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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
6 octobre 2018

Enterrement républicain de première classe pour Manuel Valls

« Je voudrais exprimer ma reconnaissance à la politique parce que je suis un militant, cette politique si décriée mais si indispensable à notre démocratie, qui mérite (…) du respect, de l’écoute, de la tolérance et de l’élégance, c’est ce que j’ai appris avec Michel Rocard. » (Manuel Valls, le 2 octobre 2018 à Paris).


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C’est probablement le rêve de beaucoup de monde : assister à son propre enterrement. Alors, lorsqu’en plus, on peut prononcer soi-même l’oraison funèbre, il y a forcément un petit côté joyeux dans la démarche. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. C’est ce qu’il s’est passé dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale ce mardi 2 octobre 2018 dans l’après-midi, en pleine séance des questions au gouvernement. Pour Manuel Valls.

Depuis qu’il a annoncé le 25 septembre 2018 sa candidature à la mairie de Barcelone, l’ancien Premier Ministre français Manuel Valls a été sous le feu des critiques : abandon, trahison, reniement… La sincérité de son engagement politique, la réalité de son esprit républicain, l’amour de son appartenance à la nation française (il n’a été naturalisé qu’à l’âge de 20 ans, ce fut le premier et seul chef du gouvernement de la France à ne pas être né français), ses trente-cinq ans de vie politique ont été remis en cause.

Du coup, il avait besoin de s’expliquer, de rassurer, de refaire sa profession de foi, de dire seulement que ce serait un "challenge" personnel, sans précédent d’ailleurs, mais qui n’a aucune raison d’occulter ce qui a fait sa (déjà) longue vie politique en France. Il a ainsi fait le tour des médias, commençant par le journal de 20 heures le dimanche 30 septembre 2018 sur France 2, et en passant par la matinale de France Inter le mardi 2 octobre 2018 pour expliquer : « Le choix que je fais est aussi un choix de vie (…). Je n’ai pas l’impression de trahir ni d’abandonner quelque chose. Pour moi, Paris, Barcelone, c’est le même chemin : l’Europe (…). Là-bas se joue le destin de l’Europe. ». Et pour dire aussi : « Moi, je me suis toujours senti 100% français, 100% barcelonais, 100% européen aussi. », après avoir rappelé que Charles Aznavour était « 100% français et 100% arménien ».

Il a raison d’insister sur la multi-identité. Beaucoup pensent que les identités sont exclusives les unes par rapport aux autres. Pas du tout. Ce qui fait la force d’un humain, c’est sa complexité et ses nuances, c’est justement ne pas pouvoir le ranger dans une case ou de lui faire changer de cage, qui lui donne un caractère humain.

Les revendications identitaires sont toujours inquiétantes car elles caricaturent, simplifient, dénaturent l’humain dans son extrême richesse : on n’est pas qu’un sexe, on n’est pas qu’une orientation sexuelle, on n’est pas qu’un membre d’une communauté nationale, on n’est pas qu’un croyant ou non croyant, on n’est pas qu’une tendance politique, on n’est pas qu’un métier, on n’est pas qu’un salaire, on n’est pas qu’un parent ou pas parent, qu’un célibataire ou pas célibataire, qu’un malade ou pas malade, qu’une personne en situation de handicap ou sans handicap (et d’ailleurs, qu’est-ce que le handicap ? qu’est-ce que la "normalité" ?), etc.

Revenons à cette séance de questions au gouvernement (dont on peut lire la retranscription intégrale ici). L’affaire a été préparée avec perfection. Pour une fois, LREM allait honorer celui qui n’a jamais été qu’un membre apparenté au groupe LREM. Rappelons la situation de Manuel Valls en 2017. Avant le retrait de François Hollande, Manuel Valls, Premier Ministre ambitieux et autoritaire, faisait figure de candidat incontournable à l’élection présidentielle …de 2022 ! La défection présidentielle passée, Manuel Valls a dû se présenter à l’improviste à la primaire socialiste de janvier 2017. Son échec l’a rendu amer : non seulement parce qu’il a perdu, mais aussi parce que le gagnant, Benoît Hamon, n’a représenté qu’une tendance très minoritaire du Parti socialiste (au point de faire un score désastreux). Manuel Valls, qui avait pourtant promis, comme François de Rugy, de soutenir le candidat choisi par la primaire socialiste, décida in extremis de soutenir du bout des lèvres le candidat Emmanuel Macron. Il ne pouvait pas faire autrement, leur vision politique et économique était relativement proche.

Mais Emmanuel Macron n’a jamais aidé Manuel Valls. Ni aux législatives, le nouveau Président a juste empêché la présence d’un candidat LREM dans sa circonscription à Évry, qu’il a remportée avec seulement quelques voix d’avance, ni dans la formation du gouvernement, ni dans les différentes nominations. Manuel Valls s’est senti inutile, et au début de la législature, il n’était même pas inscrit à un groupe à l’Assemblée Nationale, ce qui pouvait rendre sa présence parlementaire difficile (sans moyens ni temps de parole). Ni le PS, ni LREM ne le voulaient…

Maintenant qu’il quitte l’Assemblée Nationale et même la vie politique française, il a droit à un hommage d’adieu. C’était justifié même si les députés issus de partis extrémistes ont violemment contesté la manière de faire, à savoir, profiter des questions au gouvernement pour faire une déclaration d’adieu, pour faire un exercice de communication politique.

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Ainsi, lorsque le Président de l’Assemblée Nationale Richard Ferrand a annoncé le prochain orateur, Manuel Valls, les députés LREM se sont levés et l’ont applaudi, faisant une "standing ovation" (ovation debout) à celui qui, il y a encore deux ans, était probablement l’homme le plus puissant de France (et qui est devenu …"rien", selon la terminologie macronienne, ou "le dernier trou de la flûte", selon une expression entendue dans le film "Un peu, beaucoup, aveuglément" réalisé par Clovis Cornillac et sorti le 6 mai 2015). Grande émotion de Manuel Valls : il ne quittera pas la France sous les huées mais sous les hourras. C’était d’ailleurs le but, car à Barcelone, ses opposants avaient déjà un argumentaire bien rodé : Manuel Valls serait candidat à Barcelone car il serait rejeté en France. Non, ce n’est pas le cas. Heureusement. La politique et l’exercice démocratique demandent un minimum de respect.

Avant de lui passer la parole, Richard Ferrand, contrevenant à son devoir de réserve et de neutralité, y est allé avec son propre hommage : « Je ne veux voir dans votre démarche à Barcelone ni un départ, ni une rupture, mais un renouveau des engagements démocratiques et européens qui ont toujours été les vôtres. Le sens des responsabilités s’exporte, et je m’en réjouis car l’Europe se construit aussi par l’engagement partout en Europe des femmes et des hommes de notre pays. ».

Et d’évoquer ce qu’il restera de Manuel Valls dans les prochains livres d’histoire : « Je n’oublie pas (…) votre discours ici même, le 13 janvier 2015, au lendemain des attentats qui avaient ensanglanté la République. Ce discours est entré dans l’histoire des grands moments d’éloquence parlementaire et des instants graves et profonds d’unité et d’émotion nationales. ».

Richard Ferrand a fini par un "quitus" d’adieu : « Je sais que vous garderez toujours au cœur l’amour et les valeurs de la République française. ».

Puis, Manuel Valls a pris la parole. Contrairement à ce que voudrait l’exercice, il n’a pas posé de question. Il a seulement fait une déclaration politique, sa dernière intervention (et l’une des très rares depuis le début de la législature, pour ne pas dire l’unique) comme député de la République française. Il y a probablement une grande part de narcissisme dans cette intervention, mais après tout, pourquoi pas ? Manuel Valls n’est pas "n’importe qui", il a été pendant deux ans et demi Premier Ministre d’un grand pays, ce n’est pas "rien". Et il faut aussi savoir que souvent, les nouveaux députés font leur première intervention en séance publique à l’occasion des questions au gouvernement. Alors, pourquoi pas la dernière ? Et comme le but, c’était de faire la dernière intervention, pourquoi aller jusqu’à l’hypocrisie de poser une question alors que tout le monde aurait senti qu’elle ne serait qu’un prétexte ?

La reconnaissance de l’ancien militant rocardien d’origine catalane : « Alors que je m’apprête en effet à quitter l’Assemblée et la France pour un défi personnel, inédit, politique et profondément européen, je veux exprimer ma reconnaissance d’abord à mon pays, un pays unique qui donne la possibilité à quelqu’un né à l’étranger, qui a décidé d’être français à l’âge de 20 ans, de suivre un parcours politique, d’être maire, député, ministre et Premier Ministre de la République. ».

L’énumération de ses "reconnaissances" faisait un peu exercice de remerciements au Festival de Cannes, mais heureusement, les députés de l’opposition se sont donné à cœur joie pour éviter l’unanimisme et lui lancer quelques vacheries comme « 49-3 ! » (Adrien Quatennens), « Trahison ! » (Bruno Bilde), « On ne vous a pas vu depuis treize mois ! » (Éric Coquerel), « Et la question ? » (Sébastien Chenu), etc.

Manuel Valls n’a pas hésité à rappeler son profond engagement politique : « Je ne renoncerai jamais à défendre les valeurs de la République, la liberté, l’égalité, la fraternité, cette belle laïcité qui protège, ni à porter le message universel qu’est celui de la France depuis 1789. (…) Le Barcelonais, le Français, le Républicain, l’Européen est reconnaissant aux Français ; il ne vous oubliera jamais, jamais. Merci ! ».

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L’intervention n’a été que des propos sur ses "reconnaissances". Rien de plus. Le Premier Ministre Édouard Philippe, visiblement souriant et amusé à la fois par l’émotion de Manuel Valls et par les protestations sur certains bancs, s’est pris un petit plaisir à lui "répondre". Et hop ! Encore un hommage (deux pour le prix d’un). Bel enterrement !

Et c’est bien entendu en "collègue" Premier Ministre qu’Édouard Philippe a commencé : « Le pire des choses lorsqu’on a, ou lorsqu’on l’a eu, l’honneur de diriger un gouvernement est de susciter l’indifférence. Compte tenu de la chaleur des réactions, soit très dures, soit très élogieuses, soit très respectueuses qui se sont exprimées dans cet hémicycle lorsque votre nom a été évoqué, je crois pouvoir dire, monsieur le député, que vous n’avez jamais suscité l’indifférence. ».

Comme Richard Ferrand, Édouard Philippe aussi a rappelé ce qui restera de Manuel Valls, son attitude juste après les attentats de janvier 2015 : « Dans les jours qui ont suivi, vous avez su trouver les mots et l’ensemble de l’hémicycle, quelles que soient les positions d’aujourd’hui, s’en souvient. Nous nous souvenons de cette séance au cours de laquelle cet hémicycle, marqué par ce que nous tous avions vu, compris, ressenti, mais probablement jamais aussi marqués que vous aviez pu l’être car vous vous étiez rendu sur les lieux et vous avez vu de vos yeux, dans un silence admirable, après que vous avez pris la parole, avait chanté la Marseillaise. Dans des moments où la France était menacée, vous avez eu des mots justes, vous avez exprimé une position solide. De cela, monsieur le député, la France vous sera toujours reconnaissante. ».

Et après avoir qualifié le départ de Manuel Valls de « choix qui vous appartient, et qui, de toute évidence, est osé et courageux », Édouard Philippe lui a souhaité « le meilleur » avant de regagner son siège au banc du gouvernement.

Voilà un enterrement particulièrement honorable d’une personnalité majeure de la vie politique française (candidat à l’élection présidentielle, Premier Ministre, etc.). Il y a eu des enterrements moins honorables.

Pour prendre un seul exemple, Jean Lecanuet. Ce dernier, ancien jeune espoir du centrisme dans les années 1960, a pris la parole lors le 22 avril 1989 à Lille d’un congrès du Centre des démocrates sociaux (CDS), composante démocrate-chrétienne de l’UDF. Il prônait alors l’union de l’UDF et du RPR aux élections européennes du 18 juin 1989, comme cela avait été le cas précédemment où la liste conduite par Simone Veil avait rassemblé 43,0% des suffrages (un score quasiment impossible d’imaginer aujourd’hui !).

Son discours à Lille fut souvent interrompu par une salle très majoritairement hostile (dont j’étais) qui réclamait une liste autonome des centristes. Le choix de l’autonomie fut adopté, mais ce fut un échec électoral (la liste Veil autonome ne rassembla que 8,4% des voix). Jean Lecanuet avait eu politiquement raison, mais il ne s’est jamais remis de ce congrès où il avait été ultraminoritaire. Il ne reprit plus jamais la parole. Ce fut un enterrement discret. Les honneurs parfois hypocrites sont arrivés seulement après sa (vraie) mort, le 22 février 1993.

Mais en Macronie, les départs se font toujours avec les honneurs. Le problème, cette rentrée 2018, c’est que des départs, il y en a sans arrêt depuis quelques semaines : Nicolas Hulot, Laura Flessel, Manuel Valls, et maintenant, Gérard Collomb


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Hommage des députés français à Manuel Valls (retranscription intégrale de la séance).
Enterrement républicain de première classe pour Manuel Valls.
Manuel Valls va-t-il manquer au paysage politique français ?
Manuel Valls s’en va à Barcelone.
Manuel Valls : les cinq raisons d’un échec.
Le vaccin anti-Macrobe.
Second tour de la primaire socialiste du 29 janvier 2017.
Quatrième débat de la primaire socialiste du 25 janvier 2017.
Premier tour de la primaire socialiste du 22 janvier 2017.
Troisième débat de la primaire socialiste du 19 janvier 2017.
Deuxième débat de la primaire socialiste du 15 janvier 2017.
Premier débat de la primaire socialiste du 12 janvier 2017.
La primaire socialiste de janvier 2017.
Programme de Manuel Valls (à télécharger).
Manuel Valls candidat à la primaire PS de janvier 2017.
La ville d’Évry.
Discours de Manuel Valls le 13 janvier 2015 au Palais-Bourbon (texte intégral).
Discours de Manuel Valls le 9 janvier 2016 au CRIF (texte intégral).
Manuel Valls et l’esprit républicain.
Manuel Valls vs François Fillon (24 septembre 2015).
La ville de Manuel Valls.
La confiance Valls, volet 2 (16 septembre 2014).
La confiance Valls, volet 1 (8 avril 2014).
Les relations entre l’Élysée et Matignon.
Nomination de Manuel Valls à Matignon (31 mars 2014).
Valls sera-t-il Premier Ministre ? (15 mars 2014).
Manuel Valls et son ambition présidentielle.
Manuel Valls à la primaire socialiste de 2011.
Manuel Valls et les institutions de la République.
Valls-Bayrou, même combat ?
Et la Corse dans tout cela ?
Et les gens du voyage ?

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181002-valls.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/enterrement-republicain-de-208220

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/10/06/36754227.html


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