L’ardeur diplomatique d’Emmanuel Macron
« Notre monde est à un moment de bascule et je crois que notre vocation à nous, Français, est d’être dans la proposition, l’inspiration, d’essayer de réduire les désaccords, de ne pas céder aux faiblesses du temps présent, d’avoir cet esprit de résistance qui fait se dire "il n’y a pas de fatalité". On doit se battre pour conduire les autres à se battre avec nous contre ces injustices ou ces absurdités. Alors, je vous promets, en votre nom, de faire le maximum pour mettre mes collègues d’accord sur ces sujets, pour qu’on arrive à faire bouger les choses ensemble. » (Emmanuel Macron, le 24 août 2019 à Biarritz).
Il faut imaginer une allocution télévisée le samedi de l’un des derniers gros week-ends de retour de vacances. Et encore, l’imaginer à 13 heures, même pas le soir ! Peu d’espoir d’être vraiment entendu par tous les Français et d’avoir pour conséquence un gain politique important.
Et pourtant, le Président de la République Emmanuel Macron a eu raison de prononcer une allocution ce samedi 24 août 2019 juste avant l’ouverture du Sommet du G7 à Biarritz. À ma connaissance, c’était même la première fois qu’un Président français s’adressait à ses compatriotes avant un sommet, et pas seulement après. Avant, pour dire ses attentes, les enjeux, et, en quelques sortes, prendre les Français à témoins de son volontarisme diplomatique. Il a fait ensuite un point de presse à la fin de chaque réunion de travail du G7.
L’antimacronmania est telle que tous les faits et gestes présidentiels sont non seulement scrutés et disséqués mais aussi critiqués, fustigés, parfois pour de très mauvaises raisons. Comme l’excessif est insignifiant, ce genre d’opposition systématique n’a, à mon avis, pas beaucoup de chance d’être efficace.
Le critiquer pour une communication excessive ? Au contraire, il a vraiment raison sur la forme. Expliquer aux Français sa politique est même le B.A. BA du métier de Président de la République. Chose que n’a jamais comprise son prédécesseur François Hollande, et pourtant, ce dernier n’était pas avare en déclarations et discours, mais il préférait commenter à expliquer. Quand on est acteur, on explique ; quand on commente, c’est qu’on n’est qu’observateur.
C’est d’ailleurs, de sa part, risqué : expliquer ses objectifs pour le G7, et constater à la fin du sommet qu’ils ne seraient pas tous atteints, c’est laisser entendre un échec qui serait mis à son passif. Pourtant, il a raison parce que la diplomatie, comme l’économie, comme tous les sujets nationaux, est l’affaire de tous, de tous les Français. D’ailleurs, dans son allocution, il n’a pas hésité à réduire ses ambitions : « Nous ne réussirons sans doute pas sur tout et ne m’en voulez pas si parfois nous n’y arriverons pas. La France doit faire le maximum mais nous ne pouvons pas tout, tout seul. ».
On peut certes faire remarquer qu’Emmanuel Macron "se réfugie" dans la politique extérieure. Parce qu’en général, c’est un domaine qui porte plus facilement l’unité sinon le consensus entre les Français. On peut imaginer que c’est un calcul politique, et personne d’ailleurs ne pourrait imaginer qu’un Président ne calcule pas.
C’est de toute façon un bon calcul politique : en laissant son Premier Ministre Édouard Philippe la responsabilité de conduire la politique économique et sociale, et tout le monde sait que l’actualité y est très brûlante (assurance-chômage, retraites, PMA, projet de loi de finances, etc.), Emmanuel Macron reprend de la hauteur présidentielle sur les questions planétaires, avec probablement un souhait, qu’il soit considéré comme l’un des leaders mondiaux de la lutte contre les bouleversements climatiques.
D’ailleurs, Emmanuel Macron se retrouve justement dans une fenêtre diplomatique exceptionnelle, probablement la plus importante de son quinquennat. En effet, il est le Président du G7 cette année, et aussi, le Président de l’Union Européenne pour ce semestre. En d’autres termes, il est (presque) le Président du monde, et il entend bien en profiter pour faire avancer les dossiers qui le motivent beaucoup.
Président du monde est sans doute un peu exagéré, ce surnom pourrait être associé plutôt au Secrétaire Général de l’ONU maintenant que le pape n’a plus qu’une mission pastorale. Mais il ne faut pas réduire ce Sommet du G7 à Biarritz aux seuls sept pays qui le composent, à savoir la France, les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, le Canada et le Japon. Ce week-end, d’autres pays ont été très présents et représentés, comme l’Espagne, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Chili, l’Australie, ces quatre derniers, partenaires très engagés dans la protection de la planète et la transformation numérique, également le Burkina-Faso, l’Égypte, le Sénégal, le Rwanda et l’Union Africaine pour un partenariat avec l’Afrique, enfin, même l’Iran a été présent avec la présence surprise du Ministre iranien des Affaires étrangères.
Emmanuel Macron a donc fait sa troisième "rentrée scolaire" avec une frénésie diplomatique probablement nécessaire. Il faut ainsi saluer, avant même le début du G7 : rencontre avec le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine le 19 août 2019 au Fort de Brégançon (rappelons que depuis l’annexion de la Crimée, la Russie a été exclue du G8 redevenu G7), rencontre avec le nouveau Premier Ministre britannique Boris Johnson le 22 août 2019 à l’Élysée, rencontre avec le Premier Ministre indien Narendra Modi le 22 août 2019 à Chantilly, rejet de l’accord commercial entre l’Union Européenne et le Mercosur le 23 août 2019 en raison de la mauvaise volonté du Président brésilien Jair Bolsonaro de préserver la forêt amazonienne (parlant même de "mensonge"), déjeuner de travail avec le Président américain Donald Trump le 24 août 2019 à Biarritz, etc.
À Vladimir Poutine, Emmanuel Macron a promis de se rendre en Russie aux cérémonies du 9 mai 2020 commémorant le soixante-quinzième anniversaire de la fin de la guerre. À cause de la crise ukrainienne, François Hollande avait refusé de se rendre au soixante-dixième anniversaire, alors que Vladimir Poutine s’était pourtant déplacé en Normandie l’année précédente pour commémorer le Débarquement.
Alors que Donald Trump a remis en cause les Accords de Paris et que Jair Bolsonaro refuse de les appliquer, Emmanuel Macron a salué la bonne volonté de la Russie sur le dossier climatique : « Je me réjouis de la décision de ratification des Accords de Paris qui a été prise par la Russie, qui est un point extrêmement important dans le combat que nous menons en matière climatique et qui est, je crois, un geste diplomatique et de conviction très important de la part de la Russie en soutien de l’agenda de Paris. Je veux aussi avoir un mot de soutien après les incendies terribles qui se sont produits cet été en Sibérie et qui ont mobilisé le Président. Mais de l’Arctique à la situation du permafrost, et à cet agenda climatique-là aussi, je souhaite que nous puissions avancer, et c’est pour moi au cœur de cette recomposition que nous avons à faire parce que, je le disais, notre ordre international vit un moment absolument historique : le multilatéralisme est attaqué et nous avons à penser, à construire une recomposition de cet ordre international. C’est ma conviction profonde, c’est-à-dire réinventer de nouvelles formes de relations et d’actions utiles. » (19 août 2019).
Emmanuel Macron a d’ailleurs tenu à dire, à l’instar de Dostoïevski, que le Russe était le plus russe quand il était le plus européen : « La Russie a toute sa place dans l’Europe des valeurs à laquelle nous croyons. C’est pourquoi la France, et je l’assume, s’est tant battu pour qu’on trouve une solution utile, pertinente au sein du Conseil de l’Europe et c’est sous la Présidence française du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe que nous avons trouvé une solution qui permet à la Russie de retrouver sa place, et c’est d’ailleurs au nom de cette place que nous avons pu appeler cet été à ce que la liberté de manifester, la liberté d’expression, la liberté d’opinion, la liberté de se présenter à des élections dans le cadre de tout pays au sein de ce Conseil, soient pleinement respectées aussi en Russie. Parce que je crois à une souveraineté européenne, c’est-à-dire à une Europe plus forte et qui, donc, doit se réinventer dans ce dialogue. » (19 août 2019).
À Boris Johnson, Emmanuel Macron a rappelé sa position sur le Brexit : « D’abord, ma position a toujours été de respecter le choix souverain du peuple britannique de quitter l’Union Européenne. Je le regrette. Si j’avais été un électeur, je n’aurais pas défendu ce choix, mais je crois que la souveraineté des peuples est ce qui fonde les démocraties, et donc, je respecte pleinement ce choix et je pense qu’il faut le mettre en œuvre. Ensuite, ma position consiste à protéger et renforcer le projet européen, le marché unique, notre capacité à décider et construire une Union Européenne plus forte et plus souveraine et c’est pourquoi je me suis toujours positionné pour n’affaiblir en rien ce projet dans les négociations et l’organisation que nous avons à prendre. Et enfin, c’est de préserver et d’approfondir la relation bilatérale ancrée dans l’histoire et tournée vers l’avenir. C’est dans cet esprit que l’Union Européenne a négocié longuement un accord (…). Je veux dire simplement en ami et en allié au Royaume-Uni que c’est à lui seul de choisir son destin. La manière dont il sortira de l’Union Européenne et les fondements de la relation future qu’il veut bâtir avec l’Europe. » (22 août 2019).
Enfin, aux Français, Emmanuel Macron a précisé les trois enjeux de ce Sommet du G7 à Biarritz au cours de son allocution du 24 août 2019 : « D’abord, je crois que ce que, légitimement, vous attendez de nous tous, c’est de pouvoir assurer la stabilité et la sécurité, protéger la paix dans le monde et donc, nous allons discuter des grands conflits ou des grandes situations les plus tendues : l’Iran, la Syrie, la Libye, l’Ukraine et plusieurs autres sujets de crise à l’international. (…) Le deuxième grand enjeu de ce G7, ce sera la situation de l’économie mondiale. Et là-dessus aussi, cela vous concerne directement. Nous devons œuvrer pour avoir plus de croissance, créer davantage d’emplois, et donc, de mieux-être dans nos sociétés. (…) Et puis le troisième sujet, c’est comment rendre ce monde en quelque sorte plus habitable, meilleur, comment lutter contre les inégalités. C’est ce sujet que j’ai mis au cœur de ce G7. Et je veux qu’il soit utile par des actions concrètes. ».
Pour le premier thème (sécurité et paix dans le monde), l’objectif de la France est d’éviter les escalades de violence et de trouver des "accords utiles". Pour le deuxième thème (économie et emploi), l’objectif de la France est double : « d’abord, convaincre tous nos partenaires que les tensions, en particulier, les tensions commerciales, sont mauvaises pour tout le monde (…), [ensuite], trouver les nouveaux moyens de faire de la vraie relance, c’est-à-dire relancer cette croissance ».
Enfin, le troisième thème (inégalités) est sans doute celui auquel Emmanuel Macron attache le plus d’importance puisqu’il concentre beaucoup de sujets à la fois : l’égalité entre les hommes et les femmes, l’investissement en Afrique, la protection des démocraties et l’information dans l’ère du numérique, et évidemment, le climat et la biodiversité : « Nous devons répondre à l’appel de l’océan qui est derrière moi, ici, à Biarritz, et à l’appel de la forêt qui brûle aujourd’hui en Amazonie de manière, là aussi, très concrète. » (24 août 2019).
Deux pistes. Pour les océans : réduire la vitesse des transporteurs maritimes, ce qui réduira les émissions de CO2, et réduire les déchets et émissions de CO2 par l’engagement ferme et concret de presque la moitié de l’industrie textile mondiale (qui produit 30% des déchets et 8% des émissions de CO2). Pour la forêt : lutter contre les feux de forêt dans l’Amazonie et aider le Brésil et les autres pays touchés à investir dans la reforestation et préserver cette forêt. Il faut rappeler que la France est très concernée par l’Amazonie car la Guyane en fait partie. À ce titre, la France est un pays qui a des frontières communes avec le Brésil.
À ce G7, huit personnalités participent à toutes les discussions : Emmanuel Macron pour la France (67 millions d’habitants ; PIB 2018 de 2,78 T$), Donald Trump pour les États-Unis (327,2 millions d’habitants ; PIB 2018 de 20,49 T$), Shinzo Abe pour le Japon (126,5 millions d’habitants ; PIB 2018 de 4,97 T$), Angela Merkel pour l’Allemagne (82,9 millions d’habitants ; PIB 2018 de 3,99 T$), Boris Johnson pour le Royaume-Uni (66,5 millions d’habitants ; PIB 2018 de 2,83 T$), Justin Trudeau pour le Canada (37,1 millions d’habitants ; PIB 2018 de 1,71 T$), Giuseppe Conte (démissionnaire depuis le 20 août 2019) pour l’Italie (60,4 millions d’habitants ; PIB 2018 de 2,07 T$), enfin, Donald Tusk, Président du Conseil Européen, en fin de mandat (jusqu’au 1er décembre 2019).
Le Sommet de Biarritz s’achèvera à l’issue de la conférence de presse de clôture prévue à 15 heures ce lundi 26 août 2019.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 août 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’ardeur diplomatique d’Emmanuel Macron.
Le Sommet du G7 à Biarritz du 24 au 26 août 2019.
Allocution du Président Emmanuel Macron le 24 août 2019 à Biarritz.
Union Européenne : la victoire inespérée du Président Macron.
Nathalie Loiseau, la Simone Veil d'Emmanuel Macron ?
Emmanuel Macron, deux ans après.
Emmanuel Macron et l’art d’être Français.
Conférence de presse du Président Emmanuel Macron du 25 avril 2019 (vidéo et texte intégral).
Allocution du Président Emmanuel Macron du 16 avril 2019 (texte intégral).
Emmanuel Macron à la conquête des peuples européens.
Gilets jaunes : le syndrome du Fouquet’s.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190824-macron.html
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/l-ardeur-diplomatique-d-emmanuel-217457
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/08/25/37589041.html