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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
9 juillet 2018

Emmanuel Macron au Congrès 2018 (1) : vous avez dit hyperprésidentialisation ?

« Humble mais résolu (…), et je vais vous faire une confidence. Il y a une chose que tout Président de la République sait : il sait qu’il ne peut pas tout, qu’il ne réussira pas tout. Je vous le confirme, je sais que je ne peux pas tout, je sais que je ne réussis pas tout, mais mon devoir est de ne jamais m’y résoudre, et de mener inlassablement ce combat. Tout Président de la République connaît le doute, bien sûr, et je ne fais pas exception à la règle. Mais j’ai le devoir de ne pas laisser le doute détourner ma pensée et ma volonté. C’est une fonction qui, si l’on est réaliste, porte à l’humilité, ô combien ! mais à l’humilité pour soi, pas à l’humilité pour la France. Pour la France et pour sa mission, le Président de la République a le devoir de viser haut, et je n’ai pas l’intention de manquer à ce devoir. » (Emmanuel Macron, le 9 juillet 2018 à Versailles). Première partie.


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Par décret du Président de la République du 18 juin 2018 réunissant le Congrès par application du deuxième aliéna de l’article 18 de la Constitution, l’ensemble des députés et des sénateurs ont été convoqués à Versailles sous la Présidence du Président de l’Assemblée Nationale François de Rugy ce lundi 9 juillet 2018 à 15 heures. L’objet ? Écouter le Président Emmanuel Macron prononcer son (désormais traditionnel) discours annuel aux parlementaires, en présence du gouvernement (texte intégral ici).

Pensait-il que ce congrès aurait lieu la veille d’un match de football important pour la France ? Il y a donc peu de chance que les "gens" retiennent ce discours au-delà d’une journée…

Cependant, je reviendrai présenter les grandes lignes de fond de ce discours, mais je préfère m’attarder d’abord sur la forme qui pourrait profondément modifier l’équilibre institutionnel de la Cinquième République.

Certains députés LR et les députés FI ont refusé de participer à cette séance spéciale. Pour les deux, il y a un côté très cocasse que je vais expliquer ici.

Ce discours d’Emmanuel Macron, deuxième depuis le début de son quinquennat, le précédent a eu lieu le 3 juillet 2017, a duré près d’une heure trente et a été l’occasion pour le chef de l’État de faire un bilan de la première année de son quinquennat et d’exposer les perspectives d’action pour les années à venir.

C’est le mode de communication qu’Emmanuel Macron a adopté pour s’adresser aux Français. Au lieu de l’interview traditionnelle à l’occasion du 14 juillet, Emmanuel Macron préfère s’adresser aux institutionnels et surtout, éviter les questions des journalistes dont le niveau lui a toujours paru en deçà des enjeux de sa politique nationale. Après tout, cette idée de s’adresser aux parlementaires plutôt qu’à des journalistes de la télévision pourrait être un moyen de respecter la représentation nationale. Oui mais non. Enfin, pas tout à fait. Je m’explique.

La possibilité donnée au Président de la République de pouvoir s’adresser aux parlementaires a été acquise très récemment, par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 voulue par le Président Nicolas Sarkozy.

Pourquoi si récemment ? Parce qu’en 1873, les députés en avaient décidé ainsi. À l’époque, il n’y avait pas de Constitution. La République avait été proclamée le 4 septembre 1870 après l’effondrement du Second Empire, mais la majorité sortie des urnes en 1871 était largement monarchiste. Paradoxe. Les députés de la République étaient pour la restauration d’un royaume ! La dispute dynastique entre le petit-fils de Charles X (légitimiste) et le petit-fils de Louis-Philippe (orléaniste) et la polémique sur le drapeau ont finalement laissé la République progressivement s’installer dans les mentalités politiques et au fil des élections, partielles ou générales, la majorité s’est petit à petit déportée vers les républicains.

Ancien monarchiste favorable à une république conservatrice, Adolphe Thiers, devenu à la fois chef du gouvernement et chef de l’État, sous le titre de chef du pouvoir exécutif de la République française du 17 février 1871 au 31 août 1871, puis de Président de la République française du 31 août 1871 au 24 mai 1873, qui a assuré un traité de paix avec l’Allemagne le moins humiliant possible, a été un homme fort, pour ne pas dire "autoritaire". Il avait une forte influence sur les députés.

Mieux, présentant ses vues, Thiers était capable, par son talent oratoire, de retourner les opinions des parlementaires. Or, les députés voulaient préserver leur propre libre-arbitre et se satisfaisaient mal d’un chef de l’exécutif trop autoritaire. Encore majoritairement monarchistes, les députés ont alors renvoyé Thiers à ses études et choisi l’ectoplasme élégant, le maréchal Patrice de Mac-Mahon, brave militaire monarchiste qui n’avait aucun sens politique et qui a accepté d’occuper le poste en attendant un impossible accord entre légitimistes et orléanistes. On a alors fixé la duré de son mandat à sept ans, le temps, selon les députés, que la nature pourrait demander pour résoudre le problème dynastique (la mort du petit-fils de Charles X, sans descendance, supprimait purement et simplement le problème !).

Pour éviter d’être trop pressés par l’exécutif, les députés ont séparé les fonctions de chef de l’État (Président de la République) des fonctions de chef du gouvernement (Vice-Président du Conseil). Vice-Président du Conseil car c’était le Président de la République qui présidait, en principe, le conseil des ministres. Au fil du temps, c’est devenu Président du Conseil. Le Président du Conseil pouvait être renversé par les députés par une motion de censure, tandis que les députés avaient désormais interdit au Président de la République de venir s’exprimer devant les parlementaires pour éviter la "mauvaise" expérience de Thiers.

Résultat, pendant trois Républiques, la Troisième, la Quatrième et la Cinquième République, la Constitution a interdit au Président de la République de venir parler aux députés ou aux sénateurs. La seule possibilité pour s’adresser à eux était au moyen de messages écrits, lus simultanément par le Président de l’Assemblée Nationale et par le Président du Sénat respectivement aux députés et aux sénateurs. Et cette lecture ne donnait lieu à aucun débat. François Mitterrand a usé souvent de cette faculté.

C’était donc sur ces antécédents que Nicolas Sarkozy, en 2008, voulait réviser cette disposition "vieillotte" de la Constitution en lui permettant de s’adresser directement aux parlementaires. La vie moderne, surtout médiatique, rendait l’usage des messages écrits un tantinet anachronique. Évidemment, fidèle admirateur des institutions américaines, Nicolas Sarkozy avait en tête le fameux discours de l’état de l’Union que le Président des États-Unis prononce chaque année (aujourd’hui, le Président de la Commission Européenne est également soumis à cet exercice devant des députés européens à Strasbourg en septembre).

Malgré une majorité des trois cinquièmes favorable à sa politique, Nicolas Sarkozy a vu cependant son projet à la baisse. Les parlementaires ont en effet réduit les possibilités d’expression présidentielle auprès des parlementaires à un seul discours par an, uniquement dans le cadre très solennel d’un congrès réuni à Versailles. Ils ont ensuite interdit la présence du Président de la République après son discours, laissant les parlementaires intervenir et réagir hors de sa présence.

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Avant Emmanuel Macron, ses deux prédécesseurs ont utilisé cette possibilité seulement une fois, pour une occasion rare. Nicolas Sarkozy pour présenter son emprunt pour les projets d’avenir, le 22 juin 2009, et François Hollande le 16 novembre 2015, en réaction aux attentats du 13 novembre 2015. Emmanuel Macron veut en contraire en faire un instrument de communication présidentielle. Pas quelque chose d’exceptionnel mais au contraire, un discours annuel à la nation, donc, conforme aux vues premières de Nicolas Sarkozy.

Alors, il y a un côté cocasse dans le boycott de ce discours. Aux députés LR qui ont refusé leur participation, il faut rappeler que cette procédure a été explicitement prévue par la Constitution grâce à l’initiative du propre fondateur de leur parti politique. Mémoire trop courte ?

Aux députés FI, il faut aussi leur rappeler la mémoire. Jean-Luc Mélenchon, qui était encore sénateur socialiste en 2008, fut de ceux qui ont justement empêché le débat en présence du Président de la République. De plus, les députés FI évoquent sans arrêt "Versailles" qu’ils mettent en opposition avec la République, rappelant l’historie de la Commune de Paris et des troupes versaillaises.

C’est dommage que ces députés FI connaissent visiblement très mal l’histoire de la République française car ce congrès des parlementaires réunis à Versailles constitue une réelle tradition républicaine française : sous la Troisième République et la Quatrième République, les parlementaires élisaient systématiquement le Président de la République à Versailles. Et même sous la Cinquième République, les révisions constitutionnelles, pour la plupart (hors référendum), ont été adoptées à Versailles. Bref, les actes les plus républicains ont été réalisés à Versailles. Cette ville ne peut donc pas être l’opposé de l’esprit républicain. Au contraire.

Or, la seule mesure concrète et précise que le Président Emmanuel Macron a annoncée lors de son discours du 9 juillet 2018 à Versailles, c’est justement le défi lancé par les députés FI. Vous voulez un débat en ma présence ? Banco ! Je suis pour ! Il a donc annoncé qu’il proposerait de rajouter dans la révision constitutionnelle, dont la discussion commence ce mardi 10 juillet 2018 à 16 heures à l’Assemblée Nationale, un amendement permettant au Président de la République de rester lors des interventions des parlementaires et de leur répondre. Pourtant, le gouvernement avait rejeté en commission un amendement du groupe socialiste qui allait dans le même sens.

La première réaction du député Jean-Luc Mélenchon, pourtant absent du congrès mais n’hésitant pas à tweeter des dizaines de fois au cours du discours qu’il a dû suivre en direct à la télévision (dans ce cas, autant le suivre sur place !), ce fut de dire qu’il avait gagné une bataille, celui de permettre la confrontation entre parlementaires et Président de la République. Il y était pourtant très défavorable en 2008.

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Or, cette possibilité accentuerait de facto l’hyperprésidentialisation de la Cinquième République. Le dialogue entre l’exécutif et le législatif était jusqu’à maintenant de la responsabilité du Premier Ministre. En permettant un débat (sans conséquence : il n’est pas question ici que les parlementaires censurent le Président de la République), la disposition réduirait l’autorité du Premier Ministre et présidentialiserait encore plus le régime. C’est donc étrange que Jean-Luc Mélenchon, qui ne cesse de contester cette présidentialisation depuis trois quinquennat, puisse applaudir l’une des dispositions qui va hyperprésidentialiser encore plus, par la pratique, la République.

Il avait oublié qu’Emmanuel Macron n’est jamais aussi bon que dans la réactivité face à l’adversité. C’est pourquoi il avait voulu être confronté aux journalistes excessifs Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin sur BFM-TV le 15 avril 2018, parce qu’il n’est jamais aussi bon qu’en répondant aux attaques dont il est la cible. Par conséquent, il ne pouvait être que favorable, au contraire, à rester au congrès écouter ses contradicteurs et à leur répondre le cas échéant. Le risque est donc que le Président de la République perde sa hauteur de vue pour être ramené à un simple interlocuteur de députés de base un peu agités.

Lors du long débat de la révision de 2008, j’avais émis ma réticence le 29 avril 2008 à propos de cette mesure (§3.5) qui pouvait entrouvrir la boîte de Pandore, à savoir, dénaturer la Cinquième République, à l’équilibre savamment étudié entre parlementarisme et présidentialisme, en la transformant à l’Américaine, ce qui ne correspondrait pas du tout à l’esprit français.

Aux parlementaires de toute obédience de bien comprendre ce qu’un tel amendement signifierait pour l’avenir institutionnel du pays. Je ne doute pas de leur sagesse et de leurs réactions plus raisonnables qu’une simple pirouette dans une insipide polémique entre l’Élysée et la France insoumise…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 juillet 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Discours du Président Emmanuel Macron le 9 juillet 2018 au congrès de Versailles (texte intégral).
Vous avez dit hyperprésidentialisation ?
Le Président qui assume.
Emmanuel Macron au Congrès de Versailles le 3 juillet 2017.
François Hollande au Congrès de Versailles le 16 novembre 2015.
Nicolas Sarkozy au Congrès de Versailles le 22 juin 2009.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Réforme Macron des institutions (4) : la totalité du projet gouvernemental.
Réforme Macron des institutions (3) : réduire le Parlement ?
Réforme Macron des institutions (2) : le projet de loi constitutionnelle.
Réforme Macron des institutions (1) : les grandes lignes.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Non à la suppression des professions de foi !
Protégeons la Ve République !

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180709-macron-congres.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/emmanuel-macron-au-congres-2018-1-205887

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/07/10/36549832.html



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