Sarah Halimi, assassinée car Juive
« Son assassin, sans aucun antécédent psychiatrique, a été jugé pénalement irresponsable, en raison de sa consommation de cannabis. C’est délirant ! C’est un scandale judiciaire. Il faut un procès pour Sarah Halimi. » (Meyer Habib, le 21 janvier 2020 à l’Assemblée Nationale).
Ce cri de révolte et d’indignation a été poussé par le député centriste Meyer Habib lors de la séance des questions au gouvernement le 21 janvier 2020 au Palais-Bourbon. Ce n’est pas le premier ni sans doute le dernier. Tout, dans l’affreuse histoire de Sarah Halimi, a été révoltant.
Le plus révoltant est évidemment son assassinat. Sarah Halimi, qui habitait dans le quartier de Belleville, celui (entre autres) des personnages de Daniel Pennac (les Malaussène), depuis une trentaine d’années, a été rouée de coups, puis défenestrée de son appartement du troisième étage dans la nuit du 3 au 4 avril 2017. Elle avait 64 ans, elle était juive, mère de trois enfants, médecin puis directrice de crèche.
Son assassin, un homme de 27 ans dont le nom ne mérite pas d’être cité ici, a commis cet acte odieux en criant "Allahou akbar" et en traitant sa malheureuse victime de "sheitan", ce qui signifie démon en arabe. Cet assassinat était clairement antisémite en ce sens que si la victime n’avait pas été juive, elle n’aurait pas été ciblée par le tueur. Elle a d’ailleurs été souvent insultée par son assassin (qui lui lançait "sale Juive"). Elle dormait quand l’agression a commencé, et une voisine a appelé la police qui a mis beaucoup de temps pour se rendre sur les lieux. Le 9 avril 2017, s’est déroulée une marche blanche pour rendre hommage à Sarah Halimi.
Depuis près de trois ans, la famille de Sarah Halimi cherche à obtenir justice : que son assassinat soit officiellement considéré comme antisémite et que son assassin soit jugé.
Or, dès les premiers jours, ce "fait-divers" a été complètement négligé par les médias. Il faut se rappeler qu’on était alors en pleine campagne de l’élection présidentielle, à moins de trois semaines du premier tour, au moment où tout se cristallisait. Il est sans doute vrai que cela n’est pas suffisant pour comprendre cet état d’indifférence. Il faut rappeler, pour comparaison, que le policier Xavier Jugelé a été assassiné par un terroriste islamiste sur les Champs-Élysées à Paris le 20 avril 2017, quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle et que cet événement a été très largement couvert par les médias. La proximité de l’élection présidentielle n’explique donc pas tout.
L’avocat de la sœur de la victime, Gilles-William Goldnadel a déploré cette indifférence dans "Le Figaro" du 22 mai 2017 : « L’assassin présente le profil classique des criminels islamistes habituels (…). Mais ce qui serre le plus le cœur de l’homme et de l’avocat (…), s’appelle l’indifférence publique. ».
Dans une tribune publiée le 2 juin 2017 dans "Le Figaro", plus d’une quinzaine d’intellectuels (dont Marcel Gauchet, Jacques Julliard, etc.) ont dénoncé « le déni du réel ». Quant à Michel Onfray (qui a aussi signé cette tribune), il a dénoncé le silence des autorités le 8 juin 2017 : « Tout réel est aujourd’hui évacué et balayé s’il est susceptible de faire le jeu du Front national. Mais le réel se venge toujours un jour hélas. (…) Comment peut-on (…) tuer deux fois cette pauvre dame ? Puisque finalement ne pas donner à cet événement l’écho qu’il aurait mérité, c’était considérer que ce crime et meurtre-là ne comptait pour rien (…). À chaque fois qu’il y a une surenchère dans la terreur, il y a une surenchère dans la dénégation de la terreur. ». Cela a été dit quelques jours avant le premier tour des élections législatives où le FN espérait pouvoir constituer un groupe.
Il a fallu attendre le 10 juillet 2017 pour que le prévenu fût entendu par un juge et reconnût les faits tout en niant qu’il fût motivé par l’antisémitisme : « Je me sentais comme possédé. Je me sentais comme oppressé par une force extérieure, une force démoniaque. ». Il venait de consommer du cannabis peu avant l’assassinat. Il a été mis en examen le 12 juillet 2017 notamment pour "homicide volontaire".
Chargé de l’expertise psychiatrique, Daniel Zagury indiqua sur son rapport remis le 4 septembre 2017 : « En dépit de la réalité indiscutable du trouble mental aliénant, l’abolition du discernement ne peut être retenue du fait de la prise consciente et volontaire régulière du cannabis en très grande quantité. (…) Le fait que [la victime] soit juive l’a immédiatement diabolisée et amplifié le vécu délirant, a focalisé sur sa personne le principe diabolique qu’il fallait combattre et a provoqué un déferlement barbare dont elle a été la malheureuse victime. Autrement dit, [son crime] est un acte délirant et antisémite. ».
Après plus de cinq mois de procédure et de refus, la juge d’instruction a retenu (enfin !) le 27 février 2018 le caractère antisémite considéré comme une circonstance aggravante. Après d’autres expertises, une autre expertise a conclu le 18 mars 2019 à une « bouffée délirante aiguë d’origine exotoxique », ce qui pourrait faire renoncer à un procès. Le parquet de Paris demanda cependant le 17 juin 2019 le renvoi du suspect aux assises. Les juges d’instruction ont conclu le 12 juillet 2919 à l’irresponsabilité du suspect et ont écarté le caractère antisémite.
Ces deux ordonnances ont été contestées par le parquet de Paris, si bien que la cour d’appel de Paris s’est prononcée le 19 décembre 2019 pour renoncer au procès car le prévenu a été déclaré irresponsable « en raison d’un trouble psychique ayant aboli son discernement au moment du crime » (au sens de l’article 122-1 du code pénal), tout en reconnaissant « l’existence d’une circonstance aggravante liée à la motivation antisémite de l’acte ». Les avocats de la partie civile se sont pourvus en cassation.
Cette décision du 19 décembre 2019, peu avant les fêtes de fin d’année et en pleine grève des transports en commun a pu passer inaperçue mais reste terriblement scandaleuse. Il est sûr que le gouvernement, au nom du sacro-saint principe de séparation des pouvoirs, n’est pas qualifié pour commenter une décision de justice et encore moins la contester. En revanche, rien n’empêche les simples citoyens de se dire atterrés voire indignés par cette décision de justice.
Car, que signifie cette décision de la cour d’appel ? Que la consommation du cannabis "excuse" l’assassinat antisémite ! En clair, elle est "mieux" (pour le prévenu) qu’une circonstance atténuante. Rappelons qu’au début des années 1970, lorsqu’un chauffard était jugé après avoir provoqué un accident mortel sur la route, on parlait de circonstance atténuante s’il avait bu trop d’alcool auparavant. Faut le comprendre, il avait trop bu, c’est pas sa faute, pardi ! Heureusement, depuis que l’État s’occupe sérieusement et de la sécurité routière, et de la lutte contre l’alcoolisme, la consommation d’alcool est devenue une circonstance aggravante.
Les parlementaires, en "vacances" de Noël pendant cette période, n’ont pas pu réagir avant la rentrée parlementaire du 7 janvier 2020.
C’est ce qu’a fait dès le mercredi 8 janvier 2020, durant la séance de questions au gouvernement au Palais du Luxembourg, le sénateur LR Roger Karoutchi, parmi les plus scandalisés de la décision de justice sur l’assassin de Sarah Halimi. Sa question au gouvernement a été ultracourte : « Monsieur le Premier Ministre, la République se doit d’être protectrice de tous les citoyens. Sarah Halimi a été massacrée, défenestrée par un meurtrier clairement antisémite. Il n’y aura pas de procès. Au-delà des règles, au-delà des codes, monsieur le Premier Ministre, trouvez-vous cela juste ? ».
Et Édouard Philippe lui a répondu avec une certaine et prévisible "langue de bois" : « Vous savez parfaitement, en me demandant si je trouve cette décision juste, qu’en tant que chef du gouvernement, il ne m’appartient pas de porter une appréciation sur une décision de justice. (…) L’émotion suscitée par la décision a été vive. Les questions que pose cette décision sont sérieuses. La cour d’appel a utilisé une procédure, une façon de juger, dirai-je, créée en 2008, qui permet de juger, c’est important de l’avoir en tête, en audience publique les faits commis par un individu dont l’irresponsabilité pénale a été reconnue. (…) Peut-être cette décision suscitera-t-elle, au-delà de l’émotion, un débat. Si débat il doit y avoir, le gouvernement y prendra sa part. Reste qu’il est normal, important et légitime que le gouvernement ne se prononce pas et ne donne pas une appréciations sur les décisions de justice, sans quoi séparation des pouvoirs, grands principes républicains, tout cela partirait à vau-l’eau. ».
Insatisfait par ces quelques paroles, Roger Karoutchi a précisé son questionnement : « Dans un pays où, aujourd’hui, quand on marche dans un parc à VIllejuif, dans une rue à Metz, dans une gare à Paris, on peut croiser à tout moment quelqu’un qui dispose d’un couteau et qui peut nous dire, puisque nous vivons maintenant au rythme des déséquilibrés, qu’il n’avait pas toute sa conscience à ce moment-là, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut-il dire que ces gens-là sont irresponsables pénalement ? Pour toujours ? À terme ? Où allons-nous. (…) Je vous dis : le gouvernement, la République se doivent de protéger tous les Français. » (8 janvier 2020).
L’antisémitisme a pris une nouvelle tournure en France depuis une quinzaine d’années. Alors que les actes antisémites étaient plutôt le fait de groupuscules ou de militants d’extrême droite, ils sont aussi, désormais, le fait d’un islamo-gauchismee qui se nourrit du conflit israélo-palestinien en tentant de le déporter en France. C’est d’ailleurs l’un des thèmes de réflexion de Michel Onfray qui dénonce les médias "classiques" de ne pas donner assez d’écho à cet antisémitisme au nom du vivre ensemble et de la non stigmatisation des musulmans.
Sarah Halimi n’est hélas pas la seule victime de cet antisémitisme. Comme le rappelait le député Meyer Habib le 21 janvier 2020, douze Français juifs ont été assassinés par antisémitisme depuis 2003, parfois dans des conditions atroces. En particulier, Sébastien Selam (23 ans), assassiné au couteau et à la fourchette à Paris le 20 novembre 2003, Ilan Halimi (23 ans), kidnappé le 20 janvier 2006, puis frappé, torturé, brûlé et assassiné le 13 février 2006, et Mireille Knoll (85 ans), assassinée au couteau puis brûlée à Paris le 23 mars 2018, le même jour que les attentats de Carcassonne et Trèbes.
Oui, « soixante-quinze ans après, la bête immonde n’est pas morte : elle a muté » (Meyer Habib), on peut encore être tué parce qu’on est Juif ! Meyer Habib a martelé le 21 janvier 2020 devant la représentation nationale : « Hier apanage de l’ultra-droite, l’antisémitisme prospère aujourd’hui sur fond d’islamisme, de haine d’Israël et de théorie du complot. (…) Dans notre pays, la maladie mentale emprunte trop souvent le visage de l’islamisme et de son corollaire, la haine d’Israël, du Juif et de la France. Je ne suis pas inquiet pour les Juifs, mais pour la France. J’ai écrit une lettre ouvert au Président à ce sujet. ».
Le Président de la République n’était évidemment pas présent mais indirectement, il a répondu à ce député lors d’un discours à Jérusalem ce jeudi 23 janvier 2020 (dont on peut lire le texte intégral ici).
Emmanuel Macron a notamment déclaré : « L’antisémitisme en France, c’est d’abord et avant tout le problème de la République. Parce que l’antisémitisme, c’est la quintessence, le visage premier de la haine de l’autre. À chaque fois que les démocraties se sont affaiblies, à chaque fois que des grandes crises ont bousculé la confiance et ont ravivé les divisions, le premier signal, ce fut l’antisémitisme et ce qui semblait enfoui, tu, (…) remonte à ce moment de plein fouet. (…) Lutter contre les confusions aussi quand, de manière honteuse, on détourne des signes et des traces de l’histoire sur d’autres causes en la déformant et en la reconvoquant. Je veux ici dénoncer tous les discours et toutes les formes de compromission inacceptables lorsque ce genre de confusion advienne ou lorsque le silence se fait. En France, ces violences ou ces profanations n’ont pas leur place. En France, l’utilisation de l’étoile jaune n’a pas à être faite dans un insupportable amalgame. En France, le combat contre l’antisémitisme est inséparable du combat contre le racisme parce que c’est aussi le combat contre ceux qui minent la République et notre union. Alors, dans ce moment que nous vivons, je veux le dire très clairement (…), je ferai tout pour conjurer cette solitude des Juifs de France (…). Il n’y a pas de solitude à avoir parce que ce combat (…), c’est celui de la République, parce que la République a son histoire et cette part juive de l’âme française, c’est nous, c’est la France, c’est la République qui protège en son sein tous ses enfants. ».
Et un peu plus loin dans le discours, Emmanuel Macron a abordé franchement l’assassinat de Sarah Halimi. Voici ce qu’il en dit : « Je sais combien, dans ce contexte, l’émotion est encore forte après la décision de la cour d’appel de Paris sur l’assassinat de Sarah Halimi. De là où je vous parle, je ne peux vous parler avec le cœur parce que je suis le garant de l’indépendance de la justice, des principes cardinaux de notre code pénal et je dois respecter ces principes de la République. Le Président de la République n’a pas à commenter une décision de justice ni à prétendre la remettre en cause. Je vais vous dire simplement des choses simples. La première, c’est qu’un pourvoi en cassation a été formé et constitue une voie possible par le droit. Mais j’ai reçu tant de lettres, entendu tant d’émoi, vu tant de rage, de colère à l’idée qu’au fond, la justice ne soit jamais faite et ne puisse passer. Alors, je veux vous dire d’abord que la justice française a reconnu le caractère antisémite de ce crime. Il est reconnu, et ce caractère antisémite, personne ne peut le remettre en cause. Ensuite, la justice doit avoir un lieu et je sais la demande de procès qui doit se tenir. (…) Ce que nous apprend ce qui vient de se passer, c’est que même si à la fin, le juge devait décider que la responsabilité pénale n’est pas là, le besoin de procès, lui, est là (…). Nous en avons besoin dans la République. ».
Pourvu que la cour de cassation tienne en compte de ces éléments essentiels pour prendre leur décision…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 janvier 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Discours du Président Emmanuel Macron le 23 janvier 2020 à Jérusalem (texte intégral).
Les 75 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Sarah Halimi, assassinée car Juive.
L’attentat de Trèbes.
La lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous !
Discours du Président Emmanuel Macron au dîner du CRIF le 20 février 2019 (texte intégral).
Alain Finkielkraut, l’antisémitisme et la bêtise.
Rapport sur le racisme de la CNCDH publié le 22 mars 2018 (à télécharger).
L’agression antisémite et le besoin de transcendance.
Maréchal, vous revoilà !
Les 70 ans d’Israël.
La France du colonel Beltrame.
Éradiquer l’antisémitisme.
Marceline Loridan-Ivens.
Simone Veil.
La Shoah.
Élie Wiesel.
Germaine Tillion.
Irena Sendlerowa.
Élisabeth Eidenbenz.
Céline et sa veuve ruinée, la raison des pamphlets ?
Les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline.
Louis-Ferdinand Céline et les banksters.
Charles Maurras.
Roger Garaudy.
Jean-Marie Le Pen et ses jeux de mots vaseux.
Antisémitisme et morale en politique : l’attentat de la rue des Rosiers.
Massacre d’enfants juifs.
Arthur, l’un des symboles stupides du sionisme.
Les aboyeurs citoyens de l’Internet.
La Passion du Christ.
Représenter le Prophète ?
Complot vs chaos : vers une nouvelle religion ?
Le cauchemar hitlérien.
Jeux olympiques : à Berlin il y a 80 ans.
Les valeurs républicaines.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200121-sarah-halimi.html
https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/sarah-halimi-assassinee-car-juive-220938
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/01/22/37962770.html