Le Président Macron a-t-il été mal élu ?
« Je vous servirai avec amour ! » (7 mai 2017)
Depuis quelques jours, fleurit une idée reçue : le nouveau Président Emmanuel Macron serait mal élu. La cause ? Malgré ses 66,1% des suffrages exprimés, Emmanuel Macron, en raison d’une supposée forte abstention et de nombreux votes blancs ou nuls, n’a pas recueilli l’assentiment de la moitié des électeurs inscrits. Effectivement, il n’a recueilli que 43,6% des inscrits au second tour.
Considérer que les abstentionnistes ou que ceux qui ont voté blanc ou nul sont des électeurs qui se sont prononcés contre le Président élu, c’est un abus de langage. C’est un sophisme. Qui peut déterminer la motivation profonde de ceux qui n’ont pas voulu prendre part, activement (en allant voter quand même) ou pas au clivage du second tour ? Comment faire la différence entre celui qui a dû partir en catastrophe pour des raisons personnelles, ou professionnelles, et qui n’a pas eu le temps de faire une procuration (sans compter celui qui est décédé le jour même de l’élection) et celui qui s’est abstenu volontairement pour marquer sa protestation contre un tel second tour ?
On a aussi parlé d’élection par défaut. J’aurais tendance à dire que les bulletins de vote n’ont pas d’odeur : comment peut-on différencier les votes par adhésion des votes par défaut ? Sinon par des sondages dont la signification prêterait à caution ?
Dire qu’Emmanuel Macron est mal élu ou élu par défaut, c’est ne rien avoir compris aux institutions et au principe de l’élection présidentielle à deux tours. Jusqu’à maintenant, depuis 1965, aucun Président de la République n’a été élu au suffrage universel direct dès le premier tour. Même De Gaulle n’a recueilli que 44,7% des suffrages exprimés au premier tour en 1965 (au point d’envisager son retrait définitif, piqué au vif dans son amour-propre).
C’est donc normal que le Président élu seulement au second tour n’ait pas été élu par adhésion, sinon, il aurait été élu dès le premier tour. C’est une évidence ! S’il a fallu un second tour, c’est qu’il a fallu que le candidat élu ait pu rassembler au second tour des électeurs qui ne l’avaient pas choisi au premier tour. Cela a été valable dans toutes les élections, y compris celle dans laquelle participait De Gaulle. Dans certains pays, l'élection présidentielle se fait au suffrage universel direct à un seul tour, ce qui peut poser quelques problèmes de représentativité. Ce n'est pas le cas en France.
Reprenons donc les résultats et analysons-les précisément pour savoir si, comme certains le prétendent, Emmanuel Macron aurait été mal élu.
Prenons d’abord le score par rapport aux inscrits. Emmanuel Macron n’a réuni au second tour que 43,6%, pas la majorité absolue. C’est un fait déjà évoqué plus haut. Est-ce dire qu’il y a une majorité absolue contre lui ? Non, bien sûr, car tous les électeurs inscrits avaient la possibilité de s’exprimer. Encore une fois, les motivations de la non expression de ces électeurs sont très diverses et variées. Il est impossible de donner une signification politique sauf lorsqu’il y a des différences notables, ce que j’évoquerai un peu plus bas.
Comparons plutôt avec ses prédécesseurs. Emmanuel Macron n’a pas à rougir de son 43,6% des inscrits. De Gaulle n’avait fait que 45,3% des inscrits en 1965. Seuls quatre Présidents, dont De Gaulle, ont fait un meilleur score par rapport aux inscrits : Jacques Chirac, bien sûr, avec 62,0% des inscrits en 2002, François Mitterrand 43,8% des inscrits en 1988 et Valéry Giscard d’Estaing aussi 43,8% des inscrits, en 1974.
En revanche, Emmanuel Macron a fait mieux que François Mitterrand en 1981, qui avait obtenu 43,2% des inscrits, bien mieux que ses deux prédécesseurs directs, François Hollande, 39,1% des inscrits en 2012, et Nicolas Sarkozy, 42,7% des inscrits en 2007, et mieux aussi que Jacques Chirac en 1995, avec 39,4% des inscrits, et que Georges Pompidou, 37,5% des inscrits en 1969.
A-t-on dit que François Mitterrand avait été mal élu en 1981 ? Pourtant, il a été moins bien élu qu’Emmanuel Macron en 2017. C’est un fait.
Si l’on prend les suffrages recueillis dans l’absolu, en sachant que le corps électoral s’accroît au fil des élections bien sûr, Emmanuel Macron a fait le deuxième score historique de l’histoire républicaine, en dépassant la barre des 20 millions de voix : 20 743 128 exactement. Seul Jacques Chirac a fait mieux en 2002 avec 25 537 956 voix. Emmanuel Macron a recueilli plus de 2,7 millions de voix de plus que François Hollande en 2012, alors que le corps électoral n’avait grossi que de 1,5 million d’électeurs inscrits (et Nicolas Sarkozy avait gagné en 2007 avec près d’un millions d’électeurs supplémentaires que François Hollande en 2012, malgré un corps électoral ayant 1,5 million d’électeurs en moins).
Autre manière de regarder le niveau d’élection, c’est de regarder aussi les résultats du premier tour. Entre un De Gaulle qui avait obtenu 44,7% des suffrages exprimés au premier tour en 1965 et Jacques Chirac 19,9% des suffrages exprimés au premier tour en 2002, il y a évidemment une différence notable, même si au second tour de 2002, Jacques Chirac a finalement rassemblé 82,2% des suffrages exprimés.
Avec seulement 24,0% des suffrages exprimés au premier tour, Emmanuel Macron se situe dans cette perspective parmi les moins bien élus, avant-dernier devant Jacques Chirac qui a fait moins tant au premier tour de 2002 qu’au premier tour de 1995 où il avait obtenu seulement 20,8% des suffrages exprimés.
Allons donc plus loin, et prenons le score du premier tour par rapport à l’ensemble du corps électoral. Emmanuel Macron a obtenu 18,2% des inscrits. C’est faible certes, mais à peine plus faible que François Mitterrand au premier tour de 1981 qui avait obtenu 20,6% des inscrits. Seul, Jacques Chirac a fait pire qu’Emmanuel Macron : 15,9% des inscrits en 1995 et 13,8% des inscrits en 2002. A-t-on dit pour autant que Jacques Chirac avait été mal élu ?
De Gaulle, en ce sens, a eu le plus d’adhésion dès le premier tour : 37,5% des inscrits en 1965. Notons pour l’anecdote que Valéry Giscard d’Estaing en 1974 et François Mitterrand en 1988, ont obtenu les mêmes scores par rapport aux inscrits pour les deux tours : 27,2% des inscrits au premier tour et 43,8% des inscrits au second tour.
Laissons les comparaisons avec ses prédécesseurs et analysons encore les résultats de l’élection présidentielle de 2017.
En raison des consignes de vote blanc ou nul d’un (grand) candidat du premier tour, il était donc intéressant de regarder selon les votants. C’est-à-dire, j’insiste, en prenant en compte les votes blancs et les votes nuls. Donc, en prenant tous les votants. Et dans cette perspective, Emmanuel Macron n’a pas à rougir non plus : le 7 mai 2017, il a recueilli 58,5% des votants. Ce qui marque une élection claire et sans ambiguïté. Et cela en tenant compte de tous les votes blancs et nuls.
Regardons de plus près l’abstention. Là encore, on a dit que c’était une abstention record au second tour depuis 1969. En 2017, elle a été effectivement de 25,4% des inscrits (soit un quart). C’est important (12 millions d’inscrits), mais c’est encore assez faible (rappelons les sondages qui donnaient allègrement 35 voire 40% avant l’élection) et nettement inférieure à d’autres pays démocratiques (comme les États-Unis).
Mais en rester là ne donnerait pas une vision réellement correcte de la situation. Il est par exemple faux de dire que 12 millions d’électeurs ont refusé de prendre part au vote pour des raisons de refus du clivage proposé au second tour. Pourquoi ? Parce qu’il y a toujours eu une abstention résiduelle. Le meilleur moyen est de comparer avec le premier tour qui, avec onze candidats, offrait pourtant une large diversité dans les propositions politiques. Le 23 avril 2017, il y a eu 22,2% d’abstention, soit un peu plus de 10,5 millions d’inscrits. Ce n’était pas négligeable et ceux-là ne s’étaient pas abstenus parce qu’ils refusaient de départager Marine Le Pen et Emmanuel Macron, puisqu’il y avait d’autres offres électorales.
Le plus intéressant est donc de regarder la différence entre les deux tours, en considérant négligeable la différence du corps électoral entre les deux tours (environ 15 000 électeurs). Entre les deux tours, il y a eu un peu plus de 1,5 million d’abstentionnistes supplémentaires (exactement 1 522 811). Ceux-là sont, effectivement, significatifs du refus de prendre position au second tour. Rapportés aux inscrits du second tour, ils ont été 3,2%. C’est significatif, mais ce n’est pas énorme non plus.
Enfin, regardons de plus près les votes blancs et nuls du second tour. Ils ont été importants, avec un peu plus de 4 millions de personnes (votants qui ont refusé de s’exprimer). Notons pour information que la gestion de ces bulletins blancs et nuls est très longue au moment du dépouillement, car il faut répertorier chaque bulletin, l’agrafer à l’enveloppe, le faire parapher par tous les membres du bureau de vote et enfin, le conserver à la préfecture. Les bulletins nuls annotés pourraient faire l’objet d’une publication intéressante, à l’instar des perles du baccalauréat… Cette lenteur peut expliquer pourquoi la remontée des résultats du second tour a pu être aussi longue qu’au premier tour malgré un nombre très restreint de candidats.
Mais là encore, comme pour l’abstention, ces 4 millions ne sont pas les plus significatifs. Il faut aussi les comparer avec les blancs et nuls du premier tour. Le 23 avril 2017, il y a eu près d’un million de blancs et nuls (exactement 949 334), qui ne protestaient pas contre ce duel Le Pen vs Macron. C’est donc la différence entre ces deux tours qui est significative. Il en résulte qu’il y a eu un peu plus de 3 millions de votes blancs et nuls (exactement 3 136 390) supplémentaires entre les deux tours. Ces bulletins-là sont significatifs des consignes à voter blanc ou nul de Jean-Luc Mélenchon. Cela correspond à 8,8% des votants et à seulement 6,6% des inscrits. On est encore loin des 14,8% des inscrits qu’avait obtenus Jean-Luc Mélenchon au premier tour.
Alors, pour résumer : Emmanuel Macron a-t-il été mal élu ? Non. Il a été mieux élu que François Mitterrand en 1981 et Jacques Chirac en 1995, et un peu plus mal que De Gaulle en 1965. Bref, pas de quoi s’indigner.
Ceux qui diffusent ce genre de d’anathème (qui n’a aucun intérêt puisque seul compte de savoir qui a été élu) sont ceux qui refusent les règles démocratiques (ratifiées par référendum en 1958 et 1962) qui veulent que le Président élu le soit par la majorité absolue des suffrages exprimés. Ce sont donc des mauvais joueurs, et on peut aisément imaginer de quelle origine politique ils proviennent puisqu’à l’issue du premier tour, il y a eu un candidat qui avait montré une même mauvaise foi. Monsieur blanc et madame abstention n’étaient pas candidats à cette élection, donc même s’ils avaient recueilli la majorité absolue des inscrits, ils n’auraient pas été élus !
J’en profite pour revenir aussi sur les premières heures et les premiers jours du Président Emmanuel Macron.
Ceux qui trouvent que c’était trop, deux cérémonies, le 8 mai 2017 pour fêter la victoire de 1945 et le 10 mai 2017 pour célébrer l’abolition de l’esclavage, où l’on a pu voir côte à côte François Hollande et son successeur, il faut bien aussi leur rappeler que le calendrier électoral des élections présidentielles font que les 8 mai et 10 mai se situent nécessairement entre la date du second tour et la date de la passation des pouvoirs. En 1995, François Mitterrand avait également honoré son successeur Jacques Chirac le lendemain de son élection le 8 mai 1995. Quant au 10 mai, cette date qui était alors symbolique pour la gauche (rappel de 1981) a été fixée par un autre gouvernement de gauche (Lionel Jospin) en 2001 (loi initiée par… Christiane Taubira).
Revenons aussi sur la soirée du 7 mai 2017. Contrairement au 23 avril 2017, Emmanuel Macron a su montrer la gravité qui, soudain, chargeait ses épaules. J’ai été ravi qu’il ait choisi le Louvre comme lieu symbolique pour fêter sa victoire. Musée le plus connu du monde, il a montré à quel point il était attaché à la culture française, mais aussi, à quel point il s’inscrivait dans une histoire française pas seulement républicaine, mais plus généralement nationale.
Sa marche silencieuse et solitaire dans la cour Napoléon a été sans doute un peu trop mise en scène et son discours devant la Pyramide du Louvre a laissé libre court à tous les délires sur Internet. Mais qu’importe ! J’ai goûté la joie d’écouter l’Hymne à la Joie de Beethoven (9e Symphonie) qui est l’hymne européen. C’est la première fois qu’au-delà des couleurs (les drapeaux), un Président de la République française avait également présenté un élément sonore de sa volonté de poursuivre la construction européenne. Elle n’est pas antinomique de l’amour de la France puisque la Marseillaise fut ensuite chantée à la fin de son discours. L’émotion était là, réelle, l’émotion nationale. Elle est rare, il faut la saluer.
En revanche, j’ai déploré que des journalistes aient trouvé là une comparaison avec François Mitterrand et sa cérémonie d’investiture au Panthéon le 21 mai 1981, tout cela à cause de Beethoven et d’une pyramide en verre. Emmanuel Macron et François Mitterrand ne sont en effet absolument pas comparables : l’un a mis deux ans à se propulser au sommet de l’État, tandis que l’autre a mis quarante ans à arriver, avec des dizaines de milliers de journées de tractations, de réunions d’appareil, etc. François Mitterrand est justement le symbole de la vie politique qu’Emmanuel Macron voudrait renouveler.
La célébration au Louvre de la victoire pouvait plutôt être associée à Jacques Chirac (en 1995) et même à Valéry Giscard d’Estaing qui, comme Emmanuel Macron, a "cassé les codes" en 1974 comme en 2017, et qui a appris son élection en 1974 dans son bureau du Ministère de l’Économie et des Finances, qui se trouvait à l’époque au Louvre.
Et puisque nous en sommes aussi aux comparaisons, la comparaison avec John Kennedy ne me paraît pas non plus pertinente. L’arrivée au pouvoir de Kennedy, certes jeune, n’a rien à voir avec l’initiative éclair qui n’a duré qu’un ou deux ans chez Emmanuel Macron. La candidature de John Kennedy provient d’abord d’une volonté familiale, de son père, de peser sur le destin américain, elle est l’aboutissement d’une trentaine d’années d’implantation familiale. Rien à voir avec Emmanuel Macron qui n’a reçu aucun héritage politique de sa famille.
Ce qui est positif et qui montre que les Français ont une capacité de rénover leur propre démocratie, c’est qu’ils ont fait "mieux" que les citoyens des États-Unis. Lorsque Barack Obama a été élu Président des États-Unis, il était connu et reconnu nationalement seulement depuis quatre ans, mais il avait déjà derrière lui une carrière politique d’une douzaine d’années dans l’Illinois. Emmanuel Macron, lui, sans rajouter son âge (39 ans), a été deux ans Ministre des Finances, seulement connu du grand public depuis moins de trois ans, et jamais élu. Bravo l’artiste !
Qu’il reste vigilant, dans ses premiers actes, à prendre en considération l’ensemble de la communauté nationale pour qu’aucun citoyen ne se sente mis de côté, mis à l’écart du nouveau train qui va démarrer ce dimanche 14 mai 2017.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 mai 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Programme 2017 d’Emmanuel Macron (à télécharger).
Le Président Macron a-t-il été mal élu ?
Qui sera nommé Premier Ministre en mai et juin 2017 ?
L’élection d’Emmanuel Macron le 7 mai 2017.
Macronités.
Ensemble pour sauver la République.
Débat du second tour du 3 mai 2017.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170507-macron.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-president-macron-a-t-il-ete-mal-193060
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/05/11/35273801.html