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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
28 octobre 2017

La déclinaison non inclusive

« On ne dit pas "un petit directeur", on dit "un chef de rayon". On ne dit pas "un grand directeur", on dit "un chef de diamètre". (…) Le féminin de "directeur" est "la femme du directeur". » (au mot "directeur" du "Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis" de Pierre Desproges, éd. du Seuil, 1985).


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Ah, il est loin le temps où le regretté Pierre Desproges pouvait impunément provoquer les féministes ! Il serait aujourd’hui peut-être mis à l’index, dénoncé pour machisme déplacé, écartelé sur la place publique, démembré par les réseaux sociaux…

La société française adore se jeter, comme les habitants d’un petit village gaulois, dans des bagarres aux enjeux que l’on pourrait croire dérisoires. Pourtant, dans la nouvelle polémique sur l’écriture inclusive, il y a des enjeux essentiels, et le principal est sans doute la survie de la langue française dans un monde globalisé et anglicisé.

Cette polémique n’est pas nouvelle mais elle a été "rafraîchie" par la publication d’un manuel scolaire pour des écoliers de CE2 par les éditions Hatier en septembre 2017 écrit entièrement en écriture inclusive, et devant l’agitation médiatique, l’Académie française a même cru devoir intervenir par un communiqué alarmiste publié le 26 octobre 2017.

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D’abord, de quoi s’agit-il ? J’avais déjà lu quelques textes ainsi écrits (surtout en titre ou très courts) et cela m’avait fortement agacé par leur illisibilité. On ne prend pas plaisir à lire de telles lourdeurs.

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L’écriture inclusive (l’expression me paraît inadéquate) tend à supprimer dans le langage écrit toute forme de… de quoi ? J’allais écrire de "machisme" mais en écrivant "machisme", je me disais que je faisais le "jeu" des promoteurs d’une telle écriture. Alors, écrivons plutôt, l’écriture inclusive tend à éliminer la domination du masculin sur les mots. Oui, je sais, ce n’est pas très satisfaisant non plus. En fait, j’ai du mal à l’exprimer car, avouons-le tout net, je trouve cette idée complètement stupide, d’autant plus stupide qu’elle me paraît inutile. On aurait pu croire qu’on était le premier avril, mais ceux (et celles) qui promeuvent ce type d’écriture sont hélas le plus sérieux du monde.

En clair, il s’agit d’arrêter la suprématie du masculin sur le féminin dans l’expression écrite. Cela oblige alors de rajouter des lourdeurs d’écriture avec un nouveau caractère (le point central) qu’il m’est impossible de proposer ici (je me réduirais donc au simple point sur le sol). Ainsi, au lieu de parler des agriculteurs en général, je devrais écrire, selon ces dictateurs de cette pensée sectaire, des agriculteurs.rices. Comme ça, pas de jaloux, ou plutôt, pas de jalouse ! Sauf que c’est complètement illisible. Et inesthétique (oui, j’aime l’esthétique d’un texte, même si ce n’est pas son élément le plus important). Comment lire un tel mot ? C’est lourd, très lourd.

Heureusement, même s'ils se sont montrés prudents, les deux ministres en charge de la langue française, la Ministre de la Culture Françoise Nyssen et le Ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer ont désapprouvé l'utilisation de l'écriture inclusive.

Le pire est évidemment pédagogique. Cela va créer de nouvelles discriminations intellectuelles (comme avec la nouvelle orthographe). Le principe de l’écriture inclusive est encore admissible pour des personnes qui sont à l’aise avec l’expression française, mais pour ceux qui apprennent, les écoliers d’abord, les étrangers ensuite ? Cela ne peut que perturber leur acquisition de la langue française qui n’est pas des plus faciles : « On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture, visuelle ou à voix haute, et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs. » (Académie française).

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Ce qui est délirant, c’est que ce n’est pas le résultat d’un problème posé et de sa résolution, mais que ce sont les suites d’un véritable délire dogmatique voire sectaire. C’est croire que le genre des mots est assimilable au genre des personnes. Pierre Dac n’aurait jamais osé autant de loufoquerie !

Déjà que je m’agace d’entendre les discours des personnalités politiques (je n’ose plus dire "hommes politiques" !) qui commencent souvent par "Françaises et Français" et qui continuent souvent par "les Françaises zet les Français" ("les Trifouilleuses et les Trifouilleux", etc.), comme si en s’adressant aux seuls Français, on pouvait exclure les Françaises. Comme si les "droits de l’homme" étaient réservés aux seuls "mâles" (les étrangers, d’ailleurs, préfèrent parler des "droits humains", ce qui évite toute contestation sexuée).

Certes, dans certains cas, ces précisions sont nécessaires et heureuses, comme lors des offres d’emploi, domaine où il faut absolument lutter contre toutes les formes de discrimination. Donc souvent, dans les annonces d’offre, on lit, suivie de la fonction, la mention "(h/f)" pour préciser que le recruteur recherche aussi bien un homme qu’une femme (mention juridiquement inutile car il est interdit de ne vouloir recruter que des femmes ou que des hommes, mais sociologiquement heureuse, car cela va mieux en le disant). Nécessairement, si l’on recherche "un agriculteur" (pris dans le sens générique), alors on privilégiera une pseudo-écriture inclusive comme "recherchons agriculteur/trice" pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté.

Dans sa condamnation ferme de l’écriture inclusive, l’Académie française (qui n’est pas opposée aux évolutions de la langue, même quand elles sont douteuses), dans son unanimité, a lancé un véritable cri d’alarme : « Devant cette aberration "inclusive", la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures. Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s’empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d’autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète. » (26 octobre 2017).

On pourrait d’ailleurs imaginer que l’utilisation de cette écriture inclusive aurait peut-être progressé depuis l’éclatement du scandale sexuel du producteur américain Harvey Weinstein le 10 octobre 2017 et que bien des "hommes", qui auraient un peu quelque chose à se reprocher, joueraient le jeu pour se montrer proches et soucieux des femmes… Mais ce ne sont que de vilaines supputations, et les agressions sexuelles voire les viols ne sont en rien comparables à de simples tournures sémantiques qui ne traumatiseront jamais personne dans sa chair ou son âme.

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C’est sûr qu’en apparence, le français ne propose pas un troisième genre, le neutre. En allemand, on peut ainsi l’utiliser à bon escient, en disant par exemple "das Mädchen" au lieu de "die" (sauf au pluriel) car on considère que les "petites filles" ne sont pas encore des femmes, ne sont pas encore "formées", pas vraiment "féminines", même si la pratique tend, en parlant d’elle, à utiliser le pronom "sie" plutôt que "es" (neutre). Du reste, le russe donne aussi cette forme neutre au même mot.

Ce serait intéressant d’imaginer les doctrinaires antisexistes avec l’allemand : ils pourraient s’offusquer que la "petite fille" est neutre et pas féminine, mais ils devraient alors s’offusquer aussi que l’article au pluriel pour tous les genres (en français "les") est "die", soit le même article que celui du féminin singulier ("la"). Idem pour le pronom personne au pluriel, "sie" et le voussoiement ("Sie") qui est le même pronom que le féminin singulier "sie".

En français, d’ailleurs, le masculin ne l’emporte pas systématiquement quand on veut parler des deux sexes de manière générique. Aucun féministe ou aucune féministe (je n’ose indiquer de genre ici) ne serait capable de proposer une solution pour supprimer le féminin systématique lorsqu’on veut parler d’un homme comme d’une personne, comme d’une victime, comme d’une recrue, comme d’une star, comme d’une vedette, comme d’une sentinelle, comme d’une silhouette, comme d’une vigie, comme d’une dupe, comme d’une fripouille, comme d’une estafette, comme d’une b*rne (ou tout autre gros mot du genre p*te), etc. Il doit sûrement y avoir encore d’autres mots féminins pour désigner aussi des hommes.

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On pourrait même imaginer que l’expression des professions au genre indéterminé pourrait se décliner au féminin pour certaines d’entre elles, en disant (pour inclure les hommes et les femmes travaillant ainsi) "les infirmières", "les puéricultrices", etc. reprenant ainsi le contexte socio-culturel actuel ou historique (mais on dira toujours "les professeurs" même si une majorité d’entre eux sont des femmes). Cette idée pourrait cependant conforter au contraire le sexisme dans les professions et ne pas être logique avec le principe du "neutre générique" qui veut que l’indétermination du genre se décline au masculin et pas au féminin.

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C’est d’ailleurs la meilleure "défense" des opposants à cette dogmatique écriture inclusive : le neutre existe en français et se décline comme le masculin. Le meilleur exemple, c’est le pronom impersonnel. Le "on" (qui est singulier et pas pluriel, souvent utilisé à tort au pluriel par confusion avec le pronom "nous"), ou encore le "il" dans "il pleut" ou "il faut", on imagine mal dire "elle pleut" ou "elle faut"…

On n’aurait pas cette confusion mentale entre le genre des mots et le genre des personnes si la grammaire française s’enseignait comme en allemand, en russe, en latin ou en grec ancien, à savoir avec des tableaux de déclinaisons au lieu des appellations très françaises de COD (complément d’objet direct) et COI (complément d’objet indirect), qui font office, en français, d’accusatif et de datif.

Lorsque j’étais en sixième, j’ai mieux compris la grammaire française dès lors que j’apprenais parallèlement la grammaire allemande pour cette raison-là. Les tableaux de déclinaisons sont beaucoup plus logiques et rationnels. Car le français aussi a des déclinaisons, mais on ne le présente pas sous cette forme. Les pronoms personnels, par exemple, sont déclinables.

Nominatif : je, tu, il/elle, nous, vous, ils/elles.
Accusatif : me, te, se, nous, vous, leur/se.
Datif : me, te, se, nous, vous, leur/se.

Cette présentation serait évidemment "révolutionnaire" (ce qui n’est pas mon genre !) et nécessiterait avant de l’enseigner une évaluation fiable. Mais je pense que les esprits rationnels et logiques y gagneraient. Et cette présentation aurait épargné aux locuteurs de la langue française cette stupidité sans nom que représente l’écriture inclusive.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 octobre 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Communiqué de l’Académie française du 26 octobre 2017.
L’écriture inclusive.
La réforme de l’orthographe.
La dictée à  l’école.
La réforme du collège.
Le réforme des programmes scolaires.
Le français et l’anglais.
La patriotisme français.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171026-ecriture-inclusive.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/la-declinaison-non-inclusive-198154

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/10/28/35813041.html







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