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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
27 juin 2020

Le troisième miracle de Pierre Pflimlin

« On le porte à la tribune parce qu’il ne pouvait pas monter les escaliers. Il s’appuie à la tribune et il redevient le tribun qu’il n’avait jamais cessé d’être. À la tribune, il dit : "Je suis venu vous dire que j’ai vécu dans ma vie trois choses que je n’aurais jamais cru pouvoir vivre. J’ai vécu après la guerre, la réconciliation de la France et de l’Allemagne (…). J’ai vécu en 1989 la chute du mur de Berlin". (…) Et là, il s‘arrête et il dit : "J’ai vécu aujourd’hui la renaissance de ma famille politique". Explosion dans la salle. Moi, j’étais vachement fier. » (20 mars 2007).



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Celui qui parlait à la tribune, c’était Pierre Pflimlin, personnage peu connu mais qui a marqué la vie politique française, qui est mort à Strasbourg il y a vingt ans, le 27 juin 2000, à l’âge de 93 ans (il est né à Roubaix le 5 février 1907 d’une famille alsacienne). L’homme qui évoquait ce souvenir en mars 2007 n’était autre que François Bayrou, alors candidat à l’élection présidentielle en pleine dynamique de campagne, avec 20% dans les sondages et en passe d’atteindre le second tour. La date de l’histoire, le 7 février 1999, un congrès de l’UDF, à Bordeaux, où François Bayrou, président de l’UDF, voulait faire une liste autonome pour les élections européennes du 13 juin 1999. À ces européennes, lui, l’Européen convaincu, il ne voulait pas rejoindre la bannière de Philippe Séguin qui avait voté contre le Traité de Maastricht. Il voulait une liste entièrement euroenthousiaste et les adhérents dans la salle n’y étaient pas forcément favorables (c’est toujours un risque de se compter). Quand le vieillard a voulu prendre la parole, François Bayrou a eu un frisson car il ne savait pas le sens de l’intervention. Elle lui était finalement favorable, et les adhérents l’ont approuvée.

C’est intéressant de voir qu’en 2007, François Bayrou cherchait à s’insérer dans la longue histoire de la démocratie chrétienne française, un courant politique qui n’a jamais osé donner son nom par l’exception française de la laïcité que ce courant d’ailleurs défendait avec beaucoup de force. Dans cette narration, il y avait quelques inexactitudes (l’âge du maître, sa date de naissance, mais le leader centriste n’a jamais été très à l’aise avec les chiffres), et surtout, nous sentions une vive émotion. François Bayrou, petit jeune de 33 ans, avait en effet été son collaborateur en 1984, lorsqu’il était Président du Parlement Européen. L’oisillon a déployé ses grandes ailes.

J’écris "nous" car j’étais présent à ce congrès et j’avais bien senti cette émotion, elle m’étreignait moi-même comme la plupart de mes voisins de salle que je pouvais voir. C’était la première, et la seule fois que j’ai vu Pierre Pflimlin et j’avais l’impression d’avoir fait un voyage dans le passé lointain. Très malade, le vieil homme était toujours accompagné d’une personne qui le soutenait dans ses déplacements, mais on disait qu’il avait gardé toute sa tête (ce qu’il a démontré avec son intervention à la tribune, qui n’avait pas du tout été prévue et qu’il n’avait pas préparée), même s’il n’en faisait qu’à sa tête (c’était un obstiné), et il allait effectivement disparaître seize mois plus tard.

S’il fallait résumer la vie politique de Pierre Pflimlin, l’un des grands démocrates-chrétiens qui ont gouverné la Quatrième République avec les difficultés que l’on connaît, ce serait en trois mots : la France, Strasbourg, et le résultat des deux précédents, l’Europe.

Le sommet de sa vie politique, ce fut le 14 mai 1958, au lendemain du putsch d’Alger. La situation était insurrectionnelle, on parlait de parachutistes qui débarqueraient d’Algérie en Corse, puis de Corse à Paris. En catastrophe, parce que la France se trouvait dans une énième crise ministérielle, Pierre Pflimlin fut investi par les députés Président du Conseil, c’est-à-dire l’équivalent de Premier Ministre, et sous la Quatrième République, le poste le plus important, celui du pouvoir. Pour Pierre Pflimlin, cela devait être la reconnaissance d’une quinzaine d’années de vie politique intense. Il avait 51 ans. Un couronnement. Hélas, la situation a été telle qu’il a lui-même suivi le mouvement, avec le Président de la République René Coty, de faire appel à De Gaulle. Finalement, il céda le pouvoir dès le 1er juin 1958, après que De Gaulle eut réuni toutes les conditions pour son retour au pouvoir. Très injustement, Pierre Pflimlin, homme politique exceptionnel, s’effaça et fut balayé par l’effondrement de cette courte République.

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Ce fut alors le repli sur Strasbourg : Pierre Pflimlin fut élu maire de Strasbourg du 14 mars 1959 au 6 mars 1983, l’un des très rares maires catholiques. Il a fait de cette ville l’une des capitales de l’Europe (avec Bruxelles et Luxembourg), pesant de tout son poids pour y mettre le siège du Parlement Européen. Certes, cette position stratégique avait aussi ses contestataires. La France pouvait revendiquer le siège du Parlement Européen et elle aurait pu proposer Paris, avec toutes les infrastructures de transports pour s’y rendre (il a fallu attendre 2007 pour l’ouverture de la ligne TGV Paris-Strasbourg).

L’académicien et ancien ministre Maurice Druon entama d’ailleurs une polémique avec François Bayrou à ce sujet dans "Le Figaro" du 26 juillet 2004. Parlant de Pierre Pflimlin (dont il oubliait le premier l) : « On lui doit d’avoir fait perdre à Paris d’être la capitale de l’Europe. En effet, il était entendu entre Adenauer et De Gaulle que les institutions de la Communauté européenne auraient leur siège à proximité. Un grand ensemble serait construit en proche région parisienne. Là-dessus, Pfimlin, Alsacien, intervient en clamant : "Strasbourg, Strasbourg… le lien entre la France et l’Allemagne, entre les deux cultures… la réconciliation.. Strasbourg, ville symbole !". Pouvait-on insulter l’Alsace ? On remisa le projet parisien. (…) Paris (…) avait tous les attraits pour les députés, les diplomates et les fonctionnaires européens ; Strasbourg, belle mais provinciale, avec des divertissements limités et surtout, mal desservie, obligeant à des changements d’avion pour atteindre son aérodrome souvent embrumé, n’exerça que peu de charmes sur la nouvelle population communautaire. Si les sessions mensuelles du Parlement (…) continuent de s’y tenir, tout le reste, commissions et services, s’est installé à Bruxelles et c’est Bruxelles qui est devenue la capitale administrative de l’Union. ».

François Bayrou a répondu dans le même journal le 28 juillet 2004 sur le même ton : « Il se trouve, Druon, patriotisme pour patriotisme, qu’il est des millions de Français et des dizaines de millions d’Européens, qui ont vu dans le choix de Strasbourg quelque chose qui parlait non pas seulement aux diplomates en mal de vie nocturne, comme vous le suggérez si élégamment, mais à l’âme de l’Europe. Quelque chose qui aux gaullistes authentiques, ceux qui se battaient et qui mouraient, parlait du serment de Kouffra. Quelque chose qui parlait de l’identité de la France déchirée et cicatrisée, et qui, en effet, pouvait laisser croire que notre pays frappé d’acromégalie pourrait se rééquilibrer. ».

Si Pierre Pflimlin a renoncé à se représenter à la mairie de Strasbourg en mars 1983 (et a laissé Marcel Rudloff y aller), c’était parce qu’il craignait de perdre l’élection. L’année suivante, il avait alors 77 ans, son combat européen a été magistralement consacré : il fut élu Président du Parlement Européen du 2 juillet 1984 au 20 janvier 1987, fonction qu’il quitta donc à quelques jours de ses 80 ans. C’était un exploit pour un Français, car il était le troisième Président d’un Parlement Européenne élu au suffrage universel direct, et le deuxième français (le premier, ce fut une première, Simone Veil). François Bayrou était ainsi l’un de ses collaborateurs à ce poste très symbolique et très politique.

Mais revenons à cette si mémorable journée du 7 février 1999 à Bordeaux. Après avoir évoqué les deux premiers miracles qu’il avait vécus (réconciliation franco-allemande et chute du mur de Berlin), il a évoqué ce troisième miracle : « Je serais porté à dire que j’ai vécu aujourd’hui un troisième miracle. Grâce à François Bayrou, la décision a été prise de présenter une liste UDF aux élections européennes. Ce qui me paraît fondamental, c’est que nous allons entrer dans la bataille des européennes en nous battant pour notre conception de l’Europe. Il existe différentes façons de concevoir l’Europe. Je ne crois pas me tromper en disant que nous, nous restons fidèles à la conception de Robert Schuman, qu’il partageait avec le Chancelier Adenauer, et à cette conception de l’Europe communautaire, on peut dire fédéraliste, si l’on veut. Moi, je préfère le mot communautaire. Pourquoi ? Parce que le mot communautaire a une signification éthique, il signifie que des peuples différents qui s’étaient combattus la veille veulent ensemble construire une communauté de valeurs et une communauté d’institutions. C’est merveilleux. Et nous sommes restés fidèles à cette conception. Je me réjouis de vivre avec vous aujourd’hui le troisième miracle pour l’Europe. ».

Sur le plan de la politique intérieure, les élections européennes du 13 juin 1999 furent la première réelle initiative politique de François Bayrou pour affirmer l’indépendance du centre face à la droite. En 2002, il se présenta à la Présidence de la République et a obtenu près 7% des voix. En 2007, il a flirté avec les 19%, et en 2012, il est redescendu en dessous de 10%. S’il y a une date à retenir pour dire que les chemins de la droite et du centre ont bel et bien divergé, c’est bien 1999, et Pierre Pflimlin, tout malade et nonagénaire qu’il était, y a contribué pour une grande part.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 juin 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Polémique Druon vs Bayrou sur Pierre Pflimlin.
François Bayrou et Pierre Pflimlin.
Pierre Pflimlin.
Général De Gaulle.
Henri Queuille.
Robert Schuman.
Antoine Pinay.
Félix Gaillard.
Les radicaux.
François Mitterrand.
Joseph Laniel.
Georges Bidault.
Débarquement en Normandie.
Libération de Paris.
Général De Gaulle.
Général Leclerc.
Jean Moulin.
Daniel Cordier.
Le programme du Conseil National de la Résistance (CNR).
Jean Monnet.
Joseph Kessel.
Maurice Druon.
André Malraux.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Daniel Mayer.
Edmond Michelet.
Alain Savary.
Léon Blum.
Pierre Mendès France.
Édouard Herriot.
Vincent Auriol.
René Coty.
Maurice Faure.
Gaston Defferre.
Edgar Faure.
René Cassin.
Édouard Bonnefous.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200627-pierre-pflimlin.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-troisieme-miracle-de-pierre-225412

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/06/22/38387598.html





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