamants à la place des yeux). Pire, son agenda serait quasi-vide. Pour une campagne présidentielle, c'est dément ! On imaginerait bien Nicolas Sarkozy faire au minimum deux déplacements par jour. Pour présenter son projet, passer ses messages, se défendre, attaquer, riposter. François Fillon, ce serait un déplacement par semaine, c'est du délire !

Les faits, c’est que, même si la justice le blanchit complètement (ces pratiques sont d’ailleurs assez courantes chez les parlementaires), les montants en jeu choquent les électeurs, tous les électeurs, les siens comme ses opposants. N’avoir aucun mot pour dire qu’il comprenait que cela pouvait choquer est une faute politique qui lui sera très difficile à rattraper. Ce qui choque, c’est qu’il ne se rende pas compte que cela puisse choquer.

C’est faire preuve d’un certain "autisme" que ne rien dire à ce sujet. Un déni qui n’est pas sans évoquer Jérôme Cahuzac, même si la "faute" est très différente et bien moindre (on ne l’accuse pas de comptes non déclarés à l’étranger ni de fraude fiscale).

Le 1er février 2017, un de ses soutiens encore très solidaires, Jacques Myard (député LR qui voulait se présenter à la primaire LR), a au contraire trouvé que cette épreuve était un nouvel argument électoral. S’il réchappe à cette tempête, François Fillon aura alors montré sa forte endurance, un cuir à toute épreuve et il en ressortira renforcé par sa crédibilité lorsqu’il s’agira de négocier avec Donald Trump ou Vladimir Poutine.

Le problème, c’est que tout laisse croire qu’il n’en réchapperait pas, de cette "affaire". François Fillon a eu une communication extrêmement défaillante. Thierry Saussez, grand spécialiste de la communication politique, n’en revient pas d’un tel amateurisme ! Surtout qu'au même moment, le 2 février 2017, le sénateur LR Serge Dassault (91 ans) s'est fait condamner notamment à cinq ans d'inéligibilité... 

Il y avait deux éléments que François Fillon devait absolument présenter le plus tôt possible pour désamorcer cette "affaire". D’une part, puisque cela choque les gens, même si ce n’est pas illégal, François Fillon devrait dire qu’il rembourserait les sommes en question si le bureau de l’Assemblée Nationale et celui du Sénat le lui demandaient. La faute réparée serait alors à moitié pardonnée (à moitié seulement). D’autre part, il ne peut pas rester, comme le 26 janvier 2017 sur TF1, sur son seul cas individuel. Il devait prendre de la hauteur et reprendre l’initiative en proposant de faire une loi qui réglementerait avec plus de transparence les emplois de collaborateur parlementaire (sans d’ailleurs forcément interdire les emplois familiaux, mais en fixant des plafonds plus réalistes). Ces deux propositions, c’était le minimum indispensable pour tenter de se sortir de cette "affaire" par le haut.

Au contraire, le 1er février 2017 au Salon des Entrepreneurs à la Porte Maillot, au Palais des Congrès de Paris, François Fillon a persisté et signé : il irait jusqu’au bout, pas question de ne pas être candidat, et de revendiquer la légitimité des 4,4 millions de votants à la primaire LR. La démocratie n’est jamais caduque, a-t-il dit pour répondre à l’un des deux députés qui ont commencé à douter publiquement.

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En effet, dès le 1er février 2017 après-midi, l’ancien juge Georges Fenech, député LR proche de Nicolas Sarkozy, a sorti le bazooka : « Je l’appelle à prendre une initiative forte. » après avoir déclaré : « Nous sommes en train de tous couler ! » et il a exprimé sa volonté : « Je souhaite la réunion rapide d’un conseil national extraordinaire. ». Il faut rappeler que ce fut devant ce conseil national de "Les Républicains" que le candidat François Fillon fut officiellement investi le 14 janvier 2017 à la Mutualité de Paris. C’est une instance très majoritairement sarkozyste.

Un autre député LR est sorti, lui aussi, du bois, en se disant porte-parole de plusieurs autres parlementaires moins audacieux. Philippe Gosselin a demandé à Alain Juppé de réfléchir à être un recours, malgré son refus (« clairement et définitivement ») de la semaine précédente. Encore le 1er février 2017, pour ne pas apparaître comme un traître, Alain Juppé a fait part de sa loyauté totale : « Quoi qu’il arrive, je ne serai jamais un plan B ! ».

Concrètement, il y a un réel problème démocratique : comment demander à un candidat vainqueur d’une primaire de 4,4 millions de votants de s’effacer derrière un candidat qui serait choisi un peu n’importe comment, par un appareil de parti. D'autant plus que le candidat désigné était celui qui avait le meilleur programme, le mieux construit, le plus cohérent, le plus réfléchi.

Le processus des primaires est un processus avant tout d’élimination. Il est même troublant de voir que le plateau d’un débat d’une primaire ressemble à peu près à celui d’un jeu télévisé comme "Le maillon faible". À chaque tour, on élimine. Le hic, c’est qu’il y a quatre tours avec le principe d’une primaire. Pire, il peut y avoir des épreuves éliminatoires entre les tours, ou avant le premier tour.

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En novembre 2016, la primaire LR a "dégommé" Nicolas Sarkozy. En décembre 2016, ce fut François Hollande lui-même qui s’est "dégommé" tout seul. En janvier 2017, Manuel Valls a été "dégommé". Et en février 2017, François Fillon est en train de se faire "dégommer". Il ne faut pas se leurrer : en mars 2017, s’il est toujours aussi haut dans les sondages, ce sera le tour d’Emmanuel Macron de se faire "dégommer". Cela promet de bien grandes incertitudes pour le vainqueur de l’élection présidentielle. À cet égard, c’est sans précédent, même si deux élections présidentielles, en 1969 et en 1974, ont eu un déroulement très rapide (deux mois).

La seule possibilité pour changer de candidat de la manière la plus efficace, c’est que ce changement soit unanime et sans contestation ultérieure. Cela veut dire que cela vienne de François Fillon lui-même (on ne peut imaginer François Fillon, qui s’accrocherait, se retrouvant face à un candidat LR de remplacement sans se mettre d’accord auparavant). Qu’il y ait une sorte de désignation par acclamations du nouveau candidat, pour qu’il n’y ait pas de risque de divisions au cours de sa (courte) campagne.

C’est la valse des François : après François Hollande, François Fillon et François Bayrou, le nom de François Baroin serait souvent cité à partir du 31 janvier 2017 : il aurait le vent en poupe. Il a fait un discours très combatif et mobilisateur à la Villette lors du meeting de François Fillon le 29 janvier 2017, montrant une parfaite loyauté alors qu’il était devenu un sarkozyste inattendu pendant la primaire. Il est juppéo-compatible et un "ancien bébé" sous protection de Jacques Chirac.

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François Baroin (51 ans) s’était engagé personnellement pour apaiser le discours de l’UMP à l’époque où Jean-François Copé, prenant la suite de Nicolas Sarkozy, avait voulu focaliser le débat national sur les thèmes identitaires et sécuritaires.

Évidemment, l’hypothèse d’un recours auprès d’Alain Juppé ne peut être exclu, mais outre le refus de ce dernier de se retrouver dans le rôle ingrat de suppléant (rôle qu’avait eu Martine Aubry en 2011 après l’explosion de la candidature de Dominique Strauss-Kahn), c’est aussi l’âge qui peut faire obstacle. À part Jean-Luc Mélenchon (65 ans), les autres protagonistes de l’élection présidentielle sont tous âgés de 39 à 56 ans : Emmanuel Macron (39 ans), Marine Le Pen (48 ans), Yannick Jadot (49 ans), Benoît Hamon (49 ans), Nicolas Dupont-Aignan (56 ans), même Nathalie Arthaud (47 ans) et Philippe Poutou (50 ans).

D’autres noms circulent aussi depuis plusieurs jours, comme Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, et même Gérard Larcher qui ferait un excellent Président d’une …IVe République. Les hypothèses deviennent folkloriques, on n’en sait pas l’origine, des journalistes qui ont découvert que les noms de domaine baroin2017.fr, bertrand2017.fr et wauquiez2017.fr venaient d’être réservés (le 27 janvier 2017 pour le premier, le 31 janvier 2017 pour les deux autres), ou de vilains camarades de parti voulant définitivement les "griller" ?…

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Ce qui est sûr, c’est qu’on ne s’improvise pas en deux mois candidat à l’élection présidentielle et encore moins Président de la République de la 6e puissance mondiale. On l’a vu notamment pour Vincent Peillon. Il paraît donc pertinent d’estimer que le remplacement ne peut provenir que d’une personne qui s’est déjà préparée de longue date, et donc, au moins, d’un candidat à la "primaire de la droite et du centre".

En ce sens, quoi qu’il en dise, et malgré son âge, Alain Juppé reste quand même la valeur la plus sûre pour ne pas laisser l’Élysée à une gauche plus ou moins molle, ou même à une extrême droite revancharde qui détruirait toute la cohésion sociale, à un moment de l’histoire du monde où le peuple français a besoin d’être uni face aux menaces extérieures. À moins que François Fillon parvienne non seulement à sortir de cette tornade médiatique, mais aussi à interrompre le dévissage dans les sondages…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 février 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Sondage Elabe du 1er février 2017 (à télécharger).
PenelopeGate : la valse des François.
Discours de François Fillon à la Villette le 29 janvier 2017 (texte intégral).
François Fillon combatif.
Et si… ?
L’élection présidentielle en début janvier 2017.
Boule puante.
François Fillon, gaulliste et chrétien.
Qu'est-ce que le fillonisme ?
Programme de François Fillon pour 2017 (à télécharger).
Discours de François Fillon à Sablé le 28 août 2016 (texte intégral).
Discours de François Fillon à Paris le 18 novembre 2016 (texte intégral).
François Fillon, pourquoi est-il (encore) candidat en 2016 ?
Débat avec Manuel Valls.
Force républicaine.
Discours du 30 mai 2015 à la Villette.
Philippe Séguin.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170202-penelopegate.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-degagisme-un-nouveau-sport-189298

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/02/03/34885511.html

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