L’unité des radicaux
« Notre postulat humaniste est sans égal. La politique ne se mesure pas de manière arithmétique, ce n’est pas de la tuyauterie (…). Si nous avons, nous, la certitude d’être la formation humaniste de ce pays, celle dont il a besoin parce qu’on ne peut pas avancer dans l’Histoire sans justice, alors demain est à nous, il faut le croire, il faut le dire, il faut le partager. (…) Cette ambition, notre ambition humaniste, s’est traduite en actes politiques fondateurs qui sont dans nos livres, que nos enfants et petits-enfants apprennent, qui forment un héritage inestimable pour chaque Français. » (Laurent Hénart, le 9 décembre 2017 à Paris).
Le Mouvement radical social-libéral tient son premier congrès ce samedi 9 mars 2019 aux Salons de l’Aveyron à Paris (17 rue de l’Aubrac, dans le 12e arrondissement). Auparavant, entre le 6 et le 8 mars 2019, ses adhérents auront élu son président après une période de transition de quinze mois. Qu’est-ce que ce parti politique dont il est difficile de dire qu’il est nouveau malgré cette appellation "modernisée" ? C’est la réunion (historique) de la famille radicale réalisée lors du congrès de réunification du 9 décembre 2017 au Palais des Congrès de Paris.
Depuis quelques années, il y a certes une ambiguïté sur le mot "radicaux" dont on dit généralement qu’ils sont comme les radis, roses à l’extérieur et blancs à l’intérieur. Les radicaux viennent de la gauche, et même de l’extrême gauche, mais ils ne sont pas ce qu’on appelle aujourd’hui la "gauche radicale" qui désignerait plutôt Jean-Luc Mélenchon et ses proches. Les radicaux sont l’une des plus anciennes familles politiques de la République depuis qu’elle est pérenne, c’est-à-dire depuis près de cent cinquante ans.
Depuis cent cinquante ans également, il y a un glissement politique dans le paysage politique, un glissement vers la droite. Cela ne signifie pas que la gauche ancienne est devenue la droite actuelle, mais plutôt que la droite actuelle était la gauche ancienne. Cela peut paraître équivalent, mais pas tout à fait. Ceux qui, aujourd’hui, se situent à l’aile ultragauche, diront donc que le PS est un parti de droite, tandis que ceux qui, aujourd’hui, se retrouvent à l’aile ultradroite, diront au contraire que LR est un parti de gauche. Tout est une question de point de vue, mais il est clair que le paysage politique s’est gauchisé en ce sens que la majeure partie des partis politiques d’aujourd’hui, en dehors de l’extrême droite, étaient originellement des partis de gauche. De toute façon, c’était assez simple, être républicain était une marque de gauche.
Ainsi, lorsque la République fut proclamée le 4 septembre 1870, Adolphe Thiers était une figure marquante du …centre gauche parce que républicain, conservateur, certes, mais républicain, et partisan d’une paix négociée avec Bismarck pour refaire démarrer la France. Au contraire, Léon Gambetta, lui aussi républicain, était pour la résistance à outrance contre les Allemands (les élections du 8 février 1871 l’ont désavoué). Gambetta se trouvait donc à l’extrême gauche de Thiers dans son républicanisme. Mais très vite, ces républicains (aussi Jules Grévy et Jules Ferry) ont été attaqués sur leur gauche par des "radicaux", menés par Georges Clemenceau. Lui-même, au début du XXe siècle, a dû combattre, lorsqu’il était au pouvoir, des parlementaires encore plus à gauche que lui, les socialistes menés par Jean Jaurès, qui, eux-mêmes, furent débordés par les communistes qui, après les années 1930, et surtout, à la Libération, formaient une force politique puissante (un quart de l’électorat). Enfin, depuis quelques années, les communistes sont débordés eux-mêmes sur leur gauche par… les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon (pourtant ancien apparatchik du parti socialiste). J’évoque évidemment des partis majeurs, puisqu’il y a eu d’autres partis d’extrême gauche mais électoralement peu représentatifs.
En gros, dans le mouvement historique, on peut déterminer deux phénomènes. Le premier sur les personnes : une personne au pouvoir se droitise (devient raisonnable) par rapport à sa période de jeunesse ou d’opposition. C’était notamment le cas de Clemenceau, Alexandre Millerand, Léon Blum, François Mitterrand (qui s’est gauchisé avant de se redroitiser), Michel Rocard, Lionel Jospin, François Hollande, Manuel Valls, Emmanuel Macron. Les impératifs économiques et financiers et la raison d’État concernant la sûreté et la sécurité sont les raisons de cette transformation. Le second sur les formations politiques : dès qu’un progrès a été acquis, et accepté, il fait partie du "pot commun" de la grande partie de l’échiquier politique et arrivent de nouveaux partis qui proposent d’autres "progrès" (ou pas). C’était le cas pour la forme républicaine du gouvernement et du modèle social, ces deux éléments sont aujourd’hui défendus par la quasi-totalité des partis politiques actuels.
Si les radicaux étaient des républicains (mais pas exclusivement, Raymond Poincaré et André Tardieu étaient, eux aussi, républicains), ce qui les distinguait, c’était leur défense de la laïcité et c’est sur leur point de vue que le consensus s’est établi depuis plus de cent dix ans.
À cela, il faut ajouter depuis la Libération leur foi en la construction européenne, en sachant que ce furent deux ministres radicaux qui négocièrent le Traité de Rome, Maurice Bourgès-Maunoury et Maurice Faure. Avec l’attention soutenue pour l’aménagement du territoire, le réalisme économique et la solidarité nationale, on peut donc résumer la tradition radicale par ces cinq fondamentaux : la laïcité, l’Europe, la décentralisation, la liberté économique et la justice sociale.
Laurent Hénart les a exprimés dans cette profession de foi : « Nous, radicaux, sommes des fédéralistes européens. Nous pensons que l’Europe demeure la plus belle ambition qui soit, pour notre peuple et pour tous ceux du vieux continent. (…) Nous, radicaux, sommes un parti positif dans le nouveau monde, défendant la liberté et une économie modernisée, permettant le développement de l’entreprenariat au service de tous. (…) Nous, radicaux, sommes pour la transition écologique. (…) Si la misère se développe encore, elle emportera tout le monde et fera le lit des nouveaux barbares. Nous, radicaux, sommes pour la justice sociale. Nous sommes généreux, car il ne peut pas y avoir de transformation heureuse de la France sans justice ni partage. (…) Nous, radicaux, sommes pour la laïcité, tout simplement. (…) Face à la double impasse de l’angélisme et de la stigmatisation, il n’y a qu’une voie, une seule voie capable de parler à tous nos concitoyens : faire respecter la loi (…). La vie politique doit renouer avec le temps long et l’Histoire. (…) Le message du Parti radical n’a pas pris une ride, au contraire, il est d’une totale modernité. » (9 décembre 2017).
La famille radicale fut hégémonique sous la Troisième République, faisant et défaisant les majorités, soutenant parfois les républicains modérés à leur droite (qui seraient aujourd’hui situés au centre droit mais qui, à l’époque, étaient situés à gauche) et soutenant d’autres fois les socialistes à leur gauche (en particulier, lors du Front populaire). La figure du radicalisme triomphant fut Édouard Herriot, chef du Cartel des gauches en 1924. Depuis donc près d’un siècle, les radicaux se sont toujours situés au centre de l’échiquier politique, au point, justement, d’être coupés en deux en 1972 entre une majorité de radicaux qui a refusé le programme commun et l’alliance avec les communistes (JJSS) et un noyau dur qui les a acceptés au point de n’être plus qu’un groupuscule d’appoint pour le PS (Robert Fabre). Pour l’historien Frédéric Fogacci, le divorce n’était pas idéologique : « Il s’agissait davantage de stratégies locales que de désaccords idéologiques. » ("L’Express" du 9 décembre 2017).
Aujourd’hui, après la déflagration du paysage politique en 2017, la disparition progressive du PS (et aussi du PCF), la droitisation de LR, la mosaïquisation du centre droit (UDI, Agir, FED, Alliance centriste, Les Centristes, MoDem, etc.) et l’apparition soudaine d’un parti présidentiel aujourd’hui (et probablement temporairement) hégémonique (LREM), il n’y a plus aucune raison politique ni stratégique à la désunion des radicaux en France.
C’est ce qu’a dit Laurent Hénart, coprésident du Mouvement radical, le 9 décembre 2017 : « Aujourd’hui, nous sommes libres. Nos valeurs et notre analyse du monde sont les mêmes. Nos anciennes alliances sont obsolètes. Pour le Parti radical de gauche, l’allié PS est en déliquescence. Pour le Parti radical valoisien, Les Républicains sont sans boussole et le socle idéologique qui leur est promis avec l’élection probable de Laurent Wauquiez est trop étroit pour fédérer les anciennes droites. (…) Plus rien ne nous sépare. Voilà pourquoi nous sommes réunis. (…) Voilà pourquoi nous voulons être un mouvement politique indépendant, qui a vocation à se présenter à tous les scrutins sous ses couleurs. (…) Le radicalisme n’est soluble dans aucun grand ensemble. Mais ce n’est pas non plus le splendide isolement. Il est au cœur de l’espace central devenu essentiel avec l’élection d’Emmanuel Macron. ». L’adjectif "central" n’est pas nouveau, il était employé par François Bayrou en 2007.
Les deux partis étaient donc prêts à se rassembler, après l’élection d’Emmanuel Macron, et après de nombreuses déclarations d’intention (anciennes), notamment d’André Rossinot, président d’honneur du Parti radical valoisien, et de Jean-Michel Baylet, président d’honneur du PRG (Parti radical de gauche). Le Parti radical valoisien, présidé depuis le 6 avril 2014 (élu le 22 juin 2014 avec 61,3% des voix et réélu le 22 novembre 2017 avec 79% des voix) par Laurent Hénart (maire de Nancy et ancien ministre), a été créé le 21 juin 1901 et est le plus vieux parti de France. Le PRG, présidé depuis le 17 février 2016 par Sylvia Pinel (députée depuis l’âge de 29 ans, première vice-présidente du conseil régional d’Occitanie et ancienne ministre), a été créé le 4 octobre 1972 (avec une autre appellation).
Concrètement, la réunification s’est réalisée en deux temps. La première étape fut une université d’été commune les 15 et 16 septembre 2017 à Montpellier : première rencontre nationale des personnes et travail de réflexion en commun. La seconde étape fut le congrès de la réunification le 9 décembre 2017 au Palais des Congrès de Paris où les deux partis se sont unis dans le (nouveau) Mouvement radical. Lors de ce congrès, le PRG a adopté cette réunification par 85% des voix et le Parti radical valoisien également a largement adopté cette réunification au cours de son 117e congrès.
Cependant, quelques jours avant ce congrès, l’UDI (Union des démocrates et indépendants), dont est membre fondateur le Parti radical valoisien, s’est inquiétée des conséquences politiques de cette réunification. Le conseil national de l’UDI a ainsi décidé le 2 décembre 2017 d’exclure le Parti radical valoisien, considérant que l’UDI ne devait pas intégrer en son sein des personnalités qui, pour certains du PRG, ont été élues avec des voix des communistes ou des insoumis et dans des majorités territoriales les intégrant.
Pour cette raison d’exclusion et d’obligation de choisir entre radicaux et UDI, certains élus ont préféré rester à l’UDI, ce fut le cas notamment de Michel Zumkeller, Yves Jégo, Sophie Joissains, etc. qui ont créé Génération 1901 (1901, date de fondation du Parti radical) pour rester au sein de l’UDI. Parallèlement, certains élus radicaux de gauche ont refusé cette fusion, ce fut le cas notamment de Virginie Rozière et Stéphane Saint-André qui ont créé le 14 décembre 2017 un nouveau parti appelé Les Radicaux de gauche.
En principe, une période de transition devait avoir lieu pendant deux ans, de réorganisation locale et nationale, au bout de laquelle les deux partis fusionneraient officiellement. Finalement, le comité exécutif du PRG a décidé le 6 février 2019 de quitter le Mouvement radical. Guillaume Lacroix, qui fut co-secrétaire général du Mouvement radical, démissionna et fut désigné président du PRG le 8 février 2019, succédant à Sylvia Pinel qui a également quitté le Mouvement radical.
La raison officielle fut la crainte que lors du congrès du 9 mars 2019, le Mouvement radical décide de rejoindre la liste de la majorité présidentielle aux élections européennes, ce qui serait pourtant idéologiquement cohérent avec la lettre aux citoyens européens que vient de publier Emmanuel Macron ce lundi 4 mars 2019.
Une autre raison est aussi à indiquer : malgré la grande présence électorale du PRG dans le Sud-Ouest, la réorganisation des fédérations départementales de l’ensemble fusionné s’est réalisée plutôt à l’avantage des radicaux valoisiens plus nombreux sur le plan national.
La désertion de Sylvia Pinel (qui a quitté sa fonction de coprésidente du Mouvement radical) a fait que Laurent Hénart est assuré d’être réélu président (et seul président) du Mouvement radical dans la mesure où le professeur Didier Maus, constitutionnaliste et président de la commission permanente de contrôle du Mouvement radical, n’a enregistré le 22 février 2019 qu’une seule candidature remplissant els conditions de parrainages.
Tous les radicaux de gauche ne sont pourtant pas partis du Mouvement radical puisque Harold Huwart, vice-président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire, issu du PRG, a été désigné co-secrétaire général du Mouvement radical et a considéré, le 22 février 2019, que la réunification a bien eu lieu en rappelant l’échec magistral de 2017 pour le PRG : « De renoncement en renoncement, le PRG a été amené soutenir Manuel Valls, puis Benoît Hamon, avant de s’enferrer définitivement dans un accord législatif avec le PS qui ne pouvait que s’avérer désastreux parce que, compte tenu des positions idéologiques et politiques affichées par un appareil socialiste moribond, cette alliance était devenue profondément contraire à notre identité et à nos valeurs. Preuve ultime de cet échec : à une exception près, la totalité des candidats aux législatives issus des radicaux de gauche, à commencer par notre présidente [Sylvia Pinel], ont été élus sur une ligne de majorité présidentielle autre que celle officiellement portée par le PRG. C’est pour tourner cette page d’impuissance politique que la réunification a été proposée par nos dirigeants et finalement votée par les militants. ».
Ce congrès du 9 mars 2019 aura donc deux enjeux politiques majeurs : montrer que le Mouvement radical est effectivement le parti de la réunification malgré le départ de certains radicaux (de gauche mais aussi valoisiens), et prendre plus d’importance médiatique dans le paysage politique, car depuis quinze mois, les radicaux réunifiés ne se sont pas donné beaucoup d’échos médiatiques.
Je termine sur deux positions du Mouvement radical qui sont d’une grande actualité.
Une motion adoptée au comité national le 6 février 2019 a décrit les différentes lignes directrices sur lesquelles le Mouvement radical voudrait s’exprimer à l’occasion du grand débat national : « Nous, radicaux, participerons au grand débat. (…) Nous y porterons nos valeurs et nos propositions : le choix d’une décentralisation beaucoup plus franche que celle que notre pays a connue jusqu’ici, la généralisation de la négociation et du contrat dans les relations entre l’État, les territoires et les acteurs sociaux, la nécessité d’une transition écologique assumée et accompagnée par une politique de soutien au pouvoir d’achat des classes moyennes et des plus modestes, la défense intransigeante des principes laïques qui fondent notre République face aux offensives extrémistes qui minent le débat public et portent atteinte à l’unité de la Nation. ».
Le même jour fut adopté le Manifeste européen du Mouvement radical qui est intitulé "Construire la souveraineté européenne, relevons ensemble les défis de la mondialisation" (lisible ici). Dans ce texte d’une vingtaine de pages, divisé en huit parties, je propose de citer trois propositions essentielles en matière institutionnelle.
D’abord, identifier les personnes qui incarnent la gouvernance européenne : « Réforme aussi symbolique que nécessaire pour que l’UE ait une légitimité populaire, il est primordial que le Président de l’Union Européenne soit élu au suffrage universel direct. ».
Ensuite, empêcher la paralysie dans les décisions communes : « Pour garantir une prise de décision plus rapide et éviter les paralysies liées aux égoïsmes nationaux, la règle de l’unanimité doit disparaître et être remplacée par des règles de majorité plus ou moins qualifiée selon l’importance stratégique des sujets. ».
Enfin, renforcer les pouvoirs du Parlement Européen : « Ses pouvoirs doivent notamment être renforcés vis-à-vis de la Commission Européenne. Cela passe par l’élection du Président de la Commission Européenne par le Parlement Européen ainsi que par une capacité, pour lui, de contrôler les décisions de la Commission. (…) Afin de mieux pouvoir retranscrire les aspirations des citoyens européens dont les parlementaires sont les représentants, il convient de doter enfin le Parlement Européen d’un pouvoir d’initiative législative. ».
Ce sont trois mesures fortes qui ne manqueront certainement pas d’être débattues dans le cadre de la campagne des élections européennes, qui auront lieu dans moins de trois mois, le dimanche 26 mai 2019.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le Manifeste européen du Mouvement radical adopté le 6 février 2019 (à télécharger).
L’unité des radicaux.
La famille centriste.
La défense de la laïcité.
Laurent Hénart.
Jean-Louis Borloo.
Programme de Sylvia Pinel.
Jean-Michel Baylet.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Françoise Giroud.
Robert Fabre.
Jean Moulin.
Maurice Faure.
Edgar Faure.
Édouard Herriot.
Pierre Mendès France.
Georges Clemenceau.
Jean Zay.
Jules Jeanneney.
René Cassin.
Joseph Caillaux.
Jean-François Hory.
Évelyne Baylet.
Yves Jégo.
Rama Yade.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190306-mouvement-radical.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/l-unite-des-radicaux-213194
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/02/27/37136556.html