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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
24 février 2017

François Bayrou se macronise

« La dispersion des propositions et des suffrages ne peut qu’aggraver [les] périls. Parce que le risque est immense, parce que les Français sont désorientés et souvent désespérés, j’ai décidé de faire à Emmanuel Macron une offre d’alliance. Je lui dis : le danger est trop grand, il faut changer les choses, et le faire d’urgence. Unissons nos forces pour y parvenir ! C’est peut-être un geste d’abnégation, mais ce sera aussi, je le crois, un geste d’espoir pour notre pays. » (Paris, le 22 février 2017).


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L’esprit de responsabilité l’a emporté sur l’ego, mais il a aussi suscité surprise, doute, incompréhension et déception chez les partisans de François Bayrou, et même ailleurs.

Le renouvellement impitoyable se poursuit : après l’élimination ou le renoncement de Nicolas Sarkozy, de François Hollande, maintenant de François Bayrou, des anciens grands candidats de 2012, il ne reste plus que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, qui sont donc loin d’incarner le renouvellement de la classe politique ! Au contraire, paradoxalement, ils incarnent désormais la continuité du système politique.

L’élection présidentielle de 2017 sera vraiment exceptionnelle dans ses surprises, rebondissements, etc. Attendu au tournant depuis plusieurs mois, François Bayrou a annoncé à la presse, ce mercredi 22 février 2017 à Paris, qu’il ne serait pas candidat à l’élection présidentielle et qu’il apporterait son soutien à Emmanuel Macron (le texte intégral de sa déclaration est lisible ici).

Le sens des responsabilités, François Bayrou l’a ainsi décrit, en y mettant presque un peu d’orgueil : « Je suis heureux de pouvoir montrer autrement que par des mots que l’heure exige que nous dépassions nos intérêts personnels et partisans, pour construire l’avenir que la France mérite. ».

Le constat de François Bayrou était pourtant très pessimiste : « En fait, toutes les candidatures posent des questions auxquelles les Français ne trouvent pas de réponse, au point que la majorité d’entre eux aujourd’hui affirme qu’ils ne savent pas pour qui voter. Un peuple qui ne croit plus à sa vie publique est un peuple en danger. Cette situation nourrit le pire des risques : une flambée de l’extrême droite, qui fait planer la menace d’un danger majeur et immédiat pour notre pays et pour l’Europe. ». Il a donc proposé « la recherche d’une solution inédite » en soutenant Emmanuel Macron et en pariant que son soutien vaudrait encadrement.

Car pour garder un peu la face, François Bayrou a émis quatre conditions d’alliance qui ont été immédiatement acceptées, une heure plus tard, par Emmanuel Macron : « L’alliance proposée par François Bayrou porte sur les valeurs et les idées. Elle s’inscrit pleinement dans la démarche de renouvellement et du rassemblement qui, depuis le début, est la nôtre. C’est pourquoi je l’accepte. » (le texte intégral de sa réponse est là).

Parlant de François Bayrou, Emmanuel Macron a ajouté : « C’est un geste courageux, inédit et un tournant de la campagne présidentielle comme de notre vie politique. (…) Il fait preuve d’un rare sens des responsabilités et de l’intérêt général. Sa proposition d’alliance est la marque d’une fidélité sans faille aux valeurs qui fondent notre pacte social, de son attachement à la probité dans la vie politique, à la liberté au cœur du projet européen, mais aussi de son combat pour le centre en France et contre le parti Front national. ».

Dès le lendemain, le jeudi 23 février 2017, François Bayrou et Emmanuel Macron se sont rencontrés dans le restaurant du Palais de Tokyo (après l’avoir privatisé pour l’occasion), et se sont montrés aux médias l’un contre l’autre, presque comme "deux amants" ! L’image était évidemment forte et symbolique, et avait tout l’air d’une sorte de passation de pouvoirs dans le rôle du candidat centriste, après trois candidatures depuis quinze ans du vieil animal laissant au jeune loup la poursuite du Graal. Emmanuel Macron n’était même pas né quand Valéry Giscard d’Estaing a été élu !

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Pour Emmanuel Macron, ce fut une divine surprise. Certes, il aura à se défendre d’être soutenu par des "vieux routiers" de la politique (pas seulement François Bayrou : Gérard Collomb, Jean-Paul Delevoye, Jean Arthuis, Renaud Dutreil, Serge Lepeltier, etc.), pour réaffirmer sa nouveauté et son incarnation du renouvellement de la classe politique. Mais ce soutien et cette alliance sont arrivés au meilleur moment puisque sa campagne commençait à patiner, à perdre du terrain face à François Fillon.

Ce 22 février 2017 fut un jour miraculeux, non seulement avec le "ralliement" de François Bayrou (qui a contesté le mot), mais aussi celui, le matin, de l’ancien candidat à la primaire socialiste, l’écologiste François de Rugy, qui s’était pourtant engagé à soutenir le candidat désigné par cette primaire, mais qui a dit sur LCI préférer "la cohérence" à "l’obéissance", et le soir sur LCP, le centriste Jean-Louis Bourlanges s’est lui aussi rallié à la candidature d’Emmanuel Macron, désolé du manque de probité de François Fillon.

D’ailleurs, entre parenthèses, le même jour fut un très mauvais jours pour les écologistes puisque leur candidat, pourtant choisi après une primaire ouverte, Yannick Jadot, a annoncé le même soir dans le journal de 20 heures de France 2 son désistement en faveur du candidat socialiste Benoît Hamon.

Revenons à François Bayrou. Apparemment, toute la classe politique et médiatique était convaincue de sa quatrième candidature. Pour cela, ils s’étaient basés sur l’ego très fort de François Bayrou, son caractère messianique (il était sûr qu’il serait Président de la République) et sur la détestation des puissances de l’argent qu’il voyait derrière la démarche d’Emmanuel Macron : « Derrière Emmanuel Macron, il y a des grands intérêts financiers incompatibles avec l’impartialité exigée par la fonction politique. » (sur RMC le 7 septembre 2016).

Son renoncement a donc été une des grandes surprises de cette précampagne, et il n’a pas renoncé à moitié, il est allé jusqu’au bout de sa démarche en soutenant à fond Emmanuel Macron, en s’investissant personnellement dans cette campagne.

La raison l’a emporté sur l’ambition : des sondages d’intentions de vote très mauvais (entre 5 et 6%), une grande solitude (qui ne l’a jamais effrayé), et puis, surtout, un départ beaucoup trop tardif en cas de candidature. On ne s’improvise pas candidat deux mois avant l’échéance. Ne serait-ce que pour organiser matériellement une campagne qui puisse convaincre, au-delà de la seule personnalité du candidat.

La raison de ses convictions aussi : François Bayrou voit ainsi une nouvelle tentative de rompre avec la bipolarité gauche/droite en capacité de gagner en 2017. Les précédentes tentatives avaient toutes échoué : Gaston Defferre en 1964 (le fameux "Monsieur X"), Jean Lecanuet en 1965, Alain Poher en 1969, Jean-Jacques Servan-Schreiber au début des années 1970, Raymond Barre en 1988, Valéry Giscard d’Estaing en 1977 (il s’est confronté à l’union de la gauche), Jacques Delors en 1994 (il n’a même pas été candidat), François Bayrou en 2002, 2007 et 2012, et l’on pourrait ajouter Dominique Strauss-Kahn qui aurait pu aussi proposer cette union du centre droit et du centre gauche en 2007 ou en 2012, ou encore Ségolène Royal qui avait proposé une alliance avec François Bayrou pour le second tour de l’élection présidentielle de 2007.

L’apport de François Bayrou sera sans doute réconfortant et son expérience électorale va être capitale pour la suite de la campagne d’Emmanuel Macron. En effet, c’était justement en fin février et début mars 2007 que la campagne de François Bayrou avait manqué de souffle alors qu’il avait réussi une percée inattendue, de même ampleur que celle d’Emmanuel Macron maintenant. Au contraire de 2007, le Front national joue dix ans plus tard les trouble-fête et achève de rompre avec la rivalité entre LR et PS.

François Bayrou a insisté pour dire qu’il n’y avait pas de "ticket" Macron/Bayrou, considérant à juste titre que c’était contraire à l’esprit des institutions. De plus, il s’est souvenu du malheureux "ticket", annoncé comme tel, de la candidature en 1969 de Gaston Defferre avec Pierre Mendès France promis à Matignon, candidature qui a fini à 5% !

Amusant d’ailleurs d’écouter le numéro un (secrétaire général) du mouvement En Marche d’Emmanuel Macron, le député socialiste Richard Ferrand, dire sur LCP dans "Politique matin" le 24 février 2017, qu’il n’y avait pas eu de "discussion d’arrière-cuisine" dans le ralliement de François Bayrou (à savoir, pas de négociation sur les investitures aux législatives ni sur les postes ministériels à distribuer), et il le disait avec une image de la conférence de presse des deux personnalités sur fond des tables à manger avec couverts du restaurant du Palais de Tokyo ; les discussions ne se passent pas en cuisine, mais à la salle à manger, devant les caméras !

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Si la décision de François Bayrou pouvait se comprendre (renoncement et soutien à Emmanuel Macron), elle a également beaucoup déçu. Les centristes "canal historique" (ceux qui ont soutenu François Bayrou depuis 2002) peuvent avoir un peu de mal à comprendre pourquoi François Bayrou a reflanché comme en 2012 en soutenant le véritable héritier de François Hollande, sans conviction forte et sans engagement courageux (la plupart des soutiens d’Emmanuel Macron sont des députés socialistes qui n’ont toujours pas quitté le PS !).

Ceux-ci peuvent même légitimement regretter que parmi les quatre priorités de François Bayrou, aucune ne concerne la manière de redresser la France. Luc Chatel, soutien de François Fillon, a insisté sur cela dès le 22 février 2017 : l’essentiel, c’est que le prochain Président de la République soit en mesure de redonner du travail à ceux qui en recherchent. Là est l’essentiel et l’urgence de cette campagne présidentielle.

Rien non plus sur la nécessité de réduire le déficit public et le train de vie de l’État. C’était pourtant bien François Bayrou qui, depuis quinze ans, avait insisté sur cet élément essentiel de la gestion publique : on ne doit pas vivre au-dessus de ses moyens et faire payer aux générations futures nos propres coûts de fonctionnement.

Le soutien à Emmanuel Macron laisse aussi un arrière-goût de règlement de comptes contre le parti Les Républicains, l’ancienne UMP qui en voulait tant à François Bayrou. Cette amertume voire rancœur se sont transformées en détestation de la candidature de François Fillon, sans prendre en considération que pour l’instant, ce qu’on reprocherait à François Fillon ne pourrait même pas faire, à l’heure actuelle, l’objet d’une instruction judiciaire, et a fortiori d’une mise en examen (au contraire des affaires touchant le FN où information judiciaire et gardes à vue ont déjà eu lieu). [Une information judiciaire a finalement était ouverte ce 24 février 2017 vers 20 heures].

François Bayrou avait pourtant annoncé depuis longtemps qu’il était prêt à s’effacer derrière Alain Juppé qu’il considérait en mesure de rassembler les Français autour de valeurs communes. Mais il a évoqué « l’aveuglément où s’est enfermée la droite française [qui] m’empêche de réaliser l’accord dont j’avais rêvé avec Alain Juppé et nombre de Républicains ».

On peut comprendre la détermination de François Fillon à rester candidat car comme je l’ai dit plus haut, on ne s’improvise pas candidat pour gagner à seulement deux mois de l’élection présidentielle. Aucune solution de rechange n’aurait été meilleure que la continuation de la candidature de François Fillon : Alain Juppé, au-delà d’un problème d’ego (qui ne veut pas être "suppléant"), n’aurait pas eu le plein soutien des militants LR qui l’avaient massivement rejeté lors de la primaire LR ; François Baroin était trop "nouveau" pour devenir crédible en si peu de temps (il lui aurait fallu six mois, comme Emmanuel Macron) ; et les autres auraient été encore moins performants.

Le programme économique d’Emmanuel Macron, vaguement dévoilé par "Les Échos" ce 24 février 2017, montrerait quelques similitudes avec celui de François Fillon : réduction du nombre de fonctionnaires (120 000), réduction de l’imposition des ménages (10 milliards d’euros), réduction des dépenses publiques (60 milliards d’euros). Globalement, c’est la même philosophie de libérer les initiatives économiques pour renforcer la croissance et donc l’emploi.

En revanche, la grande différence entre Emmanuel Macron et François Fillon, c’est que François Fillon a, au-delà du "pôle" liberté de son programme, un important "pôle" autorité que n’a pas Emmanuel Macron et sur lequel il risque de ne pas avoir beaucoup de crédibilité : or, c’est bien sur l’autorité de l’État que Marine Le Pen pourrait remporter l’élection présidentielle. Bien sûr, pas sur sa politique économique complètement inconséquente (j’y reviendrai) mais sur la sécurité, sur la souveraineté, sur l’autorité. Dans un second tour face à Marine Le Pen, un candidat "libertaire" aura du mal à s’imposer, même si aujourd’hui, les sondages sont favorables. Les évolutions de l’électorat peuvent être rapides et la seule question qui reste dans l’isoloir, est : ce candidat serait-il capable ou pas d’être Président de la République ?

Et après cette question, vient évidemment une autre question cruciale : ce candidat sera-t-il en position de faire élire une majorité à l’Assemblée Nationale ? Pour Marine Le Pen et Emmanuel Macron, la réponse est très incertaine au contraire de François Fillon.

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Au-delà des mathématiques politiques, s’il n’y avait aucun bouleversement nouveau ultérieur (ce qui n’est pas évident), il semblerait que la présence de Marine Le Pen au second tour soit de plus en plus certaine et que son opposant soit Emmanuel Macron ou François Fillon.

Or, pour l’emporter, que ce soit François Fillon ou Emmanuel Macron, il paraît assez clair que l’un aura besoin des électeurs de l’autre, l’un aura besoin du soutien de l’autre. Au contraire de 2002 où Jacques Chirac fut élu avec plus de 82% mais n’a gouverné qu’avec une base de seulement 20% de l’électorat (UMP), il faudra bien que l’un ou l’autre constitue une large majorité qui passe du parti Les Républicains au mouvement En Marche en passant par l’UDI et le MoDem et peut-être quelques socialistes proches de Manuel Valls.

C’est d’ailleurs toujours l’idée de François Bayrou : « J’ai la conviction qu’il sera impossible après l’élection présidentielle et les élections législatives de gouverner la France sans d’importants efforts de coopération et de travail en commun des grandes forces démocratiques, de la droite républicaine jusqu’à la gauche réformiste. En faisant cette offre d’alliance, c’est cette nécessité du rassemblement que j’ai présente à l’esprit comme un horizon nécessaire pour notre pays. » (22 février 2017).

Sans cela, on reviendrait à la situation de 2002, avec une petite différence, c’est qu’à la présidentielle, le FN ne serait pas passé de 16,9% à 17,8% du premier au second tour, mais de peut-être 25% à peut-être 40% voire 45%. Bref, si François Fillon et Emmanuel Macron ne se mettaient pas d’accord entre les deux tours, cela assurerait une victoire électorale de Marine Le Pen, peut-être pas en 2017 (encore qu’elle reste possible, insistons sur ce point !), mais dans ce cas, assurément en 2022…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 février 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Bayrou se macronise.
Déclaration à la presse de François Bayrou le 22 février 2017 à Paris (texte intégral).
Réponse d’Emmanuel Macron à François Bayrou le 22 février 2017 (texte intégral).
Un billet plein d’amertume…
Emmanuel Macron est-il de gauche ?
Comptes à débours.
Bayrou et Delors, l’acte manqué (décembre 1994).
Résolution française.
Et si… ?
L’élection en début janvier 2017.
Un rude adversaire.
L'élu du 7 mai 2017 ?
Pataquès chez les centristes.
Chevalier du vivre ensemble.
Fais-moi peur !
Le vrai clivage.
Soutien à Alain Juppé.
Bayrou et Delors, l’acte manqué.
La clairvoyance de François Bayrou.
L’auto-enfermement de Manuel Valls.
La proportionnelle aux législatives ?
Changement de paradigme.
Mathématiques militantes.
2017, tout est possible…
Bayrou et l'affaire Merah.
Le soldat Bayrou à sauver.
Pourquoi Bayrou ?
Bayrou a refusé des valises pleines de billets.
Moralisation de la vie politique.
Bayrou 2007.
L’homme de Gourette.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170222-bayrou.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-bayrou-se-macronise-190087

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/02/24/34974119.html



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