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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
13 février 2019

Bouteflika, le malade imaginé ou le fantôme d’El Mouradia

« À ta place, ce c*l, je voudrais l’installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues. » (Alfred Jarry, "Ubu roi", 1896).


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Il y avait encore quelques doutes pendant quelques jours, mais c’est maintenant officiel, depuis ce dimanche 10 février 2019 : aussi invraisemblable que cela puisse paraître, le Président de la République algérienne démocratique et populaire sortant Abdelaziz Bouteflika a confirmé qu’il serait candidat à l’élection présidentielle du 18 avril 2019. Il postule donc pour un cinquième mandat au Palais d’El Mouradia avec ce message à la nation : « La volonté inébranlable de servir la patrie ne m’a jamais quitté et elle me permet de transcender les contraintes liées aux ennuis de santé auxquels chacun peut être un jour confronté. ». Une manière comme une autre de célébrer le quarantième anniversaire de la Révolution iranienne (le 11 février 1979).

La veille, le 9 février 2019, au cours d’un meeting à Alger, Mouad Bouchareb, coordinateur provisoire et secrétaire général par intérim du FLN (depuis 2018), avait clamé : « En votre nom, et par devoir de gratitude, je suis honoré d’annoncer que le FLN présente comme candidat à la prochaine élection présidentielle le moudjahid Abdelaziz Bouteflika. » ("Jeune Afrique", 10 février 2019).

Au-delà de la longue durée (j’y reviendrai), le plus choquant n’est même pas l’âge, 82 ans (qu’il aura dans quelques jours), mais son état de santé qui l’empêche de se tenir debout depuis plusieurs années. Il n’a pas prononcé un seul discours en public et en direct depuis le début de son précédent mandat.

On ne reprochera pas son ou ses handicaps. Après tout, Stephen Hawking, au contraire, était même admirable. Ni même son engagement au service de la nation en parallèle, comme c’est le cas encore pour Wolfgang Schäuble, l’actuel Président du Bundestag, longtemps ministre très influent (Intérieur, Finances) et même candidat à la Chancellerie malgré son fauteuil roulant. Non, on reprochera simplement que le Président Bouteflika est incapable d’exercer ses fonctions, d’agir, de prendre des décisions, d'imaginer l'avenir de son pays.

C’est d’ailleurs peut-être cela que veulent les militaires du FLN : garder l’Algérie sous congélateur en attendant. En attendant quoi ? Qu’ils trouvent eux-mêmes la solution pour la lourde succession d’Abdelaziz Bouteflika. À l’évidence, ils veulent reconduire un "fantôme", un "fantôme" tellement évident que le site sarcastique Nordpresse.be a même imaginé il y a quelques mois que Bouteflika était mort depuis plusieurs années et qu’il a été remplacé par un "humanoïde robotique" ! Attention, messieurs les complotistes, ce site belge se veut humoristique et a même annoncé ces derniers jours plusieurs titres comme : « Nicolas Maduro annonce qu’il organisera un grand débat national » ; « Le yacht de Vincent Bolloré pris pour un bateau de migrants et coulé par la marine grecque » ; « Castaner : "Nous avons retrouvé un gilet jaune dans la voiture de l’incendiaire" » ; « 2 cm de neige à Paris : déjà 8 000 morts et 200 000 réfugiés », etc.

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Revenons à l’Algérie. Si le FLN veut tellement la reconduction d’Abdelaziz Bouteflika, c’est qu’il n’a personne d’autre à proposer. Personne, de plus jeune, capable de faire consensus au FLN, parmi les militaires, et encore moins capable de réunir une majorité de suffrages pendant l’élection, même en forçant un peu les urnes. Car il faut imaginer que dans la tête des hiérarques du FLN, Abdelaziz Bouteflika sera évidemment réélu, que le principal était d’assurer sa candidature et que le reste coulerait de source.

Et pourquoi faudrait-il que le candidat élu provienne du FLN ? Le risque islamiste n’est toujours pas écarté, même s’il se présente d’une autre manière qu’en janvier 1992 après les succès électoraux du FIS. Mais imposer le maintien au pouvoir d’un FLN sclérosé ne paraît pas non plus des plus prometteurs pour développer la démocratie algérienne. D’ailleurs, la promesse d’Abdelaziz Bouteflika, s’il est réélu, c’est d’organiser dès cette année une "conférence nationale inclusive" qui aurait pour buts "l’élaboration d’une plateforme politique, économique et sociale" et "un enrichissement de la Constitution".

Au cours d’une conférence de presse le 2 février 2019, le Premier Ministre Ahmed Ouyahia (66 ans) avait anticipé la candidature en disant que Bouteflika n’animerait pas sa campagne électorale. Ahmed Ouyahia est Premier Ministre depuis le 16 août 2017 et l’a été auparavant du 31 décembre 1995 au 15 décembre 1998, du 6 mai 2003 au 24 mai 2006 et du 23 juin 2008 au 3 septembre 2012. Il a été aussi de nombreuses fois ministre important depuis une vingtaine d’années, mais le mandat le plus important semble être sa fonction de secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND) du 26 janvier 1999 au 3 janvier 2013 et depuis le 10 juin 2015 (précédant et succédant au général Abdelkader Bensalah, 76 ans, Président de la Chambre haute depuis le 2 juillet 2002 et réélu le 9 janvier 2013 et 29 janvier 2019, et à ce titre, chargé de l’intérim présidentiel en cas de vacance, après avoir présidé l’Assemblée populaire nationale de 1997 à 2002).

Le RND est l’alliance présidentielle regroupant plusieurs partis algériens, notamment le FLN et qui a réuni son conseil national le 2 février 2019 pour appeler Abdelaziz Bouteflika à se représenter devant les électeurs. Durant son dernier mandat (2014-2019), selon le journaliste Abdelghani Aichoun ("Algeria Watch") : « Ses apparitions publiques se sont résumés aux quelques audiences accordées à des Présidents ou Premiers Ministres étrangers, et à certaines activités ministérielles ou protocolaires nationales (conseil des ministres, festivités du 1er novembre, visite du chantier de la grande mosquée d’Alger). Pas de discours. » (5 février 2019).

Ahmed Adimi, porte-parole de Talaie El Hourriyet, le parti créé le 14 juin 2015 par Ali Benflis (74 ans, qui fut Premier Ministre du 26 août 2000 au 5 mai 2003, secrétaire général du FLN de 2001 à 2003 et candidat aux élections présidentielles de 2004, de 2014 et de 2019), a fustigé les soutiens de Bouteflika : « Même avec les élections truquées, leurs personnels ne pourront pas arracher 1% des voix. C’est pour cela qu’ils s’accrochent à un Président malade. » ("Algeria Watch", 5 février 2019). Dans le même article, il est cité Soufiane Djilali, président de Jil Jadid et ancien candidat à l’élection présidentielle de 2014, qui disait le 3 février 2019 : « Ils veulent nous faire croire que l’Algérie a besoin d’un homme, alors qu’il ne peut rien pour lui-même. Derrière cet homme-là, on veut continuer à gérer le pays comme une tribu, en se partageant les privilèges et les prérogatives. ». Tous les ministres et dirigeants militaires ou civils ont peur de l’élection d’un Président "indépendant" qui engagerait des poursuites judiciaires contre la corruption et autres malversations pratiquées au cœur du pouvoir depuis une vingtaine d’années. La réélection de Bouteflika leur donnerait l’impunité, du moins pour un temps.

Rappelons rapidement la très longue carrière d’Abdelaziz Bouteflika qui en fait le dernier dinosaure de la guerre d’indépendance de l’Algérie. Dès l’indépendance, il a eu de très importantes responsabilités : Ministre de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme dans le gouvernement d’Ahmed Ben Bella du 27 septembre 1962 au 4 septembre 1963, il fut l’indéboulonnable Ministre des Affaires étrangères du 4 septembre 1963 au 8 mars 1979 sous les mandats et gouvernements de Ben Bella et de Boumediene (il présida l’Assemblée générale de l’ONU en 1974), tout en étant membre du Conseil de la Révolution du 20 juin 1965 au 10 décembre 1976. Pour l'anecdote, Bernard Stasi, qui, comme collaborateur du Ministre français de la Jeunesse et des Sports Maurice Herzog, avait rapproché la jeunesse française de la jeunesse algérienne en mettant en place un tournoi de football, avait sympathisé avec l’homologue algérien… Bouteflika.

Bouteflika fut ensuite Ministre d’État du 8 mars 1979 au 15 juillet 1980 puis écarté par Chadli Bendjedid. Il fut traduit devant le conseil de discipline du FLN puis pour poursuivi par la Cour des comptes pour un détournement de fonds. Il s’exila à l’étranger (en Suisse) pendant six ans et se transforma en consultant international (un métier juteux). Après un timide retour en Algérie à la fin des années 1980 (il participa au congrès du FLN de 1989), il refusa d’être de nouveau ministre, puis, après le début de la guerre civile, refusa la proposition de la junte militaire d’être le Président de la République en janvier 1994 (le général Liamine Zeroual fut alors choisi).

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Rappelé une nouvelle fois par les militaires à la fin de la décennie désastreuse de guerre civile entre FLN et islamistes du GIA, Abdelaziz Bouteflika fut élu Président de la République le 15 avril 1999 avec 73,8% des voix et 60,9% de participation, a pris ses fonctions le 27 avril 1999 et a été réélu le 8 avril 2004 avec 85,0% des voix et 58,1% de participation, le 9 avril 2009 avec 90,2% des voix et 74,6% de participation, et le 17 avril 2014 avec 81,5% des voix et 50,7% de participation. Des élections pluralistes qui ont été régulièrement contestées par l’opposition qui a condamné des fraudes et qui a parlé de parodies. Par ailleurs, il cumule avec le poste de Ministre de la Défense nationale depuis le 5 mai 2003 et de président d’honneur du FLN depuis le 28 janvier 2005.

Quel est le bilan de Abdelaziz Bouteflika depuis 1999 ? Il est probablement trop tôt encore pour faire ce bilan et s’il y a eu au moins un point positif dans cette déjà longue Présidence, c’est la stabilité intérieure et le retour à la paix civile. Dès le 16 septembre 1999, Bouteflika a fait ratifier par référendum, avec 98,6% de "oui" et une participation de 85,0% (contestée), la loi sur la concorde civile adoptée par le Parlement le 8 juillet 1999, qui fut complétée par un second référendum le 29 septembre 2005 pour approuver la Charte pour la paix et la réconciliation nationale par 97,4% de "oui" avec 79,8% de participation, qui a amnistié environ 6 000 combattants islamistes qui ont pu quitter ainsi la clandestinité du maquis.

La date limite de dépôt des candidatures à l’élection présidentielle du 18 avril 2019 est le 3 mars 2019, et ces candidatures seront validées (ou invalidées) par le Conseil constitutionnel le 13 mars 2019. Certains partis politiques ont déjà annoncé le boycott de ce scrutin, en particulier le RCD et le FFS. Une dizaine de candidatures seraient pour l’instant annoncées.

Depuis la révision constitutionnelle du 6 mars 2016 (loi n°16-01 du 26 Joumada El Oula 1437), provoquée par les conséquences du Printemps arabe de 2011 en Algérie, il est désormais indiqué que « le Président de la République est élu au suffrage universel, direct et secret. L’élection est acquise à la majorité absolue des suffrages exprimés. » (article 85 de la Constitution). Il est également indiqué : « La durée du mandat présidentiel est de cinq ans. Le Président de la République est rééligible une seule fois. » (article 88 de la Constitution). Comme cette dernière disposition date de 2016, sa première application est pour l’élection de 2019, si bien qu’en droit constitutionnel, s’il est réélu cette année, Abdelaziz Bouteflika pourra être encore réélu une nouvelle fois, en 2024 ! (À la fin de ce sixième mandat, Bouteflika aurait alors 92 ans, et pourrait donc concourir à la compétition stupide du chef d’État le plus âgé, avec pour concurrents invincibles Robert Mugabe, renversé à plus de 93 ans, et la reine Élisabeth II, qui n’est pas loin de fêter son 93e anniversaire).

Notons toutefois qu’avant 2008, cette disposition constitutionnelle de la limitation à deux mandats existait déjà et Bouteflika a fait retirer cette contrainte lors d’un vote du Parlement algérien à main levée le 12 novembre 2008 pour modifier ainsi la Constitution par 500 pour, 21 contre et 8 abstentions, dans l’unique objectif de pouvoir se représenter à l’élection présidentielle en 2009.

Enfin, pour information, il faut aussi préciser qu’au-delà de l’article 87 de la Constitution algérienne qui donne les conditions pour pouvoir être éligible à la Présidence de la République, l’article 102 explique : « Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement. ». Si Abdelaziz Bouteflika entame un cinquième mandat, le Conseil constitutionnel devra probablement appliquer un jour cet article de la Constitution algérienne…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Abdelaziz Bouteflika.
Chadli Bendjedid.
Disparition de Chadli Benjedid.
Hocine Aït Ahmed.
Ahmed Ben Bella.
Josette Audin.
Michel Audin.
Déclaration d’Emmanuel Macron sur Maurice Audin (13 septembre 2018).
François Mitterrand et l'Algérie.
Hervé Gourdel.
Mohamed Boudiaf.
Vidéo : dernières paroles de Boudiaf le 29 juin 1992.
Rapport officiel sur l’assassinat de Boudiaf (texte intégral).
Abdelaziz Bouteflika en 2009.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190210-bouteflika.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/bouteflika-le-malade-imagine-ou-le-212598

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/02/12/37094975.html





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