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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
14 juin 2017

Michèle Cotta, témoin privilégiée de la Ve République

« Les hommes et les femmes politiques ne sont pas tous à l’affût de la bonne planque ou de la bonne soupe. Qu’on le veuille ou non, ils ont aussi des convictions, des certitudes, même s’il leur arrive de les abandonner en cours de route. L’argent n’est pas leur seule motivation, même s’il peut l’être aussi pour certains. Les idées ont leur importance dans leur détermination, et aussi les stratégies, faites de grands et parfois petits calculs, de nobles ou de moins nobles ambitions. » (Michèle Cotta, 14 novembre 2007).


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La journaliste politique Michèle Cotta fête ce 15 juin 2017 son 80e anniversaire. Mais la passion l’a emporté sur l’âge : on peut encore la voir et l’écouter dans certains médias audiovisuels commenter l’actualité politique (en particulier sur LCI). Lorsqu’elle a dû quitter France 2 pour cause de limite d’âge (à 65 ans), le 16 juin 2002 (second tour des élections législatives de 2002), elle avait trouvé cela révoltant, "incongru" : « Dieu merci, il y a des gens qui pensent que je suis assez jeune pour eux ! » ("Libération" du 14 juin 2002). Elle était alors directrice générale de France 2 depuis le 11 juin 1999.

C’est l’occasion de revenir sur une journaliste que j’apprécie beaucoup, dont j’apprécie l’indépendance, le sérieux, le talent et la neutralité malgré ses engagements personnels qui n’ont pas été neutres.

Il y a deux types de journalistes : ceux qui, durant leur carrière, se cantonnent à leur seul rôle de journaliste, comme Alain Duhamel, Philippe Alexandre, Patrick Poivre d’Arvor, etc., et ceux qui, ambition aidant, "tombent" dans le management (direction de chaînes, etc.), comme Jean-Pierre Elkabbach, Jean-Marie Cavada, Christophe Barbier, etc. Michèle Cotta fait partie de la première catégorie mais est tombée un peu par inadvertance dans la seconde lors de l’élection de François Mitterrand.

Tout au long de sa carrière, qui a commencé au milieu des années 1960, Michèle Cotta a pu côtoyer de très nombreux responsables politiques. Elle a suivi plus particulièrement deux sommités de la politique française : François Mitterrand et Jacques Chirac. Elle a eu avec eux des relations à la fois professionnelles mais aussi humaines, un attachement qu’on pourrait presque qualifier d’affectif. Si Michèle Cotta avait compris assez vite l’ambition dévorante de François Mitterrand, elle l’a vu aussi chez Jacques Chirac qu’elle a connu moins "arrivé" (jeune député) que celui qui est devenu son prédécesseur à l’Élysée. Le drame d’un enfant malade a aussi créé une certaine complicité ou empathie avec Jacques Chirac.

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Michèle Cotta n’a jamais caché sa proximité avec la gauche mais tout en faisant son travail de journaliste politique "neutre", c’est-à-dire sans parti pris, avec la plus grande objectivité possible, en fréquentant aussi bien des responsables de droite que de gauche, du centre, etc. Ses plus réguliers interlocuteurs furent très nombreux, en plus de François Mitterrand et Jacques Chirac : Maurice Faure, Edgar Faure, Roland Leroy, Valéry Giscard d’Estaing, Olivier Guichard, Claude Estier, Michel Rocard, Édith Cresson, Michel Debré, Jacques Chaban-Delmas, Michel Poniatowski, etc.

Michèle Cotta a expliqué son objectivité personnelle de cette manière : « L’objectivité absolue n’existe pas. Pas plus chez un journaliste que chez n’importe quel citoyen. Nous avons tous des parents, des professeurs, des proches engagés ou pas (…). Notre passé, notre histoire personnelle nous soufflent des attitudes, des pensées, des comportements politiques. (…) Mais le journalisme est un drôle de métier. (…) La fréquentation des acteurs de la vie politique, si convaincus, quoique si changeants, si persuadés de la justesse de leurs vues, quoique incapables de résister à l’expérience du pouvoir, si déterminés, quoique si fragiles, est de nature à ouvrir les esprits à l’analyse, y compris les plus réfractaires. Je ne le suis pas. » (14 novembre 2007).

L’une des raisons de l’ancrage à gauche de Michèle Cotta est familiale : son père Jacques Cotta (1908-1971), avocat et ancien résistant, fut engagé à la SFIO et fut élu maire de Nice de 1945 à 1947, battant un candidat communiste. En 1947, Jacques Cotta fut lui-même battu par Jean Médecin, père de Jacques Médecin. Ancrage à gauche, la gauche anticommuniste, antigaulliste, décolonisatrice, et principalement mendésiste.

Elle a adoré son père : « Il m’emmenait partout, j’ai le souvenir d’avoir parcouru l’ensemble des Alpes-Maritimes avec lui, la semaine dans des réunions politiques, le dimanche au foot. (…) Un homme m’a jeté un tract à la figure en criant : "Cotta aux chiottes !". Ma mère a engueulé mon père en lui disant qu’il n’avait pas à m’utiliser comme ça ! » (14 juin 2002). Sans doute que Michèle Cotta a trouvé dans l’expérience paternelle matière à se passionner pour la vie politique, niçoise puis nationale.

Ce ne fut donc pas un "hasard" qu’elle ait voulu travailler à "L’Express" après avoir suivi ses études à l’IEP de Paris et soutenu en 1963 sa thèse de doctorat en sciences politiques à la Fondation nationale des sciences politiques. Ses travaux furent dirigés par René Rémond et ont porté sur : "Les idéologies de la collaboration à travers la presse, à Paris entre 1940 et 1944".

Après la séparation de ses parents, elle a surtout voulu être indépendante et a commencé à faire son réseau personnel à Paris. Elle a croisé (par hasard !) Françoise Giroud dans la rue, et elle n’a pas hésité : « Elle avait une Mercedes décapotable, je me suis dit : "Il faut que je travaille avec elle" ! » (14 juin 2002). Un hasard qui n’en était donc pas un.

Elle est entrée à "L’Express" en 1963, juste après sa soutenance de thèse, et a pu ainsi se retrouver au cœur de la vie politique dans un hebdomadaire dirigé par un ambitieux journaliste, Jean-Jacques Servan-Schreiber, proche de Pierre Mendès France et voulant lancer en 1964 la candidature de Gaston Defferre à l’élection présidentielle (le fameux "Monsieur X"). Durant cette période, Michèle Cotta a noué un contact suffisamment proche avec François Mitterrand pour être très bien informée de ses ambitions, calculs, dispositions, découragements, etc.

Ce fut elle qui annonça à ses patrons dubitatifs que François Mitterrand allait déclarer sa candidature à l’élection présidentielle le 9 septembre 1965 au cours même d’une allocution du Général De Gaulle : « Dans l’après-midi, nous sommes tous devant la télévision, dans le salon du dernier étage de "L’Express", avec JJSS et Françoise Giroud. Je n’ai pas voulu trahir le scoop de la candidature de Mitterrand dès le matin. Mais, en début d’après-midi, à quelques minutes de l’événement, je veux faire la maligne : "François Mitterrand se présente aujourd’hui", dis-je à Jean-Jacques et à Françoise vers deux heures trois quarts. Jean-Jacques me regarde avec commisération : "Pendant que De Gaulle parle ? Vous n’y êtes pas ! ". (…) Vers 16 heures 15 ou 30 (…), je quitte la pièce (…). J’attends. Et je remonte, pas peu fière, quelques minutes après, pendant que De Gaulle continue de parler, avec la dépêche AFP [annonçant la candidature de Mitterrand] (…). Jean-Jacques (…) est interloqué. Françoise, elle, instinctivement, avait eu davantage tendance à me croire lorsque je leur en avais parlé à tous deux en début d’après-midi. Elle fait meilleure figure. Je ne suis pas sûre que JJSS me pardonne d’avoir été au courant avant lui. Il risque de le prendre mal. (…) Il n’empêche : je rigole. » (Michèle Cotta).

Ces quelques mots de témoignage personnel sont au début de ses imposants "Cahiers secrets de la Ve République" (quatre tomes très épais aux éditions Fayard publiés entre 2007 et 2011) qui constituent une somme exceptionnelle d’informations, d’anecdotes, de réflexions, de confidences de son réseau sur la vie politique du pays. Écrites au jour le jour, ou plutôt, à la nuit la nuit, ces notes confirment évidemment la grande passion qu’éprouve la journaliste pour la chose politique et son effroyable capacité d’acquérir la confiance de nombreux personnages politiques qui lui ont livré humeurs et arrière-pensées sans crainte d’être trahis.

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Elle fut évidemment bien placée pour accompagner l’aventure politique de son patron, Jean-Jacques Servan-Schreiber, pas toujours couronnée de succès malgré des débuts très prometteurs (finalement, bien que considéré comme audacieux, il lui a manqué l’audace d’un Emmanuel Macron qui, lui, n’a pas hésité à ne pas attendre pour aller jusqu’au bout !).

Dans les années 1970, Michèle Cotta fut une journaliste politique très en vue, elle était à gauche ce qu’était à droite sa collègue et amie Catherine Nay.

Lors d’un entretien informel avec Valéry Giscard d’Estaing à l’Élysée, le 7 janvier 1977, la vie privée de Michèle Cotta fut sujet d’attention : « Le Président m’accueille, affable, par ces quelques mots : "Qu’est-ce que votre vie devient ?". Il lui parla du départ de "L’Express" et de sa famille : « Urbain, un peu trop, il demande des nouvelles de mon frère. Apprend avec stupeur que j’ai des enfants, comme s’il continuait de penser qu’une femme qui travaille ne pouvait pas être mariée et mère de famille ! Lorsque je lui dis que mes enfants sont aussi ceux de l’éditeur Claude Tchou, il s’extasie et m’avoue qu’il trouve les Eurasiennes bien jolies ! ». (Son frère Alain Cotta est un économiste de renom qui a cofondé l’Université Paris-Dauphine et qui a milité en faveur de la sortie de la zone euro).

"L’Express" ayant été revendu pour financer les dépenses politiques de JJSS, et Françoise Giroud, nommée ministre, ayant également quitté le journal, Michèle Cotta prit d’autres horizons après plusieurs années sous la direction de Philippe Grumbach (depuis 1971) : elle intégra la rédaction de France Inter en novembre 1976, puis celle de RTL en avril 1980 (comme rédactrice en chef).

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Michèle Cotta fut choisie par François Mitterrand pour animer le débat présidentiel qui l’a opposé à Valéry Giscard d’Estaing le 5 mai 1981, aux côtés de son collègue Jean Boissonnat. Elle n’avait alors eu aucune expérience de télévision et en était assez gênée dans sa mission : « J’ai joué ce rôle avec une trouille épouvantable : je n’ai jamais fait de télévision (…), et l’épreuve, en direct devant la France entière, me paraissait hors de portée. Bref, au début, Giscard a paru agacé par moi. (…) À la fin, pourtant, à quelques reprises, nous échangeons un sourire. Moi, c’est parce que je le sens épuisé et surtout angoissé. J’ai même, au cours du débat, eu l’impression qu’il avait perdu la partie. ».

Puis, elle a raconté l’après-débat : « André Rousselet [futur directeur de cabinet de François Mitterrand] m’a proposé de me joindre au dîner qui suivait (…). Je n’aurais peut-être pas dû y aller, mais le débat était fini, j’y étais restée une arbitre neutre de bout en bout, et il ne m’a pas semblé que c’était m’engager que de m’y rendre. ». Ont participé au dîner, notamment François Mitterrand, Jacques Delors, Jacques Attali, André Rousselet, etc.

Avec la victoire de la gauche, François Mitterrand, qui voulait "gauchiser" toutes les instances de l’audiovisuel public, lui proposa, pour succéder à Jacqueline Baudrier, la présidence de Radio France, fin juillet 1981. Elle accepta le poste : « Mauroy, qui respecte la présidente sortante, Jacqueline Baudrier, et hésitait à la débarquer de la radio, ne m’en avait pas parlé avant qu’il ne lui trouve une sortie convenable. Aujourd’hui, Jacqueline Baudrier est ambassadeur à l’Unesco. Pierre Mauroy m’appelle donc à Beauvallon où je passe mes vacances. Elles seront écourtées : j’ai hésité, puis dit oui. Autant la perspective d’appartenir à un cabinet, fût-ce celui de l’Élysée, me rebutait, car je trouvais que ce n’était pas ma place, autant Radio France me paraît intéressant, même si je ne connais rien au fonctionnement administratif de la maison ronde. Sait-on jamais pourquoi on dit oui ou non ? En tout cas, c’est fait : j’ai dit oui. » ("Cahiers secrets").

Elle le fut une année. Elle raconta que François Mitterrand, loin de l’affichage politique du "libéralisme" culturel, se préoccupait minutieusement de l’audiovisuel public, au point de lui en vouloir lorsque la présidente a dû remplacer le directeur de France Culture par son sous-directeur, en raison de la démission du directeur en titre qui avait refusé de travailler avec la gauche, car Michèle Cotta ne l’en avait pas personnellement informé !

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Un peu plus tard, après la promulgation de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, Michèle Cotta tenta l’aventure d’être nommée le 15 août 1982 par François Mitterrand la première et l’unique présidente de la Haute Autorité de l’Audiovisuel (l’ancêtre du CSA) : « Le téléphone a sonné presque immédiatement, pendant le journal [de 20 heures qui lui a appris sa nomination]. C’était Mitterrand. Après un premier cafouillage, un enfant a décroché le téléphone et raccroché d’émotion en entendant que le Président de la République était au bout du fil, il me dit qu’il me souhaite bonne chance. ».

C’était la première fois qu’avait été créée une autorité de régulation indépendante du gouvernement. Elle la présida officiellement entre le 30 août 1982 et août 1986, jusqu’au retour au pouvoir de la coalition UDF-RPR dirigée par Jacques Chirac (qui l’avait boudée pendant tout ce temps).

Ces années d’actrice au lieu d’observatrice ont été difficiles pour Michèle Cotta (elle avait à l’époque 45 ans) car elle s’est retrouvée confrontée à la réalité du pouvoir, devant résister aux pressions de ses amis politiques (la gauche) et aux protestations de ses opposants politiques (la droite). C’était une position très inconfortable, beaucoup plus que de décrire la vie politique. Elle devait prendre des décisions, parfois audacieuses, aller contre le pouvoir socialiste.

L’une de ses "audaces" fut de soutenir absolument Pierre Desgraupes, président d’Antenne 2, reconduit en 1982 pour un mandat de trois ans par la Haute Autorité (et soutenu par Pierre Mauroy qui l’avait nommé en août 1981), bête noire de François Mitterrand car l’ancien journaliste l’avait accablé à l’époque du faux attentat de l’Observatoire. Le 18 décembre 1983, Pierre Desgraupes a eu 65 ans et François Mitterrand voulait donc le remplacer officiellement en raison de la limite d’âge (alors que François Mitterrand avait lui-même 67 ans !).

Michèle Cotta s’y opposa considérant que cette limite d’âge n’avait aucune raison d’être puisque le mandat s’achevait en 1985. François Mitterrand a alors fait voter une loi obligeant tous les présidents d’entreprises publiques à prendre leur retraite à 65 ans (cette limite d’âge était déjà un véritable désastre dans la recherche publique) : « À gauche, ils vous diront que non, mais moi, je sais que cette loi est passée pour ça ! » (Michèle Cotta). Daniel Karlin, également membre de la Haute Autorité de l’Audiovisuel (et proche des milieux de gauche), a confirmé que l’opposition entre François Mitterrand et Michèle Cotta fut très dure : « Mitterrand a menacé de supprimer la Haute Autorité par décret ! » ("Libération" du 14 juin 2002).

La conclusion de cet affrontement éprouvant pour Michèle Cotta (elle a finalement eu gain de cause le 19 décembre 1983) fut ainsi, en évoquant François Mitterrand : « Je ne me fais pas d’illusion : si je suis malheureuse aujourd’hui, c’est que je sais bien que je l’ai sinon trahi, du moins gravement déçu, car il n’attendait de moi aucune résistance. Il m’avait demandé de le "protéger", c’est ce que je lui ai rappelé dans ma lettre d’octobre dernier. En toute honnêteté, je suis sûre que c’est ce que je fais. Le hic, c’est qu’il pense le contraire. » (22 décembre 1983). Une nouvelle loi obligea néanmoins Pierre Desgraupes à démissionner en novembre 1984.

Après les élections du 16 mars 1986, Michèle Cotta s’est retrouvée sans emploi avec la suppression de la Haute Autorité par la nouvelle loi sur l’audiovisuel public (loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dite loi Léotard). Valéry Giscard d’Estaing, très sensible à cette situation, lui a apporté une marque d’attention personnelle le 9 octobre 1986 : « Giscard m’envoie un billet qui me touche. En quelques lignes, il a trouvé des mots on ne peut plus délicats : il comprend très bien, m’écrit-il, parce qu’il en a fait l’expérience, la difficulté qu’il y a, lorsqu’on a occupé un poste important, à recommencer à zéro. Je suis plus que surprise. (…) Par le ton amical de sa lettre. (…) Il le fait avec une gentillesse et une simplicité dont je ne l’aurais jamais cru capable. ».

Dans sa carrière, à 49 ans, un véritable choix devait s’opérer. Certes, François Mitterrand ne l’aurait pas laissé sans revenus (il l’aurait nommée au tour extérieur d’une noble institution, comme le Conseil d’État) mais elle voulait surtout redevenir journaliste politique, se refaire un réseau d’informateurs politiques et retisser auprès de ses interlocuteurs une confiance passablement écornée par ses années "opérationnelles".

Anticipant la loi Léotard (elle fut adoptée par l’Assemblée Nationale le 13 août 1986), Michèle Cotta fut recrutée par Jean-Luc Lagardère pour faire un édito sur Europe 1. Elle a commencé le 15 septembre 1986 avec la grille de rentrée, et ce fut très difficile : « Dur, dur, ce nouveau début ! En dehors de Lagardère, je ne peux pas dire que l’accueil que m’a réservé Europe 1 a été, il y a quelques jours, débordant d’amitié. ».

En effet, le patron d’Europe 1 Jacques Lehn lui a dit qu’il la prenait à l’essai pour trois mois ! Alors qu’à 26 ans, elle avait été recrutée pas à l’essai par JJSS et Françoise Giroud : « C’est idiot : cette idée des trois mois à l’essai, que je m’efforce de prendre à la légère, me frappe, m’humilie, c’est le mot, au point que je n’ose en parler à personne. Ma réaction est disproportionnée, peut-être, mais j’ai l’impression d’avoir reçu une gifle avant même de faire mes premiers pas à la station. ».

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Quant aux journalistes de la rédaction d’Europe 1, ce n’était pas la lune de miel : « Parmi les journalistes, pour dire le vrai, seuls Catherine Nay et Ivan Levaï m’ont accueillie en amie la semaine dernière. Alain Duhamel trouve, il n’a pas tort, que je fais un inutile double emploi avec lui, mais il a la courtoisie de ne pas me le faire sentir. Pour le reste, les rapports avec Jean-Pierre Elkabbach sont d’emblée difficiles, pour ne pas dire détestables. "Tu sais, quand tu étais à la Haute Autorité, moi, le pouvoir socialiste me traînait dans la boue. Alors tu comprends…". Tels ont été, ou presque, les premiers mots que nous avons échangés. Guillaume Durand, jeune et talentueux présentateur du "8 heures", se demande tout haut dans les couloirs de la rédaction ce que mon éditorial peut bien apporter au journal. Il répond d’ailleurs, et évidemment j’en suis la première informée : rien. ».

Heureusement, sa collaboration chez Europe 1 ne dura que quelques mois. Ce fut très étonnée qu’elle fut recrutée par Étienne Mougeotte (du groupe Lagardère et débauché par Bouygues) comme directrice de l’information par TF1 le 3 mai 1987, la chaîne qui venait d’être privatisée et passant sous le contrôle de Francis Bouygues et Bernard Tapie, où elle resta pendant cinq ans : « J’ai été choisie parce que je suis diplomate. ». La voilà patronne de rédaction, cela impressionna Jean-Pierre Elkabbach ! Mais a rendu triste un ami, Hervé Bourges, qui venait d’être débarqué de la présidence de TF1 par Bouygues.

Ce fut à ce titre qu’elle anima pour la seconde fois le débat présidentiel du 28 avril 1988 entre François Mitterrand et Jacques Chirac, aux côtés d’Élie Vannier, directeur de l’information d’Antenne 2 : « Inutile pourtant de me le cacher : je suis rudement contente d’animer ce deuxième débat, sept ans après le premier ! » (26 avril 1988). Et de décrire la prestation des deux candidats : « Je pensais que, sûr de sa victoire, Mitterrand aurait tendance à lâcher du lest ; c’est tout le contraire qui s’est produit. Jamais je n’ai autant senti la rage de vaincre de Mitterrand. Il n’est tendre avec personne, certes, mais ce soir… ! Il a voulu écraser Chirac et celui-ci n’a pas osé le bousculer : le résumé le plus simple de ce qui s’est passé. » (28 avril 1988).

Elle quitta TF1 le 14 décembre 1992 lorsqu’elle proposa un peu de recul au présentateur vedette de la chaîne dans l’affaire Botton-PPDA : « Étais-je, ces derniers mois, devenue inutile : c’est-à-dire sans appuis politiques, sans valeur ajoutée au sein d’une rédaction organisée en baronnies ? La tristesse passée, je me dis qu’après tout, je n’avais plus grande envie, au bout de cinq années, de continuer à rechercher des équilibres incertains entre les ego des uns et la jalousie des autres. ». Après avoir refusé un "placard doré" proposé par Patrick Le Lay, la voici « sur le parvis de TF1 avec deux sacs poubelle pleins d’objets hétéroclites et un chèque confortable d’indemnités en poche. Voilà : l’aventure TF1 est terminée. » (15 septembre 1992). Puis, elle a été directrice générale de France 2 de 1999 à 2002 (comme évoquée plus haut) et a fait d’autres collaborations notamment avec "Le Nouvel Économiste".

Michèle Cotta est une grande dame du journalisme politique. Sa principale contribution restera certainement ses Cahiers secrets qui constituent un précieux guide, détaillé et savoureux, pour mieux comprendre les coulisses politiques de la Ve République entre 1965 et 2007 (voire plus tard encore).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 juin 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Mitterrand et l’audiovisuel public.
Michèle Cotta.
Radio France.
Jacqueline Baudrier.
Jean-Luc Hees.
Philippe Val.
Claude Estier.
Philippe Alexandre.
Hannah Arendt et la doxa.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Elie Wiesel.
Jean-François Deniau.
Les cahiers secrets de Michèle Cotta.
Jean Boissonnat.
Étienne Borne.
Alain Decaux.
Pierre-Luc Séguillon.
Françoise Giroud.
Jean d’Ormesson.
André Glucksmann.
Henri Amouroux.
René Rémond.
Noël Copin.
Maurice Duverger.
Jean Lacouture.
Bernard Pivot.
Michel Polac.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170615-michele-cotta.html

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