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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
20 mars 2020

Éric Rohmer, son cinéma d’auteur et l’intelligence de la pudeur

« Pour moi, il y a plus de mise en scène cinématographique lorsque je fais parler des gens que si je montre quelqu’un qui tire un coup de pistolet ou qui joue à James Bond. » (Éric Rohmer, "Libération", 17 mars 2004).




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Le réalisateur Éric Rohmer est né il y a un siècle, le 21 mars 1920, en Corrèze (à Tulle). D’un naturel plutôt réservé et consciencieux, Éric Rohmer (qui est mort il y a dix ans, à Paris le 11 janvier 2010, un peu avant ses 90 ans) a rarement voulu se fondre au star-system. Par exemple, il ne participait jamais aux cérémonies (festivals, etc.) et ne voulait pas être connu ni placé dans la lumière qui lui briderait sa liberté individuelle. Paradoxalement, encouragé par Claude Lévi-Strauss, il a failli être candidat à l’Académie française puis s’est ravisé.

Élève en prépa au lycée Henri-IV à Paris (il a eu Alain comme professeur de philosophie) et séduit par Balzac et Proust, Éric Rohmer a échoué au concours de Normale Sup. le 29 novembre 1940 puis à l'agrégation de lettres classiques. Il commença sa vie active comme professeur certifié avec l'ambition de devenir romancier, avant de proposer des critiques de cinéma.

Il faisait partie du cinéma de la Nouvelle Vague, à l’instar des François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Claude Chabrol… Un peu en avance sur ce centenaire, la Cinémathèque française a proposé la diffusion de l’intégrale de ses films du 9 janvier 2019 au 11 février 2019. En 2006, Marc Godin avait rencontré Éric Rohmer : « Nos dieux étaient Hitchcock, sur qui j’ai écrit un livre avec Chabrol, et Howard Hawks. À ce moment, nous avions un principe, énoncé par Truffaut, qui était la politique des auteurs : on n’admirait pas un film, mais l’ensemble de l’œuvre d’un auteur. (…) J’ai également beaucoup aimé Renoir, Griffith (…) mais surtout Murnau. » ("See-Mag").

Ses films concernent avant tout l’amour, la séduction, la rencontre amoureuse. Ils sont souvent pleins de fraîcheur, de spontanéité. Pour "Le Rayon vert", il a même laissé les acteurs improviser, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Éric Rohmer tenait en effet à ce que l’écriture soit très réfléchie et plus généralement, il cherchait à ce que son œuvre cinématographique soit très construite. J’ai par exemple adoré "Pauline à la plage" (sorti le 23 mars 1983), avec Amanda Langlet et Simon de La Brosse, film qui faisait partie de sa série "Comédies et proverbes" avec cette devise : "Qui trop parole, il se mesfait", de Chrétien de Troyes.

Jacques Siclier a décrit la méthode dans "Télérama" le 16 août 2003 pour "Pauline à la plage" : « Rohmer a filmé ici en romancier. Ses personnages se déplacent dans un univers limité (…). Les images de Nestor Almendros [le photographe] obéissent au style de Rohmer : strictement narratives, mais inséparables d’une stratégie de la parole organisée par le cinéaste (…). Le film, remarquablement interprété, enthousiasme par la subtilité et la rapidité des enchaînements de situations. Rohmer mène les personnages jusqu'au bout de la partie, avec une jubilation évidente dans l’expression verbale. ».











En même temps, Éric Rohmer continuait à utiliser des moyens souvent modestes pour donner une sorte d’ambiance documentaire ou d’amateur (au début, par manque d’investisseurs, ensuite par liberté). C’est ce qu’a rappelé Antoine Guillot sur France Culture le 5 janvier 2019 dans "Plan large" : « Par une économie de moyens, qui était à la fois affaire de morale et d’éthique de travail, Éric Rohmer a su créer les conditions de son indépendance et de sa liberté absolue, pour dresser, en moraliste puritain qu’il était, un portrait des mœurs de la société française et de la sa comédie humaine qui, loin de l’image intello-parisianiste qu’on a voulu lui coller, a su rencontrer un large et fervent public. ».

Sa notoriété internationale a commencé avec "Ma nuit chez Maud" (sorti le 4 juin 1969 et nommé pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère) avec la participation de Françoise Fabian, Jean-Louis Trintignant, Antoine Vitez et Marie-Christine Barrault, film excellent selon le critique Guy Teisseire : « Le meilleur compliment qu’on puisse faire à Éric Rohmer est d’avoir réalisé (…) un film parlant. J’entends par là le contraire d’un film bavard où le texte servirait à combler les vides : c’est-à-dire une œuvre éloquente où les silences sont ressentis comme des manques tant l’intelligence du propos est constante. » ("L’Aurore", le 16 mai 1969).








"Ma nuit chez Maud" faisait partie de la série des "Contes moraux". Il fut le film d’Éric Rohmer qui a eu le plus de succès en salles (plus d’un million d’entrées), tandis que les autres dépassaient très rarement les 500 000 entrées, et certains avaient même moins de 100 000 entrées, mais cela ne l’a pas empêché d’avoir su gagner un public fidèle : ses 25 films au cinéma ont totalisé 8 millions d’entrées. Éric Rohmer a aussi réalisé durant les années 1990 une excellente série de quatre films "Contes des quatre saisons", un conte par saison.

Par exemple, l’excellent "Conte d’été" (sorti le 5 juin 1996), avec Melvil Poupaud, Amanda Langlet, Gwenaëlle Simon et Aurélia Nolin. Un garçon dans un "jeu" avec trois filles, dans des relations compliquées et impossibles, à propos duquel Dominique Marchais a commenté, dans "Les Inrockuptibles" le 30 novembre 1995 : « Filmer le plus simplement du monde des gens qui disent des choses compliquées, voilà bien le génie de Rohmer. Si son cinéma est bavard, c’est parce qu’il fait de la parole, et de sa nécessaire inadéquation avec ce qu’elle cherche à exprimer, son unique objet. S’il apparaît banal, c’est qu’il a pour unique héros l’homme ordinaire. Et ce que l’on a souvent appelé "hasard" chez lui n’est rien d’autre qu’une extraordinaire confiance dans la diversité, la multiplicité, la profondeur de la vie. L’éthique qui en résulte est la valorisation d’un pragmatisme qui saurait composer avec des éléments sans cesse changeants. » (1996).








Si le réalisateur appréciait beaucoup Jean-Louis Trintignant et Jean-Claude Brialy, il a souvent préféré des acteurs moins connus et plus tournés vers le théâtre. On peut citer Fabriche Luchini et Arielle Dombasle, également Pascale Ogier (qui est morte très jeune, peu après la sortie de "La Nuit de la pleine lune"). En août 1993, l’une des actrices, Emmanuelle Chaulet, expliquait : « On répète énormément avant, et quand on arrive sur le tournage, il donne uniquement des indications de déplacement et ne parle plus du tout du jeu ni de psychologie. » (Cicim n°38).

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Toute l’importance d’Éric Rohmer résidait dans les dialogues des acteurs qu’il voulait quasiment parfaits. Il voulait, en fait, faire croire que ces dialogues étaient spontanés alors que c’était rarement le cas. Le critique Michel Mourlet a écrit dans un livre aux éditions Ramsay sorti en 2008 : « Les films de Rohmer sont les seuls à envisager le dialogue comme le sujet même de leur mise en scène et non pas comme le complément de l’action. ». J'aurais bien imaginé Éric Rohmer adaper les romans de Françoise Sagan. Même si ce n'était pas son monde, il y aurait eu la même ambiance où les dialogues sont les faits, où les sentiments sont les dénouements.

Dans un entretien avec Claude-Marie Trémois publié dans "Télérama" le 9 février 1994 à l’occasion d’une exposition au Centre-Pompidou sur l’art de la ville, Éric Rohmer montrait son peu de sympathie pour les architectes : « Le cinéaste prend le monde tel qu’il est ; l’architecte le modifie. Sa responsabilité est effrayante, car il ne peut pas construire sans détruire. Ou bien il construit à la campagne, et il commet une agression contre la nature. Ou bien il construit dans un tissu déjà existant, et doit donc en détruire un fragment pour le remplacer par un autre. (…) Ils ont le pouvoir qui peut être dirigé vers le bien ou vers le mal. Ce sont les seuls artistes à le posséder. Un peintre n’a pas besoin de détruire les œuvres de ses prédécesseurs pour faire son tableau. Un réalisateur ne met pas le feu à la Cinémathèque pour réaliser son film. Le cinéaste travaille dans l’imaginaire ; l’architecte, dans la réalité. ».

Dans "L’Arbre, le Maire et la Médiathèque", thriller politique sorti le 18 février 1993, Éric Rohmer était loin du thème amoureux pour parler politique politicienne, à la suite des bons résultats des écologistes aux élections régionales de mars 1992. Le film raconte l’histoire d’un maire socialiste d’un petit village de Vendée qui a quelques ambitions pour sa commune …et lui-même (avec Pascal Greggory, Arielle Dombasle, Fabrice Luchini et François-Marie Banier).








Commentant "Le Paradis français d’Éric Rohmer", ouvrage sous la direction d’Hugues Moreau sur le réalisateur (éd. Pierre-Guillaume Roux), Michel Mourlet a ainsi décrit, le 18 août 2017 dans "La Revue des deux mondes" : « Rohmer, lui, seul dans son coin, a construit un édifice, "manifestation d’un ordre profond", dit Hugues Moreau, sans équivalent dans l’histoire du cinéma, un peu à la façon de Balzac dans l’histoire de la création romanesque, en visant à conférer une cohérence unificatrice à des sujets diversifiés. (…) Lorsque [la fameuse légèreté française] atteint pareille altitude de montgolfière, on devrait savoir qu’elle n’est rien de moins que l’intelligence de la pudeur. ».






Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 mars 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Éric Rohmer.
Suzy Delair.
Kirk Douglas.
Jean Ferrat.
Roman Polanski.
Michèle Morgan.
Miou-Miaou.
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"Le Cercle des Poètes disparus".
Robin Williams.
Suzy Delair.
Michel Piccoli.
Gérard Oury.
Pierre Arditi.
"J’accuse" de Roman Polanski.
Faut-il boycotter Roman Polanski ?
Adèle Haenel.
Michel Bouquet.
Daniel Prévost.
Coluche.
Sim.
Marie Dubois.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200321-eric-rohmer.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/eric-rohmer-son-cinema-d-auteur-et-222470

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/03/19/38115375.html




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