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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
6 juillet 2017

Simone Veil entre dans la légende nationale

« C’est la France et l’Europe tout entière qui sont là témoignant de vos combats. Et au moment où vous nous quittez, je vous prie, Madame, de recevoir l’immense remerciement du peuple français à l’un de ses enfants tant aimés, dont l’exemple, lui, ne nous quittera pas. C’est pourquoi j’ai décidé, en accord avec la famille, que Simone Veil reposerait avec son époux au Panthéon. » (Emmanuel Macron, le 5 juillet 2017 aux Invalides, à Paris).


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Pierre-François Veil, le troisième fils de Simone Veil, a raconté avec émotion que le dernier mot de sa mère avant de mourir fut "merci" (« prononcé faiblement mais si distinctement, avant de retrouver papa pour toujours »). C’était bien normal qu’en réponse, les Français, par la voix de son premier représentant, l’ait remerciée à leur tour, pour avoir consacré sa vie à faire progresser la paix après tant de douleurs.

Après un début de polémique sur la panthéonisation, le Président Emmanuel Macron a su trouver le moyen d’apaiser tout le monde : il était hors de question de séparer dans la mort les époux Antoine et Simone Veil, tant ils étaient unis pendant soixante-sept ans. Antoine Veil a rencontré Simone Jacob en octobre 1945, juste après la guerre, ils se sont mariés quelques mois plus tard et jamais l’un ne pouvait "fonctionner" sans l’autre.

Le politique, l’intellectuel même, c’était Antoine Veil. Devant sa femme, ce qu’elle a fait, ce qu’elle est devenue aux yeux des Français, il avait à la fois de l’admiration mais aussi, sans doute, une petite amertume pour ne pas dire un peu de jalousie (le mot est sans doute trop fort), car c’était lui qui s’imaginait faire de la politique, c’était lui qui s’imaginait ministre après avoir côtoyé quelques cabinets. Il s’est effacé dès lors que Simone Veil avait été choisie ministre par Valéry Giscard d’Estaing.

Initiateur du Club Vauban qui est un réseau de centre gauche pour permettre le dialogue politique malgré le clivage gauche/droite (qui faisait "cohabiter" Bernard Stasi, Michel Rocard, etc.), Antoine Veil aurait pu être l’inspirateur d’Emmanuel Macron dans sa volonté de rassembler les Français et de droite et de gauche.

C’est donc sans doute juste qu’il soit, lui aussi, honoré au Panthéon, et pas seulement comme "mari de". D’ailleurs, quand les journalistes lui disaient : vous êtes le mari de Simone Veil, il rectifiait immédiatement : non, elle est la femme d’Antoine Veil. Il sera quand même le premier homme à entrer au Panthéon parce qu’il est le mari de sa femme.

Rappelons-nous qui était la première femme à être entrée au Panthéon : Sophie Berthelot, qui n’a pas laissé un souvenir impérissable pour la simple raison qu’elle était la femme du fameux chimiste Marcellin Berthelot et comme ils sont morts à quelques minutes d’intervalle le 18 mars 1907, et que Sophie Berthelot avait assisté son mari au cours de ses nombreux travaux de recherche, la République l’a donc aussi honorée « en hommage à sa vertu conjugale ».

Aristide Briand l’a ainsi saluée : « Madame Berthelot avait toutes les qualités rares qui permettent à une femme belle, gracieuse, douce, aimable et cultivée d’être associée aux préoccupations, aux rêves et aux travaux d’un homme de génie. Elle vécut avec Berthelot dans une communauté de sentiments et de pensées qui les groupa en un couple parfait où n’auraient tressailli qu’un même cœur et brillé qu’un seul esprit. ». Une parole qui pourrait aussi caractériser les époux Veil, même si la République a su être, bien plus tard, un peu moins "machiste" (la femme est belle, l’homme travaille) en honorant trois autres femmes, Marie Curie, accompagnée elle aussi de son mari Pierre Curie, Geneviève Anthonioz-De Gaulle et Germaine Tillion.

En attendant le Panthéon, la République a rendu un hommage national à Simone Veil ce mercredi 5 juillet 2017 à 10 heures dans la cour d’honneur des Invalides à Paris, en présence de la famille, du Président de la République Emmanuel Macron, du Premier Ministre Édouard Philippe, du Président du Sénat Gérard Larcher, du Président de l’Assemblée Nationale François de Rugy, des membres du gouvernement (dont Gérard Collomb), des anciens Présidents de la République Nicolas Sarkozy et François Hollande, des anciens Premiers Ministres Manuel Valls, Édith Cresson, Dominique de Villepin, Lionel Jospin, Bernard Cazeneuve, François Fillon, Jean-Pierre Raffarin et Alain Juppé, des Premiers Ministres européens Xavier Bettel (Luxembourg), Charles Michel (Belgique), Boïko Borissov (Bulgarie), de la maire de Paris Anne Hidalgo, de la présidente du conseil régional d’Île-de-France Valérie Pécresse, des anciens ministres Dominique Strauss-Kahn, Nathalie Kosciusko-Morizet, Rachida Dati, Ségolène Royal, Marisol Touraine, François Baroin, Robert Badinter, Jean-Louis Borloo, Michèle Alliot-Marie, Renaud Donnadieu de Vavres, Roselyne Bachelot, Arnaud Montebourg, et aussi des académiciens et d'autres personnalités comme Marceline Loridan-Ivens, Alain Delon, etc.

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Deux anciens Présidents de la République pour qui Simone Veil comptait beaucoup, Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, étaient absents en raison de leur santé (ils étaient absents aussi à l’hommage rendu à Helmut Kohl à Strasbourg le 1er juillet 2017). Jacques Chirac fut représenté par sa femme Bernadette et sa fille Claude. Marine Le Pen fut également absente…

Le cercueil recouvert d’un drapeau tricolore et porté par les gardes républicaines est arrivée dans la cour d’honneur à partir du péristyle de la cathédrale Saint-Louis des Invalides au son de la "Marche funèbre" de Chopin. Les deux fils de Simone Veil et le Président de la République ont ensuite prononcé des discours d’hommage, avant l’inhumation aux côtés d’Antoine Veil au cimetière du Montparnasse par le grand-rabbin Haïm Korsia. Bien qu’elle ne fût pas croyante, Simone Veil a voulu que le kaddish fût prononcé à cette occasion.

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Le discours des deux enfants de Simone Veil furent très émouvants et pleins de pudeur.

Jean Veil (69 ans), qui fut l’avocat de Jacques Chirac, de Dominique Strauss-Kahn et de Jérôme Cahuzac, et qui a présidé le club "Le Siècle" de 2014 à 2016, a rappelé ce qui a marqué à vie sa mère, Auschwitz : «  Avant l’âge de 10 ans, je connaissais le nom d’Auschwitz. ». Jean Veil a raconté qu’un jour, enfant, il était rentré de l’école, effondre en pleurs, en demandant à sa mère s’ils étaient des protestants. Il venait d’apprendre le massacre de la Saint-Barthélemy. Elle lui a dit : non, mais… et lui a raconté Auschwitz. Plusieurs fois, le fils lui a demandé pourquoi il n’avait pas de grands-parents et elle lui a répondu toujours avec plus de détails. Elle est d’ailleurs revenue sur les lieux de l’horreur pour montrer l’abominable à ses enfants, leur faire voir.

En reprenant les mots de son père, il a décrit sa mère ainsi : « Maman, ta beauté se doublait d’une extrême réserve de comportement (…). Tes yeux pers dans un visage éclairé reflétaient le vécu d’une tragédie indélébile. ».

Jean Veil a en effet expliqué que cette tragédie faisait qu’elle s’était éloignée de toute familiarité et de toute promiscuité, et son mari Antoine était même agacé quand, se promenant dans la rue, sa femme se faisait aborder par des passants admiratifs qui se permettaient de l’appeler "Simone".

Jean Veil a également rappelé le caractère très orageux de sa mère dont les colères étaient célèbres (comme celles de Philippe Séguin) : « Je te pardonne d’avoir versé sur ma tête l’eau de la carafe alors que nous étions à table, sous prétexte de propos que tu jugeais misogynes. ».

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Pierre-François Veil (63 ans), avocat aussi, a aussi rendu un émouvant hommage à sa mère : « Nous avions fini par te croire vraiment immortelle. Finalement, le temps est venu pour toi aussi de te retirer avec ton calme, ta douceur et ta politesse, presque sur la pointe des pieds. ». Et il a ajouté : « Cet hommage est ton ultime victoire sur les camps. ».

Immortelle, elle l’avait été effectivement par son élection à l’Académie française, qu’elle avait prise avec beaucoup d’humilité le 18 mars 2010 : « N’ayant moi-même aucune prétention littéraire, tout en considérant que la langue française demeure le pilier majeur de notre identité, je demeure surprise et émerveillée que vous m’ayez conviée à partager votre combat. ».

L'académicien Jean d’Ormesson lui avait donné l’explication de cet accueil : « Vous avez des convictions, mais elles ne sont jamais partisanes. Vous les défendez avec force. Mais vous êtes loyale envers vos adversaires, comme vous êtes loyale envers vos amis. Vous êtes un modèle d’indépendance. Plus d’une fois, vous trouvez le courage de vous opposer à ceux qui vous sont proches et de prendre, parce que vous pensez qu’ils n’ont pas toujours tort, le parti de ceux qui sont plus éloignés de vous. C’est aussi pour cette raison que les Français vous aiment. ». Une description très …macronienne de l’engagement politique.

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Revenons à l’hommage aux Invalides. Emmanuel Macron a pris ensuite la parole, lui dont c’était le premier hommage aux Invalides (on se souvient que François Hollande en a fait des dizaines et s’était transformé en une sorte de prêtre ennuyeux officiant pour les enterrements). Emmanuel Macron a eu des mots justes, lui aussi beaucoup de réserve, de subtilité (ne cherchant pas à faire de la récupération politique comme son prédécesseur direct).

Il a rappelé les tragédies qu’a vécues Simone Veil, et pas seulement à Auschwitz : « Jamais nous ne pourrons mesurer les souffrances, si profondes, si violentes, de celles qui brisent une âme, qu’il s’agisse de la noire expérience des camps de la mort où moururent sa mère bien-aimée Yvonne, son père André, son frère Jean : plus tard du décès accidentel de sa sœur Madeleine, compagne de déportation, et de son neveu Luc : de la mort trop précoce de son fils Claude-Nicolas ; enfin, de la disparition d’Antoine, si présent aujourd’hui dans nos pensées, dans notre cœur, Antoine l’indispensable, Antoine toujours bouillonnant d’idées et d’histoires, si gai et au fond si solide. ». Et il faut rajouter aussi sa sœur Denise.

Elle avait la marque de la grandeur : « À ce mystère d’existence, de caractère, à ce mystère qui défie la raison commune et nous inspire tant de respect et de fascination, nous donnons en France un nom, bien ancré dans notre génie national. Ce nom, c’est la grandeur. Cette grandeur est celle des combats qu’elle livra les uns après les autres, parfois les uns en même temps que les autres, car ce ne furent ni plus ni moins que les combats du siècle. ».

Parmi ces combats, l’Europe : « Un de ses proches m’a fait cette confidence : jamais il n’entendit Simone Veil prononcer sur l’Allemagne et les Allemands la moindre parole amère ou blessante. Elle aima l’Europe, elle la défendit toujours. Dans les moments où le pays pouvait douter, ou d’autres la critiquaient, elle était là. Parce qu’elle savait qu’au cœur de ce rêve européen, il y a avant tout ce rêve de paix et de liberté pour lequel elle s’est tant battue. ».

Emmanuel Macron n’a pas oublié la haine qu’elle pouvait (encore) inspirer, notamment des rangs de l’extrême droite : « Le salaire de son courage, ce fut souvent la haine venimeuse des uns, les injures exécrables des autres. De cela, elle fut blessée, mais jamais abattue. Elle tenait tête, car elle savait la solitude des pionniers, le sort cruel qu’on réserve à ceux qui bousculent l’ordre établi et dérangent l’assoupissement général. La victoire était à ce prix, car la victoire, en vérité, n’avait pas de prix. ».

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Et de se poser la question : « Mais d’où lui venait cette force ? (…) Je crois, pour ma part, que le secret s’en trouve dans son expérience si précoce et si radicale de l’arbitraire et du Mal. De cela, elle tira presque aussitôt une morale de vie inaltérable. La souffrance ne donne qu’un droit : celui de défendre le droit de l’autre. Tel était son absolu, né de sa douleur intime ineffaçable : aider, protéger l’autre, en particulier les plus faibles. (…) Elle eut souvent la dent dure avec les plus puissants. Mais elle fut toujours tendre avec les faibles. ».

Emmanuel Macron a aussi insisté sur la permanence de ses combats : « Les combats de Simone Veil ne sont pas des victoires acquises pour toujours, ce qui les a fait naître ressurgit sans cesse, ici ou ailleurs, aujourd’hui malheureusement dans trop d’endroits en Europe et au cœur de nos sociétés. Intolérance, sectarisme, haine fanatique ou doctrinaire, extrémisme avançant sous le masque d’un populisme débonnaire, compromissions de toutes sortes avec ce qui piétine notre humanité restent des braises ardentes prêtes à rallumer les pires embrasements. ».

Et enfin sur son humanité : « La détermination inexorable de Simone Veil à faire prévaloir en tout l’humain, est ici notre cap. Son humanité, du reste, n’était pas réservée à la sphère publique. Elle irriguait son intimité à l’égard de son époux, de ses fils, de ses petits-enfants  et arrière-petits-enfants. ».

La France des territoires n'a pas attendu sa mort pour honorer de son nom des dizaines d'écoles, de collèges, de lycées, d'hôpitaux, de facultés de médecine, de médiathèques, de rues, de boulevards, et même une promotion de l'ENA (2006).

On pourra toujours critiquer la vanité qu’un État a de vouloir absolument gratifier certains de ces citoyens par des honneurs très arbitraires, comme l’est le transfert au Panthéon, surtout décidé si rapidement, cette autre forme de béatification (honneurs aux Invalides) et de canonisation (panthéonisation). Mais s’il devait y avoir une personnalité contemporaine à honorer en France, ce serait bien elle. Merci à elle et à sa vigueur d’avoir su contribuer à maintenir ou à replacer la République français dans sa transcendance historique et philosophique.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 juillet 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Simone Veil, un destin français.
L’hommage de la République à Simone Veil.
Discours d’Emmanuel Macron en hommage à Simone Veil le 5 juillet 2017 aux Invalides (texte intégral).
Discours de Jean Veil et Pierre-François en hommage à leur mère Simone Veil le 5 juillet 2017 aux Invalides (texte intégral).
Simone Veil, une Européenne inclassable.
Simone Veil académicienne.
Discours de réception de Simone Veil à l’Académie française (18 mars 2010).
Discrimination : rien à changer.
Rapport du Comité Veil du 19 décembre 2008 (à télécharger).
Antoine Veil.
Bernard Stasi.
Bernard Stasi et Antoine Veil.
Denise Vernay.
Ne pas confondre avec Simone Weil.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170705-simone-veil.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/simone-veil-entre-dans-la-legende-194830

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/07/06/35451538.html



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