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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
1 mai 2020

Déconfinement : les départements verts et les départements rouges, la confusion des médias…

« Ayez l’imagination de la couleur ! » (Gustave Moreau).


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Oui, les couleurs font entrer dans l'imaginaire. En ces temps de crise sanitaire, chaque déclaration gouvernementale est importante et scrutée, car il s’agit de savoir où l’on va. Le discours du Premier Ministre Édouard Philippe prononcé le 28 avril 2020 à l’Assemblée Nationale pour présenter son plan de déconfinement, particulièrement clair et lucide, précis et concret, a pourtant suscité des incompréhensions tant des médias que de la population.

Ce n’est pas nouveau. Après l’allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 13 avril 2020, tous les médias ont prétendu que le déconfinement se ferait sans les personnes âgées, qu’Emmanuel Macron allait obliger les personnes âgées à rester dans un confinement qui, psychologiquement, pourrait être pourtant très difficile à prolonger. Pourtant, il n’avait rien dit de cela, il avait seulement conseillé aux personnes dites à risques d’être prudentes : « Pour leur protection, nous demanderons aux personnes les plus vulnérables, aux personnes âgées, en situation de handicap sévère, aux personnes atteintes de maladies chroniques, de rester même après le 11 mai confinées, tout au moins dans un premier temps. ».

Après une mousse médiatique de deux jours, l’Élysée a été obligé d’éteindre cet incendie inutile en précisant qu’il n’était pas question de faire de discrimination par l’âge ou l’état de santé et qu’il ne s’agissait que d’une recommandation, pas d’une obligation. Insistons que, de toute façon, toute mesure discriminatoire serait immédiatement considérée comme anticonstitutionnelle. Et il n’y a pas le temps de réviser la Constitution juste pour prévoir le cas d’urgence sanitaire.

Cette même incompréhension des médias semble être en train de grossir comme un feu de paille qui prendrait, pour des discussions, là encore, bien inutiles : la carte des départements. Le Ministère des Solidarités et de la Santé a publié le 30 avril 2020 une carte des départements avec, oh surprise, non pas deux couleurs mais trois : rouge, orange et vert. Ces couleurs correspondent au niveau de circulation du coronavirus SARS-CoV-2 sur le territoire français selon un certain nombre d’indicateurs dont certains sont d’ailleurs contestables, comme le taux de malades du covid-19 en réanimation (or, si les autres malades ne viennent plus se faire soigner, ce taux peut donc être très élevé sans pour autant saturer le service de réanimation en question).

Comme prévu, le quart nord-est de la France est très touché par le virus, mais très vite, les polémiques se sont enflammées, la Haute-Corse ne comprend pas pourquoi elle est rouge, le Lot non plus… On dit qu’il y a eu des erreurs (c’est étonnant quand même qu’un document ministériel si attendu ne soit pas vérifié et revérifié pour éviter de pareilles erreurs) mais surtout, que c’est une carte dynamique et renouvelable, le virus pouvant évoluer dans sa capacité à circuler.

Cette carte, les journalistes la réclamaient intensément depuis le discours d’Édouard Philippe, et les couleurs vert et rouge sont évidemment très parlantes, avec, en arrière-fond, même si ce n’est pas dit, les départements "bons élèves" et les départements "mauvais élèves" (aucune idée de culpabilisation et de jugement de valeur ne peut évidemment être projeté sur un état de fait concernant l’épidémie).

Le 30 avril 2020, je voyais des "reportages" où les habitants d’un bout de département, à la frontière, s’inquiétaient parce que leurs parents étaient dans un autre département (de couleur différence), ou un enfant dans un lycée de l’autre côté de la frontière, ou leur lieu de travail, etc. Les couleurs, c’est parlant et c’est simple.

Pourtant, mettre des couleurs, c’est bien joli, mais cela ne sert à rien. Certes, cela, les médias ne semblent pas trop s’en apercevoir. Eux, ce qui compte, c’est l’audience et le sensationnel, et pour mettre du sensationnel, il vaut mieux diviser la population, les verts et les rouges (je suis rouge). D’ailleurs, manque de chance, il y a aussi des oranges (comme les feux tricolores), sortes de centristes de l’épidémie ?

Surtout, c’est inutile. Cela ne sert à rien de discuter sur les couleurs, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’effets sur les mesures de déconfinement. Si les journalistes avaient bien écouté Édouard Philippe, voici ce qu’ils auraient compris : « Les parcs et jardins, si essentiels à l’équilibre de vie en ville, ne pourront ouvrir que dans les départements où le virus ne circule pas de façon active, les fameux "départements verts". ».

Ensuite, il a indiqué : « À partir de jeudi, le directeur général de la santé présentera tous les soirs la carte des résultats, département par département. Les départements s’en serviront pour préparer le 11 mai, en gardant à l’esprit que le confinement strict permet de ralentir la circulation du virus et de remettre sur pied le système hospitalier et qu’il est nécessaire d’instaurer un système de tests et de détection des cas contacts efficace. ».

Autre impact de la "couleur" des départements : « À partir du 18 mai, seulement dans les départements où la circulation est très faible, nous pourrons envisager d’ouvrir les collèges, en commençant par les classes de 6e et de 5e. ».

Relisez bien le discours d’Édouard Philippe (ici), ce sont les deux seuls impacts sur le déconfinement, l’ouverture des parcs et jardins publics et l’ouverture des collèges une semaine plus tard. Tout le reste, ce sont les mêmes règles qui prévalent sur tout le territoire, l’obligation de masque dans les transports en commun, la recommandation du télétravail, et l’interdiction de déplacement au-delà de 100 kilomètres du domicile, seule véritable contrainte qui nécessitera encore une attestation, pour réserver ces déplacements éloignés aux seuls impératifs professionnels et familiaux.

Comme on le voit, quelle que soit la couleur du département, tout le monde pourra se déplacer sans contrainte (c’est-à-dire sans attestation) lorsque les déplacements sont locaux, en gardant simplement à l’esprit les consignes des gestes barrières et de distanciation physique. Du coup, il n’y a pas de quoi en faire un "fromage", mais comme les médias en ont fait un élément majeur de compréhension du déconfinement, et comme les "gens" en général procèdent plus par logique qu’en étudiant à fond les discours ministériels, dès lors qu’on parle de départements "rouges" et de départements "verts" (ce qu’a fait, à mon avis avec erreur, Édouard Philippe), les "gens" se disent : vert, on peut se déconfiner ; rouge, on reste confinés. De quoi donc s’inquiéter d’habiter dans un département "rouge. Ce qui est faux, bien entendu.

Risible d’ailleurs, cette explication d’un supposé "expert" et journaliste (car il faut être "expert" pour décrypter un discours ministériel), il disait (encore jeudi soir, soit deux jours après le discours d’Édouard Philippe) que dans les départements verts, les parcs publics seraient rouverts, que les commerces seraient rouverts, mais il ne faudrait pas se déplacer à plus de 100 kilomètres. Quant aux départements rouges, les parcs resteront fermés, mais les commerces seront rouverts, etc. Bref, on avait l’impression de revoir le sketch des Inconnus donnant les différences entre un "chasseur" et un "chasseur"…

Probablement qu’il faudra un rectificatif dans la communication gouvernementale pour rappeler que le déconfinement est valable pour tous les départements français et que seulement deux éléments seront différents (parcs publics et collèges) selon les départements où le virus est encore très actif et les autres. Pourtant, le rôle des médias est de faire l’intermédiaire, de donner une bonne compréhension des décisions prises, et ici, il semble que c’est le contraire, que par leur seul objectif d’hystériser la population, car cela fait de l’audience, ils ont apporté de la confusion dans un processus qui paraissait pourtant assez clair. De la confusion et de l’anxiété.

Néanmoins, malgré ces réactions discutables des médias, si le message a du mal à être compris, à être reçu, c’est qu’il y a forcément une part de responsabilité dans l’émission du message. L’erreur d’Édouard Philippe a été sans doute d’avoir eu un discours trop "technocrate", c’est-à-dire, en donnant trop de détails techniques (pourtant très attendus) et pas de perspectives heureuses (exercice semble-t-il préempté par Emmanuel Macron).

Même s’il a insisté sur le fait que le gouvernement voulait faire confiance aux Français et à leur sens des responsabilités, Édouard Philippe aurait dû insister sur les efforts déjà accomplis par eux, sur le fait que les règles du confinement ont été très largement suivies, et que grâce à ces efforts, à nos efforts, le bout du tunnel était visible, qu’il y avait l’espérance d’observer une fin d’épidémie et de pouvoir retrouver une vie "normale" (même si ce n’est pas avant plusieurs mois). Cette lueur est ce qui aide à tenir. Dans l’obscurité totale, on flanche rapidement.

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Dans ce plan de déconfinement, l’un des indicateurs clefs reste la capacité hospitalière à prendre en charge tous les patients, malades du covid-19 ou pas, mais il aurait fallu ajouter un chapitre sur l’augmentation de l’offre de places hospitalières. La Chine a construit une dizaine d’hôpitaux temporaires pour prendre en charge les nombreux malades du covid-19. Certes, la France n’est pas capable de construire en dix jours un nouvel hôpital, mais en deux mois de confinement, elle aurait pu aussi mettre de nouveaux moyens pour accroître le nombre de places disponibles dans les départements à tension (les "rouges").

Mais restons dans la sémantique et terminons sur le fait que le Premier Ministre a employé un mot qui paraît à mon sens assez malheureux pour tenter de circonscrire toute nouvelle contamination : « Nous ne pourrons réussir que grâce à la mobilisation des professionnels de santé libéraux, notamment des médecins généralistes et des infirmiers libéraux. Ils constitueront d’une certaine manière la première ligne dans cette recherche de contacts pour tout ce qui concerne la cellule familiale. (…) En appui, les équipes de l’assurance-maladie s’occuperont de la démultiplication de cette démarche d’identification des cas contacts au-delà de la cellule familiale. Dans chaque département, nous constituerons des brigades chargées de remonter la liste des cas contacts, de les appeler, de les inviter à se faire tester en leur indiquant à quel endroit ils doivent se rendre, puis à vérifier que ces tests ont bien eu lieu et que leurs résultats donnent lieu à l‘application correcte de la doctrine nationale. ».

"Brigade", le mot est lâché ! Alors que le sujet est ultrasensible sur la capacité de l’État à avoir connaissance de la vie privée des personnes, notamment à partir d’une application smartphone qui n’est pas encore au point (StopCovid), le choix du mot "brigade" est évidemment malheureux car il renforce l’opinion de ceux qui craignent d’être "fliqués". Pourtant, il y avait d’autres possibilités, comme parler d’équipes mobiles pour désigner ceux qui, pour rompre la chaîne de contamination, sont bien obligés de rentrer dans la vie privée des personnes concernées. Qui, d’ailleurs, précisons-le, ont le droit en principe de refuser le dépistage. L’expérience du début de l’épidémie (la France avait fait ce type de démarche jusqu’à la troisième semaine de février 2020, ensuite, il y avait trop de cas pour pouvoir poursuivre par manque de tests) a montré que les personnes contacts ne refusent généralement pas d’être dépistées et, le cas échéant, d’être prises en charge, notamment pour éviter de contaminer elles-mêmes leur propre cercle familial.

C’est bien sûr facile de faire des recommandations de vocabulaire quand on observe et qu’on n’agit pas. Précisons qu’en France, le chef du gouvernement est l’une des personnalités politiques françaises qui est certainement celle qui met le plus d’effort à choisir ses mots, même lorsqu’il répond à l’improviste à une interpellation musclée d’un parlementaire. Édouard Philippe a toujours été très attentif aux choix des mots, car un mot malheureux peut créer une polémique totalement inutile (par incompréhension provenant soit d’une ambiguïté dans la formulation, soit d’une discrimination ressentie d’une certaine catégorie de personnes).

On ne peut pas dire que tous les dirigeants du monde aient cette même attention intelligente du choix des mots, et l’exemple le plus éloquent est celui du Président des États-Unis Donald Trump qui pourrait être responsable de nouvelles hécatombes sanitaires, comme l’absorption d’eau de Javel dans les poumons (idée stupide à ne suivre en aucun cas !)…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er mai 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Déconfinement : les départements verts et les départements rouges, la confusion des médias…
Didier Raoult, médecin ou gourou ?
Le déconfinement selon Édouard Philippe.
Covid-19 : le confinement a sauvé plus de 60 000 vies en France.
Du coronavirus dans les eaux usées ?
Le covid-19 n’est pas une "simple grippe"…

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200501-deconfinement.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/deconfinement-les-departements-223855

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/05/01/38250741.html




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