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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
2 mars 2018

Alain, philosophe anti-système

« Rien n’est plus dangereux qu’une idée, quand on n’a qu’une idée. » (Alain, "Propos II", 5 juillet 1930).



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Le philosophe Alain, de son vrai nom Émile-Auguste Chartier, est né à Mortagne-au-Perche, dans l’Orne, il y a 150 ans, le 3 mars 1868 à 15 heures, c’est-à-dire, un peu plus de deux ans avant la guerre de 1870 entre la France et la Prusse. Il fut un philosophe très inspiré par le rationalisme, ainsi que par le positivisme d’Auguste Comte (1798-1857). Il voulait concilier rationalisme et réalisme. Alain est assez peu à la mode aujourd’hui, en 2018, ce qui n’est pas très étonnant ; il aurait eu du mal à s’adapter à cette société du zapping et des sms, celle des idées courtes et superficielles, basée principalement sur un "consumérisme de fuite en avant".

Adolescent au lycée d’Alençon (appelé maintenant le lycée Alain), Alain fut fasciné par Balzac, Stendhal, Descartes, Platon et Homère. Il rajouta plus tard Kant et Spinoza dans son panthéon personnel. Il fut très inspiré par son maître de philosophie Jules Lagneau (1851-1894) dont il fut l’élève, au lycée Michelet de Vanves, entre 1887 et 1889 (en pleine flambée boulangiste). Un peu auparavant, lorsqu’il a enseigné à Nancy, Jules Lagneau fut aussi le professeur d’un autre élève célèbre, Maurice Barrès (1862-1923). Alain décrivit plus tard Lagneau ainsi : « Parmi les attributs de Dieu, il avait la majesté. (…) Ses yeux perçants traversaient nos cœurs, et nous nous sentions indignes. L’admiration allait d’abord à ce caractère, évidemment inflexible, inattentif aux flatteries, aux précautions, aux intrigues, comme si la justice lui était due. » (cité par Wikipédia).

Normalien (admis à Normale Sup. en juillet 1889 à la troisième tentative, 23e sur 24), Alain fut reçu à l’agrégation de philosophie en été 1892 à la 3e place (en pleine crise anarchiste, après une vague d’attentats terroristes, dont l’explosion d’une bombe au Palais-Bourbon ; les députés ont réagi en votant des lois répressives, ce qu’ils ont fait encore cent vingt ans après en réaction aux attentats islamistes).

S’il fut également essayiste, journaliste, éditorialiste (il fut même un moment, autour de l’année 1900, engagé politiquement dans le radicalisme pour promouvoir la laïcité et défendre le capitaine Alfred Dreyfus, mais il quitta rapidement le militantisme partisan pour lequel il n’était pas du tout fait), Alain fut avant tout un professeur de philosophie.

Entre 1892 et 1909, il enseigna à Pontivy, Lorient, Rouen, Paris (lycée Condorcet) et à son ancien lycée Michelet, à Vanves (heureux d’y revenir). Puis, il fut l’inamovible professeur de rhétorique supérieure en classe de khâgne au lycée Henri-IV à Paris, de 1909 à sa retraite, en 1933. Il a marqué des générations d’étudiants souvent de très haute stature intellectuelle, comme Simone Weil, Raymond Aron, André Maurois, Julian Gracq, Maurice Schumann, etc. Ses discours à la remise de prix au lycée Condorcet furent très suivis. Son perfectionnisme intellectuel se comprend à la lecture de cette réflexion dans son journal ("Cahiers de Lorient") : « Je viens de brûler ce 11 novembre 1905 à peu près trois cents pages écrites depuis longtemps sous le nom d’Analytique Générale. ». Normal quand on est sans cesse habité par le doute : « Le doute est le sel de l’esprit ; sans la pointe du doute, toutes les connaissances sont bientôt pourries. » ("Propos", 1908-1920).

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À partir de 1903, Alain n’a jamais cessé d’écrire, des chroniques hebdomadaires dans des journaux où il abordait un ou deux thèmes de façon brève et variée, avec une formulation très littéraire. Cela a donné des milliers de chroniques qu’il commença à rassembler et à publier à partir de février 1906 sous l’appellation de "Propos", les plus connus étant ses "Propos sur le bonheur" (1925).

S’inspirant notamment des Stoïciens, Alain fondait sa pensée sur le bon sens et la sagesse (entre janvier et mars 1899, il publia "Matériaux pour une doctrine laïque de la sagesse"). Il était contre les dogmes, contre les systèmes et mettait la responsabilité et la liberté de chaque personne au cœur de ses idées humanistes : « Le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme est de volonté. » ("Propos sur le bonheur", 1925).

Alain est parti volontaire le 7 août 1914 au 3e régiment d’artillerie sur le front de la Première Guerre mondiale et il en est revenu le 14 octobre 1917, blessé gravement au pied (le 23 mai 1916, il fut hospitalisé trois mois) et traumatisé par la guerre, un peu comme Céline, ce qui l’a amené à promouvoir le pacifisme entre les deux guerres, à publier deux pamphlets contre la guerre, "Mars ou la guerre jugée" (1921) et "Convulsion de la force" (1939), tout en mettant en garde contre la montée du nazisme (là, pas comme Céline !). Il fit en effet partie des cofondateurs du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (dirigé notamment par le physicien Paul Langevin).

Dans "Mars ou la guerre jugée", Alain a essayé de définir son humanisme : « L’humanisme a pour fin la liberté dans le sens plein du mot, laquelle dépend avant tout d’un jugement hardi contre les apparences et prestiges. (…) Mais il dépasse le socialisme lorsqu’il décide que la justice dans les choses n’assure aucune liberté réelle du jugement ni aucune puissance contre les entraînements humains, mais au contraire tend à découronner l’homme par la prépondérance accordée aux conditions inférieures du bien-être, ce qui engendre l’ennui socialiste, suprême espoir de l’ambitieux. L’humanisme vise donc toujours à augmenter la puissance réelle en chacun, par la culture la plus étendue, scientifique, esthétique, morale. Et l’humaniste ne connaît de précieux au monde que la culture humaine, par les œuvres éminentes de tous les temps, en tous, d’après cette idée que la participation réelle à l’humanité l’emporte de loin sur ce qu’on peut attendre des aptitudes de chacun développées seulement au contact des choses et des hommes selon l’empirisme pur. Ici apparaît un genre d’égalité qui vit de respect, et s’accorde avec toutes les différences possibles, sans aucune idolâtrie à l’égard de ce qui est nombre, collection ou troupeau. Individualisme, donc, mais corrigé par cette idée que l’individu reste animal sous la forme humaine sans le culte des grands morts. La force de l’humanisme est dans cette foule immortelle. » (1921).

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En fauteuil roulant à partir de 1936 à cause d’une attaque cérébrale, Alain continua son œuvre philosophique et littéraire. Il approuva l’armistice en juin 1940 mais fut révolté par l’antisémitisme du gouvernement de Pétain. Descente aux enfers entre 1940 et 1944, isolé du monde et de la guerre, atteint par deux grands deuils (dont celui de son élève, l’écrivain résistant Jean Prévost, tué le 1er août 1944 dans le maquis du Vercors), mais il s’est repris et a continué à écrire encore beaucoup.

Alain est mort au Vésinet, dans sa maison achetée au retour du front en 1917, dans les Yvelines, à 83 ans le 2 juin 1951 et enterré le 6 juin 1951 au Père-Lachaise à Paris. André Maurois présida le premier l’Association des Amis d’Alain fondée le 22 juin 1951 et toujours en activité. S’il faut attendre le 2 juin 2021 (dans trois années seulement) pour que son œuvre tombe dans le domaine public en France, c’est déjà le cas depuis le 2 juin 2001 au Canada, si bien que toute son œuvre y est libre de droits et publiable sans limites.

Emmanuel Blondel, administrateur de l’œuvre d’Alain, a été l’invité de Jean Lebrun dans l’émission "La marche de l’histoire" diffusé sur France Inter le jeudi 1er mars 2018 à 13 heures 30, à l’occasion de la publication du Journal d’Alain aux éditions des Équateurs.

Quant à la ville de Mortagne-au-Perche (Orne), elle propose ce samedi 3 mars 2018 à 14 heures 30 le vernissage d’une exposition sur Alain au jardin public et à 15 heures 30, une conférence du philosophe André Comte-Sponville sur "Alain, la religion et la laïcité".

Dans un prochain article, je proposerai une petite anthologie pour lui rendre hommage : « Il faut que la pensée voyage et contemple, si l’on veut que le corps soit bien. » ("Propos sur le bonheur", 1925).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 mars 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Petite anthologie alinienne.
Le philosophe Alain.
Charles Péguy.
Simone Weil.
Étienne Borne.
Bernard d’Espagnat.
Paul Ricœur.
Edgar Morin.
Albert Jacquard.
Roger Garaudy.
Olivier Costa de Beauregard.
Alain Aspect.
Stephen Hawking.
David Bohm.
Jean d’Alembert.
Emmanuel Levinas.
Roland Barthes.
Benjamin Constant.
Karl Marx.
John Maynard Keynes.
Sigmund Freud.
Karl Popper.
Ernst Mach.
Bernard-Henri Lévy.
Édouard Bonnefous.
Michel Serres.
Hannah Arendt et la doxa.
Elie Wiesel.
André Glucksmann.
Les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline.
Marguerite Yourcenar.
Albert Camus.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180303-philosophe-alain.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/alain-philosophe-anti-systeme-201994

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/03/02/36187507.html




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