La "peur" de saint Jean-Paul II
« Et voilà que les éminents cardinaux ont appelé un nouvel évêque de Rome. Ils l’ont appelé d’un pays lointain, lointain, mais toujours si proche par la communion dans la foi et la tradition chrétienne. J’ai eu peur en recevant cette nomination, mais je l’ai fait en esprit d’obéissance à Notre-Seigneur Jésus-Christ et de confiance totale à sa Mère, la Très Sainte Vierge. » (Karol Wojtyla, le 16 octobre 1978 à Rome).
C’était il y a quarante ans exactement, le lundi 16 octobre 1978, une année qui a connu trois papes. Paul VI, qui a été canonisé le dimanche 14 octobre 2018, est mort le 6 août 1978. Son successeur Jean-Paul Ier fut élu le 26 août 1978 mais est mort un mois plus tard, le 28 septembre 1978. Enfin, Jean-Paul II (canonisé le 27 avril 2014) a été élu pape le 16 octobre 1978. Pape jeune (pour un pape), 58 ans.
Son nom est Karol Wojtyla et son "pays lointain" est bien sûr la Pologne. Archevêque de Cracovie. Lorsqu’un cardinal est élu pape, il doit tout de suite trouver son nom de pape, et ce n’est pas sûr que tous les cardinaux éligibles y pensent avant le conclave. Du coup, parce qu’il était Polonais, Karol Wojtyla avait proposé à ses collègues de s’appeler Stanislas Ier. Mais on l’en dissuada car cela faisait plusieurs siècles qu’aucun pape n’avait jamais "commencé" un nouveau nom. Traditionnellement, le nouveau pape reprend un nom d’un pape ancien dont il voudrait s’inspirer. Le pape François a rompu cette tradition le 13 mars 2013 en démarrant un nouveau nom tout en se refusant d’y mettre un numéro (François Ier) qui ferait de lui un peu un roi (un célèbre roi de France par exemple). Finalement, Karol Wojtyla a choisi Jean-Paul II pour rendre hommage à son prédécesseur resté très brièvement, lui-même ayant pris cette appellation pour rendre hommage à ses deux prédécesseurs directs, saint Jean XXIII et saint Paul VI.
Les premières paroles du nouveau pape, ce fut donc de dire : "J’ai eu peur !". Il y avait de quoi, bien sûr, car la fonction, le symbole, face à l’histoire, oblige beaucoup celui qui va l’incarner. Et l’on sait, a posteriori, que Jean-Paul II a su incarner ses fonctions de manière extraordinairement vivante et dynamique.
Ce fut quelques jours plus tard, lors de son homélie pour la messe solennelle d’intronisation, le dimanche 22 octobre 1978, qu’il a prononcé les paroles qui sont restées célèbres. Il déclara aux fidèles : « Frères et sœurs, n’ayez pas peur d’accueillir le Christ et d’accepter son pouvoir ! ». C’était là une parole d’humilité : en disant à la fois "j’ai peur" et en disant au monde entier "n’ayez pas peur !".
Il ajouta : « Aidez le pape et tous ceux qui veulent servir le Christ et, avec la puissance du Christ, servir l’homme et l’humanité entière ! N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! À sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N’ayez pas peur ! Le Christ sait "ce qu’il y a dans l’homme" ! Et lui seul le sait ! Aujourd’hui, si souvent l’homme ignore ce qu’il porte au-dedans de lui, dans les profondeurs de son esprit et de son cœur. Si souvent il est incertain du sens de sa vie sur cette terre. Il est envahi par le doute qui se transforme en désespoir. Permettez donc, je vous prie, je vous l’implore avec humilité et confiance, permettez au Christ de parler à l’homme. Lui seul a des paroles de vie, oui, de vie éternelle ! ».
Dans ces quelques mots, presque tout y était pour les temps à venir. Par exemple, ouvrir les frontières des États : les humains forment une communauté unique et pas séparable par des frontières artificielles (récentes d’ailleurs : devait-on avoir un visa pour voyager au XVIIIe siècle ?). Cela signifie plus d’humanité pour les réfugiés. Ouvrir les systèmes économiques, ce n’est pas forcément du libéralisme mais surtout, de la redistribution, que tous les hommes puissent bénéficiaient des mêmes richesses de la terre. Encourager l’égalité. Ouvrir les systèmes politiques, c’est évidemment encourager la démocratie et la liberté, à une époque où la Pologne, la moitié de l’Europe étaient enfermées dans une dictature communiste. Ouvrir les immenses domaines de la culture, c’est favoriser la transmission des savoirs, lutter contre l’analphabétisme, éduquer, instruire, soigner, etc.
Il termina sa première homélie pontificale avec cette grande forme d’humilité en parallèle avec son étonnante vigueur et force intérieure : « Et je m’adresse encore à tous les hommes, à chaque homme (…). Priez pour moi ! Aidez-moi, afin que je puisse vous servir ! ».
Je propose ici de reprendre quelques premières paroles de ce nouveau pape si médiatique, si inhabituel pour l’époque. Un pape qui faisait du sport, qui avait installé une piscine pour nager, qui skiait devant les caméras, qui voyageait, qui rencontrait les gens. Des millions de personnes ont pu l’écouter de vive voix dans le monde.
Si Jean-Paul II a si bien incarné la fonction pontificale, c’était parce qu’il avait un véritable charisme et un talent pour la communication (il avait fait du théâtre dans sa jeunesse). Les relations avec les journalistes étaient donc essentielles pour lui et l’Église qu’il servait.
Quelques jours après son élection, le 21 octobre 1978, il leur adressa un salut amical : « Soyez vivement remerciés de tout ce que vous avez fait, de ce que vous ferez, pour présenter au grand public, dans la presse, à la radio, à la télévision, les événements de l’Église catholique qui vous ont plusieurs fois rassemblés à Rome depuis deux mois. Certes, au simple niveau professionnel, vous avez vécu des journées éprouvantes autant qu’émouvantes. Le caractère soudain, imprévisible, des faits qui se sont succédé, vous a obligés à faire appel à une somme de connaissances en matière d’information religieuse qui vous étaient peut-être peu familières, puis à faire face, dans des conditions parfois fébriles, à une exigence qui connaît la maladie du siècle : la hâte. Pour vous, attendre la fumée blanche n’était pas une heure de tout repos ! Merci d’abord d’avoir fait si largement écho, avec un respect unanime, au labeur considérable et véritablement historique du grand pape Paul VI. Merci d’avoir rendu si familier le visage souriant et l’attitude évangélique de mon prédécesseur immédiat, Jean-Paul Ier. Merci encore du relief favorable que vous avez donné au récent conclave, à mon élection et aux premiers pas que j’ai accomplis dans la lourde charge du pontificat. ».
Il comprenait la dure tâche des journalistes d’analyser les événements : « Il est difficile de bien présenter le vrai visage de l’Église. Oui, les événements sont toujours difficiles à lire, et à faire lire. D’abord ils sont presque toujours complexes. Il suffit qu’un élément soit oublié par inadvertance, omis volontairement, minimisé ou au contraire accentué outre mesure, pour fausser la vision présente et les prévisions à venir. Les faits d’Église sont en outre plus difficiles à saisir pour ceux qui les regardent, je le dis en tout respect de chacun, en dehors d’une vision de foi, et plus encore à exprimer à un large public qui en perçoit difficilement le vrai sens. ».
Ces changements de papes (trois papes en 1978) ont passionné de nombreuses personnes : « Peut-être avez-vous été vous-mêmes surpris et encouragés par l’importance qu’y attribuait, dans tous les pays, un très large public que d’aucuns croyaient indifférent ou allergique à l’institution ecclésiastique et aux choses spirituelles. En réalité, la transmission de la charge suprême confiée par le Christ à saint Pierre, à l’égard de tous les peuples à évangéliser et de tous les disciples du Christ à rassembler dans l’unité, est vraiment apparue comme une réalité transcendant les événements habituels. ».
Au-delà de la communication et du faire-savoir, il y avait bien sûr le fond. Le fond du message papal n’était pas de nature politique mais de nature spirituelle. Et pour son premier Noël, il a délivré le message principal du christianisme qui est l’humanisme : chaque humain est unique, et aussi, chaque humain est uni à l’humanité tout entière.
Le 25 décembre 1978, lors de son premier message urbi et orbi de Noël, Jean-Paul II s’adressa en effet aux fidèles venus Place Saint-Pierre avec cet humanisme qui caractérise le christianisme et le catholicisme (catholique signifie universel) : « Ce message s’adresse à chaque homme, à l’homme dans son humanité. Noël est la fête de l’homme. C’est la naissance de l’homme. L’un des milliards d’hommes qui sont nés, qui naissent et qui naîtront sur la terre. Un homme, un élément de cette immense statistique. Ce n’est pas par hasard que Jésus est venu au monde à l’époque du recensement quand un empereur romain voulait savoir combien son pays comptait de sujets. L’homme, objet de calcul, qui entre dans la catégorie de la quantité ; un parmi des milliards. Et en même temps, un être unique, absolument singulier. Si nous célébrons aujourd’hui de manière aussi solennelle la naissance de Jésus, nous le faisons pour rendre témoignage au fait que chaque homme est unique, absolument singulier. Si nos statistiques humaines, nos catégories humaines, nos systèmes politiques, économiques et sociaux humains, les simples capacités humaines ne réussissent pas à assurer à l’homme la possibilité de naître, d’exister et d’agir en tant qu’être unique et absolument singulier, tout cela lui est assuré par Dieu. Pour lui, et en face de lui, l’homme est toujours quelqu’un d’unique, d’absolument singulier ; quelqu’un éternellement pensé et éternellement choisi, quelqu’un appelé et nommé par son propre nom. ».
En plus d’un quart de siècle, Jean-Paul II a visité quasiment tous les pays de la planète, a parlé avec de très nombreux peuples. Inlassablement, avec beaucoup de souffrance à la fin de sa vie, mais avec foi et espérance, il a transmis ce message de l’humain. La "bonne nouvelle", c’est cet humanisme-là. Ce pape fut critiqué par les uns et par les autres parce que ceux-ci restaient dans un cadre politique : trop à droite pour la gauche car trop rivé aux valeurs traditionnelles, mais trop à gauche pour la droite parce qu’il a toujours rappelé que le principal était la place que l’homme avait dans la société, ce qui signifiait entre autres justice sociale, accueil des réfugiés et abolition de la peine de mort. Doublement contesté et pourtant, unanimement et durablement respecté, parce que son moteur n’était pas la haine mais l’amour. Cela fait quarante ans que l’humanité a "profité" de son message …"révolutionnaire".
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Sylvain Rakotoarison (14 octobre 2018)
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La "peur" de saint Jean-Paul II.
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