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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
13 novembre 2017

Clemenceau, Macron et la guerre civile européenne (1)

« Ni trahison, ni demi-trahison. La guerre. Rien que la guerre. (…) Un jour, de Paris au plus humble village, des rafales d’acclamations accueilleront nos étendards vainqueurs, tordus dans le sang, dans les larmes, déchirés des obus, magnifique apparition de nos grands morts. Ce jour (…), il est en notre pouvoir de le faire. ». (Georges Clemenceau, le 20 novembre 1917 devant les députés). Première partie.


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Décidément, le Président Emmanuel Macron aura réussi à reprendre l’incarnation de la France dans tous les domaines régaliens. J’en suis d’autant bluffé que j’étais parmi ceux qui doutaient de ses capacités immédiates à cette incarnation, ce qui m’a fait préférer François Fillon à lui au premier tour présidentiel du 23 avril 2017. Il est heureux d’être surpris quand c’est une bonne surprise. Que ce soit sur le plan diplomatique (récemment sa visite improvisée en Arabie Saoudite le 9 novembre 2017, par exemple) que sur le plan symbolique et historique (la commémoration de la Grande Guerre), Emmanuel Macron prend des initiatives qui redonnent fierté aux Français. Je m’en réjouis et cela me conforte bien sûr dans mon choix du second tour le 7 mai 2017.

Je n’évacue pas, bien entendu, la part de posture et même d’imposture dont les Présidents de la République ont l’habitude, forts de leur autorité institutionnelle. Mais ce qui compte, avant tout, c’est ce qu’il restera, et le plus important, c’est le symbole et l’histoire. De plus, Emmanuel Macron ne pourra pas être critiqué sur le fait qu’il ne ferait que se tourner vers le passé, puisqu’il réforme, et sans doute, il est le Président qui aura le plus réformé de toute la Ve République, excepté le premier, De Gaulle. Ce qui signifie qu’il sait aussi se tourner vers l’avenir, et les syndicats et ses principaux contradicteurs parlementaires ne peuvent pas nier ce fait.

Emmanuel Macron a de la chance, à plusieurs titres. La première chance, c’est que la conjoncture économique mondiale est plutôt à la hausse, donc, le retour de la croissance en France (qui a tardé à cause des années de plomb fiscal du quinquennat de François Hollande) se fera quelle que soit l’efficacité de ses réformes économiques et sociales (mais qui peut regretter que la conjoncture soit favorable à l’économie française ?).

Sa seconde chance, on vient de la comprendre ces derniers jours. Emmanuel Macron va pouvoir fêter l’année prochaine, le 11 novembre 2018, le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Ce sera probablement une cérémonie internationale très grande et très importante politiquement, avec l’ambition de rassembler les chefs d’État et de gouvernement des quatre-vingts pays belligérants.

Mais Ce sera aussi et avant tout une cérémonie nationale : « Autour du 11 novembre 2018, je me rendrai dans les territoires qui furent meurtris par la guerre et qui aujourd’hui sont meurtris par la crise parce que le patriotisme, ce n’est pas s’opposer au reste du monde, c’est faire corps comme nation, comme nation ouverte ; c’est faire vivre le projet républicain dans le projet européen et d’y faire participer tous ceux qui s’en croient exclus, tous ceux qu’on a négligés d’y associer. ».

C’est la même chance que François Mitterrand qui a célébré le Bicentenaire de la Révolution française le 14 juillet 1989 à Paris avec le peuple de France et de très nombreux chefs d’État et de gouvernement (travaillant à Paris à l’époque, je peux m’enorgueillir d’avoir été présent à cette fête très républicaine et surtout amicale).

L’analogie avec François Mitterrand (une analogie toujours élogieuse pour ceux qui veulent fortifier leur stature présidentielle puisque François Mitterrand, mieux que De Gaulle, a su bâtir une posture de véritable monarque républicain ; on ne l’a pas appelé "le Sphinx" ou "Dieu" pour rien !), les journalistes l’ont immédiatement perçue lorsque le Président français Emmanuel Macron a donné une très chaleureuse accolade à son homologue allemand Franck-Walter Steinmeier, social-démocrate, élu Président de la République fédérale d’Allemagne le 12 février 2017.

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Ce vendredi 10 novembre 2017, en effet, les deux chefs d’État ont inauguré le mémorial (et l’historial, parcours historique) sur une bataille peu connue de la Première Guerre mondiale, au Hartmannswillerkopf, dans les Vosges alsaciennes : « Nous venons respirer l’odeur de souffrance qui règne encore, nous venons goûter l’amertume des combats qui furent livrés, car partout dans ces bois, dans ces sentiers où nous venons de passer quelques instants, dans ces tranchées espacées de quelques mètres, dans ces casernements, ces barbelés, dans cet abri de téléphoniste transpercé de balles et d’éclats d’obus, nous croyons revoir le visage des morts, nous croyons encore entendre leur détresse, nous percevons toute l’absurdité dans laquelle les uns et les autres ont été plongés. (…) Les corps étaient absorbés par la boue et par la neige, et ceux qui survivaient étaient dévorés par le froid. (…) De tout cela, le voyageur venu ici voit encore la trace. (…) Nous ne faisons pas un pas ici, sans que ne resurgisse le souvenir de cette violence, et partout, nous percevons la présence de ces disparus. ». C’est le premier mémorial franco-allemand et pas seulement national. L’importance de se remémorer en commun, c’est d’en finir avec la haine de l’autre nation.

Un geste d’amitié qui, évidemment, a rappelé la fameuse main dans la main de François Mitterrand et du Chancelier allemand Helmut Kohl à Verdun le 22 septembre 1984 (certains journalistes peu rigoureux sur la précision l’ont datée de 1986 !).

On regrettera évidemment l’absence, dans cette belle photo de la forêt vosgienne pluvieuse, de la Chancelière Angela Merkel, empêtrée dans de très longues et difficiles négociations pour construire sa nouvelle coalition après les élections fédérales allemandes du 24 septembre 2017.

Cette indisponibilité politique laisse d’ailleurs à Emmanuel Macron une Europe sans leader réel à part lui, avec Theresa May, empêtrée elle aussi dans les négociations du Brexit mais aussi des contestations internes à sa majorité, Mariano Rajoy affaibli par la crise catalane, et une Italie qui se remet à peine d’une crise politique. Ce n’est pas pour rien que le magazine "Time" a affiché Emmanuel Macron en couverture du numéro du 9 novembre 2017 avec la mention "The next leader".

Toujours est-il qu’il n’y a pas beaucoup de changement avec son prédécesseur François Hollande, dont le quinquennat finit par être oublié très rapidement, alors qu’il a célébré, lui aussi, en grande pompe internationale les 70 ans du Débarquement le 6 juin 2014 en présence de Barack Obama, de la reine Elisabeth II et surtout, de Vladimir Poutine, un tour de force diplomatique quelques semaines après la crise ukrainienne et l’annexion de la Crimée (ceci dit en passant, la venue de Vladimir Poutine aurait dû être remerciée par la présence du Président français aux festivités russes le 9 mai 2015 à Moscou, ce qui n’a hélas pas été le cas).

François Hollande aussi a fait une accolade très chaleureuse à Joaquim Gauck, le prédécesseur de Franck-Walter Steinmeier, d’abord le 3 août 2014, au même lieu, au Hartmannswillerkopf, pour célébrer le centenaire du début de la Première Guerre mondiale, puis le 4 septembre 2013 à Oradour-sur-Glane, village très symbolique que le Président Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas manqué d’honorer de sa présence dès le 10 juin 2017, pour le 73e anniversaire du massacre de 642 villageois (il était déjà venu dans ces lieux pendant la campagne présidentielle, le 28 avril 2017).

Comme on le voit, Emmanuel Macron fait son "job" de Président de la République honorant la mémoire, tant de la Première Guerre mondiale que de la Seconde Guerre mondiale, mais pas plus que ses prédécesseurs. Emmanuel Macron a aussi réaffirmé le 16 juillet 2017 la responsabilité de la France dans la rafle du Vel’ d’Hiv’, comme l’avaient fait avant lui ses prédécesseurs Jacques Chirac le 16 juillet 1995 et François Hollande le 22 juillet 2012.

Toutes ces cérémonies mémorielles ont un sens et je me réjouis qu’elles se perpétuent. Il est essentiel de se rappeler pour prendre la mesure des drames du XXe siècle et éviter le retour des guerres en Europe (pendant ce dernier siècle, on a tellement oublié les leçons du XIXe siècle…). Les survivants sont de moins en moins nombreux, et avec la mort, et celle de la génération suivante, le vécu s’estompe et l’historien prend la place du témoin. Cette mémoire, il faut la garder vivante et c’est le sens de tous ces monuments aux morts, dans chaque village (ou presque) qui ont connu des victimes de la Première Guerre mondiale.

Je me réjouis donc que le Président Emmanuel Macron ait parlé, le 10 novembre 2017, de « guerre civile européenne » pour parler des deux guerres mondiales. Il l’a fait en conscience, dans le but délibéré de provoquer car une guerre civile, cela signifie qu’elle concerne une même nation, alors que les guerres mondiales ont fait intervenir plusieurs nations européennes et pas une seule : « Nous touchons ici aussi du doigt combien ce qui est dans nos mains parfois comme une évidence, comme un trésor dont on sous-estime la fragilité, est précaire. L’Europe durant des siècles, nos pays durant des siècles, ont été traversés par ces conflits fratricides. Les soixante-dix années qui viennent de s’écouler sont un miracle dû au courage, à l’intelligence, à l’esprit de responsabilité des dirigeants et des peuples. Aussi, si nous devons aujourd’hui refonder notre Europe, c’est pour retrouver le sel, la force de cette ambition commune ; c’est pour ne rien oublier de nos cicatrices en commun, de notre mémoire partagée mais c’est pour vouloir refonder autour d’une souveraineté commune, c’est-à-dire une Europe qui protège nos concitoyens plutôt qu’une Europe qui se divise dans ses guerres intestines ; c’est vouloir retrouver l’unité de notre projet partagé et de son ambition plutôt que vouloir notre défaite les uns contre les autres, c’est vouloir une Europe démocratique qui réponde aux aspirations de nos concitoyens dans le siècle qui s’ouvre. » (10 novembre 2017).

Il faut aussi se souvenir que cette Première Guerre mondiale avait surpris les plus intellectuels des Européens, les chercheurs, les artistes, les écrivains, etc. qui voyageaient depuis la fin du XIXe siècle dans toute l’Europe en y retrouvant une véritable communauté humaine, pas plusieurs. Le plus flagrant est le Congrès Solvay dont le premier séminaire a eu lieu à Bruxelles en novembre 1911, et qui a rassemblé les plus grands physiciens de toutes l’Europe qui se sont retrouvés "ennemis" du jour au lendemain en été 1914…

Parler de "guerre civile européenne", c’est montrer l’absurdité d’une guerre entre personnes qui, finalement, partagent un grand nombre de valeurs communes et aussi, de projets communs, tant économiques que culturels, et même politiques.

Le 11 novembre, c’était deux jours après le quarante-septième anniversaire de la mort du Général De Gaulle (figure désormais récupérée un peu partout dans la classe politique, ce qui est une grande victoire posthume), et deux jours avant le second anniversaire des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

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Je me réjouis aussi que le Président Emmanuel Macron, à l’occasion de cette cérémonie du 11 novembre 2017, célébrant sous la pluie battante, le 99e anniversaire de l’armistice en présence de Gérard Larcher, François de Rugy, Édouard Philippe, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Alain Juppé, Jacques ToubonJean-Yves Le Drian, Florence Parly, François Lecointre et Anne Hidalgo, ait rendu un hommage particulier au "Père la Victoire", autrement appelé "le Tigre", à savoir Georges Clemenceau, selon Emmanuel Macron : « modèle d’engagement qui refit la cohésion nationale et rendit à la France son énergie au moment où elle vacillait ».

Avec l’historien Jean-Noël Jeanneney, président de la fondation du Musée Georges-Clemenceau (son grand-père Jules Jeanneney fut ministre de Clemenceau), Emmanuel Macron a visité la bibliothèque et le bureau du Tigre dans son appartement de la rue Benjamin-Franklin, au seizième arrondissement de Paris. Emmanuel Macron a ainsi commenté sa visite : « Nous nous souvenons aujourd’hui d’un dirigeant qui a su rassembler et donner à ses hommes le sursaut patriote pour défendre notre nation. ».

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Clemenceau a été, par sa constante ténacité, par son amour de la France et par sa féroce volonté de poursuivre la guerre jusqu’à la victoire sans condition, l’une des incarnations les plus éclatantes du patriotisme français qu’on retrouve aussi chez De Gaulle (et aussi chez Adolphe Thiers, on l’oublie un peu vite, pour la précédente guerre, celle de 1870).

Je n’ignore pas que cet honneur mérité a permis aussi de faire un clin d’œil à Manuel Valls et à Nicolas Sarkozy, pour qui Clemenceau fut un modèle, celui d’un Ministre de l’Intérieur à poigne puis d’un grand homme d’État. Manuel Valls a vanté les mérites de Clemenceau dans une interview à "L’Express" du 9 novembre 2017. Nicolas Sarkozy a même rappelé le 11 novembre 2017 sur France 2 que Clemenceau fut battu à l’élection présidentielle de 1920 (voir plus bas) par un homme dont l’histoire n’aurait pas gardé le nom (euh, en fait, si, l’histoire a gardé le nom de Paul Deschanel, le Président qui est descendu du train en pyjama et qui a rapidement démissionné).

Dans mon prochain article, je reviendrai plus précisément sur la nomination du second gouvernement de Georges Clemenceau le 16 novembre 1917.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 novembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La guerre civile européenne.
Emmanuel Macron.
La Première Guerre mondiale.
"Le Président".
Georges Clemenceau en 1917.
Georges Clemenceau en 1906.
Adolphe Thiers.
Charles De Gaulle.
Victor Hugo.
Charles Péguy.
Jean Jaurès.
Le patriotisme.
Les valeurs républicaines.
L’Europe à la Sorbonne.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171111-macron-clemenceau.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/clemenceau-macron-et-la-guerre-198651

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/11/13/35862403.html



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