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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
30 juillet 2020

Albin Chalandon est mort ce mercredi 29 juillet 2020 à l'âge de 100 ans

« Je comprendrai plus tard qu’en politique, lorsqu’on envoie des bouquets, ce sont toujours des chrysanthèmes. » (Catherine Nay, 7 novembre 2019).



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Mourir centenaire. L’ancien ministre Albin Chalandon a fêté son 100e anniversaire le jeudi 11 juin 2020. 100 ans, c’est-à-dire 20 ans en 1940, au moment de l’une des pires situations françaises. Albin Chalandon fait partie de ces jeunes courageux qui se sont engagés dans la Résistance, il a même dirigé en 1944 un réseau de maquisards dans la forêt d’Orléans et a combattu un régiment SS basé à Chilleurs-aux-Bois (entre Pithiviers et Orléans). L’armée du général Leclerc est venu à son secours (car il avait été blessé) et Albin Chalandon a ainsi participé à la Libération de Paris (il a durement combattu pour libérer le Palais-Bourbon et le Quai d’Orsay).

Albin Chalandon fait partie aussi d’un autre cercle très restreint, celui des survivants des gouvernements des deux premiers Présidents de la République. Après la mort de Jacques Chirac (26 septembre 2019), de Christian Bonnet (7 avril 2020) et de Robert Poujade (8 avril 2020), ils ne sont plus que douze dans ce cas, et Albin Chalandon est leur doyen. Les autres sont Valéry Giscard d’Estaing (De Gaulle et Pompidou), Jacques Trorial (DG), André Fanton (P), Jacques Limouzy (P), Bernard Pons (P), Hubert Germain (P), Christian Poncelet (P), Paul Dijoud (P), Henri Torre (P), Pierre Mazeaud (P) et Olivier Stirn (P).

Il serait inexact, ou plutôt incomplet, de dire qu’Albin Chalandon est un homme politique : en fait, haut fonctionnaire, il a navigué souvent entre le politique et l’économique, industriel et même banquier. Son père Pierre Chalandon (1879-1964) était un industriel qui fut également élu maire de sa ville natale Reyrieux, près de Villefranche-sur-Saône.

Son grand-père,Victor Cambon (1852-1927) fut un ingénieur qui a publié beaucoup d’articles scientifiques ainsi qu’une vingtaine d’ouvrages grand public dont "L’Allemagne au travail" (éd. Pierre Roger & Cie), sorti en 1909, où l’auteur décrit les industries allemandes : « Le jeune homme, ingénieur, chimiste ou technicien, qui, de l’école professionnelle, passe dans l’industrie, ne pénètre point dans un milieu à lui inconnu. Non seulement, étant élève, on lui a fait visiter beaucoup d’usines, mais, le plus souvent, avant le technicum, il a accompli un stage d’ouvrier dans quelque atelier ; bonne habitude pratiquée même par des jeunes gens de famille aisées. L’usine qui le reçoit est généralement une très grande usine ; l’industrie allemande contemporaine procède par grosses unités. (…) Il va de soi que l’emplacement est soigneusement étudié, desservi par une voie ferrée ou un cours d’eau navigable, souvent par les deux à la fois. La conséquence qui frappe l’observateur attentif est l’absence presque complète de gros camionnage dans les centres les plus actifs : à Berlin, à Cologne, à Magdebourg, à Hambourg même, rien ne rappelle, à ce point de vue, Marseille ou les faubourgs de Paris. Une autre préoccupation est de prévoir les agrandissements ultérieurs. Si large que soit l’installation, on la rêve encore agrandie, et le plan est établi dans cette perspective. » etc. Albin Chalandon n’a pas eu le temps de connaître son grand-père (mort quand il avait 6 ans), mais il était dans un environnement qui savait ce qu’était l’industrie.

Intégré en avril 1945 dans le corps de l’inspection générale des finances, Albin Chalandon a travaillé quelques semaines dans le cabinet de Léon Blum alors Président du Gouvernement provisoire en décembre 1946. Malgré cette expérience, il a adhéré au RPF et est resté gaulliste toute sa vie. Albin Chalandon fut banquier (il a créé avec Marcel Dassault la Banque commerciale de Paris en 1952, revendue en 1968). C’était peut-être à cause de ce métier de banquier qu’il fut le trésorier puis le secrétaire général, en 1959, de l’UNR, le nouveau parti gaulliste lors du retour au pouvoir de De Gaulle. Il a quitté cette responsabilité après quelques mois car il s’est aperçu qu’il ne dirigeait rien, que ce mouvement ne pouvait avoir d’autre chef que De Gaulle lui-même.

Nommé au Conseil Économique et Social de 1964 à 1967, il fut élu député le 12 mars 1967, réélu le 30 juin 1968, le 11 mars 1973 et il démissionna de son mandat l 11 août 1976. Cette petite dizaine d’années consacrées à la politique nationale fut aussi celle de sa carrière ministérielle, comme je l’ai indiqué au début. Albin Chalandon fut d’abord nommé dans le dernier remaniement du quatrième gouvernement de Georges Pompidou, à l’issue de la crise de mai 68, comme Ministre de l’Industrie du 31 mai 1968 au 10 juillet 1968, puis Ministre de l’Équipement et du Logement du 12 Juillet 1968 au 6 juillet 1972, dans les gouvernements de Maurice Couve de Murville et de Jacques Chaban-Delmas.

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Dans ce dernier ministère, où il a eu pour dircab Georges Pébereau (1931-2012), frère de Michel Péberau, Albin Chalandon a tenté de répondre à la forte demande en logements individuels en encourageant les investisseurs privés et en faisant construire 70 000 pavillons individuels qu’on a appelés les "chalandonnettes" (à ne pas confondre avec les "balladurettes" et les "juppettes" qui étaient des voitures subventionnées). Il a également marqué le mandat présidentiel de Georges Pompidou sur le tout-voiture des années 1970, en augmentant massivement les infrastructures autoroutières (notamment l’autoroute A4 Paris-Strasbourg qui ne passe pas par Nancy mais plus au nord par Reims et Metz car les maires respectifs, Jean Falala et Raymond Mondon, étaient eux aussi membres du gouvernement).

Après son départ du ministère, en septembre 1972, une obscure affaire politico-financière a fait les unes pendant quelques semaines (au point d’occuper une partie de la conférence de presse de Georges Pompidou du 18 septembre 1972), à cause d’un de ses anciens collaborateurs qui a menacé de divulguer des secrets et l’existence de pots-de-vin dans des contrats d’urbanisme. Défendu par Roland Dumas, le collaborateur en question fut finalement acquitté en juillet 1974 et ce pseudo-scandale n’a finalement rien révélé du tout.

Petit retour à la période gaullienne. Lors de la discussion sur l’éventualité d’une dévaluation du franc au conseil des ministres du samedi 23 novembre 1968 (finalement, De Gaulle y a renoncé le lendemain), Albin Chalandon et Jacques Chirac, se faisant les porte-parole de Georges Pompidou écarté du pouvoir, ont soutenu l’hypothèse d’une dévaluation (Pierre Messmer aussi) contre l’avis notamment de Jean-Marcel Jeanneney, Michel Debré et Maurice Couve de Murville. Sentant que De Gaulle était contre la dévaluation, beaucoup de ministres favorables se sont dégonflé, notamment François-Xavier Ortoli (Ministre des Finances) et Edgar Faure.

Dans la politique politicienne, Albin Chalandon est resté fidèle à Georges Pompidou. Voici une petite anecdote racontée par Michèle Cotta dans ses "Cahiers secrets" : en janvier 1971, dans des rumeurs de remaniement, Jacques Chaban-Delmas (le Premier Ministre) aurait demandé à Albin Chalandon de s’allier à lui et aux barons gaullistes pour stopper l’ascension de Jacques Chirac. Albin Chalandon lui aurait répondu : « Vous avez fait tous vos coups sans moi, eh bien, continuez ! ».

Michèle Cotta a raconté aussi que le 16 avril 1971, Albin Chalandon était allé faire une visite surprise aux dockers du Havre : « Visite qui lui a appris que ses services lui présentaient un dossier truqué et que les patrons étaient plus responsables qu’on ne voulait bien le lui dire. Il a eu à la fois le culot de débarquer sur le dos des dockers en colère, sans les prévenir, et l’habileté de ne pas vouloir parler aux dockers avant d’avoir reçu leurs représentants syndicaux. ». Une manière de comprendre qu’aller sur le terrain peut permettre de s’affranchir des éléments de langage de la technostructure, et surtout de comprendre la réalité sociale.

Après sa réélection comme député en mars 1973, Albin Chalandon est devenu un baron du gaullisme comme un autre, et lors de la constitution du premier gouvernement de Jacques Chirac, à la suite de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, en mai 1974, Albin Chalandon arborait son légitimisme. Michèle Cotta a écrit le 30 mai 1974 : « Albin Chalandon, l’élégance faite homme, costume gris, chemise rayée, me raconte que, au cours de la dernière réunion des "barons" au Ministère de l’Intérieur [à la mort de Pompidou, Chirac était Ministre de l’Intérieur], Chaban a été très bien. Il a tout de suite dit qu’il ne voulait pas de règlement de compte [Chaband-Delmas s’était présenté contre Giscard d’Estaing soutenu par Chirac]. Chalandon, lui, a dit qu’il ne voulait pas la politique du pire, qu’il se sentait l’obligation de soutenir Giscard, donc de le soutenir, lui, Chirac, voilà tout. (…) "La force de Chirac, conclut Chalandon, c’est qu’il nous dit en quelque sorte : si vous me suivez, je sauve votre peau !". ».

Le 7 avril 1976, Albin Chalandon fut pressenti pour devenir le secrétaire général de l’UDR. Jacques Chirac, Premier Ministre, l’était devenu en décembre 1974 puis y avait renoncé en 1975 et André Bord a pris la suite. Mais Albin Chalandon trouvait l’idée très mauvaise, car il se serait senti en liberté surveillée. C’était une idée de Marie-France Garaud devenue volonté de Jacques Chirac. Finalement, ce fut Yves Guéna qui s’y colla, nommé le 9 avril 1976, et ravi de ces nouvelles responsabilités.

Chargé de mission auprès du Ministre de l’Industrie et de la Recherche Michel d’Ornano au cours de l’année 1976 (il démissionna de son mandat de député), Albin Chalandon fut nommé président-directeur général d’Elf-Aquitaine de 1977 à 1983. Il fut remplacé par Michel Pecqueur, puis en 1989, par Loïk Le Floch-Prigent, nommés par François Mitterrand.

Albin Chalandon a pris à cœur le devenir de cette grande entreprise et fut parfois en opposition avec le Ministre de l’Industrie André Giraud, tandis qu’il trouvait une écoute bienveillante auprès du Premier Ministre Raymond Barre. Ainsi, il voulait investir les bénéfices d’Elf-Aquitaine dans des sociétés américaines pétrolières ultrarentables. André Giraud s’y opposait. Juste avant d’aller voir, le 4 juillet 1980, Raymond Barre pour demander un arbitrage, Albin Chalandon a rencontré Michèle Cotte qui a retranscrit la conversation : « Il m’assure qu’il ne cédera sur rien. Je lui demande ce qu’il fera si Barre lui propose un poste au gouvernement. "Je n’accepterai pas, m’assure-t-il. Je veux régler ce problème avant. Pas question de "dégager" pour un poste ministériel !". ».

Autre problème avec le gouvernement, Albin Chalandon a signé avec la Libye un accord commercial le 1er décembre 1980. Mais Kadhafi ne l’a révélé qu’au début du mois de janvier 1981, au même moment qu’il a envahi le Tchad. Présenté ainsi, l’accord serait une contrepartie diplomatique de l’acceptation de cette invasion. Or, les deux choses étaient découplées. André Giraud l’a désavoué, tandis qu’Albin Chalandon, qui s’était rendu à Tripoli en novembre 1980 pour finaliser un accord après deux ans de négociations, y était allé avec l’accord tacite de l’Élysée (le Secrétaire Général de l’Élysée lui ayant fait comprendre que tout allait bien : "business is usual"). Michèle Cotta a écrit sur le sujet le 8 janvier 1981 : « André Giraud, le Ministre de l’Industrie que je questionne, fait mine de ne pas avoir été mis au courant, l’Élysée ne pipe mot. Il n’y a que Raymond Barre qui, courageusement, accepte de "couvrir" Chalandon. Ce qu’il fera d’ici à quelques jours, il le lui a assuré, en mettant fin à l’hypocrisie générale. ».

Après son départ de la tête d’Elf-Aquitaine, le scandale des avions renifleurs fut révélé par "Le Canard enchaîné" du 21 décembre 1983, montrant que l’État avait été abusé par des escrocs qui avaient imaginé des avions capables de détecter des gisements pétroliers (en plein chocs pétroliers). Cette affaire, qui a coûté cher à Elf-Aquitaine, avait commencé bien avant la présidence d’Albin Chalandon, sous celle de Pierre Guillaumat. Un ancien magistrat du parquet de Paris a écrit plus tard qu’il se serait agi d’une fausse escroquerie destinée à détourner de l’argent public pour financer les campagnes de Jacques Chirac, qui était à Matignon au moment de prendre la décision.

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Albin Chalandon est revenu dans la vie politique pour la première cohabitation. Après avoir été élu député RPR du Nord à la proportionnelle le 16 mars 1986, Albin Chalandon fut nommé Ministre de la Justice du 20 mars 1986 au 10 mai 1988 dans le second gouvernement de Jacques Chirac. Les discussions sur la constitution du premier gouvernement de la cohabitation ont suscité de nombreuses rumeurs, notamment celle d’un refus de François Mitterrand de nommer le sénateur Étienne Dailly à la Justice, François Léotard à la Défense et Jean Lecanuet aux Affaires étrangères. Albin Chalandon aurait aussi été pressent par Jacques Chirac pour occuper le Quai d’Orsay mais il aurait décliné l’offre, considérant que cette position serait fort délicate en période de cohabitation.

Le climat était à un esprit de revanche sur la victoire socialo-communiste du 10 mai 1981. Parallèlement à son collègue de l’Intérieur Charles Pasqua, le Garde des sceaux a donc appliqué une politique sécuritaire, voulant miser sur la répression et pas sur la prévention. Toute une série de réformes ont été mises en place dès la première année en 1986 : une réforme pénale (restreignant les conditions de remises de peine), une réforme pour mieux lutter contre le terrorisme, une réforme sur la comparution immédiate et une réforme sur les contrôles d’identité.

D’autres réformes furent amorcées la même année, en particulier la réforme du code de la nationalité (avec une remise en cause du droit du sol, présentée le 12 novembre 1986), le sujet le plus polémique, mais aussi des dispositions pour mieux lutter contre la consommation et le trafic de drogues, etc. Cette dernière réforme a aussi suscité des polémiques (après sa conférence de presse du 23 septembre 1986), jusqu’au sein du gouvernement et Jacques Chirac a arbitré en défaveur du Garde des sceaux. La réforme du code de la nationalité fut enterrée après la mort de Malik Oussékine et les manifestations contre le projet Devaquet, et Albin Chalandon a reconnu un peu plus tard qu’il n’était pas non plus très favorable à cette réforme qu’on lui avait demandé de présenter pour des raisons électoralistes. Albin Chalandon a aussi défendu le 14 décembre 1987 un projet de loi tendant à réprimer l’incitation et l’aide au suicide.

Cependant, malgré ces sujets très sensibles, le passage d’Albin Chalandon au Ministère de la Justice fut d’abord marqué par les prisons privées. L’idée était simple : il y a une surpopulation carcérale beaucoup trop forte, et c’était même honteux (beaucoup d’associations de droits de l’homme pointaient du doigt cette situation), et l’État n’avait plus d’argent pour construire des prisons. La solution de l’industriel Chalandon, c’était de construire des prisons privées. Le projet de loi fut présenté au conseil des ministres du 19 novembre 1986, et cela a abouti à un texte édulcoré, la loi n°87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire qui a permis la construction de vingt-cinq prisons supplémentaires inaugurées entre mai 1990 et octobre 1992. D’autres programmes furent mis en œuvre pour construire de nouvelles prisons (en particulier à Nancy dont la nouvelle prison fut inaugurée par Rachida Dati le 9 juin 2009).

Après la défaite de Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 1988, Albin Chalandon s’est retiré de la vie politique, sans pour autant s’y désintéresser puisqu’il fut le mentor de sa future successeure place Vendôme, Rachida Dati, à qui il a conseillé de faire l’école de la magistrature et de devenir juge. Il a assisté à sa prise de fonction en mai 2007 au Ministère de la Justice.

Terminons par une note affective. Albin Chalandon s’est marié le 6 juillet 1951 avec Salomé Murat, petite-fille de l’arrière-petit-fils du roi de Naples, Joaquim Murat, prince, maréchal d’Empire et beau-frère de Napoléon Ier. Après la mort de son épouse, le 23 avril 2016, il s’est remarié avec la journaliste politique Catherine Nay avec qui il vit depuis 1970. Jeune journaliste à "L’Express", Catherine Nay fut chargée, aux élections législatives de mars 1967, par son patron, JJSS, de suivre les deux (seuls) hommes intéressants de droite : VGE et Albin Chalandon. Elle a dit dans ses mémoires, sorties le 7 novembre 2019 : « J’ai détesté mai 68 parce que j’étais folle amoureuse d’Albin Chalandon. Difficile dans ce chaos de prévoir un rendez-vous. ». Elle avait 25 ans, lui 47 ans. Et cette idylle dure toujours, plus de cinquante années plus tard.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 juin 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Albin Chalandon.
René Capitant.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200729-albin-chalandon-0.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/07/30/38456675.html





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