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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
16 janvier 2018

Notre-Dame-des-Landes, symbole de la mauvaise gouvernance

« La Shadokkaravelle fendait l’espace sous le commandement de principe du Marin Shadok qui, comme à l’ordinaire, était le plus souvent… "sous influence". Si bien que personne en fait ne regardait où l’on allait. Mais il disait que dans la Marine, c’était l’usage, et qu’il est beaucoup plus intéressant de regarder où l’on ne va pas pour la bonne raison que, là où l’on va, il sera toujours temps d’y regarder quand on y sera ; et que, de toute façon, ça ne sera jamais en fin de compte que de l’eau. Il n’empêche qu’il fallait faire vite. Car, ajoutait-il : dans la Marine, quand on ne sait pas où l’on va, il faut y aller ! …et le plus vite possible. Et tout le monde à bord était content. » (Jacques Rouxel, "Les Shadoks").


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Ce mardi 16 janvier 2018, le matin sur France 2 ("Les quatre vérités"), le Ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a déclaré que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes serait évacuée, du moins partiellement évacuée de ses éléments les plus radicalisés et qu'il y serait implanté d'autres activités. Est-ce à dire que la messe serait déjà dite et que le projet d'aéroport serait déjà abandonné ? C'est en tout cas ce que semble penser la station France Inter qui évoque une communication du gouvernement en ce sens prévue pour ce jeudi 18 janvier 2018.

Tout le "dossier" du projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est surréaliste. Une sorte d’histoire de Shadoks, encore plus shadok que l’instauration de l’écotaxe (qui valait déjà son pesant de cacahuètes). Quand Édouard Philippe a été nommé à Matignon en mai 2017, il a tout de suite compris le piège : il lui faudra décider lui-même du devenir de cet épineux projet. Le Président Emmanuel Macron lui a donné un peu de temps en nommant le 6 juin 2017 une mission de trois médiateurs qui ont remis le 13 décembre 2017 leur rapport (parfois inexact) …sans conclure, laissant courageusement la conclusion au gouvernement.

Le temps presse puisque la zone réservée à la construction de l’aéroport a été déclarée d’utilité publique le 9 février 2008. Cette déclaration d’utilité publique s’annulerait donc le 9 février 2018, dix ans plus tard, si rien n’était décidé. Édouard Philippe a passé la deuxième semaine de janvier 2018 en consultations en tout genre, jusqu’à se déplacer lui-même, le samedi 13 janvier 2018, à l’improviste, à Saint-Aignan-Grandlieu (où se situe l’actuel aéroport Nantes-Atlantique) et à Notre-Dame-des-Landes qui n’est pas, contrairement à son nom, situé dans le département des Landes mais en Loire-Atlantique, à 20 kilomètres de Nantes, 40 kilomètres de Saint-Nazaire, 80 kilomètres de Rennes, 110 kilomètres d’Angers, Vannes et La Roche-sur-Yon, enfin, à 400 kilomètres de Paris.

Pour commencer, autant dire ici qu’à l’origine, je n’étais pas vraiment convaincu de la nécessité d’un tel aéroport, alors que Genève, qui fait à peu près la même taille que Nantes, peut accueillir environ 15 millions de passagers. Notre-Dame-des-Landes, c’était à l’origine un projet typique des années 1960, à l’époque des Trente Glorieuses, une époque où l’on imaginait encore la poursuite de la croissance urbaine dans les différentes métropoles de France.

On peut ainsi retrouver des documents sur la future métropole lorraine où la zone comprenant Nancy, Pont-à-Mousson, Metz jusqu’à Thionville serait complètement urbanisée à l’horizon de l’an 2000, ou encore sur la métropole grenobloise, étriquée par le relief (Chartreuse au nord, Vercors à l’ouest, Oisans et Belledonne à l’est) qui devait s’agrandir vers Voreppe, Rives, Voiron (voire Bourgoin-Jallieu et L’Isle-d’Abeau) à l’ouest (vers Lyon) et vers Pontcharra à l’est (vers Chambéry)…

Toutes ces idées ont été vite oubliées au milieu des années 1970, avec le début de la crise économique (qui sévit toujours) et le ralentissement démographique. Je m’étonne donc que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ait survécu à toutes ces études un peu "délirantes" de ces années volontaristes d’aménagement du territoire.

Cela dit, toutes les idées de l’époque ne sont pas forcément à rejeter. Le doute est permis. Refuser le "transfert" de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes pourrait même être une faute politique qui se payerait durement et chèrement pendant plusieurs décennies, si le trafic aérien continuait à évoluer comme maintenant.


Le rapport des médiateurs remis le 13 décembre 2017

Lors de leur venue à Matignon, le 12 janvier 2018, pour évoquer le sujet avec Édouard Philippe, les élus du Syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest ont fait part des erreurs contenues dans le rapport remis par les médiateurs le 13 décembre 2017 : « Les médiateurs annoncent 6 millions de passagers en 2025 alors que ce plafond sera atteint dès cette année (…) et une saturation à 9 millions, trafic atteint en 2030. Avec un plafond à Rennes atteint à 2 millions de passagers autour de 2030, les collectivités ont reposé les bases de manière factuelle à partir du moment où tout le monde s’accorde sur la nécessité d’une plateforme pour le Grand Ouest. Est-ce qu’on réinvestit plus d’un milliard d’euros, entre les indemnités au concessionnaire, les travaux, les procédures d’extension sans garantie de délai, pour se reposer la question du transfert en 2030, c’est-à-dire dans treize ans ? Ou est-ce qu’on transfère dès maintenant pour doter un territoire de 8 millions d’habitants, l’équivalent de la Suède, d’une plateforme moderne, internationale, écologique avec deux pistes comme tous les aéroports de cette taille, capable d’absorber la croissance du trafic afin d’éviter à plus d’un million et demi de Bretons et de Ligériens d’aller à Paris prendre l’avion ? Le Premier Ministre a été très à l’écoute de cette comparaison confortée par une opération financée à 70% par un opérateur privé pour Notre-Dame-des-Landes et engagée depuis 2010 face à un réaménagement incertain dont la charge publique n’a pas été étudiée. ».

C’est l’argument principal des élus locaux : dans tous les cas, l’aéroport Nantes-Atlantique, même réaménagé, ne conviendrait plus d’ici dix ou vingt ans, en raison de la croissance très élevée du trafic. Et ce réaménagement, finalement, aussi coûteux et plus long que le choix de Notre-Dame-des-Landes, poserait plus de problèmes qu’il n’en résoudrait.

C’était ce que les élus ont expliqué dans une lettre adressée à Emmanuel Macron le 18 décembre 2017 : « Le rapport [du 13 décembre 2017] n’apporte aucune réponse à l’exploitation de Nantes-Atlantique [réaménagé] après 2040 [le rapport affirme à propos de cette solution : "Le risque de saturation à terme est élevé, sauf à dégager de nouveaux espaces à plus long terme, ce qui conduit à envisager cette option avec prudence"]. Il n’apporte non plus aucune réponse à la gestion de l’exploitation pendant les neuf semaines de fermeture de piste inévitables en cas de maintien de l’activité mais inenvisageables. (…) Nous connaissons le financement public de Notre-Dame-des-Landes qui est de 246 millions d’euros en avances remboursables, c’est-à-dire potentiellement zéro sur la durée de la concession. Quelle serait la part du contribuable qui doit participer au financement des extensions de Nantes-Atlantique puis d’un transfert à Notre-Dame-des-Landes après 2040 ? (…) Le rapport précise que la procédure d’aménagement de Nantes-Atlantique incluant la saisine de la CNDP, un débat public, la saisine de l’autorité environnementale, durera deux ans quand elle a mis plus de quinze ans pour Notre-Dame-des-Landes avec 900 personnes impactées par les nuisances contre plus de 70 000 à Nantes. Qui peut "raisonnablement" croire cela ? ».

Le sujet de l’aéroport est multiple pour les gouvernements successifs. D’abord, il s’agit d’un marqueur de gouvernance. On notera la mauvaise foi de Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes et surtout, ancien Premier Ministre qui n’a pas brillé par sa capacité de décision lorsqu’il était aux affaires, alors qu’aujourd’hui, il hurle à la décision ! Ensuite, toujours dans le registre régalien, l’État de droit est largement bafoué dans la ZAD, une zone de non droit qui va à l’encontre de l’ordre républicain. Le tolérer, c’est accepter, à terme, le séparatisme d’où qu’il vienne (pourquoi pas corse ?). Enfin, il y a les considérations économiques (cela dopera-t-il l’activité ? cela créera-t-il des emplois ?), financières (qui paiera et combien finalement ?), environnementales (est-ce pertinent au moment où l’on commence à sérieusement lutter contre le changement climatique ?) et bien sûr politiques (peut-on bafouer le résultat d’un référendum consultatif ?).

Avant d’aborder tous ces sujets, il me paraît pertinent de faire un rapide historique du sujet.


Historique NDDL

Le projet a germé au moment de la détermination des métropoles régionales en 1963 : on avait donné (avec raison) à Nantes-Saint-Nazaire le rôle d’une des villes phare de l’aménagement du territoire (c’était le Ve Plan). En 1965, un nouvel aéroport fut envisagé pour desservir les régions Bretagne et Pays-de-la-Loire. Très vite, dès 1968, le site de Notre-Dame-des-Landes fut trouvé, au nord-ouest de Nantes, car il permettait aussi de se rapprocher de Rennes et de Vannes. Les lieux permettent en outre de construire des routes d’accès rapide. L’idée d’y construire un aéroport régional fut donc déjà sérieusement bien installée dans l’esprit des élus locaux en 1970.

Pour exemple, le sénateur (RPR) Michel Chauty (1924-2007), d’abord maire de Saint-Herblain (1959-1977), puis maire de Nantes (1983-1989), prédécesseur direct, dans ces deux communes, de Jean-Marc Ayrault, n’avait pas peur d’être traité de mégalomane lorsqu’il déclara, à "Presse-Océan" (cité par Wikipédia) le 22 mai 1970 : « La métropole de Nantes-Saint-Nazaire pourrait devenir le Rotterdam aérien de l’Europe par la création d’un aéroport international de fret au nord de la Loire. ». Si l’idée était tentante voire faisable il y a une cinquantaine d’années, beaucoup d’eau est passée sous les ponts, et Saint-Nazaire, Le Havre, Toulon ou d’autres ports auraient dû anticiper l’arrivée massive des cargos chinois qui débarquent, eux, à Rotterdam, Hambourg, voire Trieste/Koper et Gdansk…

En 1974 fut créée la Zone d’aménagement différé (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, réservée pour l’éventuelle construction d’un grand aéroport, qui a donné au conseil général un droit de préemption sur les terres. Mais la crise pétrolière et les difficultés économiques ont laissé le projet en l’état pendant un quart de siècle.

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Le projet fut relancé le 26 octobre 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin lors du Comité interministériel de l’aménagement du territoire se donnant notamment pour objectif : « réaliser un nouvel aéroport, en remplacement de Nantes-Atlantique, sur le site de Notre-Dame-des-Landes afin de valoriser la dimension internationale et européenne des échanges de l’Ouest Atlantique ». À partir de janvier 2002, la plupart des collectivités locales concernées par ce projet (conseils régionaux, conseils départementaux, villes, intercommunalités) se sont structurées en syndicat mixte pour mener ce projet. Un rapport fut remis le 13 avril 2007 au préfet de la région Pays-de-la-Loire.

Pourquoi une telle résurrection ? Probablement parce que le président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale, majoritaire entre juin 1997 et mai 2002, n’était autre que Jean-Marc Ayrault, le député-maire de Nantes et proche du Premier Ministre Lionel Jospin.

Cette majorité socialiste, plutôt que de faire resurgir l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, aurait mieux fait de confirmer au lieu d’abandonner (en 1997) la mise au gabarit de 5 000 tonnes du canal Rhin-Rhône qui aurait été une liaison économique prometteuse entre Rotterdam et Marseille. La ministre écologiste Dominique Voynet, élue de Dole, s’était opposée à ce canal devenu une simple promenade touristique.

Le 9 février 2008, la déclaration d’utilité publique fut décrétée. Comme on le voit, ce fut comme pour l’écotaxe : le projet a été soutenu par le quinquennat de Nicolas Sarkozy et mal géré ensuite par le quinquennat de François Hollande. Cette déclaration d’utilité publique fut considérée comme une déclaration de guerre par les opposants à l’aéroport, principalement les habitants des lieux, les agricultures et les écologistes, qui organisèrent une première manifestation de plusieurs milliers de contestataires le 3 mars 2008 à Nantes.

Le 27 octobre 2008, le préfet de région a reçu quatre entreprises candidates pour acquérir la concession : Bouygues, Vinci, SNC-Lavalin et NGE. Seules, les trois premières déposèrent le dossier avant la date limite du 30 octobre 2009. Le choix du gouvernement s’est finalement porté en juillet 2010 sur Vinci pour une concession d’une durée de 55 ans (décret du 29 décembre 2010). Le contrat de délégation de service public fut applicable le 1er janvier 2011. L’enquête publique fut troublée en novembre 2010 par des manifestants et par la riposte musclée des forces de l’ordre.

Éléments troublants : le préfet de région en question, né en 1947, a quitté ses fonctions de préfet en juillet 2009 et a pris sa retraite de haut fonctionnaire (de la Cour des Comptes) en 2011 pour ensuite "pantoufler" pour le compte de …Vinci. Par ailleurs, un conseiller technique du Ministre des Transports à l’époque du gouvernement Jospin fut recruté en 2002 par Vinci (à Cofiroute puis président de Vinci Airports). Ces deux personnes, l’une est proche de la droite, l’autre de la gauche. Les deux principaux partis de gouvernement (jusqu’en 2017), à savoir l’UMP/LR et le PS, ainsi que le PCF, sont très engagés dans la défense du projet du nouvel aéroport. En particulier, Jacques Auxiette (PS) et Bruno Retailleau (LR) se sont beaucoup impliqués dans la défense du projet, tous les deux, président du conseil régional des Pays-de-la-Loire, respectivement du 2 avril 2004 au 18 décembre 2015, et du 18 décembre 2015 au 30 septembre 2017.

Le quinquennat de François Hollande a été incapable de faire respecter la loi : les occupants de la ZAD refusèrent d’être évacués à partir de 2012, malgré la totalité des recours qui leur furent défavorables (notamment le 25 janvier 2016). À l’issue d’un remaniement ministériel qui a fait revenir Jean-Marc Ayrault (nommé au Quai d’Orsay) et les écologistes, François Hollande annonça le 11 février 2016 sur TF1 et France 2 qu’il organiserait un référendum sur le sujet. Il a eu lieu le 26 juin 2016 (voir plus loin).

Les premiers travaux auraient dû commencer en octobre 2016 mais pour cela, il aurait fallu que le gouvernement employât la force pour déloger les "zadistes", ce qu’il s’est refusé de faire pour ne pas renouveler la mort de Rémi Fraisse, jeune militant tué le 26 octobre 2014 lors d’affrontements à la fin d’une manifestation contre le barrage de Sivens.

Puis la campagne présidentielle est arrivée et Emmanuel Macron fut élu. L’une de ses obsessions, c’est de ne pas recommencer toutes les erreurs de son prédécesseur, et en particulier, ne pas avoir le courage de trancher dans ce dossier ultra-sensible.

Parmi ses ministres les plus importants et les plus appréciés de "l’opinion publique", il y a Nicolas Hulot, numéro trois du gouvernement (Ministre d’État, Ministre de la Transition écologique et solidaire depuis le 17 mai 2017), hostile au projet d’aéroport mais sans doute prêt à manger de nouvelles couleuvres, et aussi Jean-Yves Le Drian, Ministre des Affaires étrangères et longtemps président du conseil régional de Bretagne (du 2 avril 2004 au 29 juin 2012 et du 18 décembre 2015 au 2 juin 2017) et maire de Lorient (du 4 juillet 1981 au 2 avril 1998), lui très favorable au projet.


L’ordre républicain

L’évacuation de la ZAD aurait dû avoir lieu avant la prise de décision finale. Son occupation par des militants est une forte pression contre la démocratie elle-même. On ne peut pas s’opposer au principe de l’État de droit : toutes les décisions de justice (au nombre de 179 !) ont été défavorables aux zadistes.

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Refuser l’ordre républicain, ou plutôt, accepter que l’ordre républicain soit si durablement défié (depuis près d’une décennie, à partir d’août 2009), c’est laisser la porte ouverte à toutes les sécessions possibles, encourager des actions militantes parfois violentes (comme au barrage de Sivens en 2014) et empêcher le pays de se moderniser le cas échéant.

Le premier acte d’autorité, ce serait donc de faire évacuer calmement la zone, ne serait-ce que pour éviter des blessés et des morts. On a suffisamment parlé dans les médias de ces fameuses "zones de non droit" dans des cités d’immeubles de banlieue pour ne pas multiplier ces zones dans la campagne à chaque construction d’ouvrage.


La consultation du 26 juin 2016

Si l’on prend les résultats, il y a eu 55,2% en faveur du projet (44,8% contre) avec 51,1% de participation. Ces simples données laisseraient croire que la démocratie a parlé, et donc, que la messe fut dite.

Pourtant, une telle consultation pourrait être contestable à plusieurs titres. Le premier, c’est que ce n’étai pas un référendum, c’était une consultation, donc, une aide à la décision et pas une obligation pour le gouvernement. Le deuxième, c’était évidemment de définir qui pouvait voter. Le 15 mars 2016, le Premier Ministre Manuel Valls a annoncé que seuls les électeurs de Loire-Atlantique pouvaient voter.

Cette partition électorale avait de quoi être déconcertante. Le gouvernement affirmait que c’était un aéroport d’envergure régionale, doublement, puisque les Pays-de-la-Loire et la Bretagne devraient participer financièrement au projet à hauteur de 69,3 millions d’euros sur les 561 millions d’euros prévus en 2012 (probablement bien plus, au moins le double). Pourquoi n’avoir pas fait voter l’ensemble des électeurs de ces deux régions au lieu de seulement ceux de la Loire-Atlantique qui ne participerait qu’à hauteur de 23,1 millions d’euros seulement ?

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Évidemment, puisque j’évoque l’argument financier, l’État devrait apporter bien plus que les collectivités locales, avec 130,5 millions d’euros. Par conséquent, le contribuable marseillais, ou strasbourgeois, contribuerait presque autant que le contribuable nantais.

Troisième contestation possible de cette consultation, ce fut sa nature institutionnelle : ni nationale ni locale, elle a dû faire l’objet, au préalable, de l’adoption d’une ordonnance spécifique, l’ordonnance n°2016-488 du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement (ainsi que le décret l’accompagnant, n°2016-491 du 21 avril 2016). Bref, tout un dispositif législatif a été adopté à la va-vite (en un mois) pour organiser la tenue de cette consultation (le Conseil d’État a cependant approuvé la procédure, par sa décision n°400704 du 22 juin 2016).

Le décret n°2016-503 du 23 avril 2016 a formalisé la question : « Êtes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? ».

À bien y regarder, les résultats, en fait, sont malgré tout très mitigés car il y a de grandes disparités géographiques. Bien sûr, les électeurs des communes proches de la ZAD se sont très massivement opposés au projet (73,6% de non à Notre-Dame-des-Landes). Même les électeurs de Nantes, qui pourtant en profiteraient le plus, sont restés hésitants, à peine majoritaires (50,1% de oui).

Plusieurs partis qui étaient opposés au projet se sont ralliés à son soutien dès lors que la consultation l’a approuvé : ce fut le cas du MoDem, du FN, et aussi de l’UDB (Union démocratique bretonne). Nicolas Hulot, opposé au projet depuis longtemps (notamment dès le 12 décembre 2012), a regretté, le 27 juin 2016 sur Europe 1, le résultat de la consultation tout en voulant en tenir compte : « On ne peut pas demander d’aller voter et si le résultat ne vous plaît pas, ne pas en tenir compte. J’en prends acte. ».

Nicolas Hulot (qui laissait envisager sa démission de ministre sur France Inter le 1er décembre 2017) avait raison l’année précédente, en refusant le déni démocratique, mais pourtant, l’organisation même de cette consultation était douteuse. C’était une pirouette de non-décision de François Hollande qui s’est retournée contre lui et contre son successeur, car la considération démocratique devrait nécessairement être en ligne de compte, ce qui a créé une pression ou contrainte supplémentaire.

La définition même du périmètre géographique garantissait le résultat voulu : seulement autour des communes de Notre-Dame-des-Landes et riveraines, le résultat aurait été "non" ; tout de département jusqu’aux deux régions, le résultat aurait été "oui", car les habitants en profiteraient sans nuisance particulière (sauf pour les riverains) ; élargi à tout le territoire national, le résultat aurait probablement été "non", car beaucoup d’électeurs n’en auraient eu aucun bénéfice… En somme, un coup d’épée dans l’eau.

Un sondage réalisé les 11 et 12 février 2016 par Odoxa pour "Paris Match" et i-Télé affirmait que 58% des sondés représentant l’ensemble des Français seraient opposés à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes contre 41% qui seraient favorables. Après la consultation, un sondage réalisé par l’IFOP en novembre 2017 a donné des résultats inversés, avec 54% des sondés représentant l’ensemble des Français qui seraient favorables au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (par loyalisme et respect du choix du peuple).

De toute façon, le problème n’était pas "politique" dans le sens où la grande majorité des partis (localement et nationalement) y était favorable, en particulier les deux partis de gouvernement UMP/LR et PS. Le problème était de pouvoir évacuer la zone sans effusion de sang (pour commencer les travaux au plus vite). Cela reste d’ailleurs le principal défi du gouvernement d’Édouard Philippe.

Venons-en au cœur du sujet…


Les considérations économiques

La construction de l’aéroport répondrait à l’augmentation croissante du nombre de passagers aériens au départ ou à l’arrivée à Nantes. S’il y a effectivement une hausse régulière de la fréquentation de l’actuel aéroport Nantes-Atlantique (+8,2% par exemple en 2013, +8,7% en 2016, +47% entre 2011 et 2016 ; de 1,9 million en 2001 à 3,2 millions en 2011 et 5,5 millions en 2017), il y a toutefois une stabilisation du nombre de vols commerciaux (baisse de 2,0% en 2013 ; autour de 50 000 vols commerciaux en 2016). Pour se donner un élément de comparaison (voir tableau), la moyenne annuelle de variation entre 2012 et 2016 est une hausse de 7,1% pour le nombre de passagers et de seulement 1,4% pour le nombre de vols commerciaux. En effet, le progrès technique permet le transport de plus de passagers dans le même avion qu’auparavant. C’est bien sûr le nombre de vols commerciaux et son évolution future qui doivent être pris en compte pour la réflexion sur un nouvel aéroport, pas le nombre de passagers. Le nouvel aéroport pourrait accueillir jusqu’à 9 millions de passagers à l’horizon 2050, avec des capacités d'extension le cas échéant plus tard.

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Comme souvent, il serait probable que la construction d’une grande infrastructure de transport créerait des synergies et attirerait de nouvelles entreprises près du nouvel aéroport. D’autant plus qu’il serait facile à relier cette nouvelle plateforme aéroportuaire avec une voie rapide (N137 entre Nantes et Rennes et N165 entre Nantes et Vannes) et le TGV (qui ne passe pas très loin avec la liaison Paris-Nantes). Une croissance d’un million d’habitants serait attendue sur la façade atlantique d’ici à 2030. Le nouvel aéroport créerait 4 000 emplois directs et indirects liés au chantier et entre 1 230 à 5 650 emplois directs et indirects liés à l’exploitation de la zone aéroportuaire d’ici à 2025.

Le sénateur Bruno Retailleau, alors président du Syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest, avait estimé ainsi l’impact sur l’emploi : « En prenant en compte la construction, l’exploitation, le développement du nouvel aéroport et le réaménagement de Nantes-Atlantique, la fourchette basse est de plus 10 000 créations d’emplois pérennes dans le bassin. Ces nouvelles infrastructures de transport vont renforcer l’attractivité du Grand Ouest et jouer un rôle de "booster" au plan économique et social. Et ce n’est qu’un début car les conséquences indirectes à moyen et long terme (tourisme, affaires, agriculture, industries…) seront encore plus nombreuses. ».

Toutefois, l’usine implantée à Bouguenais d’Airbus (qui emploie 5 000 personnes dans la région), juste en bordure de l’aéroport Nantes-Atlantique, qui a besoin d’acheminer ses pièces par avion entre ses différents sites industriels, pourrait ne pas être capable de payer la totalité des frais de maintien de la piste actuelle si le trafic commercial était transféré à Notre-Dame-des-Landes.

De manière logique, des emplois seraient détruits dans l’agriculture (la fin de l’exploitation des terres incluses dans la ZAD), dont le nombre serait estimé à quelques centaines (600). Une cinquantaine d’exploitations agricoles sur 5 000 hectares seraient affectées.


Les considérations écologiques

Évidemment, un aéroport est, en lui-même, porteur de pollution, avec l’énergie consommée par les avions et les gaz rejetés. Mais c’est aussi le cas pour la circulation automobile (dans une moindre mesure si l’on prend comme référence le kilomètre parcouru) et même pour le transport ferroviaire (l’électricité, il faut bien la produire quelque part). La lutte contre le changement climatique ne doit cependant pas se faire au détriment de la vie tout court. Les gens ont le droit de vivre, de se déplacer, de gagner leur vie. L’économie ne doit donc pas être la victime de considérations écologiques même si elle doit rester vigilante (tout est une question d’équilibre, comme pour la sécurité routière). D’ailleurs, les progrès technologiques font que les rejets de gaz polluant sont de même ordre pour l’avion (3 litres par 100 kilomètres par passager) que pour l’automobile (5 litres par 100 kilomètres par véhicule).

De même, la construction d’un nouvel aéroport saccagerait l’espace naturel utilisé. Et cela d’autant plus que depuis plus d’une quarantaine d’années, la ZAD a développé elle-même un nouveau milieu naturel. Les associations de protection de la nature de la FNE (France nature environnement) considèrent que la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes coûterait cher pour la biodiversité : 109 espèces protégées (plantes et animaux) seraient détruites (dont 28 reconnus d’intérêt communautaire par l’Europe), comme le campagnol amphibie, le triton marbré, le triton crêté, le lézard vivipare, ou la cicendie naine, et 1 200 hectares de zones humides et de cultures bocagères seraient détruits. Les partisans de Notre-Dame-des-Landes réfutent ces arguments en disant qu’au contraire, le projet s’est préoccupé de l’aspect écologique et que 40 millions d’euros sont prévus pour des mesures écologiques compensatoires.

L’alternative, si le projet de nouvel aéroport ne voyait pas le jour, ce serait l’agrandissement de l’aéroport actuel, Nantes-Atlantique. Or, les partisans du nouvel aéroport insistent aussi sur le fait que l’agglomération nantaise subit de plein fouet la pollution d’un aéroport à très grande proximité, sans compter les menaces pour la population (en cas d’accident aérien par exemple). Éloigner l’aéroport d’une zone urbaine dense répond donc aussi à des considérations écologiques. Le renforcement de l’actuel aéroport provoquerait des nuisances sonores à 11 000 habitants de l’agglomération nantaise et à une dizaine d’établissements scolaires ou hospitaliers.


Pour ou contre ?

Le rapport de la mission de médiation remis le 13 décembre 2017 a insisté sur un fait, que l’état actuel de l’aéroport de Nantes-Atlantique ne suffirait plus dans les prochaines décennies à assurer les vols commerciaux en pleine croissance. Il a donc modifié l’alternative souvent présentée entre construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et rien du tout. L’alternative est donc devenue entre construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes et réaménagement de l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique.

Dans cette optique, il n’est pas sûr que les considérations environnementales favoriseraient l’abandon de Notre-Dame-des-Landes. D’autant plus qu’il faudrait intégrer des coûts supplémentaires de pénalités (au moins 350 millions d’euros sans compter le manque à gagner des collectivités locales pendant la durée de 55 ans) pour la remise en cause du contrat de concession à Vinci (indemnités compensatrices très lourdes comme ce fut le cas avec l’abandon de l’écotaxe).

La décision est donc difficile à prendre car quelle qu’elle soit, elle fera nécessairement des mécontents. Par conséquent, la seule qui vaille, c’est bien sûr celle qui, sourde aux vociférations du présent, anticipera le mieux l’avenir. C’est d’ailleurs la seule chose qu’on attend vraiment des responsables politiques…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 janvier 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
L’écotaxe.
La sécurité routière.
Emmanuel Macron.
Édouard Philippe.
Jean-Marc Ayrault.
Jean-Yves Le Drian.
Olivier Guichard.
Nicolas Hulot.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180113-notre-dame-des-landes.html

https://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/notre-dame-des-landes-symbole-de-200674

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/01/16/36051879.html


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