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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
9 octobre 2017

Pourquoi encore l’effigie du Che Guevara ?

« Le Che n’a jamais cherché à dissimuler sa cruauté. Bien au contraire. Plus on sollicitait sa compassion, plus il se montrait cruel. Il était complètement dévoué à son utopie. La révolution exigeait qu’il tue, il tuait ; elle demandait qu’il mente, il mentait. » (Père Javier Arzuaga, aumônier de la Cabana en 1959, "L’Express" du 27 septembre 2007, cité par Wikipédia).


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Une question que je me pose souvent quand je vois en ville des tee-shirts, parfois même portés par de mes amis, qui arborent la célèbre image du Che Guevara : comment peut-on encore aujourd’hui le prendre pour modèle ? En 2007, 20 millions de personnes auraient déjà porté un tee-shirt à son effigie. Sans compter les casquettes, posters, cartes postales, mugs, etc. Ce qui signifie que la figure supposée héroïque de la révolution socialiste cubaine reste encore un bon prétexte pour faire des profits salement capitalistes !

Le visage du Che, stylisé par Jim Fitzpatrick, était issu d’une photographie prise par Alberto Korda le 5 mars 1960 lors d’un enterrement. Alberto Korda, photographe officiel de Fidel Castro, s’en est largement expliqué et n’a jamais gagné un seul droit d’auteur sur sa photo : « Je me trouvais à quelque dix-huit mètres de la tribune officielle (…) lorsque je vis le Che s’approcher de la balustrade près de laquelle se tenaient Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. » (interviewé par Mireya Castaneda en 1997).

Ce photographe raconta le 10 juillet 1986 : « Soudain surgit du fond de la tribune, dans un espace vide, le Che. Il avait une expression farouche. Quand il est apparu (…), j’ai eu presque peur en voyant la rage qu’il exprimait. Il était peut-être ému, furieux, je ne sais pas. J’ai appuyé aussitôt sur le déclic presque par réflexe, et j’ai "doublé" la prise mais, comme toujours, c’est la première qui était la meilleure. Il n’est resté que quelques instants et je n’ai pris que ces deux uniques photos. (…) On sent dans son regard une grande colère concentrée, une force extraordinaire dans son expression. » (cité par Pierre Kalfon en 1998). Le cliché ne fut publié et exploité commercialement qu’après la mort du Che Guevara.

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Cela fait maintenant exactement cinquante ans, le 9 octobre 1967, que cet aventurier révolutionnaire est mort, tué par l’armée bolivienne, à l’âge de 39 ans (il est né le 14 juin 1928 en Argentine). Et son icône a résisté à tous les événements, à la chute de l’URSS et plus généralement, à la chute du communisme même à Cuba. Il ne resterait guère que la Corée du Nord qui poursuive, par une sorte de culte de la personnalité complètement insensé, la version dynastique du communisme local et une Chine populaire de plus en plus capitaliste et de moins en moins communiste.

J’ai bien imaginé qu’on pouvait louer son esprit rebelle et révolutionnaire, son courage héroïque, son regard inflexible face à la mort (la sienne mais aussi celle des autres), son intransigeance et son activisme (ce n’est pas un révolutionnaire de salon comme on peut en côtoyer chez pas mal de râleurs de toutes sortes), sa jeunesse aussi (mourir jeune laisse une image impérissable : que serait devenue Lady Diana à 90 ans ?), etc.

De plus, les circonstances de son assassinat ont choqué, ont ému et cette émotion s’est perpétuée au fil des décennies, à la manière des chocs émotionnels du star system (comme pour Elvis Presley, Claude François, etc.). Pire, Guevara est devenu un "martyr". Mot aujourd’hui mangé à toutes les sauces notamment islamiste.

Le symbole a tout de suite été adopté par les révolutionnaires en culottes courtes de mai 1968. Le tee-shirt avec le Che Guevara est devenu une sorte d’étendard et certains continuent à le cultiver encore en 2017, si longtemps après !

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Pourtant, justement, je m’en tiens aux actes. Je ne fais pas un éloge de l’inaction (le monde bougeant, il faut bien bouger un minimum pour le rattraper !), mais parfois, il vaut mieux ne pas agir que massacrer. La vie humaine vaut-elle moins qu’une cause, quelle qu’elle soit ? Je crois que c’est une ligne de partage importante dans la réflexion humaine.

Comme je l’avais écrit il y a cinq ans, et sans penser que cette fièvre terroriste du djihadisme allait se répandre si vite et si terriblement partout dans le monde, certains sont prêts à tuer, parfois en grand nombre, pour leur cause, souvent nourrie par une haine aveugle et amplifiée, peut-être aidée par l’absorption de psychotropes, et la vie humaine, pour eux, n’a tellement pas de valeur qu’ils n’hésitent pas non plus à y laisser la leur dans leurs assassinats abominables.

Pourtant, oui, il y a bien sûr des causes qui méritent qu’on sacrifie sa vie. J’écris "on" car je serais bien prétentieux de mettre la première personne du singulier en réfléchissant à froid. Suis-je capable de me sacrifier pour une cause ? Je ne le sais franchement pas, même si intellectuellement, je le conçois aisément. C’était le dilemme (assez classique) de la résistance à l’oppression : ma liberté, ma paix, ou plutôt, la liberté, la paix (prises dans le sens générique) méritent-elles que je me sacrifie ? que je sacrifie les autres ? C’est le thème central de l’excellente pièce "Les Justes" écrite par Albert Camus. Souvent, la guerre ne permet pas de réfléchir trop loin, trop longtemps, le feu de l’action l’emporte et parfois, emporte la vie avant d’y avoir répondu. L’instinct de survie ou au contraire, l’esprit de sacrifice l’emporte sur la pensée ultime.

Je crois aussi que c’est la différence entre résistance et terrorisme. D’un point de vue purement théorique, les mots recouvrent la même chose selon deux points de vue, celui du vainqueur et celui du vaincu. Désigner une action de rébellion par l’un ou l’autre terme, c’est déjà étiqueter cette action dans un sens moral : c’est bien de se rebeller, ou c’est mal.

Je me garderais bien de juger le militaire ou le fonctionnaire sensé obéir à l’État lorsque celui-ci, qui était une république libre et sociale, se transforma en régime de Vichy ou en IIIe Reich. Le fait est que certains ont refusé d’obéir quand d’autres ont accepté, pleinement en conscience ou simplement par défaut, défaut de vouloir se poser les bonnes questions. C’est peut-être à ce moment-là crucial qu’on peut comprendre la colonne vertébrale ou plutôt, les fondamentaux des êtres humains, qu’est-ce qui est, pour chacun d’eux, l’élément majeur, qui prime sur tout le reste ? Tout le reste dont l’obéissance qui demeure un principe relativement faible face à d’autres principes.

Revenons au Che : sa cause, c’était la révolution communiste partout dans le monde. Il faut évidemment resituer l’époque, les années 1950 et 1960, une époque où même les meilleurs esprits, les esprits les plus fins, les plus subtils, les plus "aimants", comme Jean-Paul Sartre et bien d’autres, se sont fourvoyés eux-mêmes dans cette quête révolutionnaire aliénante. À ma connaissance, à part quelques individus, il n’y a pas eu autant d’intellectuels qui se sont fourvoyés dans le nazisme d’avant-guerre. Même Céline, qui était certes antisémite, mais son nationalisme le rendait méfiant vis-à-vis des nazis.

Il y a une logique intellectuelle dans le massacre. Il fallait anéantir la contre-révolution, et le meilleur moyen, c’était de massacrer les contre-révolutionnaires. Cela pouvait se concevoir intellectuellement et très froidement, mais on oubliait les limites. Les limites de la sémantique : la définition des mots. Qui pouvaient être contre-révolutionnaires ? être définis comme contre-révolutionnaires ? Et c’était ainsi que la paranoïa l’emporta sur la raison. Toute personne pouvant déstabiliser le pouvoir du chef révolutionnaire était nécessairement un contre-révolutionnaire en puissance. Staline a tellement éliminé, tellement purgé, qu’il exécuta jusqu’à ses médecins au point de mourir mal soigné !

Ernesto Guevara fut décrit par ses compagnons de route comme froid, brutal et autoritaire, « aux mains tachées du sang de nombreux innocents » a affirmé le journaliste Axel Gylden dans "L’Express" du 27 septembre 2007. Par exemple, Luciano Medina a témoigné ainsi : « [Le Che] tuait comme on avale un verre d’eau. Avec lui, c’était vite vu, vite réglé. ». En 1957, un fermier (Juan Perez) a payé de sa vie, assassiné devant sa famille, simplement parce qu’il n’adhérait pas à la révolution : « Les voisins étaient traumatisés, indignés. Et nous, la troupe, nous étions écœurés. Avec trois autres companeros, nous avons ensuite quitté le Che pour rejoindre un autre campement. » (Luciano Medina). Une quinzaine de "traîtres" auraient ainsi été assassinés par Guevara en 1957 et 1958.

Autre témoignage proposé par "L’Express", celui du journaliste Agustin Alles Sobreron, qui a visité le campement de Guevara en mars 1958 : « J’ai été frappé par sa remarquable organisation. Le bivouac possédait son propre four à pain, un petit hôpital et un émetteur de la radio clandestine Radio Rebelde. Tout était beaucoup mieux tenu que chez Fidel (…). Mais j’ai, aussi, vite remarqué que le Che ne comprenait rien à la mentalité des Cubains. Ils sont blagueurs, conviviaux et, soyons francs, un peu bordéliques ; lui était réservé, intériorisé, rigide. Pas vraiment antipathique mais imbu de lui-même et un peu arrogant. En un mot, c’était l’Argentin typique ! ».

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Ce fut après la victoire de la révolution (dont il fut l’un des principaux acteurs) que Guevara révéla sa réalité humaine. Nommé procureur suprême de tribunal révolutionnaire de la Cabana (forteresse à La Havane), il ne faisait pas de quartier et envoya au peloton d’exécution 164 personnes entre le 3 janvier 1959 et le 26 novembre 1959, selon Armando Lago (chercheur cubain), qui a établi que Guevara a été responsable de 216 meurtres au total, deuxième "plus grand meurtrier de l’histoire de la révolution cubaine" après Raul Castro (l’actuel Président) qui serait à l’origine, lui, de 551 exécutions. Quant à son frère Fidel Castro, il ne se serait pas sali les mains personnellement…

Certaines des personnes exécutées étaient des proches du dictateur renversé le 1er janvier 1959 (Fulgencio Batista), et d’autres étaient innocentes, envoyées à la mort à l’issue de procès expéditifs. Un des amis de Guevara, compagnon de route historique de Fidel Castro, et qui s’est éloigné de lui après ce qu’il avait vu à la Cabana (« Tout le monde savait ce qui se passait là-bas. »), Huber Matos (il fut condamné à vingt ans de prison) en a fini par conclure plein d’amertume : « Je crois qu’en définitive, cela lui plaisait de tuer des gens. ».

On ne peut pas nier la sincérité idéologique du Che Guevara : issu d’un milieu très favorisé, il aurait pu vivre une vie bourgeoise sans manque matériel. Il était sincèrement révolté par l’oppression des populations, la pauvreté, la misère, la famine, l’exploitation, la répression, mais sa volonté d’agir était aussi polluée par un véritable antiaméricanisme et anticapitalisme qui se fondaient dans l’anti-impérialisme plus généralement.

Sa première rencontre avec Fidel Castro le 8 juillet 1955 à Mexico fut évidemment déterminante. Ce fut un coup de foudre intellectuel. Ils discutèrent pendant toute la nuit : « Il est vrai que, depuis la dernière expérience vécue au cours de mes voyages à travers l’Amérique latine, et finalement au Guatemala, il ne fallait pas beaucoup pour m’inciter à entrer dans n’importe quelle révolution contre un tyran. Fidel m’a impressionné. Je fus gagné par son optimisme. Il fallait passer à l’action, combattre et concrétiser. ».

Cet esprit révolutionnaire ne l’avait d’ailleurs pas conduit à l’allégeance vis-à-vis de l’Union Soviétique poststalinienne qui appréciait assez peu son activisme incontrôlable. Au contraire, regrettant la fin du stalinisme, le Che Guevara aurait dénoncé "la bureaucratie du socialisme réel" comme l’a expliqué le journaliste José Fort dans "L’Humanité" du 1er décembre 2016 qui a rappelé que le Che s’était vite convaincu qu’il fallait internationaliser la révolution car un pays seul (surtout une petite île comme Cuba) ne pouvait être isolé de l’extérieur, et donc, il fallait globaliser la lutte révolutionnaire. Cuba était une première brèche dans le continent américain. Cela a expliqué qu’après la révolution cubaine, le Che soit allé au Congo venger Patrice Lumumba, puis en Bolivie qui était un pays central en Amérique centrale. Mauvais choix puisqu’il y a péri.

Ernesto Guevara était à n’en pas douter un homme exceptionnel, surtout dans son caractère incorruptible, dans son idéalisme totalitaire, le mot "totalitaire" dit bien ce qu’il veut dire, une sorte d’intégrisme psychorigide, de fondamentalisme marxiste et communiste, un idéalisme tout entier focalisé, polarisé (clivé entre les gentils et les méchants), sans s’occuper de rien d’autre, ni des réalités sociales, ni des réalités humaines, ni des émotions, ni même de ses propres intérêts politiques et personnels. Ce désintéressement aussi a nourri sa légende posthume.

En ce sens, même s’il fut un ministre cubain (Fidel Castro ne lui a jamais vraiment donné de responsabilités politiques très importantes après la révolution cubaine), il n’a jamais été un homme d’État et n’aurait jamais pu l’être même si sa vie s’était prolongée. Il disait ainsi à Nasser en 1965 : « Le moment décisif dans la vie de chaque homme est quand il doit décider d’affronter la mort. S’il la confronte, il sera un héros, qu’il réussisse ou pas. Cela peut être un bien ou un mal politique, mais s’i ne se décide pas à l’affronter, jamais il ne cessera d’être seulement un politicien. » (paroles citées par Pacho O’Donnell en 2003 et que j’avais proposées déjà en 2012).

C’est probablement pour cette raison que Jean-Luc Mélenchon, ancien apparatchik du parti socialiste, parlementaire élu sans mérite personnel au scrutin proportionnel de 1983 à 2017 (au Sénat et au Parlement Européen, instance dont il ne rejetait pas le drapeau européen), ne sera jamais le révolutionnaire héroïque dans le rôle duquel ses laudateurs patentés voudraient l’imaginer, au point de trouver sur le Web certaines affiches oscillant entre idolâtrie et nostalgie…

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Je reviens à ma question initiale : comment peut-on prendre pour exemple un homme, certes exceptionnel et courageux (personne ne le nie), mais qui a tant de sang sur les mains ? La mort de centaines d’innocents ne serait-elle pour ces admirateurs qu’un dommage collatéral, regrettable mais nécessaire, pour faire la révolution communiste ? Quand on sait ce que signifie communisme depuis si longtemps ?

En fait, ceux qui pensent que la vie humaine ne vaut pas grand chose (la leur et celle des autres) sont tout sauf des humanistes, ce sont les mêmes qui refusent la liberté à ceux avec lesquels ils ne sont pas d’accord. Guevara l’a même expliqué à un passant qui l’avait interpellé dans la rue parce qu’un de ses amis avait été exécuté : « Écoute, les révolutions sont moches mais nécessaires, et une partie du processus révolutionnaire est l’injustice au service de la future justice. » (cité par le journaliste Jon Lee Anderson en 1997). La fin justifie les moyens. Alors que justement, tout est dans les moyens.

Ce besoin irrépressible de tuer…
Avant-hier, Robespierre et sa clique.
Hier, Lénine, Staline, Hitler et Mao.
Et aujourd’hui, les terroristes islamistes ?…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 octobre 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Che Guevara.
La belle "démocratie" de Fidel Castro.
Hugo Chavez.
Le jihadisme, nouvelle resucée du guevarisme dans l’impérieux besoin de tuer ?
Staline.
Mao Tsé Toung.
Saint-Just.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171009-che-guevara.html

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/pourquoi-encore-l-effigie-du-che-197506

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/10/09/35747367.html




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