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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
20 novembre 2017

Non au scrutin proportionnel !

« La représentation proportionnelle est un système évidemment raisonnable et évidemment juste ; seulement, partout où on l'a essayée, elle a produit des effets imprévus et tout à fait funestes, par la formation d'une poussière de partis, dont chacun est sans force pour gouverner, mais très puissant pour empêcher. C'est ainsi que la politique devint un jeu des politiques. » (Alain, "Propos", le 1er septembre 1934).


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Depuis une douzaine d’années, tous les nouveaux Présidents de la République veulent réformer les institutions. C’est une lubie présidentielle très française, le bon vouloir du prince : on aime changer les règles du jeu quand on est maître du jeu. C’est le pays aux neuf Constitutions au XIXe siècle ! Chacun veut ainsi y aller de son petit caprice. C’est une erreur de céder à cette tentation de vouloir modifier les institutions. Comme tout, elles ne sont pas parfaites et pourraient toujours être perfectibles. C’est une erreur surtout dans la situation de crise sociale et économique que connaissent de nombreux citoyens (précarité, chômage, etc.) pour qui 50 euros, c’est beaucoup.

Nicolas Sarkozy voulait américaniser les institutions (à la suite du rapport d’Édouard Balladur remis le 29 octobre 2007), et il est clair que ses prédécesseurs voudraient poursuivre. François Hollande n’a pas pu convaincre une majorité des trois cinquièmes des parlementaires et a finalement renoncé après avoir demandé le 16 juillet 2002 à Lionel Jospin de préparer une réforme (rapport remis le 9 novembre 2012). Emmanuel Macron, lui aussi, voudrait révolutionner les institutions avec cette idée qu’avant lui, c’était la nuit et qu’avec lui, le jour des nouvelles pratiques arriverait. Plus que de l’orgueil voire de la vanité, j’oserais dire que c’est plutôt de la naïveté qui s’est exprimée durant sa campagne présidentielle, celle de l’inexpérimenté qui redécouvre le monde.

Certaines rumeurs bruissent sur la volonté du Président d’organiser un référendum. En pleine panade sociale (SCNF, Air France, éboueurs, EDF, etc.), vouloir tout réformer en même temps engendre un grand risque politique. La boulimie entraîne souvent l’overdose. Principe des embouteillages parisiens (particulièrement nombreux ce matin du mardi 3 avril 2018). Le risque d’un référendum, c’est d’ailleurs que les électeurs ne répondent pas à la question posée, mais à un sondage de popularité de celui qui pose la question.

Il semblerait aussi que le 30 mars 2018, un accord aurait été conclu entre le Président de la République Emmanuel Macron, le Premier Ministre Édouard Philippe, le Président du Sénat Gérard Larcher et le Président de l’Assemblée Nationale François de Rugy. Ainsi, le projet du gouvernement va probablement être présenté cette première semaine d’avril 2018.

Rappelons que pour réviser la Constitution, il faut que chaque assemblée adopte le projet en termes identiques, puis que les deux assemblées constituant le Parlement réunion en Congrès, à Versailles, l’adopte à la majorité des trois cinquièmes. Le parti présidentiel LREM n’a pas cette majorité et a besoin d’un accord avec Les Républicains du Sénat (c’est-à-dire avec Gérard Larcher, et avec Laurent Wauquiez). L’autre méthode pour réviser la Constitution, ce serait d’éviter le Congrès pour soumettre le projet directement au peuple français (ce qui oblige cependant d’avoir quand même l’approbation des deux assemblées, sauf lorsqu’on s’appelle De Gaulle).

Trois mesures seraient proposées : l’introduction de la proportionnelle pour l’élection des députés, la réduction du nombre de parlementaires et la limitation de leurs mandats dans le temps.

Je ne suis pas convaincu que la réduction du nombre des parlementaires, sans forcément être en opposition frontale avec cette mesure, aurait pour effet une augmentation du pouvoir des parlementaires. J’aurais même tendance à penser le contraire. Car le rôle moderne des parlementaires que la France a du mal à encourager, c’est la fonction de contrôle, d’autant plus que sa fonction de législateur est souvent "préemptée" par le gouvernement. Il faudrait au contraire multiplier les rapports, les missions de contrôle sur l’action gouvernementale. Réduire le nombre de parlementaires forcément réduirait la capacité de contrôle du Parlement. C’est typiquement le genre de mesure démagogique qui renforce l’antiparlementarisme.

Quant à la limitation des mandats dans le temps, là encore, cela va réduire l’influence des parlementaires. C’est souvent les parlementaires les plus expérimentés, les plus chevronnés qui comprennent le mieux les rouages de l’État et ont une meilleure vision de la procédure législative et de l’écriture des textes législatifs. Empêcher ce niveau d’expertise parlementaire, c’est donner plus de pouvoir au gouvernement et à la machine administrative. Ce n’est sûrement pas moraliser la vie politique. D’autant plus qu’en démocratie, ce sont les électeurs qui doivent décider et s’ils veulent réélire leurs députés, par quel principe vaseux devrait-on les en empêcher ?

Cela dit, je reviendrai probablement à ce sujet lorsque le projet du gouvernement sera connu. Mon article ici concerne l’unique réforme du mode de scrutin pour l’élection des députés.

Précisons avant tout, sur le plan juridique, que le mode de scrutin ne nécessite (malheureusement) pas une révision constitutionnelle et une simple loi (organique) suffit : François Mitterrand avait réussi à faire adopter la "proportionnelle intégrale" par la loi organique n°85-688 du 10 juillet 1985 pour les élections législatives du 16 mars 1986 malgré l’opposition frontale du Sénat tenu majoritairement par le centre droit (ce qui avait valu le 4 avril 1985 la démission du Ministre de l'Agriculture Michel Rocard du gouvernement de Laurent Fabius). Rappelons d’ailleurs que François Mitterrand avait utilisé la procédure d’urgence pour faire adopter "d’urgence" cette réforme par les députés le 26 avril 1985, rejetée par les sénateurs le 31 mai 1985, adoptée de nouveau par les députés le 13 juin 1985, rejetée de nouveau par les sénateurs le 25 juin 1985 et finalement adoptée en troisième lecture par les députés le 26 juin 1985 sans le consentement des sénateurs.

Donc, avec sa majorité pléthorique au Palais-Bourbon, Emmanuel Macron est complètement libre de choisir le mode de scrutin des prochaines élections législatives prévues en juin 2022 (ou avant en cas de dissolution). Sans l’accord des sénateurs, et donc, sans l’accord de Les Républicains. On imagine donc le "deal" entre Emmanuel Macron et Gérard Larcher sur la révision des institutions : Les Républicains acceptant certaines mesures pour lesquelles ils étaient réticents pour influer sur le mode de scrutin des législatives (sur lequel, je le répète, ils n’ont aujourd’hui aucun levier d’influence). Il serait toujours étonnant que le Président s’ôte la faculté de bénéficier d’une majorité pléthorique à l’Assemblée Nationale, sauf dans le cas où la défaite serait certaine (ce qui fut le cas pour François Mitterrand en 1986).

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Ce n’est pas un secret que je suis contre tout scrutin proportionnel pour l’élection des députés, quelle que soit la "dose" qu’on voudrait y mettre (rien que parler de "dose" montre l’idée des combines et des manœuvres politiciennes). C’est l’objet de mon article, apporter des arguments pour rappeler les « effets funestes » du scrutin proportionnel.


1. À quoi servent les élections législatives : représentativité ou efficacité ?

C’est le premier point que je veux aborder. À quoi cela sert-il d’élire des députés ? À faire la loi. Et surtout, contrôler le gouvernement. Et donc, aussi, à soutenir un gouvernement et avant tout, une vision politique nationale si possible cohérente. La logique proportionnelle et la logique majoritaire sont donc issues de deux logiques de la démocratie représentative.

Le scrutin proportionnel est, comme le rappelle le philosophe Alain le 1er septembre 1934, un « système évidemment raisonnable et évidemment juste ». Il tente de reproduire dans l’hémicycle la diversité des opinions politiques de la population (en tout cas, de l’électorat qui s’exprime). Cela donne une photographie idéologique incomparable, mais qui, par ces temps difficiles où les tendances politiques sont éclatées dans une sorte de kaléidoscope compliqué, produit des effets inextricables. Une telle assemblée représentative n’aurait aucune capacité à trouver une majorité pour soutenir un gouvernement cohérent. Ce serait l’enlisement, ce qui a été largement prouvé en France par la IVe République.

Prenons néanmoins l’unique exemple sous la Ve République, voulu par le combinard en chef, François Mitterrand pour les élections législatives du 16 mars 1986. Son objectif était d’empêcher l’opposition UDF-RPR d’obtenir la majorité absolue des sièges en favorisant l’élection de députés FN. Résultat : effectivement, le FN a réussi à gagner 35 sièges, mais la défaite de la gauche fut telle (représentant 41,2% des voix) que l’objectif politique n’a pas été atteint, mais il a failli être atteint. La coalition UDF-RPR n’a obtenu en effet que 286 sièges sur 577 (trois de moins que la majorité absolue) mais quelques députés NI (non inscrits) ont apporté leur soutien au futur gouvernement de Jacques Chirac.

Il faut bien comprendre que dans cet exemple, l’époque bénéficiait d’un paysage politique beaucoup moins éclaté qu’aujourd’hui. Le score de la coalition UDF-RPR (dès le premier et seul tour) fut de 41,0% le 16 mars 1986. Même le parti La République En Marche, pourtant dopé par la (grande) victoire d’Emmanuel Macron (66,1%), a obtenu moins le 11 juin 2017 : seulement 28,2% (32,3% avec ses alliés du MoDem).

Le scrutin majoritaire a un objectif clair : on élit une Assemblée Nationale pour permettre au pays d’être gouverné. Il faut donc un système qui permette de dégager une majorité claire, forcément au détriment d’une représentation "juste". Il faut bien sûr que le système soit le moins "injuste" possible. C’est pour cela qu’il faut que chaque député puisse représenter à peu près le même nombre d’électeurs (notons que ce n’est pas du tout le cas aux États-Unis en raison de leur structure fédérale). Cela nécessite donc une remise en cause régulière du "découpage électoral" des circonscriptions (la dernière fois était en décembre 2009). Je préconise la constitutionnalisation du scrutin uninominal majoritaire à deux tours avec la mise en place d’une commission spéciale chargée des redécoupages en fonction de l’évolution de la population (afin d’éviter toute manœuvre électorale dans le redécoupage).

Néanmoins, il y a eu un contre-exemple sur l’équivalence scrutin majoritaire et majorité absolue à l’Assemblée Nationale. L’assemblée issue des élections législatives des 5 et 12 juin 1988 n’a pas donné de majorité absolue. Juste après la réélection de François Mitterrand qui a dissout l’Assemblée Nationale, ce dernier s’est retrouvé avec le seul PS (et alliés radicaux de gauche) comme parti de gouvernement, après l’éclatement en juillet 1984 de son alliance avec les communistes. Résultats, le gouvernement de Michel Rocard n’a bénéficié que d’une majorité relative de 275 députés socialistes sur 577 avec la bienveillance tantôt des 25 députés communistes (qui ont pu constituer un groupe grâce aux socialistes ; avant 1988, il fallait au moins 30 députés pour former un groupe parlementaire), tantôt des 41 députés centristes de l’UDC (prêts à aider Michel Rocard dans certaines réformes).

Cette absence de majorité absolue était surtout le résultat d’une décision politique (rupture d’une alliance gouvernementale PS-PCF) mais pas du scrutin majoritaire qui, au contraire, a apporté une majorité absolue PS-PCF (300 sièges sur 577). Au second tour, des candidats socialistes ont été soutenus par les communistes et des candidats communistes ont été soutenus par les socialistes, dans le cadre d’une "discipline républicaine" d’alliance électorale tacite. Cette majorité issue du levier majoritaire s’est donc bien traduit électoralement, mais pas sur le plan politique.

Pour résumer, il vaut mieux une majorité écrasante que pas de majorité du tout.


2. Les citoyens contre les partis

On comprend pourquoi beaucoup de partis politiques voudraient le retour du scrutin proportionnel : parce qu’ils maîtriseraient beaucoup plus la personnalité de leurs élus. En effet, avec un scrutin majoritaire, "n’importe qui" peut se faire élire dans sa circonscription si ses électeurs adhèrent à sa campagne, même les "dissidents" des partis, les électrons libres, les atypiques, etc. Avec la proportionnelle, ce serait impossible sans le consentement des chefs de parti. Les candidats élus auraient été désignés en tête de liste par leur parti respectif. Les électeurs n’auraient comme seul véritable pouvoir que de choisir ceux qui seraient élus en queue de liste. Les têtes de liste seraient nécessairement élues, si leur parti avait un minimum d’audience électorale. Tout serait alors déjà prédéterminé avant le scrutin, pas la tendance politique de fond, mais les premiers candidats élus. Cela donnerait un pouvoir immense aux partis politiques et à leurs combines. Le contraire d’une moralisation de la vie politique. Les candidats élus n’auraient aucune autonomie personnelle car ils sauraient que leur réélection dépendrait de leur fidélité à leur parti.

Au contraire, le scrutin majoritaire apporte une meilleure respiration démocratique. Ainsi, un responsable politique majeur peut être battu avec le scrutin majoritaire, jamais avec le scrutin proportionnel. Les exemples sont nombreux : Pierre Mendès France en novembre 1958, François Mitterrand en novembre 1958, Lionel Jospin en mars 1993, Michel Rocard en mars 1993, Alain Juppé en juin 2007, etc.

De plus, l’absence de "territoire de l’élu" (circonscription) renforce le fossé entre l’élu et ses électeurs, incapables même de connaître le nom et encore moins l’action de leurs élus. On le voit bien pour les élections européennes. Le scrutin majoritaire est, au contraire, un scrutin de proximité où les candidats doivent gagner chaque voix en allant à la rencontre de leurs électeurs.


3. Renouveler la vie politique ?

On donne aussi comme argument en faveur de la proportionnelle la possibilité d’un renouvellement des partis politiques. La réalité est le contraire. Les nouveaux partis ont du mal à se faire entendre au scrutin proportionnel. L’exception du FN, c’est au contraire que son caractère extrémiste empêche toute stratégie majoritaire d’alliance au second tour. Les élections régionales au scrutin "semi-majoritaire" de décembre 2015 l’ont montré : leur incapacité à réunir plus de 50% des voix au second tour (à cause d’un rejet de l’électorat plus fort que pour d’autre parti) l’a défavorisé dans ce genre de scrutin.

Néanmoins, le scrutin majoritaire n’a pas empêché l’élection de 8 députés FN le 18 juin 2017, au même titre qu’il n’a pas empêché l’élection de 17 députés FI qui ont pu former un groupe parlementaire (le seuil minimum étant de 15 députés depuis 2009, après la promesse faite par Nicolas Sarkozy au sénateur Jean-Michel Baylet pour que ce dernier votât sa révision constitutionnelle). FI était pourtant un parti à peine plus ancien que LREM.

Ce fut Emmanuel Macron qui a apporté la preuve éclatante de la grande pertinence démocratique tant des institutions de la Ve République que du mode de scrutin majoritaire des élections législatives. Il a prouvé le 18 juin 2017 qu’un parti politique inexistant dix-huit mois avant les élections, tant en structure formelle qu’en tradition philosophique, pouvait non seulement faire élire son candidat à la Présidence de la République mais également gagner la majorité absolue des sièges à l’Assemblée Nationale. Jamais un scrutin proportionnel n’aurait permis une telle possibilité de renouvellement à l’Assemblée Nationale.


4. Contradiction entre réduire le nombre de députés et introduire de la proportionnelle

L’objectif du scrutin proportionnel est d’avoir une meilleure représentativité des forces politiques en présence. Cette représentativité est donc d’autant plus fine, d’autant plus juste qu’il y a beaucoup de sièges à pourvoir. Avec 577 sièges, un siège représente, au niveau national, 0,17% (1/577). Plus il y a de sièges, plus cette représentation sera précise (par exemple 0,10% pour 1 000 sièges) et permettra une représentation encore plus exacte de la réalité politique (cela si l’on considère une proportionnelle intégrale sans seuil).

D’ailleurs, adepte des combines et des manœuvres, François Mitterrand avait ajouté 86 sièges aux 491 existant le 10 juillet 1985 lorsqu’il a imposé le scrutin proportionnel pour les élections législatives du 16 mars 1986. Étrangement, le gouvernement de Jacques Chirac a supprimé très rapidement le scrutin proportionnel par ordonnance et avec le 49 alinéa 3 (loi n°86-825 du 11 juillet 1986 relative à l’élection des députés et autorisant le gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales) mais pas le surnombre des sièges (correspondant  à 15% du nombre actuel des sièges : les supprimer serait donc sage, mais en supprimer beaucoup plus ?).

Le risque, pointé du doigt par Les Républicains, c’est que réduire énormément le nombre de députés élus au scrutin majoritaire aurait pour effet que leur circonscription serait bien trop étendue voire représenterait un ou même plus d’un département (si l’on voulait préserver l’équité entre citoyens, même nombre d’électeurs par circonscription).


5. La proportionnelle va à l’encontre de la moralisation de la vie politique

Moraliser la vie politique, c’est permettre des choix démocratiques clairs : un programme clairement défini, choisi par les électeurs et appliqué par leurs élus. Or, comme je l’ai écrit plus haut, le scrutin proportionnel dans un paysage éclaté empêcherait toute majorité absolue "naturelle", c’est-à-dire voulue par les électeurs.

Cela entraînerait deux options : l’option ingouvernabilité, ce qui serait une catastrophe quand tant de choses sont à transformer en France ; l’option combinaisons, dans le plus pur style délices et poisons de la IVe République, où des partis non alliés devant les électeurs se retrouveraient dans l’obligation de s’allier à l’Assemblée Nationale pour soutenir un gouvernement fade qui ne ferait pas grand chose puisque dépendant de forces antagonistes.

La proportionnelle représenterait donc plutôt la démoralisation de la vie politique.

Reprenons l’exemple du scrutin du 16 mars 1986. Les proches de François Mitterrand (cités par "Le Figaro" du 20 février 2012 à partir d’un documentaire télévisé) ont depuis longtemps avoué la manœuvre politicienne de l’ancien Président pour favoriser le parti de Jean-Marie Le Pen. Lionel Jospin (à l’époque premier secrétaire du PS) : « La droite allait l’emporter et la proportionnelle a été un scrutin fait pour freiner et empêcher la droite d’avoir une écrasante majorité à l’Assemblée Nationale. ». Roland Dumas (qui était Ministre des Affaires étrangères) a confirmé : « Est-ce que le Front national était dangereux ? Non. Il ne pouvait pas prétendre à autre chose qu’à un bavardage politique. ». Belle morale politique, ils avaient, ces socialistes !


6. Alliances contre-nature

Au-delà des combinaisons dont n’ont pas accès les électeurs qui pourraient se sentir floués sinon trahis, le scrutin proportionnel renforcerait le populisme et les surenchères démagogiques. On le voit dans certains pays, la plupart des partis gouvernementaux, qui sont modérés car basés sur le réalisme, doivent faire des alliances contre-nature avec des partis extrémistes pour avoir le soutien d’une majorité absolue de députés. Cela hystérise la vie politique.


7. Les leçons européennes et même d’au-delà

L’actualité récente permet de voir l’horreur politique du scrutin proportionnel, même lorsqu’il n’est que partiel puisqu’il s’agit pour les deux premiers exemples d’un scrutin mixte proportionnel/majoritaire.

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L’Allemagne vient seulement d’investir son nouveau gouvernement. Angela Merkel, Chancelière allemande depuis le 22 novembre 2005, a mis presque six mois pour négocier un accord de gouvernement (entre les élections fédérales le 24 septembre 2017 et son investiture le 14 mars 2018). Et cet accord s’est fait sur le dos des électeurs : le SPD de Martin Schulz avait fait campagne contre toute reconduction de la GroKo (la grande coalition CDU/SPD) et ses électeurs peuvent donc être mécontents que le SPD se retrouve encore maintenant dans la grande coalition. Par ailleurs, la proportionnelle (pourtant seulement partielle) a envoyé au Bundestag 94 députés de l’AfD dont la campagne était manifestement extrémiste. Notons que les Allemands ont élu 709 députés, ce qui est nettement plus que les Français.

Un autre pays a montré aussi les dangers du scrutin proportionnel (dans un paysage politique éclaté) : l’Italie dont les élections générales du 4 mars 2018 l’a rendue ingouvernable, là aussi avec plus de députés qu’en France (630). Comme en Allemagne et d’une complexité autre mais équivalente à celui en Allemagne, le scrutin est mixte majoritaire/proportionnel (loi n°165 du 3 novembre 2017, dite Rosatellum bis). Trois blocs ou alliances se sont retrouvés sans majorité absolue : le M5S mené par Luigi Di Maio avec 222 sièges sur 630, la coalition de droite (Forza Italia/Lega) menée par Matteo Salvini et Silvio Berlusconi avec 263 sièges sur 630 et le Parti démocrate mené par Matteo Renzi avec 122 sièges sur 630. Le 5 mars 2018, Matteo Renzi (qui lui-même a été battu dans sa circonscription et a démissionné de la présidence du parti démocrate) a annoncé que le Parti démocrate serait dans l’opposition dans tous les cas. Le 6 mars 2018, Matteo Salvini a déclaré que son parti (La Ligue du Nord) ne ferait jamais de coalition avec le M5S. Il y a donc peu de chance pour qu’une majorité puisse être formée dans cette configuration.

Ce ne sont pas les seuls pays du monde qui sont dans des positions difficiles de gouvernement à cause de leur scrutin proportionnel.

En Espagne, les élections générales du 26 juin 2016, qui ont été anticipées car les élections précédentes du 20 décembre 2015 n’avait permis de dégager aucune majorité gouvernementale, ont abouti, là encore, à une confusion importante. Le mode de scrutin est proportionnel intégral comme en Belgique et en Israël. Cela a abouti à une assemblée (le Congrès des députés, chambre basse des Cortes Générales) très éclatée : le Parti populaire de Mariano Rajoy, au pouvoir depuis les élections générale du 20 novembre 2011, a obtenu 137 sièges sur 350 (33,0% des voix), le PSOE (socialistes) de Pedro Sanchez 85 sièges (22,6% des voix), Unidos Podemos de Pablo Iglesias 71 sièges (21,2% des voix) et Ciudadanos (centristes) d’Albert Rivera 32 sièges (13,1%), les autres sièges étant répartis sur des listes régionalistes (principalement catalanes et basques). Il a fallu dix mois pour résoudre cette crise (à partir de décembre 2015) : Javier Fernandez, dirigeant provisoire du PSOE, a donné son accord le 23 octobre 2016 pour soutenir le nouveau gouvernement (après le refus du PSOE d’être dans une grande coalition). Mariano Rajoy a été reconduit Président du gouvernement le 31 octobre 2016 (il l’était depuis le 21 décembre 2011), investi le 29 octobre 2016 à la majorité relative (170 pour, 111 contre et 68 abstentions).

En Israël aussi, la situation électorale est généralement confuse à cause de la proportionnelle qui donne une influence politique disproportionnée aux petits partis religieux, généralement extrémistes. Ainsi, aux dernières élections législatives du 17 mars 2015, le Likoud mené par Benyamin Netanyahou a obtenu 30 sièges sur 120 (23,4% des voix), ce qui était très loin de la majorité absolue, les travaillistes et centristes (Union sioniste) ont obtenu 24 sièges (18,7% des voix), l’extrême gauche et minorité arabe (Liste unifiée) 13 sièges (10,6% des voix), le centre laïc (Yesh Atid) 11 sièges (8,8% des voix), le centre Koulanou 10 sièges (7,5% le des voix), la droite religieuse 8 sièges (6,7% des voix), les ultra-orthodoxes séfarades (Shas) 7 sièges (5,7% des voix), la droite populiste d’Avigdor Liberman 6 sièges (5,1% des voix), les ultra-orthodoxes ashkénazes 6 sièges (5,0% des voix) et la gauche pacifiste 5 sièges (3,9% des voix). Benyamin Netanyahou, Premier Ministre du 18 juin 1996 au 6 juillet 1999 et depuis le 31 mars 2009, a mis quarante jours pour constituer une majorité avec les ultra-orthodoxes, la droite religieuse et les centristes de Koulanou pour atteindre 61 sièges sur 120. Il a ainsi été reconduit le 14 mai 2015. Et le mode de scrutin a été légèrement modifié le 11 mars 2014 en surélevant le seuil électoral de 2,00% à 3,25% ; avant 2014, c’était donc "pire".


Ne pas bouleverser les équilibres institutionnels toujours fragiles

La France jouit d’institutions à la fois démocratiques et efficaces, et Emmanuel Macron aurait d’ailleurs l’intention de célébrer leur soixantième anniversaire le 4 octobre 2018 avec une certaine solennité. C’est peut-être les seuls bases qui fonctionnent bien en France : pouvoir avoir un gouvernement capable d’agir tout en étant issu du peuple. Il est donc essentiel que, dans la recherche toujours ténue d’une perfection institutionnelle qui n’existera jamais de toute façon, on modifie le moins possible les équilibres. Les véritables carences résident dans les pratiques et pas dans les institutions. Ce sont les acteurs qui doivent veiller à leur moralité.

J’avais expliqué que la proportionnelle me paraissait plutôt pertinente pour le scrutin des élections européennes parce que l’objectif de ce scrutin est justement plus dans la représentativité des peuples européens (avec deux clivages : politiques mais aussi nationaux) que dans la recherche d’une majorité absolue pour soutenir un éventuel gouvernement européen (je rappelle que chaque pays européen a gardé sa souveraineté nationale et qu’il est dirigé avant tout par son gouvernement national).

En revanche, l’adoption de la représentation proportionnelle, même partielle, appliquée à l’élections des députés me paraîtrait une véritable faute historique dans la situation actuelle où toute transformation institutionnelle peut mécaniquement devenir irréversible. J’avais été parmi les très rares Français à m’être opposé au principe du quinquennat (moins de 6,8% des inscrits ont voté contre le quinquennat au référendum du 24 septembre 2000 !). Pourtant, la réforme n’a pas seulement réduit la durée du mandat du Président de la République. Elle a renforcé (comme l’avait d’ailleurs souhaité le Président Georges Pompidou) le pouvoir politique du Président en renforçant le lien d’allégeance entre lui et les députés de la majorité élus désormais seulement dans l’élan de l’élection présidentielle. Or, personne ne pourrait politiquement revenir sur cette durée.

Comme disait Pierre Mazeaud, alors Président du Conseil Constitutionnel, le 3 janvier 2006 : « Ne touchons que d’une main tremblante à des institutions qui sont le socle de la République ! ». Tremblons avant d’être paralysés !…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Protégeons la Ve République.
Le retour aux listes nationales aux élections européennes (2 décembre 2017).
Suicide à la proportionnelle intégrale.
Mode de scrutin des élections allemandes.
Mode de scrutin des élections britanniques.
Cumul des mandats.
Réforme des modes de scrutins locaux.
Réforme territoriale.
Le serpent de mer.
Le vote électronique.
Le vote obligatoire.
Non aux campagnes participatives !
Le mode de scrutin des élections européennes (4 février 2013).
Le mode de scrutin des élections législatives.
Élections législatives allemandes du 24 septembre 2017.
Élections législatives autrichiennes du 15 octobre 2017.
Élections législatives italiennes du 4 mars 2018.
Élections législatives israéliennes du 17 mars 2015.
Sommes-nous dans une dictature ?
Le 49 alinéa 3.
Redécoupage électoral en décembre 2009.
Faut-il supprimer l’élection présidentielle au suffrage universel direct ?
50 ans de Ve République (en 2008).
160 ans d’élection présidentielle (en 2008).
10 ans de quinquennat (en 2010).
La cohabitation.
La révision du 23 juillet 2008.
Les nominations présidentielles.
Quelques idées reçues sur le gaullisme.
Autorité et liberté.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171120-proportionnelle.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/04/04/36290948.html




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