Vincent Lambert et Inès : en route vers une société eugénique ?
« Ô vous (…), les allongés, les promis à la mort, les sans force et sans pouvoir, à tout être humain vivant, il est permis d’être le sel de la terre. (…) Il lui suffit, dans l’océan de trouble et de douleur, d’une goutte de cette eau pure. (…) Tel est le mot de la divine douceur, le premier et le dernier, elle ne dit rien d’autre : il n’y a pas de bouche inutile. » (Maurice Bellet, 1987).
Et voici que Vincent Lambert revient dans l’actualité, par la plus mauvaise porte : par une nouvelle "condamnation à mort". Vincent Lambert (41 ans) a été victime d’un accident de la circulation le 29 septembre 2008. Il est en "état de conscience minimal" que certains, même médecins, osent qualifier d’état "végétatif" contre toute dignité de l’humain : un être humain n’est pas une plante, quel que soi sont état, quel que soit son handicap, il reste humain, avec sa dignité et sa réalité. Ces dernières années, j’ai longuement évoqué sa douloureuse situation tant médicale que familiale et même judiciaire.
Au terme d’une quatrième procédure collégiale, ce lundi 9 avril 2018, le CHU de Reims s’est prononcé en faveur d’un "arrêt des traitements" de Vincent Lambert. La loi Claeys-Leonetti a précisé clairement que l’alimentation et l’hydratation font partie des "traitements" et pas des "soins", précision sémantique qui pourrait avoir une conséquence gravissime pour Vincent Lambert puisque la décision de l’hôpital Sébastopol (prise par le docteur Vincent Sanchez qui est déclaré "déterminé" par le neveu de Vincent) signifierait sa condamnation à mort.
Cette décision a été prise contre l’avis de ses parents mais en accord avec son épouse. Ses parents vont faire, dans un délai de dix jours, un recours auprès du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, et si c’est nécessaire, cela pourra remonter une fois encore au Conseil d’État, comme cela a été le cas dans les précédentes procédures judiciaires. La première décision d’arrêt des traitements avait été prise par le docteur Éric Kariger le 10 avril 2013 en catimini, sans consulter les parents de Vincent, en espérant bénéficier du fait accompli.
Cet avis a été pris en considérant que laisser vivre Vincent Lambert correspondrait à une "obstination déraisonnable". Or, le seul raisonnement qui conduit à ce constat d’obstination déraisonnable, c’est que l’on ne serait pas sûr que le patient ne souffre pas. Son neveu, particulièrement prosélyte pour son euthanasie, a donné, pour commenter l’avis du CHU qu’il approuve, une raison inquiétante : « Ca veut dire qu’on n’est pas sûr que Vincent ne ressent pas la souffrance. ». Faut-il donc tuer selon le principe de précaution ? S’il souffre vraiment, il existe pourtant des solutions pour lui éviter de ne pas souffrir sans le tuer.
Maître Jean Paillot, l’un des avocats des parents de Vincent, a déclaré : « Nous contestons le fait que Vincent soit en situation d’obstination déraisonnable : nous sommes en présence d’une décision d’euthanasie, d’arrêt de vie, et Viviane Lambert, son père, son frère et sa sœur ont reçu cette décision comme un coup de poing dans l’estomac. Ils ont assisté aujourd’hui à une condamnation à mort. ». Et de continuer : « C’est sur le terrain médical que nous allons nous placer (…). On a fait valoir des éléments médicaux qui ont été sciemment laissés de côté par le médecin. » (cité par "Science et Avenir" le 9 avril 2018).
Tout le problème provient du fait que Vincent Lambert ne peut pas donner son avis éclairé et sincère, et n’a donné aucune consigne, aucune directive anticipée, avant de tomber dans cet état de conscience minimal, ni n’a désigné aucune personne de confiance qui aurait pu le représenter légalement sur ce terrain de la fin de vie. Et les proches de Vincent, d’une part, son épouse, d’autre part, ses parents, sont profondément divisés sur la décision à prendre pour lui. Ce qui explique les nombreuses procédures judiciaires depuis avril 2013. Personne ne doute que les deux "parties" agissent par amour pour le mari ou le fils. Mais personne n’a su les concilier pour une solution apaisée et pacifiée pour le bien de tous, et d’abord de Vincent.
Rappelons que Vincent Lambert n’est pas le seul patient dans cet état de conscience minimal. Plusieurs centaines voire milliers de personnes sont, en France, dans la même situation que lui. Rappelons que Vincent Lambert n’est pas en maintien artificiel de la vie : il n’a aucun branchement, aucune assistance respiratoire. Comme il ne peut pas déglutir (et je connais une personne très proche dont c’était le cas), il faut bien l’aider à s’alimenter et à s’hydrater. C’est la seule assistance… à personne en danger de mort sinon. Ceux qui ne peuvent pas manger ou boire tout seuls, ce n’est pas par milliers qu’on peut les compter en France mais plutôt par dizaines ou centaines de milliers. Où est l’obstination déraisonnable ?
Le service Coma Science Group du CHU de Liège, qui avait évalué l’état de Vincent en juillet 2011, a décrit un « état pauci-relationnel impliquant la persistance d’une perception émotionnelle et l’existence de possibles réactions à son environnement » et précise que « dès lors, l’alimentation et l’hydratation artificielles n’[ont] pas pour objet de le maintenir artificiellement en vie ». Les experts médicaux du Conseil d’État ont diagnostiqué, en avril 2014, « des troubles de la déglutition, une atteinte motrice sévère des quatre membres, quelques signes de dysfonctionnement du tronc cérébral » mais « une autonomie respiratoire préservée » (Ces deux avis ont été cités dans l’arrêt du 5 juin 2015 de la Cour européenne des droits de l’homme).
Rappelons aussi qu’une récente publication scientifique avait fait état, il y a quelques mois (le 25 septembre 2017), d’un retour à la conscience d’une personne sans espoir d’en revenir. La médecine est encore assez pauvre sur ces sujets mais les progrès peuvent arriver rapidement. Neurologue au CHU de Liège, un des spécialistes mondiaux du domaine, le professeur Steven Laureys l’avait déclaré dans "Le Monde" le 25 septembre 2017 : « Un vieux dogme voudrait qu’il n’existe aucune chance d’amélioration chez les patients sévèrement cérébrolésés depuis plus d’un an. Mais ce dogme est faux, comme le confirme cette étude. La plasticité cérébrale, cette capacité de remodelage et d’adaptation de notre cerveau, est parfois étonnante. ».
La question qui demeure sans arrêt dans les esprits, c’est pourquoi le CHU de Reims veut absolument garder Vincent Lambert alors qu’il n’est pas équipé, pas spécialisé pour soigner des patients dans sa situation. Il existe pourtant beaucoup d’établissements qui accueillent des personnes dans cette situation avec des soins qui correspondent à ses besoins, notamment en matière de kinésithérapie (aucun soin de ce type n’a été réalisé sur Vincent depuis des années, elle est là, la souffrance). Plusieurs fois, les parents ont fait une demande pour pouvoir faire prendre en charge leur fils dans un établissement médical spécialisé et à chaque fois, il leur a été refusé : pourquoi ?
La réponse juridique est compréhensible : la Cour de cassation avait jugé le 13 décembre 2017 que seule, l’épouse de Vincent, qui est sa tutrice légale (désignée le 10 mars 2016 par le juge des tutelles de Reims et confirmée le 8 juillet 2016 par la cour d’appel de Reims), était autorisée à faire la demande d’un transfert vers un autre établissement. La même instance avait en outre interdit aux parents l’accès au dossier médical de leur fils.
Mais la réponse d’humanité ? Pourquoi l’épouse refuse-t-elle un tel transfert ? Pourquoi refuser la seule lueur d’espoir ? Vincent Lambert est-il la victime collatérale d’un mouvement de lobbying très organisé en faveur de l’euthanasie et de la culture de la mort alors que se déroulent actuellement les états-généraux de la bioéthique ?
Jusqu’à maintenant, Viviane Lambert, la mère de Vincent, avait eu le plus gros choc de sa vie le 29 avril 2013 à Reims, lors du premier arrêt de traitements de son fils, auquel il avait mystérieusement survécu après un mois de jeûne forcé : « Je suis au chevet de mon fils. (…) Vincent n’a rien mangé depuis vingt jours. (…) Il est là, devant moi, dans un lit d’hôpital à Reims, amaigri, affaibli, et il va mourir. Dans un jour ? Dans cinq jours ? Je ne sais pas… Mais il va mourir parce que quelqu’un l’a décidé. Un médecin lui a supprimé toute nourriture, presque toute hydratation, pour le mettre sur un chemin de "fin de vie". Je parle à Vincent, mais il ne peut pas me répondre : il est en "état de conscience minimal" (…). Il peut ressentir des émotions, mais il est incapable de s’exprimer. Il me regarde, et il pleure. Des larmes coulent le long de ses joues. Il va mourir. Il souffre, je le sais : je suis sa mère ! » (Exprimé dans son livre publié le 7 mai 2015).
Cinq juges de la Cour européenne des droits de l’Homme, faisant partie de "l’opinion dissidente" de l’avis prononcé sur Vincent Lambert, s’exprimaient ainsi le 5 juin 2015 : « Nous posons donc la question : qu’est-ce qui peut justifier qu’un État autorise un médecin (…), en l’occurrence non pas à "débrancher" Vincent Lambert (celui-ci n’est pas branché à une machine qui le maintiendrait artificiellement en vie) mais plutôt à cesser ou à s’abstenir de le nourrir et de l’hydrater, de manière à, en fait, l’affamer jusqu’à la mort ? (…) Une personne lourdement handicapée, qui est dans l’incapacité de communiquer (…), peut être privée de deux composants essentiels au maintien de la vie, à savoir la nourriture et l’eau, et, de plus, la Convention [européenne des droits de l’Homme] est inopérante face à cette réalité. Nous estimons non seulement que cette conclusion est effrayante mais de plus, et nous regrettons d’avoir à le dire, qu’elle équivaut à un pas en arrière dans le degré de protection que la Convention et la Cour ont jusqu’ici offerte aux personnes vulnérables. ».
Vincent Lambert n’est hélas pas seul dans cette situation médico-judiciaire précaire. Atteinte d’une maladie neuromusculaire auto-immune, Inès, une adolescente de 14 ans qui est tombée dans un état de conscience minimal le 22 juin 2017 à la suite d’une crise cardiaque, vit, elle aussi, dans cette incertitude de la vie. Dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti et après une procédure collective, le chef du service d’anesthésie-réanimation du CHU de Nancy avait décidé l’arrêt des traitements le 21 juillet 2017 contre l’avis des deux parents. Cette décision a été validée par le tribunal administratif de Nancy le 7 décembre 2017, puis par le Conseil d’État le 5 janvier 2018 et enfin par la Cour européenne des droits de l’homme le 25 janvier 2018 (saisie avec la procédure d’urgence, cette dernière a en effet déclaré irrecevable la requête des parents).
Je ne reviendrai pas ici sur l’euthanasie, j’ai déjà longuement argumenté sur le sujet. Il ne s’agit pas de morale mais de société. Dans quelle société voulons-nous vivre demain ? Une société qui se priverait de ses personnes les plus fragiles, qui les éliminerait au lieu de les protéger, serait une société qui serait prête au Soleil vert, qui se déshumaniserait nécessairement. Toute personne improductive serait alors éliminable, car jusqu’où irait-on ? quelles en seraient les limites ? On parlerait déficit de la sécurité sociale, ou plutôt, on éviterait de parler gros sous mais on y penserait très fort. Des fictions ont déjà été écrites sur le sujet, de quoi frémir. Au-delà de cet effrayant avenir, il y a aussi le progrès de la médecine qui est en jeu : si l’on tue au lieu de chercher à guérir, on ne guérira plus aucune maladie ou trouble grave dans quelques décennies…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Les quatre illustrations proviennent de tableaux de Paula Modersohn-Becker.
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Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
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La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180409-vincent-lambert-fdv2018ca.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/vincent-lambert-et-ines-en-route-203233
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