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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
27 septembre 2018

Lech Walesa, symbole courageux de l’Europe libérée du joug communiste

« Nous gardons la tête haute, malgré le prix que nous avons payé, parce que la liberté n’a pas de prix. » (Lech Walesa).


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Ce samedi 29 septembre 2018, Lech Walesa fête son 75e anniversaire. C’est l’occasion de revenir sur cet homme qui a tant fait l’histoire, par son courage, sa combativité, son sens politique. L’homme en lui-même a ses failles, sa face sombre d’ombres, et peut-être n’était-il pas fait pour être un homme d’État, mais il a été bien plus. Un homme qui a fait entamer un processus qui a abouti à la disparition du communisme en Russie !

Beaucoup ont dit que l’arrivée du pape Jean-Paul II, le premier pape polonais, élu le 16 octobre 1978, a été décisive au début des années 1980 dans la foi des Polonais  à résister au communisme, ce qui a abouti à la dissolution de l’Union Soviétique et la libéralisation de l’Europe centrale et orientale. Probablement. Mais pour une double raison. Raison religieuse : la Pologne était un pays communiste, certes, mais il restait un pays profondément catholique, ce qui était assez paradoxal. Raison politique et sociale : la présence d’un leader syndical fort et charismatique, suivi, capable de s’imposer face aux chars et de remporter des avancées politiques.

J’ai eu la chance, le 4 février 1992, de me rendre dans l’ancienne enceinte du Parlement Européen à Strasbourg pour écouter le Président de la République de Pologne Lech Walesa prononcer un discours en tant qu’invité. La Pologne n’était pas encore un État membre (elle ne le fut que le 1er mai 2004), et j’avais l’impression de voire devant moi une sorte de roi autocrate sans discours très percutant. Ses échecs électoraux en 1995 et 2000, personnels, ne m’ont pas étonné. Il était déjà un homme du passé, tourné vers le passé et pas vers l’avenir, dépassé par l’éclosion d’une vie politique nouvelle (comme dans chaque pays de l’ex-Bloc soviétique). Le 8 octobre 2000, il n’a rassemblé que 1,01% des suffrages exprimés, pas même 180 000 électeurs ! Même gifle qu'à Mikhaïl Gorbatchev aux élections présidentielles libres en Russie.

Et pourtant… J’avais trouvé que la Pologne avait pris une petite année de retard sur la Tchécoslovaquie dans la course aux symboles politiques, alors que la Pologne était le premier pays à avoir gagné sa liberté politique. Le dissident tchécoslovaque Vaclav Havel (1936-2011) fut élu Président de la République de Tchécoslovaquie le 29 décembre 1989 tandis que Lech Walesa a dû attendre son élection le 9 décembre 1990. Historiquement, Lech Walesa ne pouvait pas ne pas être élu Président de la République de Pologne, même s’il n’était pas fait pour cela.

Lech Walesa était un ouvrier électricien dans les chantiers navals à Gdansk (anciennement Dantzig à l’époque prussienne). Il participa aux émeutes ouvrières des 14 au 19 décembre 1970 dans les villes côtières de la Baltique (Gdynia, Gdansk, etc.), émeutes provoquées par la forte hausse du prix de la nourriture annoncée le 12 décembre 1970 et qui furent réprimées par plus de 30 000 soldats (et 550 chars) de l’armée polonaise (au moins 42 morts, plus de 1 000 blessés, plus de 3 000 arrestations, entre les 17 et 19 décembre 1970).

Le premier secrétaire du Parti communiste polonais (POUP : parti ouvrier unifié de Pologne) Wladyslw Gomulka (1905-1982), qui avait pris le pouvoir le 21 octobre 1956, a dû donner sa démission le 20 décembre 1970. Le successeur de Gomulka à la tête du POUP, Edward Gierek (1913-2001), à l’origine ouvrier, présenta ses excuses aux ouvriers de Gdansk et promit de faire attention à la condition de vie des ouvriers. Il a fallu cependant les grandes grèves à Lodz du 10 au 15 février 1971 pour que la hausse des prix fût effectivement annulée le 1er mars 1971. Lech Walesa fut licencié en 1976 parce qu'il voulait créer une structure indépendante.

L’échec de la protestation de plusieurs milliers d’ouvriers en décembre 1970 a apporté l’expérience à Lech Walesa. Il aurait fallu politiser le mouvement. C’était ce qu’il se passa en été 1980. D’abord, il fallait structurer le mouvement, éviter tout débordement, baser toute action sur la non-violence, rester dans la légalité pour être respecté tant par le gouvernement communiste que par les démocraties à l’étranger.

Aux chantiers navals de Gdansk, des grèves ont commencé en juillet 1980 en raison de nouvelles hausses des prix et de la crise économique (second choc pétrolier). Une opératrice de grue, Anna Walentynowicz (1929-2010), créa une association indépendante du pouvoir pour défendre les intérêts des ouvriers. Comme il était interdit de créer des structures en dehors de celles contrôlées par l’État communiste, Anna Walentynowicz fut licenciée le 7 août 1980 à cinq mois de sa retraite (et perdant les droits sur celle-ci). Un mouvement social se créa pour la soutenir. Une grève très dure commença le 14 août 1980 avec occupation des lieux et a donné naissance au syndicat libre Solidarnosc (Solidarité), cofondé par Lech Walesa (et Anna Walentynowicz).

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Le 17 août 1980, Lech Walesa a obtenu de la direction une augmentation de salaires pour ses collègues du chantier Lénine à Gdansk. Modéré, il proposa aux ouvriers de retourner travailler, mais Anna Walentynowicz voulait au contraire profiter de cette première victoire pour aller plus loin. Le 18 août 1980, les collègues de Lech Walesa ont décidé de continuer la grève, le mettant en minorité. Finalement, Lech Walesa a repris le train en marche et a soutenu cette mobilisation par Solidarité. Au bout de quelques jours, ce furent 10 millions de salariés polonais qui suivirent les ouvriers de Gdansk.

Solidarnosc se structura très rapidement et fit appel à des intellectuels pour le soutenir dans les négociations avec le gouvernement, en particulier Bronislaw Geremek et Tadeusz Mazowiecki. Lech Walesa participa à la table ronde avec le Vice-Premier Ministre et signa avec le pouvoir communiste l’Accord de Gdansk le 31 août 1980. Au-delà des avancées sociales (droit de grève, augmentation de salaires, réduction du temps de travail), les opposants ont réussi à imposer l’autorisation de créer des syndicats indépendants du pouvoir et donc, la reconnaissance de Solidarnosc. Anna Walentynowicz s’éloigna de la direction du syndicat et connut une fin brutale, puisqu’elle fut parmi les 96 passagers qui périrent le 10 avril 2010 dans l’accident de l’avion présidentiel à Smolensk, à l’occasion du 70e anniversaire du massacre de Katyn.

Cette reconnaissance par le pouvoir communiste fut le premier acte de non monopole d’État d’un pays sous influence soviétique. Le syndicat nouveau, présidé par Lech Walesa du 14 août 1980 au 12 décembre 1990, rassembla 10 millions de membres, soit près d’un tiers de la population ! Il faut comparer ce nombre gigantesque au million ou aux 2 millions de membres du POUP. Il n’y avait pas "photo". D’ailleurs, son premier secrétaire Edward Gierek, mis en minorité dans son parti, donna sa démission et fut remplacé le 6 septembre 1980 par un plus "libéral" (plus "réformateur"), Stanislaw Kania (91 ans), prêt à critiquer la trop grande influence de l’Union Soviétique.

La direction de Solidarnosc fut collégiale et les débats internes y étaient nombreux, et retransmis dans les ateliers et autres lieux de travail. Le premier congrès a eu lieu en octobre 1981. Le mot d’ordre était : « Nous sommes en faveur d’un socialisme progressiste, ouvrier, pour un développement harmonieux et équitable de la Pologne, déterminé collectivement par l’ensemble du monde du travail (…). Nous ne voulons pas changer de système, mais nous nous orientons vers la réalisation d’un ordre social qui serait authentiquement ouvrier et socialiste. ». Cela laissait entendre une ouverture comme le furent les mouvements à Budapest en 1956 et à Prague en 1968. Solidarnosc fut aidé par de nombreuses organisations syndicales internationales (en particulier la CFDT en France), et aussi par le pape Jean-Paul II qui a reçu Lech Walesa en audience privée au Vatican.

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Lech Walesa a toujours voulu tempérer les ultras, car c’était le meilleur moyen d’obtenir des avancées du gouvernement. Il déclara lors d’une réunion : « L’Église nous conseille d’être toujours modéré, d’être conscients, de trouver un compromis (…). C’est nous qui modérons les gens. C’est grâce à nous qu’on ne tire pas sur le pouvoir, si le pouvoir n’a pas encore été rejeté (…). Sans nous, il y aurait déjà la révolte populaire. Et c’est d’ailleurs un pouvoir conscient des dimensions de la crise économique qui a permis peut-être la création de Solidarnosc en sachant que nous jouerions un rôle d’amortisseur raisonnable qui protégera même le pouvoir et le parti [POUP] contre la colère populaire. ».

En 2000, des rumeurs ont fait état que Lech Walesa aurait été un agent communiste pendant les années 1970. En fait, la justice polonaise l’a lavé de tout soupçon, et ce qui était vrai, c’était que, contraint, il avait signé un papier en 1970 lors d’une de ses arrestations, qui acceptait une collaboration avec la police politique, mais qui n’aurait jamais été suivie des faits.

En février 2016, des archives transmises par la veuve du général Czeslaw Kiszczak (1925-2015) ont été publiées et prouveraient que Lech Walesa aurait été un agent dénonciateur (appelé Bolek) rémunéré par la police politique entre 1970 et 1976 (il aurait affirmé auprès de son épouse qu’il gagnait souvent au loto). Vrai ou faux, ce type d’information n’a pas qu’une portée historique mais aussi de politique politicienne, afin que les ultraconservateurs anticommunistes actuellement au pouvoir montrent bien que leur camp est le seul acceptable aujourd’hui et que toutes les vieilles sorcières seront chassées.

Revenons à 1981. Le vent de liberté n’était pas compatible avec le communisme. Ce qui devait arriver arriva, comme ce fut le cas à Budapest et à Prague : comme Imre Nagy et Alexandre Dubcek, Stanislaw Kania fut mis en minorité par son parti le 18 octobre 1981 et remplacé par le général Wojciech Jaruzelski (1923-2014) qui dirigea le POUP jusqu’au 29 juillet 1989. Ministre de la Défense depuis longtemps, du 11 avril 1968 au 22 novembre 1983 (et donc ministre des armées au moment de la répression militaire sanglante de 1970-1971), Président du Conseil des Ministres depuis quelques mois, du 11 février 1981 au 6 novembre 1985, il fut le dirigeant suprême de la Pologne pendant toutes les années 1980, encouragé par un "grand frère" soviétique de moins en moins en état de s’occuper des affaires extérieures à l’URSS, en raison du vieillissement de ses dirigeants (Leonid Brejnev, puis Youri Andropov, Konstantin Tchernenko) et de quelques échecs désastreux (comme l’invasion de l’Afghanistan).

Jaruzelski, casquette et lunettes noires, déclara l’état de siège le matin du dimanche 13 décembre 1981. L’expérience d’ouverture communiste fut interrompue. Une nouvelle fois. Solidarnosc fut interdit, ses dirigeants arrêtés (dont Lech Walesa isolé en prison)… Je me souviens avoir entendu le Ministre des Relations extérieures (c’était ainsi appelé pour les Affaires étrangères sous les premières années présidentielles de François Mitterrand) de la France, Claude Cheysson (1920-2012), réagir à chaud en disant très maladroitement que c’était une affaire intérieure à la Pologne et qu’il ne s’agissait pas de faire de l’ingérence. Comme si la France abandonnait ses amis polonais.

À partir de ce moment, Jaruzelski fut le pendant "de gauche" de Pinochet "de droite", dans les débats stériles en France. La vérité historique, qu’il était difficile à appréhender à l’époque, c’était que l’un comme l’autre, ont agi pour finalement faire une transition démocratique tant en Pologne qu’au Chili, et à peu près à la même époque, à la fin des années 1980 et début des années 1990.

Il y avait cependant une différence fondamentale : Pinochet était à la tête d’un régime personnel, comme ce fut le cas d’autres autocrates (Franco, Salazar, etc.) et leur régime commençait avec eux et finirait forcément avec eux. C’était différent dans une dictature communiste qui continuait au-delà des dictateurs. Or, l’une des explications de ce retour en arrière des dirigeants communistes polonais, c’était d’éviter toute intervention soviétique, comme ce fut le cas à Budapest en 1956 ou à Prague en 1968.

À la mort de Brejnev, Lech Walesa fut libéré le 14 novembre 1982 et réintégré dans son emploi à Gdansk, toujours sous surveillance. La loi martiale fut suspendue le 21 décembre 1982 puis abrogée le 22 juillet 1983. On attribua à Lech Walesa le Prix Nobel de la Paix en octobre 1983. Ne pouvant pas quitter la Pologne en décembre 1983, il a mandaté sa femme et ses enfants pour aller le recevoir à Oslo à sa place.

Deux traits qui pourraient être paradoxaux : à la tête de Solidarnosc, Lech Walesa était un modérateur tout en étant un autocrate. La journaliste Sylvie Kaufmann l'a décrit ainsi le 11 décembre 1990 dans "Le Monde" :  « Démocratie et clandestinité, c'est bien connu, ne font pas bon ménage. (...) Cette autorité, il en fait d'ailleurs essentiellement un usage modérateur. Combien de fois le président de Solidarité a-t-il mis tout son poids dans la balance pour freiner des mouvements qui s'emballaient ? C'était la fameuse stratégie de l'autolimitation, et il fallait de l'autorité pour l'imposer. Tout comme il fallait de l'autorité pour ne pas laisser les gens se lancer dans des actions désespérées pendant l'état de guerre. ». Selon Karol Modzelewski, un des dirigeants de Solidarnosc élu député, c'était même la volonté des conseillers de Lech Walesa d'en faire un homme fort, un leader incontournable. Lui n'était pas isolé, tandis que Vaclav Havel n'avait que quelques centaines de soutiens derrière lui en Tchécoslovaquie, et Andrei Sakharov personne en Russie.

Pendant tout le temps du pouvoir de Jaruzelski, Lech Walesa est parvenu à garder contact avec le gouvernement. Notamment aux pires moments, comme après l’assassinat du père Jerzy Popieluszko (1947-1984) le 19 octobre 1984, comme après l’arrestation de plus de 11 000 dissidents en 1985, comme après l’échec du référendum du 29 novembre 1987, largement boycotté par le peuple polonais, qui voulait faire ratifier des réformes économiques et politiques : seulement 11,6 millions d’électeurs ont voté en faveur des réformes économiques (soit 70,5% des suffrages exprimés) et 12,1 millions en faveur des réformes politiques (73,7%), sur 26,2 millions d’électeurs inscrits.

Ce furent deux vagues de grèves très dures, une à partir du 15 avril 1988 à Bydgoszcz et une autre à partir du 15 août 1988 en Silésie, qui ont convaincu le pouvoir communiste d’engager des négociations avec Solidarnosc, redevenu légal, et qui serait le tampon entre le peuple et le gouvernement pendant la crise économique. Le 31 août 1988, eurent lieu les premières rencontres entre Lech Walesa et le Ministre de l’Intérieur, le général Czeslaw Kiszczak.

Lech Walesa a eu la consécration de participer à un débat de la télévision polonaise le 30 novembre 1988 en qualité de président de Solidarnosc, syndicat pourtant interdit. Sur l'invitation du Président François Mitterrand, Lech Walesa fit un voyage en France le 10 décembre 1988, rencontra Laurent Fabius (Président de l'Assemblée Nationale, lui qui, trois ans auparavant, avait exprimé aux députés français son trouble de Premier Ministre à la venue de Jaruzelski à l'Élysée le 4 décembre 1985 pour une audience de 90 minutes avec François Mitterrand), mais aussi Andrei Sakharov. Reçu comme un chef d'État mais en fait, chaque fois qu'un chef d'État ou de gouvernement était de passage en Pologne, ce dernier faisait le détour par Gdansk pour rencontrer le célèbre syndicaliste.

Les premiers pourparlers de 1988 aboutirent à une table ronde du 6 février 1989 au 5 avril 1989. Les séances ont réuni la coalition gouvernementale communiste ainsi que les partis d’opposition. Elles se déroulèrent dans la salle du conseil des ministres et furent coprésidées par Czeslaw Kiszczak et Lech Walesa. Parmi les délégués communistes (du pouvoir), il y a eu Aleksander Kwasniewski*, Czeslaw Kiszczak°, Leszek Miller° et Jozef Oleksy° et parmi les délégués de l’opposition, Bronislaw Geremek, Adam Michnik, Lech Walesa*, Lech Kaczynski*, Jaroslaw Kaczynski°, Tadeusz Mazowiecki° et Jan Olszewski° (* : futur Président de la République ; ° : futur Premier Ministre).

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Un mois après le début, en mars 1989, les négociations stagnaient et Lech Walesa partit dans tout le pays pour faire des meetings et expliquer l'intérêt de ces négociations. Le 5 avril 1989, ont été signés des accords historiques avec la création d’un véritable poste de Président de la République (Wojciech Jaruzelski n’était que "Président du Conseil d’État de la République populaire de Pologne" depuis le 6 novembre 1985, et le pouvoir était situé à la tête du POUP), la restauration du Sénat (ce qui fut très important dans le processus de démocratisation), l’instauration d’un Conseil national de la magistrature, la clarification des pouvoirs de la Diète (Chambre des députés) et surtout, une nouvelle loi électorale qui devait permettre plus de pluralisme et de liberté aux électeurs.

Ce processus qui acceptait formellement plusieurs partis politiques a abouti aux élections législatives des 4 et 18 juin 1989, premières élections semi-libres dans un pays communiste (semi-libres seulement car le mode de scrutin était très particulier et réservait une majorité de sièges aux communistes). Solidarnosc fut plébiscité par les électeurs (cela faisait neuf ans que le peuple attendait ce moment), 261 députés et sénateurs de Solidarnosc furent élus (le maximum possible), en fait, élus grâce à la photographie de Lech Walesa collée sur l'affiche (on peut penser à certains exemples en France).

Habile tacticien politique, Lech Walesa a compris que Solidarnosc pourrait diriger le gouvernement. En raison du succès électoral, il est parvenu à faire rompre l'alliance entre le POUP et des partis satellites qui firent l'appoint pour trouver une majorité avec Solidarnosc. Résultat, le premier gouvernement non communiste d’un pays communiste fut formé et investi le 24 août 1989, dirigé par Tadeusz Mazowiecki. Lech Walesa, que tout le monde imaginait prendre la tête du gouvernement, lui avait demandé de diriger le gouvernement au dernier moment.

Les premières élections réellement libres ont eu lieu le 27 octobre 1991. Mais entre temps, ce fut toute l’Europe centrale et orientale qui se libéralisa, l’Allemagne de l’Est qui fut réunifiée le 3 octobre 1990, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie (avec beaucoup de violence), la Bulgarie, …et même l’Union Soviétique qui a implosé le 25 décembre 1991.

Entre temps, en Pologne, la situation avait changé. Sans responsabilités politiques, Lech Walesa trouvait que le gouvernement n'allait pas assez vite dans ses réformes de libéralisation. Dès janvier 1990, Solidarnosc fut profondément divisée. Il fustigea les intellectuels (ses anciens amis). Très populaire dans le pays, il commença sa campagne présidentielle dès avril 1990 : « Il ressent davantage que l'élite de Varsovie la frustration de la Pologne profonde. Mais c'est un instrument à double tranchant, car, en voulant à tout prix faire appel à cette Pologne épuisée et désorientée, il encourage l'expression du ressentiment, de l'amertume et de la colère, et la tentation de la démagogie. (...) Il parle trop, et maladroitement. Hormis une bonne partie de l'intelligentsia, les Polonais ne lui en tiennent pas trop rigueur ; ils le connaissent bien et lui vouent une profonde affection. » (Sylvie Kaufmann, "Le Monde" du 11 décembre 1990).

Poussé à la démission, Jaruzelski, devenu Président de la République (non populaire) de Pologne le 19 juillet 1989, la première élection présidentielle au suffrage universelle direct fut organisée en Pologne les 25 novembre 1990 et 9 décembre 1990. Lech Walesa se présenta donc. Tadeusz Mazowiecki aussi (le divorce étant acté), mais ne reçut pas assez de suffrages pour être présent au second tour (seulement 18,1%, en troisième position). Grosse surprise : ce fut l’indépendant Stanislaw Tyminski, homme d’affaires canadien, qui fut classé deuxième avec 23,1% face à Lech Walesa 40,0% (6,6 millions d’électeurs). Lech Walesa en fut très secoué, il imaginait être élu dès le premier tour, mais il s'est repris. Au second tour, Lech Walesa l’emporta facilement avec 74,3% des voix (10,6 millions d’électeurs).

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En parodiant René Coty pour De Gaulle le 8 janvier 1959, on pourrait dire que le premier des Polonais fut (enfin) le premier en Pologne : Lech Walesa fut Président de la République de Pologne du 22 décembre 1990 au 22 décembre 1995. À moins que le premier des Polonais de l’époque, ce ne fût d’abord… Jean-Paul II.

Pouvant se représenter pour un second mandat de cinq ans, Lech Walesa fut battu par le chef du parti qui a pris la suite du POUP, Aleksander Kwasniewski. S’il a rassemblé à peu près autant d’électeurs au premier tour du 5 novembre 1995 qu’en 1990, à savoir 33,1% (5,9 millions de suffrages), il lui a manqué 1 million d’électeurs au second tour du 19 novembre 1995, n’ayant convaincu que 9,1 millions d’électeurs (soit 48,3%), face à Aleksander Kwasniewski, 51,7% (9,7 millions de suffrages), qui avait obtenu 35,1% au premier tour (6,3 millions d’électeurs). Les principales raisons de cet échec, ce furent son trop grand lien avec l’Église catholique et la politique de libéralisation de l’économie qui fut durement ressentie par la population, ainsi que son incapacité à rassembler les forces politiques (Solidarnosc était politiquement éclatée dès 1990).

Malgré cet échec "honorable", Lech Walesa tenta sa chance aux élections suivantes et ce fut pour lui un désastre personnel, avec seulement 178 590 électeurs (1,01% !) le 8 octobre 2000, en septième position, alors que son ancien adversaire communiste fut réélu triomphalement dès le premier tour avec 53,9% des voix (9,5 millions d’électeurs).

Se retirant de la vie politique, Lech Walesa s’opposa cependant au successeur d’Aleksander Kwasniewski, à savoir Lech Kaczynski et a soutenu la candidature de Bronislaw Komorowski à l’élection présidentielle des 20 juin 2010 et 4 juillet 2010 contre le frère jumeau Jaroslaw Kaczynski, la tête politique de la fratrie et ancien Premier Ministre (à la suite de la mort accidentelle de Lech Kaczynski). Élu, Bronislaw Komorowski échoua à se faire réélire, de justesse, le 24 mai 2015, battu par Andrzej Duda, du parti des frères Kaczynski.

L’une des raisons de cette opposition frontale entre Lech Walesa et l’ultraconservatisme des frères Kaczynski, c’était le clivage au sein de Solidarnosc lors de la table ronde en 1989 : les frères Kaczynski, présents au cours des négociations, étaient opposés à un compromis avec les communistes qui a laissé aux dirigeants communistes criminels (répression de 1970-1971 et entre 1981 et 1988) une retraite tranquille.

Mais Lech Walesa était-il un agent rémunéré de la police politique dans les années 1970 ? Peut-être. Cela pourrait même expliquer pourquoi il a su garder un contact permanent avec le pouvoir communiste. Faut-il le regretter alors que cela a finalement permis que la transition démocratique ait pu se réaliser. Je doute quand même que son emprisonnement entre 1981 et 1982 ait fait partie du contrat d’agent double ! Au même titre que Jaruzelski a peut-être empêché une intervention des chars soviétiques à Gdansk et Varsovie en 1981. Il est toujours facile de juger a posteriori l’histoire.

Le fait marquant, que la grande histoire retiendra heureusement, c’est que Lech Walesa fut le héros qui a engagé la libéralisation de la Pologne et, par là, la libéralisation de tous les pays européens placés sous la chape de plomb de l'une des idéologies les plus mortifères du siècle dernier, le communisme. Et rien que pour cela, il mérite reconnaissance. Modestement la mienne, en tout cas ! Bon anniversaire, "L’Homme du peuple", selon le titre du film d’Andrzej Wajda (1926-2016) sorti le 23 septembre 2013.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"L'électricien devenu Président", article de Sylvie Kaufmann paru dans "Le Monde" du 11 décembre 1990.
Lech Walesa.
Jean-Paul II.
Bronislaw Geremek.
Le général Jaruzelski.
Zbigniew Messner.
Tadeusz Mazowiecki.
Czeslaw Kiszczak.
Donald Tusk.
Henry Kissinger.
Zbigniew Brzezinski.
Marceline Loridan-Ivens.
Tragique accident d’avion près de Katyn.
Libéralisation en Pologne.
Libéralisation en Allemagne de l’Est.
Libéralisation en Tchécoslovaquie ?
Libéralisation en Hongrie ?
Libéralisation en Chine ?
Libéralisation en Russie.
Le nouveau monde.
Vaclav Havel.
L’Europe.

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