Paul Vaillant-Couturier, figure de proue du parti communiste français
« Aujourd’hui, l’Europe épuisée réclame la paix, le monde aspire au travail et au retour à la vie internationale. Entre l’avenir paisible et nous, se dresse la paix de Versailles. » (Paul Vaillant-Couturier, le 5 juillet 1922 au Palais-Bourbon, à Paris).
Un grand nombre de rues et d’avenues, même une station de métro parisien (sur la ligne 7 à Villejuif), ont été baptisées juste avant ou juste après la Seconde Guerre mondiale en hommage à un député communiste mort prématurément. Paul Vaillant-Couturier est mort il y a exactement quatre-vingts ans, le 10 octobre 1937 à Paris, à l’âge de 45 ans, d’un arrêt cardiaque. Il fut parmi ceux qui, après la Première Guerre mondiale, furent des enfants précoces de la politique, atteignant les marches du Palais-Bourbon avant l’âge de 30 ans.
Né le 8 janvier 1892 à Paris (dans le seizième arrondissement), Paul Vaillant-Couturier fut d’abord baigné dans une atmosphère artistique : sa mère Marguerite Vaillant (1855-1930) était une soprano d’opéra-comique, elle-même cousine du peintre portraitiste et graveur Albert Besnard (1849-1934), directeur de l’Académie de France à Rome, lui-même fils d’un peintre élève d’Ingres ; son père Felix Couturier fut un baryton. Après des études au lycée Janson-de-Sailly, Paul Vaillant-Couturier fit des études d’histoire puis un doctorat de droit qui lui a permis, en 1912, de s’inscrire au barreau de Paris comme avocat à la cour d’appel, mais il ne plaida pas souvent, préférant utiliser ses talents pour l’écriture et le journalisme.
En effet, dès 1913, il publia un recueil de poèmes ("La Visite du berger") et comme Léon Blum, ses ambitions initiales étaient plus littéraires que politiques. Il rédigea des pièces de théâtre, un opéra, de nombreux essais, en tout, plus d’une trentaine d’ouvrages en vingt-cinq ans. À la fin des années 1920, il réalisa aussi quelques dizaines de peintures, des aquarelles.
La Première Guerre mondiale a déterminé ses options politiques. Il avait 22 ans au début de la guerre (à peu près la même génération que le Général De Gaulle) et fut mobilisé jusqu’en octobre 1918. Il a été récompensé pour quelques faits d’arme, fut blessé deux fois, dont une fois par le gaz. En 1916, il fut volontaire pour servir dans les chars d’assaut. Il est revenu bouleversé de la guerre et fut alors un ardent défenseuir du pacifisme et aussi du socialisme.
Pendant la guerre, il écrivit notamment :
« Combien faudra-t-il de trains rouges,
Comment il en faudra de nombreux encore
Pour guérir tout le mal sonore
Fait par les clairons des trains tricolores ? ».
Au milieu de la guerre, en décembre 1916, il adhéra à la SFIO et fut proche d’Henri Barbusse (1873-1935) et d’Henri Béraud (1885-1958). Encore mobilisé, il fut arrêté à cause de ses activités pacifistes et anarchistes quelques jours avant la fin de la guerre, le 2 novembre 1918. De 1917 à 1934, il collabora dans plusieurs journaux dont "Clarté", "Le Canard enchaîné", "La Vérité", "L’Œuvre", "Le Journal du peuple", "L’Internationale", "Le Populaire de Paris", dirigé par le dirigeant socialiste Jean Longuet (1876-1938), petit-fils de Karl Marx, et enfin, "L’Humanité" à partir de 1920.
Le 16 novembre 1919, Paul Vaillant-Couturier fut élu député de Paris, à l’âge de 27 ans, avec 59 967 voix sur 187 445 suffrages exprimés (avec un mode de scrutin particulièrement compliqué organisé par la loi du 12 juillet 1919). Il s’était présenté sur la liste de la SFIO avec notamment Marcel Sembat (1862-1922) et Marcel Cachin (1869-1958), directeur de "L’Humanité".
Au fameux congrès de la SFIO à Tours du 20 au 25 décembre 1920 qui vit la séparation des socialistes et des communistes, il est intervenu en séance plénière et a rejoint l’aile majoritaire pour fonder le parti communiste français (d’abord SFIC puis PCF). Cofondateur et parlementaire, il fut membre du comité central de ce nouveau parti jusqu’à sa mort, mais fut marginalisé par la direction entre 1924 et 1930 car il était trop anarchiste et pas assez communiste. Populaire, il fut élu à cinq reprises au comité central du PCF par les militants communistes, autant de fois que le furent certains autres dirigeants communistes, Gabriel Péri (1902-1941), Pierre Sémard (1887-1942) et Maurice Thorez (1900-1964).
À la Chambre des députés où son éloquence fut reconnue et redoutée, et qui lui apporta notoriété et popularité, il fut membre de la commission des armées et de la commission de la marine militaire. Il se préoccupa de nombreuses fois de la condition des anciens combattants et des militaires, et prôna une politique pacifiste. Ses interventions dans l’hémicycle furent souvent "musclées" au point de créer parfois des incidents et même d’être interdit de parole une fois (en 1923).
Dans l’hémicycle le 5 juillet 1922, il interpella notamment le deuxième gouvernement de Raymond Poincaré (formé le 15 janvier 1922). Il a d’abord rappelé prudemment la responsabilité de l’Empire allemand dans la Première Guerre mondiale : « Nous connaissons les pesantes responsabilités du Reich. Nous n’ignorons pas quels étaient ses besoins d’expansion, ses plans de conquête et l’idéologie criminelle des théoriciens du pangermanisme. (…) S’il ne dépendait pas que de nous de hâter le châtiment de tous les coupables, on n’assisterait pas à ce scandale de voir l’un des plus éminents responsables de la guerre, Guillaume II, se prélasser en famille dans sa résidence de Doom. ».
Il a ensuite voulu pointer du doigt la responsabilité de la France : « Croyez-vous que le souci d’épargner la politique nationale doive imposer le silence à la conscience ? (…) Un traité de paix, c’est l’expression légale du triomphe de la violence. (…) La France, dans son immense majorité, ne voulait pas moins la paix en juillet 1914, quand, déjà, les conflits coloniaux et nationaux, le jeu des alliances secrètes et des engagements verbaux semblaient, dans le monde hérissé de baïonnettes et de canons, rendre la guerre comme inévitable. À ce moment même, pourtant, il existait un parti de la guerre en France, un parti velléitaire, qui ne s’avouait, souvent, qu’à demi, avec des capitalistes, des métallurgistes sans imagination, mais en quête d’écouler leurs stocks ; un parti de diplomates faibles et bornés, et de militaires qui faisaient leur métier, en voulant se battre, d’aristocrates en quête d’un coup d’État, cela existe encore, de jeunes gens écœurés et fatigués par une politique sans grandeur. ».
Et les accusations ad nominem clairement exprimées : « Nous accusons M. Poincaré [qui était alors Président de la République] d’avoir fait la politique russe, de s’être prêté à la propagande tsariste (…), cette propagande qui avait forgé une opinion publique en France favorable à l’intervention à propos des Balkans. Nous l’accusons d’avoir été l’homme sur lequel se cristallisent les désirs de revanche de la partie la plus turbulente de nos nationalistes. Nous l’accusons d’avoir été ce que Jaurès espérait qu’il ne serait pas : le Président de la réaction ou de la guerre. (…) Nous l’accusons d’avoir lancé la France dans une guerre que la mobilisation russe provoquait. (…) Pour nous, M. Poincaré représente tout ce que le nationalisme a pu produire de funeste avant, pendant et après la guerre. Aujourd’hui, sa politique nous conduit à l’isolement, à la faillite, à des guerres nouvelles. » (5 juillet 1922).
N’hésitant pas à faire dans la mauvaise foi et l’attaque franche et sans subtilité, Paul Vaillant-Couturier fut considéré comme la bête noire de Raymond Poincaré dans les joutes parlementaires de cette époque.
Dans l’élan du Cartel des gauches, Paul Vaillant-Couturier fut réélu le 11 mai 1924 dans la 4e circonscription de la Seine, sur la liste du parti communiste, arrivée en tête avec 107 948 voix sur 334 517 suffrages exprimés. Au cours de cette nouvelle législature, il continua à s’intéresser aux questions militaires (souvent la condition des militaires) et sur les questions budgétaires.
Le 31 mai 1928, il quitta le Palais-Bourbon car il fut battu au second tour des élections législatives du 29 avril 1928 avec le retour du précédent mode de scrutin d’avant 1919 (le scrutin majoritaire d’arrondissement fut rétabli par la loi du 21 juillet 1927). Il ne reçut que 8 897 voix contre 9 158 voix en faveur du candidat radical Auguste Gratien (1878-1945), qui, après avoir été élu maire de Gentilly le 12 mai 1929, l’a encore battu aux élections législatives suivantes du 8 mai 1932 dans la même circonscription de Sceaux avec 10 625 voix contre 10 287 voix (les résultats ont été toujours très serrés).
À cause des campagnes antimilitaristes qu’il organisait, Paul Vaillant-Couturier fut mis en prison à trois reprises (et condamné cinq fois) et ce fut dans la prison de la Santé qu’il apprit son élection comme maire de Villejuif le 12 mai 1929. Il fut réélu à la mairie le 12 mai 1935 pour un second mandat de six ans. Il fut également élu conseiller général de Villejuif le 14 octobre 1934, en battant son rival radical Auguste Gratien (conseiller général sortant). En guise de symbole du communisme triomphant, à Villejuif le 10 juillet 1933, il fit inaugurer "son" école Karl-Marx (qu’il fit construire) en présence de Maurice Thorez et Marcel Cachin, école qui fut classée monument historique en 1996 (« l'école où l'enfant est roi »).
Paul Vaillant-Couturier s’illustra plus particulièrement comme rédacteur en chef du journal communiste "L’Humanité" (fondé par Jean Jaurès) de septembre 1923 à janvier 1924 et de mai 1934 à sa mort. Son action lui a permis de faire progresser le tirage de 155 000 à 250 000 exemplaires en deux ans. Le journal est devenu le premier journal du Front populaire en 1936. Pour réaliser des reportages très laudateurs sur les pays communistes, il fit de nombreux voyages en URSS, en Chine et aussi en Espagne où il a apporté son soutien aux forces républicaines dans la guerre civile. Aux côtés de Romain Rolland (1866-1944) et André Gide (1869-1951), il fonda "l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires" ainsi que d’autres mouvements révolutionnaires ou pacifistes dans le domaine culturel.
Après une absence de huit ans (deux législatures), il retrouva enfin son siège à la Chambre des députés dans la vague du Front populaire, dès le premier tour des élections législatives du 26 avril 1936, sur son propre nom cette fois-ci (en 1919 et 1924, il avait été élu dans un scrutin de liste), avec 14 180 voix sur 24 066 suffrages exprimés. Son concurrent radical, le député sortant Auguste Gratien fut balayé avec seulement 2 647 voix. Paul Vaillant-Couturier fut alors élu vice-président de la commission de l’aéronautique et membre de la commission de l’enseignement et des beaux-arts, et fut désigné le 16 juillet 1936 membre du conseil national de l’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions. Paul Vaillant-Couturier fit beaucoup pour influencer les milieux intellectuels et culturels en faveur du Front populaire.
Dans les dernières années de sa vie, redevenu parlementaire, il se focalisa sur certains sujets comme la liberté de la presse et son indépendance, l’enseignement primaire obligatoire, l’absence de politique du gouvernement sur la guerre civile en Espagne, la renaissance des ligues d’extrême droite qui avaient été dissoutes après les émeutes du 6 février 1934, l’organisation de l’exposition universelle de 1937, etc.
La mort brutale de Paul Vaillant-Couturier provoqua une grande émotion chez de nombreux communistes et des dizaines de milliers de personnes ont alors assisté à son enterrement au Père-Lachaise, près de la tombe d’Henri Barbusse et du Mur des Fédérés. Sa seconde femme Marie-Claude (1912-1996), nièce de Jean de Brunhoff, reprit le flambeau communiste. Elle fut journaliste dans "L’Humanité", puis résistante et déportée aux camps d’Auschwitz-Birkenau puis de Ravensbrück. Après la guerre, elle fut élue députée communiste du 21 octobre 1945 au 8 décembre 1958 et du 5 mai 1963 au 1er avril 1973 (son élection du 25 novembre 1962 fut annulée par le Conseil Constitutionnel le 5 février 1963 mais elle fut finalement réélue).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 octobre 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
"Dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940" de Jean Jolly.
Quelques vidéos muettes de Paul Vaillant-Couturier en 1920.
Paul Vaillant-Couturier.
Karl Marx.
La Révolution russe de 1917.
Jacques Duclos.
Staline.
Georges Marchais.
Front populaire.
Jean Jaurès.
Léon Blum.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171010-paul-vaillant-couturier.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/paul-vaillant-couturier-figure-de-197559
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/10/10/35753273.html