François de Rugy et le bâton de maréchal du politicien manœuvrier
« Je tenterai de m’inspirer de mes prédécesseurs dans cette fonction que vous me confiez aujourd’hui : la bienveillance qui n’empêchait pas la rigueur de Jacques Chaban-Delmas ou de Claude Bartolone, la volonté de réformer de Jean-Louis Debré ou de Laurent Fabius, la fidélité au projet présidentiel de Louis Mermaz, ou encore l’humanité si particulière de Philippe Séguin ou d’Henri Emmanuelli. Oui, de tout cela je tenterai de m’inspirer, parce que nous savons tous qu’il n’y a pas d’imagination sans mémoire. » (27 juin 2017).
Ce ne sera pas François Bayrou, ni François Baroin, ni évidemment François Fillon, encore moins François Hollande, mais il n'y aura bien quand même un François qui sera honoré dans la République Macron.
Ce fut peu avant 17 heures ce mardi 27 juin 2017 que le doyen d’âge des députés, Bernard Brochand (79 ans), ancien maire de Cannes, a annoncé l’élection de François de Rugy à la Présidence de l’Assemblée Nationale, après avoir ouvert la XVe Législature à 15 heures.
À l’Hôtel de Lassay, ce dernier devient donc le quatrième personnage de l’État, après Emmanuel Macron (Élysée), Gérard Larcher (Petit-Luxembourg) et Édouard Philippe (Matignon). Il n’a que 43 ans et 6 mois, mais il n’est pas le plus jeune à avoir été élu à cette fonction. Contrairement aux commentateurs qui n’ont d’histoire politique que les dépêches AFP, ce ne fut pas Laurent Fabius qui fut le plus jeune Président de l’Assemblée Nationale depuis le début de notre tradition républicaine, élu à 41 ans et 10 mois le 23 juin 1988 après la réélection de François Mitterrand à la Présidence de la République, mais Léon Gambetta, qui avait seulement 40 ans et 10 mois lors de son élection au perchoir le 31 janvier 1879 (qu’il quitta le 27 octobre 1881 pour diriger le gouvernement).
François de Rugy a été élu dès le premier tour avec 353 voix, face aux 94 voix pour Jean-Charles Taugourdeau (LR), 34 voix pour Laure de La Raudière (UDI-LR-Les constructifs), 32 voix pour Laurence Dumont (PS) et 30 voix pour Caroline Fiat (FI), avec 24 blancs ou nuls (567 députés ont voté sur 577 : entre autres, les députés nommés ministres n’ont pas voté et leurs suppléants doivent attendre un mois avant de siéger). Il fallait une majorité de 272 pour être élu, qu’il a largement dépassée.
François de Rugy avait été désigné le matin même lors de la réunion du groupe ultra-majoritaire LREM, là aussi dès le premier tour, avec 153 voix sur 301 votants, face aux 59 voix pour Sophie Ferrante (ex-PS), 54 voix pour Brigitte Bourguignon (ex-PS ex-hamoniste) et 32 voix pour Philippe Folliot (ex-UDI).
La première remarque, c’est que la parité et l’attention portée aux femmes ne sont valables que pour les postes subalternes : aucune femme à Matignon, pas même de Ministre d’État (deux hommes ; le premier gouvernement, trois hommes), aucune femme présidente de groupe (cela ne dépend évidemment pas que d’Emmanuel Macron) et enfin, aucune femme au perchoir. C’était l’occasion historique pour réaliser cette première fois (après l’occasion manquée de juin 2012, avec l’échec électoral de Ségolène Royal, le refus de Marylise Lebranchu, qui préférait redevenir ministre, et le rejet d’Élisabeth Guigou). Il y avait pourtant des femmes compétentes et expérimentées, au moins trois : Brigitte Bourguignon, Laure de La Raudière et Sophie Ferrante (on conçoit qu’une telle femme devait provenir du groupe LREM).
La deuxième remarque provient de la conférence de presse de Richard Ferrand, le président du groupe LREM, en milieu de journée du 27 juin 2017, entre la primaire LREM et l’élection officielle au perchoir, en assurant que François de Rugy ne serait élu que pour trente mois. C’est une affirmation anticonstitutionnelle et personne, aucun député, n’a le droit de faire pression sur un Président de l’Assemblée Nationale élu régulièrement pour la durée de la législature et pas la moitié de la durée. Pour les autres responsabilités (commissions, bureau), c’est différent puisque c’est régulièrement renouvelé à chaque nouvelle session.
Il est vrai que la préoccupation démocratique n’a pas dû dominer non plus l’élection de ce même Richard Ferrand à la présidence du groupe LREM le 24 juin 2017 car il a été élu "par acclamation" (à main levée), par 306 des 308 membres (deux abstentionnistes). Or, la désignation des personnes devrait toujours se faire par vote secret pour éviter toute pression personnelle (ce qui explique que la procédure du vote au perchoir demande plus d’une heure).
La troisième remarque, c’est que le changement des usages attendra dans les actes. Si c’est cela, le renouvellement en marche, alors il y a probablement tromperie sur les actes. Car François de Rugy est l’exemple type du responsable politique de l’ancien monde, celui qui n’a jamais vécu que par et pour la politique, un professionnel habile qui a réussi un coup de maître en se hissant au perchoir alors qu’il ne représentait que 3,8% des électeurs de la primaire socialiste de janvier 2017.
Comme son prédécesseur Claude Bartolone, François de Rugy a toujours été un apparatchik de la politique. Il a été nommé secrétaire général du groupe des radicaux de gauche à l’Assemblée Nationale en 1997, après son échec aux législatives dans la circonscription de Jean-Marc Ayrault. C’est là qu’il a rencontré Jean-Vincent Placé qui était l’attaché parlementaire de Michel Crépeau, le président de ce groupe. En 2007, il fut l'un des rares candidats écologistes à avoir reçu le soutien du PS, d'où son élection à Nantes.
François de Rugy n’a d’ailleurs pas hésité à retourner sa veste quand c’était nécessaire pour aider ses ambitions : d’abord inscrit à Génération Écologie, il a longtemps été membre des Verts puis d’Europe Écologie (EELV), a même coprésidé le premier groupe écologiste à l’Assemblée Nationale, puis en 2015, a finalement rejoint le groupe socialiste en espérant faire partie des nouveaux ministres (ce furent Barbara Pompili et Jean-Vincent Placé), après la première déception de ne pas avoir été nommé ministre en 2012 par Jean-Marc Ayrault, dont il avait été l’adjoint à la mairie de Nantes (entre 2001 et 2008).
Son départ d’Europe Écologie en 2016 a même été consommé par sa candidature à la primaire socialiste de janvier 2017 (il n’a obtenu que 3,8%, je le répète !), mais a encore effectué un nouveau retournement de veste : avant Manuel Valls, il a rejoint finalement la candidature du futur Président Emmanuel Macron (reniant son engagement de soutenir le candidat officiel du PS) et s’est fait réélire député à Nantes le 18 juin 2017 sous l’étiquette En Marche.
De tous les candidats ou candidats à la candidature au perchoir en 2017, il faut bien reconnaître que François de Rugy a été le seul à faire vraiment campagne, bien avant le 18 juin 2017, également au cours de la campagne des élections législatives, aidant parfois des candidats à se faire élire ou réélire (comme le jeune neurologue Olivier Véran à Grenoble, suppléant de l’ancienne ministre Geneviève Fioraso).
De plus, il est indéniable qu’il a acquis l’expérience nécessaire pour comprendre les us et coutumes du Palais-Bourbon, élu député depuis juin 2007 (c’est son troisième mandat, en 2007, il était parmi les benjamins de l’Assemblée Nationale, à 33 ans), président de groupe politique de 2012 à 2015 (coprésident en alternance avec Barbara Pompili) puis vice-président de l’Assemblée Nationale de mai 2016 à février 2017 (succédant à Denis Baupin, démissionnaire après une affaire de harcèlement).
Les idées qu’il a développées lors de son premier discours, lu laborieusement comme à son habitude, aussi scolaire qu’un collégien sans assurance, montrent une vision déjà réfléchie de la modernisation de l’institution parlementaire qu’il entend engager pour les années à venir, notamment en ce qui concerne les privilèges des députés (retraite, chômage, notes de frais, etc.), l’ouverture vers le monde réel (il proposera des "conférences parlementaires de territoires" organisées par les préfets et voudra utiliser le numérique pour faire plus participer les citoyens) et les moyens supplémentaires pour contrôler l’exécutif (notamment l’accès à tous les documents administratifs). Ces idées, qui sont dans l’air du temps, méritent d’être consensuelles dans l’opinion publique, mais peut-être pas chez les parlementaires…
Dans son allocution à l'issue de la proclamation de son élection, François de Rugy, au-delà du programme de modernisation des pratiques parlementaires, a évoqué notamment trois sujets importants.
La forte abstention aux élections législatives : « Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, nous avons été collectivement choisis par une minorité de Françaises et de Français. Cela n’entame en rien notre légitimité, votre légitimité à agir et à légiférer, car nul ne peut prétendre représenter ou porter la voix de celles et ceux qui n’ont pas participé aux dernières élections législatives. Mais cela vous confère, nous confère, une responsabilité particulière, celle de reconquérir une confiance que des décennies de crises économique et sociale et de crise de la représentation démocratique ont érodée. ».
Le besoin de ne plus se comporter comme des enfants dans une cour de récréation (surtout devant les caméras) : « Pour être plus démocratique, l’Assemblée devra être en premier lieu une enceinte dans laquelle on ne se contente pas de parler, mais où l’on apprend à s’écouter. Cet hémicycle ne doit pas être un lieu de provocations et d’anathèmes, ni un théâtre d’excès et de caricatures. Il faut de la sérénité, de la bienveillance, un esprit constructif et du respect dans les débats. L’Assemblée ne sera respectée que si elle est respectable dans ses comportements. ».
Le drapeau européen accroché à côté du drapeau national dans l'hémicycle : « En ce moment si particulier dans une vie publique, j’ai aussi une pensée pour les miens, pour les valeurs que m’ont transmises mes parents et mes grands-parents. Directement victimes de la Seconde Guerre mondiale, ils m’ont transmis un engagement européen profond qui me rend fier de siéger, face à vous, devant ce drapeau européen. Le Président Accoyer avait eu la judicieuse idée d’installer ce symbole d’une paix durable dans notre hémicycle : il y a toute sa place, aux côtés de nos couleurs nationales. ».
Politiquement, si l’on peut parler de pragmatisme très élastique (il était contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes mais a soutenu le respect de la décision des électeurs de la consultation locale du 26 juin 2016), il fait partie de ces libéraux-libertaires jusqu’à la caricature : partisan de la légalisation du cannabis, de la PMA pour tous (le Comité d’éthique lui a donné raison le jour même de son élection au perchoir), de la GPA pour tous (on retrouve la philosophie de Pierre Bergé pour qui un bras ou un utérus sont la même chose, ouvriers et mères porteuses, même combat), mais ce libertarisme n’est pas sans contradiction car il a quand même voté la loi sur le renseignement qui réduit considérablement les libertés individuelles.
Assis, à cause du hasard de l’ordre alphabétique, à côté de François Ruffin, François de Rugy n’est donc pas un "usurpateur" dans cette fonction très élevée de la République. Il est au contraire dans la tradition de cette institution qui demande de l’expérience politique et un certain talent à la manœuvre politicienne. Il n’y aura donc pas de changement d’usages comme le préconisait Emmanuel Macron dont il était le candidat (dit-on).
Dans cette tradition républicaine, presque théorisée par son lointain prédécesseur Jean-Louis Debré, le Président de l’Assemblée Nationale est le représentant de tous les députés et pas seulement des députés de la majorité, et à ce titre, son devoir est de préserver les droits de l’opposition. C’est pourquoi il était très mal venu de la part des deux populistes colériques de service, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, ce dernier assis à côté de la nouvelle députée FN Emmanuelle Ménard (femme du maire de Béziers), de ne pas se lever ni applaudir l’élection de "leur" nouveau Président. En ce sens, ils rompent la continuité républicaine, mais c’était finalement très prévisible…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 juin 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François de Rugy.
Allocution de François de Rugy lors de son élection au perchoir (27 juin 2017).
Premier tour de la primaire socialiste du 22 janvier 2017.
Troisième débat de la primaire socialiste du 19 janvier 2017.
Deuxième débat de la primaire socialiste du 15 janvier 2017.
Premier débat de la primaire socialiste du 12 janvier 2017.
Programme de François de Rugy (à télécharger).
La primaire EELV de 2016 (premier tour).
Jean-Louis Debré.
François Bayrou sycophanté.
Édouard Macron II : bientôt la fin de l’indétermination quantique.
Composition du second gouvernement d’Édouard Philippe (21 juin 2017).
Les Langoliers.
Résultats officiels du second tour des élections législatives du 18 juin 2017.
Forza Francia.
Résultats officiels du premier tour des élections législatives du 11 juin 2017.
La Ve République.
La campagne des élections législatives de juin 2017.
Liste des 7 882 candidats aux élections législatives du 11 juin 2017 (à télécharger).
Liste des 511 candidats investis par La République En Marche le 15 mai 2017 (document).
Programme LR-UDI pour les législatives présenté le 10 mai 2017 (à télécharger).
Loi de moralisation de la vie politique (1er juin 2017).
Emmanuel Macron et la fierté nouvelle d’être Français ?
Richard Ferrand, comme les autres ?
Édouard Macron : d’abord l’Europe !
Composition du premier gouvernement d’Édouard Philippe (17 mai 2017).
Édouard Philippe, nouveau Premier Ministre.
L’investiture d’Emmanuel Macron (14 mai 2017).
Programme 2017 d’Emmanuel Macron (à télécharger).
Le Président Macron a-t-il été mal élu ?
Qui sera nommé Premier Ministre en mai et juin 2017 ?
L’élection d’Emmanuel Macron le 7 mai 2017.
Macronités.
Ensemble pour sauver la République.
Débat du second tour du 3 mai 2017.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170627-francois-de-rugy.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-de-rugy-et-le-baton-de-194554
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/06/28/35422454.html