Surtaxer l’huile de palme en France ?
« Est exempté de la contribution mentionnée (…) le redevable qui fait la preuve que le produit taxé répond à des critères de durabilité environnementale. » (Extrait d’une tentative législative de taxation de l’huile de palme le 14 juin 2016).
Dans le précédent article, j’ai évoqué les pressions qu’ont subies les députés français pour ne pas voter la taxation additionnelle de l’huile de palme lors de la discussion de la loi sur la biodiversité l’été 2016, au point de menacer d’exécuter le Français Serge Atlaoui.
Pour illustrer ces propos, je propose ici quelques extraits assez éloquents du débat lors de deux journées marquantes dans l’hémicycle, le 22 juin 2016 et le 20 juillet 2016. Ces interventions de députés dans l’hémicycle sur cette fameuse "taxe Nutella" ont exprimé diverses positions. Barbara Pompili représentait le gouvernement et la députée socialiste Geneviève Gaillard était la rapporteure du texte.
Séance du 22 juin 2016
L’article 27A du texte adopté en commission prévoyait une taxe additionnelle sur l’huile de palme allant jusqu’à 90 euros par tonne en 2020. Alors que beaucoup de députés (surtout de l’opposition) souhaitaient la suppression pure et simple de cet article du texte, le gouvernement voulait, dans un premier temps (par son amendement 457), le remplacer par un texte peu contraignant renvoyant à six mois la mise en place de cette taxe. Le débat portait donc sur cet enjeu : maintien du texte d’origine, suppression totale ou texte de demi-mesure donnant à la loi juste l’idée du principe sans l’appliquer concrètement.
Le député Jean-Yves Caullet (maire PS d’Avallon devenu LREM) s’est demandé : « Les huiles de palme importées, à partir de systèmes de culture qui posent question pour toutes sortes de raisons, vont maintenant être évoquées avec la discussion de cet article. Mais il est un adjectif qui apparaît dans toutes ses rédactions successives : "alimentaire". Il s’agit en effet des huiles à usage alimentaire. Je tiens à dire à quel point les interrogations légitimes soulevées par la pertinence de cette différenciation de traitement fiscal qui crée une compétition entre huiles à usage alimentaire et les autres, le sont encore plus quand il s’agit d’huiles à usage industriel. Sachant que, dans notre pays, un grand groupe pétrolier qui fait notre fierté envisage de produire des carburants d’origine végétale de très haute performance à partir de toute huile végétale, mais en l’occurrence, à partir d’huiles de palme importées, je pense que nous aurons, notamment dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, à soulever la question de la fiscalité de l’ensemble de ces produits pour qu’elle soit vertueuse sur le plan de la compétitivité, du bilan carbone et de l’usage des sols, par rapport à l’aspect non seulement alimentaire, mais également non alimentaire. ». C’est tout le sujet des blocages de raffineries qui ont lieu depuis le 11 juin 2018. Jean-Yves Caullet a d’autant plus raison que l’application alimentaire de l’huile de palme ne correspond qu’à un tiers des importations d’huile de palme en Union Européenne.
Le député Nicolas Dhuicq (LR devenu Debout la France en 2018) a rappelé sans détours, à la ministre Barbara Pompili, ses préoccupations économiques : « J’appelle votre attention sur un sujet important puisqu’il concerne les exportations françaises et plus largement européennes en matière de haute technologie. En Indonésie, des contrats pour plus de 250 avions Airbus sont en négociations, ainsi que pour une cinquantaine d’avions de transport régional dits "ATR", et pour des satellites, y compris dans le domaine de la télécommunication. Dans le monde concurrentiel d’aujourd’hui, si nous ne considérons pas l’Indonésie comme un partenaire économique à part entière, à l’instar de la Malaisie qui observe également notre attitude ce soir, nous risquerions de faire l’objet de mesures de rétorsion qui favoriseraient immédiatement des concurrents tels que Boeing et autres, qui n’attendent que cela. En plus, je crois que ce sont également en jeu des contrats céréaliers. Il serait donc fortement déraisonnable de soutenir ce type de taxes. (…) Je vous demande de prendre en considération les impératifs que sont la défense et la protection des emplois de nos concitoyens ainsi que de nos industries de haute technologie, un des derniers secteurs, avec l’agroalimentaire, qui nous permet de récupérer encore quelques devises. ».
La députée Laurence Abeille (EELV) a voulu être ferme sur les valeurs : « Je pense que ce que vient d’évoquer M. Dhuicq va sans doute revenir dans nos débats sur la question de l’huile de palme, à savoir les pressions exercées par des pays producteurs tels que l’Indonésie et la Malaisie. Nous ne devons pas céder au chantage. ».
Le député Jean-Marie Sermier (maire LR de Dole) est resté, lui aussi, attentif aux considérations économiques mais aussi écologiques : « La taxe sur l’huile de palme reviendrait, une fois de plus, à attacher un boulet à la cheville de 6 000 entreprises et de leurs 110 000 salariés, en les mettant en difficulté par rapport aux autres entreprises européennes du même secteur. Le dispositif réduit donc la compétitivité des entreprises en France (…). Par ailleurs, les pays producteurs d’huile de palme en Asie réalisent depuis 2004 des efforts formidables pour rendre leur production durable : avec l’huile de palme durable, l’Asie a déjà sauvé 1,8 million d’hectares de forêt vierge du massacre. Les États et certaines grandes entreprises ont fait en sorte de développer une filière durable. Aidons ces pays, faisons en sorte d’entretenir des relations apaisées avec eux ! Pour le moment, il ne s’agit pas de contrats, mais d’une légitimité. ».
Le député Yannick Favennec (vice-président UDI du conseil régional des Pays-de-la-Loire) a affirmé son opposition à la taxation : « Une nouvelle fois, l’huile de palme se trouve stigmatisée. En effet, cette taxe, rebaptisée "taxe Nutella", est une obsession de longue date, qui se retrouve très régulièrement au cœur des polémiques. Si le groupe UDI ne conteste pas l’idée de réfléchir à une évolution de la taxe, il maintient que ce débat doit avoir lieu lors de l’examen d’un projet de loi de finances. (…) Comme cela a été dit, cette taxation serait donc à la fois incompréhensible et dangereuse pour la compétitivité de nos entreprises du secteur alimentaire. Rappelons que l’exploitation des huiles de palme représente des milliers d’emplois pour les entreprises françaises. ».
La rapporteure Geneviève Gaillard semblait manquer d’enthousiasme sur le sujet : « Le Sénat (…), après avoir introduit cette taxe additionnelle, a démontré qu’il était extrêmement difficile de modifier la taxation de l’huile de palme, sans toucher à la totalité de la taxation des huiles alimentaires. (…) Nous avons donc continué de travailler avec les représentants de la Malaisie et de l’Indonésie, en rencontrant leurs ambassadeurs, et d’avancer sur le sujet. ».
Jean-Marie Sermier (par ailleurs viticulteur) est revenu dans ce débat : « Aujourd’hui, l’important est de donner un signal ; ce signal, c’est que nous ne taxerons pas l’huile de palme, et que nous ne taxerons pas non plus les autres huiles. ».
Le député Bertrand Pancher (maire UDI de Bar-le-Duc), s’adressant à la ministre Barbara Pompili, a fait une allusion aux relations diplomatiques : « Vous avez dit que l’on matraque la production d’huile de palme. Cela frise l’incident diplomatique. ».
La députée socialiste Delphine Batho, ancienne Ministre de l’Écologie, a appuyé là où cela faisait mal (en mettant les pieds dans le plat) : « Je voudrais remercier M. Dhuicq qui, tout à l’heure, a dit tout haut dans l’hémicycle ce qui se dit tout bas dans les couloirs de l’Assemblée. Oui, d’un certain point de vue, nous légiférons avec le couteau sous la gorge, et ce serait la grandeur de la démocratie que le gouvernement le dise clairement et qu’à partir de là, l’on puisse discuter de la façon dont le parlement français se comporte et prend ses décisions lorsqu’il est l’objet d’un chantage. ».
Laurence Abeille s’est montrée comme une "ultra-écologiste" sans vouloir prendre en compte certains paramètres extérieurs du débat (la famille de Serge Atlaoui a dû vivement apprécier…) : « J’ai moi-même employé tout à l’heure le mot "chantage" : c’est effectivement ce dont nous sommes victimes dans ce débat. Très sincèrement, je regrette ce qui se dit aujourd’hui. À chaque fois que l’on essaie d’instaurer un dispositif visant à protéger la biodiversité, on généralise la question et l’on finit par dire : "On ne pourra pas sauver la planète ce soir !". (…) Monsieur Favennec, vous défendez des entreprises qui, grâce à des huiles à bas prix, fabriquent des biscuits, des gâteaux, tout un tas de produits dont on sait pertinemment qu’ils sont très mauvais pour la santé humaine ! À un moment donné, il faut savoir prendre ses responsabilités. Moi, j’ai renoncé à déposer un amendement visant à supprimer la disposition relative à la durabilité de la culture de l’huile de palme. (…) Je voterai contre l’amendement du gouvernement, je pense qu’il faut en rester au texte de la commission. ».
Le député Philippe Plisson (PS) a résumé toute l’impuissance des parlementaires : « Je pense que nous sommes tous plus ou moins d’accord sur deux choses : premièrement, l’huile de palme est mauvaise pour la santé ; deuxièmement, elle provoque sur les territoires où sont cultivés les palmiers une déforestation très importante. Des décisions avaient été prises, mais nous sommes une fois encore confrontés à un phénomène habituel dès lors que l’on essaie de faire progresser les choses pour la planète, c’est-à-dire à de fortes pressions de lobbies, ici financiers, là d’État, qui font du chantage au gouvernement. Nous sommes donc dans une impasse, car il serait catastrophique de renoncer. ».
Nicolas Dhuicq a refusé de parler de "pressions" pour les qualifier de "négociations" : « Certains arguments ne laissent pas de m’étonner. Il existe des États souverains, comme l’Indonésie et la Malaisie, qui ne sont pas plus idiots que les autres ; ils sont même parfois plus développés que nous dans certains domaines : l’avantage technologique dont nous jouissions depuis la Renaissance, nous l’avons perdu dans la zone pacifique. Ces États se préoccupent aussi du confort et de l’avenir de leurs citoyens. Certaines attitudes me semblent donc un peu méprisantes pour le reste de la planète : elle suggèrent que nous, Français, pourrions régenter dans cet hémicycle l’ensemble de la planète, alors même que nous abandonnons des pans entiers de notre souveraineté, notre dette (…). Il existe, je le répète, des États souverains qui défendent les intérêts de leurs populations. Deuxièmement, des emplois sont en jeu. La France et l’Europe excellent dans certains domaines. L’aéronautique en est un, mais l’on pourrait tout aussi bien citer les céréales. Il n’y a donc aucun chantage : nous parlons d’une négociation commerciale, dans laquelle le fait de céder, c’est le troisième point, à une vision monomaniaque des exploitations d’huile de palme peut avoir des effets retors. Ces exploitations peuvent évoluer, et elles évoluent d’ailleurs en suivant les conseils d’organismes français tels que le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD. ». À la ministre : « Envisagez-vous un cavalier législatif pour satisfaire vos desiderata au cours d’un nuit d’automne ? Qu’en penseront M. Macron, votre collègue en charge de l’économie, et M. Le Drian, qui, lui, connaît bien toutes les difficultés des négociations commerciales ? ».
Finalement, le texte du gouvernement (amendement 457) a été adopté le 22 juin 2016 : « Pour contribuer à la préservation et à la reconquête de la biodiversité et préserver son rôle dans le changement climatique, l’État se fixe comme objectif de proposer, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un dispositif prévoyant un traitement de la fiscalité sur les huiles végétales destinées, en l’état ou après incorporation dans tous produits, à l’alimentation humaine qui, d’une part, soit simplifié, harmonisé et non discriminatoire et, d’autre part, favorise les huiles produites de façon durable, la durabilité étant certifiée sur la base de critères objectifs. ».
Ce qui remplaçait le texte suivant adopté en commission le 14 juin 2016 : « Il est institué une contribution additionnelle à la taxe spéciale prévue à l’article 1609 vicies sur les huiles de palme, de palmiste et de coprah effectivement destinées, en l’état ou après incorporation dans tous produits, à l’alimentation humaine. Est exempté de la contribution mentionnée (…) le redevable qui fait la preuve que le produit taxé répond à des critères de durabilité environnementale. Le taux de la contribution additionnelle est fixé à 30 euros par tonne en 2017, à 50 euros en 2018, à 70 euros en 2019 et à 90 euros en 2020. ».
Séance du 20 juillet 2016
Le 20 juillet 2016, juste avant le vote définitif, le gouvernement a finalement choisi de retirer cet article 27A (donc le texte adopté le 22 juin 2016), et il ne restait aux députés et à la ministre que les mots pour regretter de ne pas avoir "avancé" (comprendre en langage écolo-socialiste "taxé") sur l’huile de palme.
Barbara Pompili se voulait cependant enthousiaste : « Nous allons pouvoir réexaminer la question de la taxation de l’huile de palme dans son ensemble, en incluant toutes les huiles alimentaires et en intégrant une dimension incitative à travers des certifications de production durable. Cela permettra de répondre aux inquiétudes de pays producteurs et à un risque de contentieux devant les juridictions commerciales internationales au titre d’une discrimination. ».
Et d’ajouter explicitement : « Je sais que certains ont dénoncé un recul. Je veux bien qu’on considère que le courage en politique consiste à ignorer les conséquences, y compris diplomatiques ou commerciales, de ses décisions. Mais je crois exactement le contraire : le courage, c’est d’agir en examinant tous les paramètres et en adaptant ses décisions au contexte, dès lors, et c’est essentiel, qu’on ne perd pas de vue son objectif. En l’occurrence, l’objectif est bien de contribuer à mettre fin aux déforestations qui accompagnent encore trop souvent la production d’huile de palme. ».
Elle aussi, Geneviève Gaillard a regretté pour l’huile de palme, mais a dilué ses regrets en les mélangeant bien avec d’autres sujets qui n’avaient rien de commun (pêche, chasse) : « Nous avons aussi des regrets, concernant l’huile de palme, ou la pêche en eaux profondes, même si la réglementation nous permettra d’avancer. Il s’agit là d’un vrai sujet, même si on ne s’y intéresse pas assez. À titre personnel, je regrette aussi que nous ne soyons pas parvenus à moderniser la chasse, même si j’avais fait des propositions en ce sens. C’est dommage, car il y avait des choses à faire, mais on a bien vu que les oppositions étaient très fortes. ».
Quant à Bertrand Pancher, il n’a finalement pas caché sa joie : « Heureusement, au milieu d’une cacophonie législative généralisée, nous avons réussi à sauver quelques meubles : je pense notamment à la suppression de la taxe sur l’huile de palme. ».
Vote du texte sans la taxe...
Le texte fut donc adopté définitivement par les députés le 20 juillet 2016 et promulgué le 8 août 2016 comme "loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages".
Les pressions indonésiennes et malaisiennes ont donc trouvé les moyens de leur efficacité… au prix d’un odieux chantage.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Surtaxer l’huile de palme en France ?
Taxe Nutella : Serge Atlaoui, otage de l’huile de palme ?
Vives inquiétudes pour Mary Jane Veloso.
Le cauchemar de Serge Atlaoui.
Peine de mort pour les djihadistes français ?
L’industrie de l’énergie.
L’industrie aéronautique.
L’industrie ferroviaire.
L’économie dans un monde globalisé.
La concurrence internationale.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180608-huile-palme-nutella.html
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