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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
24 avril 2019

Assurance-chômage : deux mauvaises idées du gouvernement

« Le principe d’une indemnisation chômage est un des fondements de notre modèle social. Il est bon, il est sain que nous ayons un système permettant de ne pas laisser seul et sans indemnisation, ceux qui, dans leur vie professionnelle, connaissent une interruption liée à l’activité économique. Il ne s’agit donc pas de revenir sur ce principe, mais bien au contraire de faire en sorte que ce principe puisse trouver une application efficace et durable. » (Édouard Philippe, le 26 février 2019 à Matignon).



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On parle en ce moment de la réforme des retraites, mais il y a aussi la réforme de l’assurance-chômage en cours. Elle est en train de "mijoter". Le Premier Ministre Édouard Philippe devrait indiquer « au printemps les paramètres et les mesures que nous retiendrons ». Ce sujet est évidemment très sensible puisqu’il s’agit du traitement social du chômage. La France, plus que d’autres pays, s’enorgueillit de parvenir à amortir le choc d'une crise économique par des airbags sociaux. L’assurance-chômage est, à cet égard, l’airbag le plus stratégique.

Le Président Emmanuel Macron s’était étonné, lors d’une participation au grand débat, que le sujet du chômage et de l’emploi était peu évoqué alors qu’il est déterminant dans le redressement de l’économie et l’assainissement des finances publiques. Il a eu beau jeu également de fustiger les partenaires sociaux le 25 février 2019 en disant qu’on lui reprochait de ne pas vouloir de concertation, mais quand il y avait une concertation, cela n’aboutissait à rien et alors, les partenaires sociaux s’en remettaient au gouvernement.

Ce raisonnement présidentiel assez boiteux a fait sortir de leurs gonds les deux parties, les syndicats et le Medef, dans un élan commun, parce que le cahier des charges imposé par le gouvernement était intenable, notamment avec le ou les milliards d’économies demandés afin de désendetter l’Unedic.

Effectivement, le 20 février 2019, les partenaires sociaux ont dû arrêter leurs négociations sur un constat d’échec. Il revient donc au gouvernement de reprendre l’initiative et d’imposer finalement ses propres mesures, après une nouvelle concertation de plusieurs semaines, cette fois-ci menée par le gouvernement.

Pour Édouard Philippe, cet échec est regrettable : « Nous avons laissé toutes ses chances à la négociation. Nous avons rédigé le document qui leur a été adressé après les avoir consultés et après avoir tenu compte de leur avis pour en élaborer le contenu. En affirmant le nécessaire désendettement de l’Unedic, nous avons pris soin de mentionner non pas un objectif budgétaire mais une fourchette d’économies suffisamment large pour que l’espace de discussion soit réel. Et nous avions indiqué aux partenaires sociaux que dès lors qu’ils atteindraient une cible à l’intérieur de cette fourchette, nous pourrions suivre leurs recommandations. ».

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Dans sa conférence de presse (dont on pourra lire l’intégralité ici) à Matignon le 26 février 2019, le Premier Ministre Édouard Philippe s’est d’abord réjoui de la baisse durable du chômage avec un taux en dessous de 9%, ce qui était sans précédent depuis dix ans. Pour lui, le retour à plus d’emplois est la priorité du gouvernement : « La lutte contre le chômage reste notre premier objectif. ». La réforme de l’assurance-chômage constitue le troisième levier de sa politique de l’emploi.

Le premier levier était la réforme du code du travail, qui permet une meilleure sécurisation des contrats de travail vis-à-vis des employeurs. Le deuxième levier était la réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage « avec le choix de privilégier enfin l’alternance en levant les blocages à son développement, et le choix de privilégier la formation des demandeurs d’emploi plutôt que les emplois aidés ».

Parmi les quelques pistes du gouvernement, deux mauvaises idées se sont glissées qui ne me paraissent pas aller dans le bon sens, même si je conçois la nécessité de faire des économies si l’on ne veut pas augmenter les charges sociales sur les salaires.

La première mauvaise idée, c’est de proposer de créer un malus pour les contrats courts, les CDD (contrats à durée déterminée). L’idée, fort louable, est de faire en sorte que le CDI (contrat à durée indéterminée) soit la norme, ce qui n’est plus le cas actuellement dans les embauches : « Nous considérons que les entreprises doivent être beaucoup plus responsabilisées dans leur choix de recourir aux contrats courts. (…) Vous comprenez bien qu’ayant libéré les entreprises des règles qui créaient des incertitudes défavorables à l’embauche, nous pouvons désormais refaire du CDI et des contrats longs la norme à l’embauche. ».

Le problème, c’est que cette mesure suit une logique complètement antiéconomique, elle serait financièrement catastrophique dans de nombreux secteurs, en particulier la restauration et le tourisme (ce qui est bien connu), mais aussi dans des secteurs moins connus pour ces contrats courts, comme par exemple, le secteur de l’audiovisuel. En effet, le recrutement d’un producteur d’émission ne peut se faire sur une durée indéterminée mais sur les périodes des grilles, à savoir, année scolaire ou mois d’été. Obliger les entreprises du secteur à recruter en CDI reviendrait à nier leur liberté éditoriale. Chaque secteur économique a sa propre logique et ses propres raisons de recourir éventuellement à des contrats courts. Vouloir imposer une mesure globale ne paraît pas pertinent.

Par ailleurs, n’imaginer que des dispositifs qui chargent encore plus les entreprises paraît contradictoire avec la volonté affichée par le gouvernement de mener une politique pro-entreprises. Ce n’est assurément pas en augmentant leurs charges qu’on réduirait le chômage. Mieux vaut trouver un argument incitatif pour recruter en CDI qu’une mesure punitive pour qui recruterait en contrats courts.

C’est une tentation très française de vouloir sans arrêt rajouter une taxe, avec une pléthore de synonymes (ici "malus"), alors même que le gouvernement avait répété qu’il n’augmenterait aucun impôt ni n’en créerait de nouveaux. Ce cette pratique qui a engendré la crise des gilets jaunes où l’on a confondu très hypocritement la sauvegarde de la planète avec le remplissage des caisses de l’État par l’intermédiaire de la taxe carbone.

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La seconde mauvaise idée, qui, elle, pourrait avoir un écho favorable à gauche (comme la première du reste), c’est de proposer une limitation du niveau des indemnités chômage : « Il est clair que les règles d’assurance-chômage, qui ne protègent pas suffisamment contre la précarité, indemnisent dans le même temps à un niveau dépassant de très loin ce qui existe ailleurs en Europe, alors même que le marché du travail des cadres est au plein emploi. ». L’idée est "lumineuse" : on imagine mal les cadres au chômage se regrouper et bloquer les ronds-points.

Dans cette petite phrase du Premier Ministre, on lit en filigrane qu’un cadre sans emploi serait au chômage par sa propre volonté, ce qui n’est évidemment pas aussi simple que cela (cela dépend des secteurs et des compétences). Mais surtout, l’indemnisation chômage n’est pas un droit acquis, une faveur octroyée par l’État ou par les partenaires sociaux par solidarité aux demandeurs d’emploi. C’est d’abord et avant tout une assurance. C’est donc ainsi qu’il faut l’imaginer.

Or, une assurance, c’est payer pour un risque, et être indemnisé lorsque ce risque devient réalité. Mettre un plafond (pour les cadres donc) aux indemnisations pourrait sembler juste, mais c’est en fait le contraire. Un tel plafonnement ne peut s’envisager qu’accompagné d’un plafonnement du paiement des cotisations chômage. Car si les cadres peuvent toucher une indemnisation qui peut s’avérer élevée, elle l’est en proportion des cotisations chômage payées qui sont également élevées.

La réforme de 2018 (celle qui a suscité la grogne des retraités) avait un but clair : augmenter la CSG et supprimer la cotisation chômage du salarié, si bien que le salarié y a gagné globalement. Cela a désavantagé ceux qui n’avaient pas à payer à l’origine de cotisation chômage, principalement les retraités et les fonctionnaires. Mais l’idée avait aussi un but moins avouable même si annoncé : c’était de transférer la compétence de l’assurance-chômage des partenaires sociaux vers l’État en supprimant ainsi les cotisations chômage et en intégrant l’assurance-chômage dans le budget de l’État. On imagine la conséquence "philosophique" de cette transformation : l’assurance-chômage ne serait plus une "assurance" mais un droit social, qui pourrait donc être modifié au gré des lois de finance.

En fait, le gouvernement n’a fait que la moitié du travail, dans cette étatisation (nationalisation) de l’assurance-chômage, puisqu’il reste encore des cotisations chômage patronales, qui, en fin de compte, sont techniquement de même nature que les cotisations salariales. Les réduire ou les supprimer ne changerait rien sur le "net à payer" du salarié, mais allègerait le coût du travail pour les entreprises. On n’en est pas là, à moins d’imaginer une nouvelle augmentation équivalente de la CSG, quitte à la coupler avec une augmentation équivalente du salaire brut (le salaire brut n’est pas vraiment brut puisqu’il ne prend pas en compte les charges patronales liées à ce salaire).

La plupart des réformes de l’assurance-chômage, depuis une trentaine d’années, ont eu pour objectif de redonner un équilibre financier au système (sans lequel le système peut imploser), et ce n’est pas facile en période de taux élevé et durable de chômage. Néanmoins, il y a plus de marge de manœuvre que pour les pensions de retraite.

En effet, non seulement il y a un nombre de retraités fixé et irréversible, mais avec le baby-boom, devenu papy-boom, il va éclater dans les années à venir, sans compter la hausse vertigineuse, en elle-même excellente, du nombre de personnes très âgées, ce qui renforcera le coût de la dépendance dans les vingt prochaines années.

L’assurance-chômage n’a pas cette problématique irréversible. Elle dépend du taux de chômage et si celui-ci baisse, l’équilibre financier peut rapidement être atteint. Non seulement avec la baisse des indemnisations, mais aussi, parallèlement, avec la hausse de recettes. L’assurance-chômage n’est donc prisonnière du triple levier montant des cotisations/montant des indemnisations/durée des indemnisations mais aussi du taux de chômage.

La véritable solution, et personne n’en doute, c’est qu’il y ait moins de chômeurs. Tout ce que fait le gouvernement sur le code du travail et sur l’assurance-chômage a malheureusement peu d’impact sur l’emploi qui est d’abord une donnée économique et pas sociale (en quelques sortes, les leviers du gouvernement n’agissent que sur les conséquences et pas sur les causes du chômage). Jusqu’à maintenant, le seul véritable levier de l’emploi, c’est l’investissement productif. Je doute, malgré les discours prometteurs, que celui-ci soit réellement encouragé dans les faits par des mesures effectivement incitatives…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 avril 2019)
http://www.rakotoarison.eu

(La première image est une parodie trouvée sur Internet du logo de "Pôle Emploi" à la suite d'une certaine déclaration présidentielle ; que son auteur non identifié soit remercié).


Pour aller plus loin :
Discours du Premier Ministre Édouard Philippe sur l’assurance-chômage le 26 février 2019 à Matignon (texte intégral).
Assurance-chômage : deux mauvaises idées du gouvernement.
L’inversion de la courbe.
La crise de 2008.
Faut-il toucher aux retraites ?
Le statut de la SNCF.
Programme du candidat Emmanuel Macron présenté le 2 mars 2017 (à télécharger).
La génération du baby-boom.
La réforme des sociétés anonymes.
L’investissement productif.
La réforme du code du travail.
La France est-elle un pays libéral ?
Le secteur de l’énergie.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190226-assurance-chomage.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/assurance-chomage-deux-mauvaises-214266

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/02/27/37136834.html




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