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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
8 janvier 2020

Réforme des retraites : une semaine de Sisyphe !

« Vous savez, le jour où on aura compris qu’on ne peut pas diriger un pays sans le peuple et que, quel que soit le sentiment des élites, elles n’ont pas le pouvoir de changer le peuple, on aura fait un grand pas ! » (Charles Pasqua, le 10 décembre 1995).


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Semaine décisive, semaine décisive… Semaine de Sisyphe, oui !… À chaque début de semaine, les médias parlent d’une "semaine décisive" pour la réforme des retraites. Cela fait trente-cinq, peut-être trente-six jours que la France est paralysée par la plus longue grève de la SNCF, et aussi de la RATP, peut-être bientôt par des blocages de raffineries…

Il y a un véritable jeu de rôles, la course du chat et de la souris, on ne sait pas très bien qui est le chat ni qui est la souris, la réforme, le gouvernement, la CFDT, la CGT, les "usagers", les futurs retraités, les contribuables ?… Il y a une overdose d’expressions vides de sens : "âge pivot", "réforme systémique", "réforme paramétrique", "régimes spéciaux", "compte pénibilité", "clause du grand-père"… On s’envoie des mots, on fait du théâtre, et pendant ce temps, les franciliens trinquent, les voyageurs trinquent.

On a franchi les fêtes de fin d’année et il n’y a plus d’horizon "social" pour imposer un nouveau rapport de forces. Ce n’est quand même pas la perspective de la Saint-Valentin qui va apporter la concorde et la paix dans le pays ! Cela donne un drôle de climat. Une sorte de dialogue complètement surréaliste entre un gouvernement "ferme mais pas fermé", mais qui ne veut lâcher sur rien, et un syndicat dit réformiste, la CFDT, largement débordé par sa base et qui a bien du mal à rappeler qu’il était à l’origine de cette réforme, sur le plan conceptuel… Aux questions au gouvernement dans l’hémicycle, ce mardi 7 janvier 2020, le Premier Ministre Édouard Philippe a confirmé l’âge d’équilibre : « J’ai inscrit cette mesure dans le texte, si on a une meilleure proposition, on la prendra. ». Il faut se rappeler que le gouvernement avait agi de la même manière pour la réforme de l’assurance-chômage.

La situation paraît très claire. Le gouvernement n’a aucune intention de renoncer aux trois points essentiels de sa réforme : la création d’un système universel à points qui, par conséquent, prendra en compte l’ensemble de la carrière professionnelle des futurs retraités et pas les vingt-cinq meilleures années (cet aspect, obligatoirement, va impacter sur le montant des pensions), la suppression des régimes spéciaux (c’est pour la vitrine, le détricotage est en cours avec beaucoup d’exceptions), et enfin, la création d’un "âge d’équilibre" à 64 ans avec malus ou bonus en fonction de l’âge auquel la retraite est prise.

Le gouvernement ne veut céder sur aucun de ces trois éléments car il en fait une question de principe. Comment dire alors autre chose que c’est une question d’idéologie, ce qui est étonnant pour un gouvernement ouvertement pragmatique ? Principe dans le rapport des forces ? Est-ce le concours de celui qui a la plus belle voiture ou qui urine le plus loin ? Il faudra trouver le point de sagesse pour éviter la faillite économique de la France. Pour susciter un sursaut.

Diamétralement à l’opposé, la CGT ne s’embête pas à vouloir négocier alors qu’il est convaincu que le gouvernement ne veut pas négocier. Pour les grévistes jusqu’au-boutistes, il s’agit de faire la grève jusqu’au retrait pur et simple de la réforme. Mission impossible. Philippe Martinez est un homme intelligent et réaliste, s’il a adopté ce genre d’attitude, c’est pour renflouer ses adhérents : l’objectif est de reprendre l’ascendant sur la CFDT aux élections professionnelles. Du reste, il rassure le pouvoir car voici enfin une opposition politique.

Quant à la CFDT, Laurent Berger a le souffle coupé depuis le 11 décembre 2019, le jour où il a compris que le gouvernement ne l’écoutait pas et voudrait imposer l’âge d’équilibre. Pourtant, précédemment, la CFDT n’était pas opposée à amener l’âge de la retraite à 63 ans et demi pour avoir tous ses droits. Alors, pourquoi ce point de non retour ? Probablement pour la même raison que le raidissement de la CGT : la course à l’audience.

Pourtant, le gouvernement n’hésite pas à insister, dans ses éléments de langage, que le compromis n’est pas loin, qu’on va trouver un terrain d’entente. Les ministres le disent si fort, trop fort pour être crédibles. L’idée, évidemment, c’est de reprendre date et de repousser toute responsabilité en cas d’échec probable du nouveau round de négociations. De toute façon, le projet de loi est déjà ficelé et a été envoyé au Conseil d’État pour examen, information confirmée par des ministres dès ce lundi 6 janvier 2020, ce qui montre bien une certaine provocation entre le discours d’ouverture et la réalité dans la persistance du projet initial. Il y a le dire et il y a le faire.

D’ailleurs, le gouvernement a compris qu’il fallait aller vite, examen au conseil des ministres le 24 janvier 2020 et début de l’examen à l’Assemblée Nationale le 17 février 2020, pour deux semaines. Tout avant les élections municipales des 15 et 22 mars 2020. Mon seul commentaire, c’est : casse-cou. Électoralement casse-cou. Pour les municipales, mais aussi pour la présidentielle et les législatives de 2022. C’est clair qu’au-delà du jeu de rôles très hypocrite entre le gouvernement et la CFDT, l’état d’esprit est : ça passe ou ça casse. Et c’est même le pari que se fait la CGT en disant : ok, alors ça va casser.

Personne ne met en doute la sincérité du Premier Ministre Édouard Philippe lorsqu’il se déclare très favorable au dialogue social. Mais dans ce dialogue social actuel, précisément, cela fait un peu penser au second tome de l’album de bande dessinée "Monsieur le Ministre" du cher Christian Binet, l’auteur des Bidochon. Le durcissement du mouvement, l’intransigeance du gouvernement, puis, l’ouverture pour une concession mineure, l’accord d’un syndicat, mais lui-même débordé par la base. On se croirait revenu cinquante années en arrière, avec un langage qui est complètement anachronique. Sorte de pièce de théâtre pour rejouer, probablement la toute dernière fois, un jeu de rôles assez loufoque.

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Pourquoi tout est absurde dans cette affaire ? Parce que les retraites, le système de retraites n’est pas le problème majeur de la France d’aujourd’hui. Il y a deux problèmes majeurs et urgents, et cela dure depuis une quarantaine d’années : l’emploi (trop de chômage, il faut recréer des emplois industriels) et l’identité, la perte des repères fait craindre "l’autre". Sur le plan économique et social, ce qui mine les Français, c’est le chômage : si on divisait par deux le nombre de demandeurs d’emploi, il n’y aurait plus de problème de financement des retraites car il y aurait plus de recettes, et il n’y aurait même plus de difficulté à imaginer augmenter l’âge légal de la retraite car le chômage des "seniors" serait "résolu".

C’est ce qu’a dit un revenant du paysage médiatique, Loïk Le Floch-Prigent le 31 décembre 2019 sur LCI. Loïk Le Floch-Prigent était un proche de la Mitterrandie trouble (la Mitterrandie "africaine"). Il a été ingénieur diplômé de Grenoble et a fait une grande partie de sa carrière dans des cabinets ministériels de gauche, notamment auprès de Pierre Dreyfus, Ministre de l’Industrie (et lui-même chef d’entreprise). Il fut surtout appelé à la présidence de nombreuses entreprises publiques : Rhône-Poulenc (1982-1986), Elf Aquitaine (1989-1993), GDF (1993-1996), la SNCF (1995-1996). Il a aussi la particularité d’avoir fait plusieurs années de prison pour diverses affaires dont la principale fut l’affaire Roland Dumas.

Malgré son parcours chaotique, Loïk Le Floch-Prigent a au moins une idée de la gestion des entreprises, et si les siennes ont été "reprochables" sur le plan judiciaire, ce furent plutôt des réussites économiques. Ce qu’il dit est simple : le problème, ce n’est pas les retraites, c’est l’emploi. En se focalisant sur le système des retraites, le gouvernement est prêt à sacrifier la croissance économique, avec déjà un mois de paralysie.

Est-ce que le principe de la réforme systémique (système universel à points) vaut un, voire deux mois de paralysie économique ? Pas sûr. D’autant plus que ce n’est pas cela qui pérennisera le financement des retraites par répartition. La droite et le centre droit ont raison lorsqu’ils disent que le plus important est d’assurer le financement des retraites avant tout autre chose (petit rappel : si le déficit perdure, ce qui est démographiquement prévisible, le système par répartition éclatera, à moins de faire payer le système par nos futurs arrière-petits-enfants par une augmentation de la dette).

Un autre personnage a aussi une vision intéressante du sujet. Il s’agit de l’économiste Philippe Aghion, professeur au Collège de France. Titre qui fait argument d’autorité, évidemment, mais ses autres titres sont tout aussi intéressants, c’est d’avoir participé au programme du candidat Alain Juppé à la primaire LR de 2016, puis au programme du candidat Emmanuel Macron en 2017. Participé, cela ne veut pas dire qu’il a été bien écouté.

Or, qu’a dit Philippe Aghion le 6 janvier 2020 sur LCI, invité de David Pujadas ? Que le gouvernement soit n’avait pas compris le système à points, soit a décidé sciemment, pour des raisons politiques, de mélanger les choses. Pourquoi ? Parce que l’introduction de l’âge d’équilibre n’a de raison d’être que pour assurer l’équilibre du système des retraites actuel, mais c’est une chose complètement différente pour le système à points, puisque l’idée principale du système à points, c’est de ne plus définir d’âge légal ou pivot. En effet, le principe du système à points, c’est la liberté justement : on prend sa retraite quand on veut, mais en sachant que la pension dépend du nombre de points cotisés.

Philippe Aghion considère d’ailleurs incohérent de prendre comme base un âge légal, qui pénalise ceux qui ont fait des études courtes et qui ont commencé tôt leur vie professionnelle (non seulement, ils cotisent plus longtemps, mais avec des études courtes, leur pension sera plus faible). La seule base valable, juste et économiquement viable, c’est de prendre en compte le nombre d’années de cotisation. Éventuellement modulable en fonction de l’évolution de l’espérance de vie et du taux de chômage.

Au-delà du sujet des retraites, cette crise sociale montre au moins un point factuel : contrairement à ce que beaucoup de ses détracteurs l’assurent, le Président Emmanuel Macron est loin, dans les faits, d’être le promoteur d’une politique libérale. Au contraire, les vieilles ficelles étatiques semblent de retour, comme à chaque fois que des gouvernements souhaitent réformer la France. Rappelons que le libéralisme économique est une politique qui vise à réduire l’intervention de l’État. Or, jamais la France n’a eu autant de dette publique qu’aujourd’hui, le seuil de 100% du PIB vient d’être franchi !

Pour dénouer la crise des gilets jaunes, Emmanuel Macron avait initialement annoncé des dépenses d’environ 17 milliards d’euros le 10 décembre 2018. De même, pour tenter de faire passer en force la réforme des retraites, le gouvernement est prêt à faire de nombreuses concessions financières ou des accompagnements qui vont coûter très cher, on parle déjà de 22 milliards d’euros. Pour l’instant, aucune de ces dépenses supplémentaires ne sont pas financées, ce qui laisse entendre que le déficit public va encore filer, et la dette publique augmenter.

C’était intéressant de réécouter l’ancien ministre Charles Pasqua interrogé par Anne Sinclair dans "7 sur 7" sur TF1 le 10 décembre 1995, en pleine (autre) crise sociale (plan Juppé contesté). Charles Pasqua non plus ne souhaitait pas laisser accroître les déficits pour des dépenses de fonctionnement, en revanche, il trouvait pertinent de le faire pour des investissements d’infrastructures, synonyme de préparation à l’avenir. Et Charles Pasqua était sage lorsqu’il expliquait qu’on ne pouvait pas réformer la France sans le peuple, ou plutôt, qu’on ne devait pas diriger le pays sans le peuple (voir en début d’article).

Alors, pourquoi le gouvernement n’irait-il pas jusqu’au référendum pour réformer le système des retraites ? Ce serait la réponse pour ne pas laisser la rue prendre le pouvoir, comme c’est le cas depuis plus de trente-cinq jours…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 janvier 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Retraites : semaine de Sisyphe !
Les intentions du pouvoir.
Une seule solution : le référendum.
La réforme du code du travail.
La réforme de l’assurance-chômage.
Jean-Paul Delevoye.
Édouard Philippe sur les retraites : déterminé mais pas fermé.
Les détails du projet de retraite universelle par points annoncé par Édouard Philippe le 11 décembre 2019.
Discours d’Édouard Philippe le 11 décembre 2019 au CESE (texte intégral).
Discours d’Édouard Philippe le 12 septembre 2019 au CESE (texte intégral).
Rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) du 21 novembre 2019 (à télécharger).
La retraite, comme l’emploi, source d’anxiété extrême.
Grèves contre la réforme des retraites : le début de l’hallali ?
Rapport de Jean-Paul Delevoye sur la réforme des retraites remis le 18 juillet 2019 : "création d’un système universel de retraite" (à télécharger).
Faut-il encore toucher aux retraites ?
Le statut de la SNCF.
Programme du candidat Emmanuel Macron présenté le 2 mars 2017 (à télécharger).
La génération du baby-boom.
Bayrou et la retraite à la carte.
Préliminaire pour les retraites.
Peut-on dire n’importe quoi ?
La colère des Français.
Le livre blanc des retraites publié le 24 avril 1991.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200106-retraites.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/reforme-des-retraites-une-semaine-220541

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/01/07/37921316.html





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