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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
27 juillet 2020

Les occasions perdues du baron Olivier Guichard, grognard grognon

« Toute tragédie commence quand les héros, emportés par leurs passions, deviennent aveugles et sourds. » (Olivier Guichard, le 4 avril 1979, cité par Michèle Cotta).


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Figure historique de la République gaullienne, Olivier Guichard, l’un des barons du gaullisme (dans les deux sens du terme), est né il y a 100 ans, le 27 juillet 1920 ("Vingt ans en 40" est l’un de ses ouvrages sorti en 1999 chez Fayard). J’avais déjà évoqué sa trajectoire ici. À l’occasion de ce centenaire, la ville de La Baule, dont il avait été le maire de 1971 à 1995, lui consacre actuellement une exposition, "Un chemin baulois", jusqu’au 29 août 2020 au hall de l’hôtel de ville.

Olivier Guichard, qui s’est engagé dans l’armée pour bouter les nazis hors de la France à la fin de la guerre, a eu une double carrière, la carrière d’un conseiller de l’ombre du Général De Gaulle de 1947 à 1967 et la carrière d’un grand élu national, seigneur "féodal" des Pays de la Loire dont il a présidé le conseil régional de 1974 à 1998 (il a aussi été député de Loire-Atlantique de 1967 à 1997 et conseiller général de Guérande de 1970 à 1982). Son successeur à la présidence du conseil régional fut François Fillon.

Dans sa première vie, il fut notamment, dans le dernier gouvernement de la Quatrième République, le directeur adjoint du cabinet de De Gaulle (Président du Conseil) tandis que son directeur de cabinet fut Georges Pompidou, et par la suite, il fut le conseiller en politique intérieure de De Gaulle à l’Élysée, occupant quelques responsabilités dans la fonction publique. Évidemment, le parcours d’Olivier Guichard était assez parallèle à celui de Georges Pompidou et les deux hommes s’estimaient, même si, juste avant le retour du Général De Gaulle en mai 1958, Georges Pompidou, qui était persuadé que De Gaulle n’avait aucune intention de revenir au pouvoir, avait carrément blâmé Olivier Guichard qui négociait avec la classe politique de l’époque ce fameux retour, sous prétexte qu’il pensait qu’Olivier Guichard exprimait de fausses intentions gaulliennes. Voir plus loin…

Longtemps sous-estimé par De Gaulle dont l’épouse n’appréciait pas beaucoup la personnalité, Olivier Guichard fut nommé cependant ministre par le Général à partir de 1967 et il le resta pendant toute la Présidence de Georges Pompidou. Olivier Guichard n’appréciait pas vraiment Maurice Couve de Murville qui n’avait pas beaucoup de sens politique ni non plus Jean-Marcel Jeanneney qui fut, avec lui, chargé du projet de référendum sur la participation et la régionalisation.

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Dans les faits, Olivier Guichard avait jeté l’éponge dès décembre 1968 et laissé le projet à son collègue Jeanneney. Au début des années 1970, Olivier Guichard fut reconnu comme un grand ami des "territoires", comme on dit maintenant (Jean Castex, héritier d’Olivier Guichard ?), premier grand aménageur du territoire en créant un nouvel échelon administratif, les régions (il n’y en avait pas auparavant) et en impulsant de grandes infrastructures de communication (notamment de nombreuses nouvelles autoroutes).

Lorsque le Président Pompidou a limogé Jacques Chaban-Delmas, en 1972, la logique aurait voulu qu’il nommât Olivier Guichard pour lui succéder à Matignon. Ce ne fut pas le cas car pour une raison obscure, les deux hommes s’étaient éloignés l’un de l’autre. Ce fut donc Pierre Messmer que n’appréciait pourtant pas trop Georges Pompidou. En 1974, le soutien indéfectible d’Olivier Guichard à la candidature de Jacques Chaban-Delmas, qui a échoué, l’a évincé du nouveau gouvernement en 1974. S’il avait été élu, Jacques Chaban-Delmas l’aurait probablement nommé à Matignon.

Mais après la démission surprise de Jacques Chirac en 1976, Valéry Giscard d’Estaing l’a appelé au gouvernement de Raymond Barre, comme numéro deux, Ministre d’État, Ministre de la Justice, en lui donnant pour mission de coordonner la majorité, ce qui signifiait clairement qu’il était chargé de "calmer" et "canaliser" Jacques Chirac et le RPR, une mission impossible.

Après les élections municipales de mars 1977, et la grande victoire de Jacques Chirac à la mairie de Paris (contre le candidat giscardien, Michel d’Ornano), VGE a limogé Olivier Guichard du gouvernement malgré les réticences de Raymond Barre qui l’appréciait bien. Olivier Guichard resta néanmoins en réserve, comme un Premier Ministre potentiel du Président Giscard d’Estaing au même titre que d’autres barons du gaullisme, Robert Boulin et Alain Peyrefitte.

Le fossé entre les barons et Jacques Chirac fut très large pendant la période giscardienne, car un bon gaulliste était un légitimiste, donc loyal vis-à-vis du Président de la République au nom de la défense des institutions de la Cinquième République (une attitude qui posa problème à partir de 1981), à tel point qu’en 1979, Olivier Guichard songeait même à quitter le RPR qu’il ne considérait plus gaulliste. Il a même soutenu la candidature de Valéry Giscard d’Estaing dès le premier tour en 1981 malgré deux voire trois candidatures du camp gaulliste (Jacques Chirac, Michel Debré et Marie-France Garaud).

Après la victoire de la gauche, Olivier Guichard renonça à toute influence nationale et se replia sur ses terres de La Baule et des Pays de la Loire, tout en écrivant quelques ouvrages en particulier sur le Général De Gaulle avec qui il avait travaillé en pleine "traversée du désert". Michèle Cotta, dans ses "Cahiers secrets", l’évoque ainsi le 24 avril 1980 : « Il parle de cette période déjà ancienne avec une sorte de désolation. Peut-être pense-t-il à tout ce qu’il a fait aux côté du Général, et surtout à ce qu’il n’a pas fait : être son Premier Ministre. À un moment de la conversation où il commence à parler de sa carrière à lui, Olivier Guichard, il s’arrête, soupire et me confie dans un élan : "Finalement, je tiens davantage au Général qu’à moi !" ».

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À propos de ce "géant bienveillant", selon l’expression de l’auteur du massif "C’était De Gaulle", Alain Peyrefitte est revenu sur les conditions de retour au pouvoir de De Gaulle en mai 1958. Je l’ai évoqué un peu plus haut, Olivier Guichard, qui était le chef de l’antenne gaulliste à Paris, a tout fait pour ce retour, tandis que Georges Pompidou était convaincu que De Gaulle ne voulait pas revenir au pouvoir.

De Gaulle lui-même affirma à son ministre Peyrefitte : « Je n’ai été pour rien dans l’insurrection d’Alger. Je n’ai rien su de ce qui s’y préparait avant le 13 mai : j’ai été informé de ce qui s’y passait comme tout le monde, par la radio. J’ai fait savoir le 15 mai, par un communiqué, que je me tenais à la disposition de la République. Mais je n’ai pas levé le petit doigt pour encourager le mouvement. Je l’ai même bloqué quand il a pris la tournure d’une opération militaire contre la métropole. ».

Alain Peyrefitte y est revenu sur le détour d’une phrase qu’il adressa à Olivier Guichard. En effet, Porte-parole du gouvernement et Ministre de l’Information, Alain Peyrefitte lui annonça le 8 juin 1962, à l’issue d’un entretien avec De Gaulle à l’Élysée, la teneur de ce que le Président allait dire aux Français le soir même dans une allocution qu’il venait d’enregistrer, à savoir une dénonciation de « l’entreprise d’usurpation venue d’Alger ». Il a eu pour réponse d’Olivier Guichard des sarcasmes que son futur successeur Place Vendôme (en 1977) n’a pas tout de suite compris et a demandé d’expliciter : « Il me regarde, imperturbable comme d’habitude, avec son sourire débonnaire : "Il ne manque pas d’air !" » (parlant de De Gaulle).

Alain Peyrefitte affirma alors à Olivier Guichard : « Vous avez fait croire aux militaires que le Général voulait qu’on envoie les paras, alors qu’il n’était même pas au courant de ce que vous annonciez en son nom. Vous avez fait une formidable "intox" qui a réussi. Cela aurait pu tourner mal. ». Et Olivier Guichard lui répondit, laconique : « Chacun son boulot. Le destin m’avait mis à cette place. Ce n’était pas son affaire, c’était la mienne. Et il n’avait pas à le savoir. (…) Nous étions là pour le faire revenir. Et, du fait que Pompidou ne voulait pas s’en mêler, j’étais celui qui était censé parler en son nom. ».

Alain Peyrefitte : « Le Général ne devait pas le savoir, ou ne voulait pas le savoir ? ». Olivier Guichard : « C’était la frange d’incertitude dont il entourait tous ses actes aux moments décisifs. Il nous a laissé faire, tout en ignorant ce que nous faisions. (…) Il a joué superbement de l’exaltation d’Alger, de la panique de Paris et de la volonté des Français d’en finir avec la Quatrième. C’était du grand art ; et, aujourd’hui, il s’offre, en prime, le luxe de nous dénoncer ! ».

Alain Peyrefitte se permit alors ce commentaire personnel dans son livre après ses échanges avec Olivier Guichard : « Ce fut sans doute un des malentendus les plus féconds de l’histoire de France. Les militaires, s’étant alors tirés le mieux possible du mauvais pas où ils s’étaient mis, ne retinrent pas sur le moment l’idée qu’ils avaient été dupés. Le Général a-t-il su, depuis lors, l’exacte vérité ? Je ne crois pas. C’est resté, envers le chef d’État, un secret d’État. Il se doutait un peu, quand même, qu’Olivier Guichard s’était beaucoup avancé en son nom ; et sans doute lui en a-t-il voulu. Guichard, au contraire, était fondé à penser que le Général lui devait d’être arrivé au pouvoir et que, par sa discrétion, il lui avait permis de recevoir le pouvoir des mains de la représentation nationale le plus légalement du monde, sans avoir trempé, si peu que ce soit, dans le complot qui avait fait plier la Quatrième République. ».

Ainsi, Alain Peyrefitte venait de découvrir, et avec lui, moi aussi comme tous ceux qui l’ont lu, à quel point Olivier Guichard avait été ce grognard à la fois trouble et indispensable du Général De Gaulle. Un grognard qui avait de quoi rester grognon car De Gaulle ne l’a pas récompensé à la hauteur des services rendus. C’est une constante : le pouvoir suprême a toujours cultivé l’ingratitude envers les plus fidèles…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 juillet 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La Cinquième République.
Olivier Guichard.
Le baron typique du gaullisme.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
Philippe Séguin.
Michel Droit.
Albin Chalandon.
René Capitant.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200727-olivier-guichard.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-occasions-perdues-du-baron-226007

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/07/24/38446203.html






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