Bioéthique 2020 (8) : diagnostic préimplantatoire (DPI) et interruption médicale de grossesse (IMG)
« Nous arrivons au terme de nos débats. Il est trois heures du matin (…). Nous sommes le 1er août et nous terminons l’examen d’un texte dont l’histoire retiendra qu’il s’est déroulé dans des conditions particulièrement rocambolesques. Nous l’avons dit et redit : on nous prive, sur un sujet aussi important, d’un vote solennel. Ce débat intervient au cœur de l’été, alors que nos concitoyens ont d’autres préoccupations, que la maladie menace notre pays, que la situation économique est celle que l’on connaît et que la difficulté s’accroît chaque jour. Ce débat en plein été, nous le devons à un décret de convocation du Président de la République ; ce sera retenu ! Seul le Président de la République peut fixer l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale en cette période de session extraordinaire. » (Marc Le Fur, député LR, le 1er août 2020 dans l’Hémicycle).
La troisième séance de l’Assemblée Nationale du vendredi 31 juillet 2020 a donc été levée le samedi 1er août 2020 à 3 heures 40 du matin. Ce fut en effet à cette heure très tardive que l’ensemble du projet de loi de bioéthique a été adopté en seconde lecture par l’Assemblée Nationale par 60 voix contre 37 sur 101 votants, avec 4 abstentions. Autant dire en catimini quand tout le monde dormait !…
J’ai déjà évoqué ce projet de loi, mais je n’ai pas évoqué les dernières discussions, celles qui ont eu lieu pendant la nuit, et pourtant, elles concernaient des articles très importants.
Les médias résumeront, et d’ailleurs, ont déjà résumé, cette adoption comme l’adoption de la PMA élargie à toutes les femmes. Hélas, ce projet de loi contient beaucoup plus que cela, des mesures particulièrement honteuses sur le statut juridique des cellules souches provenant d’embryons humains, sur la facilitation accrue de faire des manipulations sur ces cellules sans plus aucune contrainte a priori de cette recherche scientifique.
Quelques explications de vote
Avant de rendre compte notamment des articles 19 et suivants (19 bis, 19 ter, 19 quater), je propose quelques extraits des explications de vote de l’ensemble du projet de loi, qui me paraissent bien appréhender les vrais enjeux de ce vote parlementaire. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas ici de faire un compte-rendu objectif et neutre, mon propos est de signaler certains dangers de ce projet de loi. J’éviterai donc les propos laudateurs sur le "progrès" qui sont d’autant plus sans intérêt qu’ils sont biaisés.
Marc Le Fur : « Il me semble important de noter qu’un certain nombre d’articles a donné lieu à des dérives importantes. Ainsi, l’article 17 a introduit cette transgression que constituent à mes yeux les chimères et la transgenèse des embryons. Cela présente de vrais risques pour aujourd’hui, mais surtout pour demain. Nous craignons d’avoir dépassé plusieurs bornes, nous vous l’avons dit et redit. Je regrette que, dans des conditions un peu surprenantes, un simple amendement intervenu au milieu d’un débat, nous ayons élargi les condition de l’interruption médicale de grossesse. Le débat fut très bref et je crains que l’adoption de cette mesure n’ait amené des évolutions considérables. ».
Patrick Hetzel : « J’ai le regret de constater qu’une série de lignes rouges ont été franchies, comme je le craignais. (…) Les mesures adoptées résultent en un moins-disant éthique en matière de recherche (…). Je regrette également l’ouverture à la marchandisation avec l’autoconservation des ovocytes sans raison médicale. ».
Xavier Breton : « Je regrette (…) les conditions formelles du débat. Tout d’abord, ce sujet n’est pas la priorité de notre pays : nous sommes face à une recrudescence de la crise sanitaire ; la crise économique s’annonce terrible ; il est dommage de nous diviser, même, en l’occurrence, pour de bonnes raisons, alors que nous devrions nous rassembler pour viser la cohésion économique et sociale. La preuve du caractère secondaire du sujet : le Président de la République n’en a pas dit un mot dans son intervention télévisée du 14 juillet, pas plus que le nouveau Premier Ministre dans sa déclaration de politique générale. On constate donc une sorte de silence honteux de l’exécutif sur la question. Deuxième point : nous avons été davantage dans une opposition frontale que dans une logique de discussion (…). On peut regretter qu’il n’y ait pas eu cette recherche d’équilibre, chère à des collègues tels que Jean Leonetti ou Alain Claeys. ».
Emmanuelle Ménard : « Que dire de cette étrange conception de la nature humaine où des embryons humains sont manipulés comme s’ils n’étaient qu’un tas de cellules ? (…) On se souviendra de cette loi, non parce qu’elle élève notre nation mais parce qu’elle enclenche une terrible décadence éthique où finalement aucun principe ne peut être fondateur puisqu’à vos yeux, ils sont tous relatifs. ».
Thibault Bazin : « Il n’y a eu aucune recherche de consensus de la part de la majorité. C’est dommage. La version de l’Assemblée Nationale en seconde lecture est même pire que la version gouvernementale initiale. Elle contient de nouvelles dérives marchandes : l’extension, à titre expérimental, aux centres à but lucratif de la gestion des gamètes (…). Elle contient de nouvelles dérives transhumanistes : la possibilité confirmée de créer bientôt des embryons transgéniques, des gamètes artificiels à des fins de recherche, des embryons chimériques. Enfin, le ministre de la santé a tenu un discours ambigu sur les possibilités d’étendre la DPI-A en fonction des avancées du PHRC. De nouvelles dérives eugéniques ne sont pas totalement exclues. ». (Voir plus loin ce que signifient DPI-A et PHRC).
Valérie Six : « En l’absence de vote solennel, nous avons demandé, en dernier recours, un scrutin public : il permettra d’éclairer nos concitoyens sur l’expression de l’ensemble des groupes politiques. À l’issue de l’examen en séance publique, nous nous réjouissons tout particulièrement de la suppression du DPI-A. Il s’agit d’un projet dangereux et contradictoire avec nos politiques en faveur d’une plus grande inclusion. Sur la mesure phare du projet de loi, l’extension des techniques de PMA (…), nous y sommes fondamentalement opposés et craignons le glissement inexorable que l’ouverture de la PMA ne manquera pas d’entraîner. Nous déplorons, enfin, l’ajout de cette évolution sociétale dans le projet de loi. Ce choix, purement politique, a accaparé l’essentiel des débats, alors que le reste du texte comprend des sujets majeurs au regard de nos principes éthiques, tels que l’intelligence artificielle en santé, l’imagerie cérébrale, la recherche sur l’embryon ou la création de chimère, pour ne citer que certains d’entre eux. Ces mesures soulèvent des interrogations vertigineuses, sur lesquelles il faut légiférer avec une extrême prudence : ainsi de l’allongement des délais de recherche sur l’embryon ou de la création de chimères homme-animal. Gardons-nous, en ce sens, d’une démarche technicienne qui évacuerait toute réflexion éthique. (…) Notre groupe [UDI], enfin, regrette la précipitation de nos débats contradictoires eu égard à la nécessité de consensus qui s’attache aux sujets de bioéthique. Là où il fallait s’atteler à la recherche d’un équilibre, la majorité a souvent préféré avancer à marche forcée, en oubliant la place de l’enfant. ».
Pierre Dharréville : « À la lumière des débats, peut-être aurait-il fallu regarder en face les enjeux du transhumanisme et de la marchandisation. Sur le premier point, on a parfois semblé se demander pourquoi se priver de ce qui est possible, sans en interroger suffisamment les fins et les conséquences. Or travailler sur les fins suppose de se poser des questions sur les moyens, car le genre humain et son devenir y sont en cause. Sur le second point, une décision a été prise qui est grave à nos yeux : elle autorise des centres à but lucratif à pratiquer le recueil et la conservation de gamètes. Pour nous, elle abîme le projet de loi et trouble la conception de l’AMP qu’il reflète : cela pose un véritable problème. (…) Il s’agit pour nous d’une ligne rouge : on ne peut pas marchandiser ainsi des produits du corps humain qui nous sont si précieux. ».
Comme le dernier orateur cité, certains ont émis des critiques importantes (Pierre Dharréville parlait de "ligne rouge") pour expliquer ensuite qu’ils allaient quand même voter le texte. Allez comprendre que lorsqu’une disposition est grave, cela n’empêche pas de l’adopter dans sa globalité en raison d’une idéologie, celle d’étendre la PMA à toutes les femmes. Alors que la conséquence logique pour un projet de bioéthique, c’est que si une seule mesure dépassait la ligne rouge (c’est-à-dire, allait à l’encontre de ce qu’on croit être le genre humain), alors il faudrait rejeter tout le texte en bloc lors du vote définitif. Je reste donc très dubitatif sur la sincérité de ces critiques auprès de certains groupes.
Maintenant, je propose d’aborder quelques sujets, pas encore abordés dans mes précédents articles, sur certaines dispositions de ce projet de loi, adoptées (ou pas) en seconde lecture.
Le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (DPI-A)
Ici, je suis (momentanément) rassuré par le texte adopté car une partie adoptée par la commission spéciale a finalement été heureusement supprimée par les députés en séance publique. Il s’agissait de l’article 19 bis.
Actuellement, le diagnostic préimplantatoire (diagnostic réalisé par prélèvement et caractérisation d’une cellule d’un embryon obtenu par fécondation in vitro pour PMA) est régi selon l’article L2131-4 du code de la santé publique, selon les articles 21 et 23 de la loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 (la précédente loi de bioéthique). Il « n’est autorisé qu’à titre exceptionnel » dans certaines conditions bien précises, en particulier quand il y a une forte probabilité que l’embryon soit atteint d’une maladie génétique héréditaire.
Et que disait l’article 19 bis adopté par la commission spéciale le 3 juillet 2020 ? Il donnait clairement le passeport d’un futur tri d’embryons lors de la PMA : « À titre expérimental et pour une durée de trois ans, l’État peut autoriser deux établissements parmi ceux autorisés par l’Agence de la biomédecine au titre de l’article L2131-4 du code de la santé publique à étendre le diagnostic mentionné au même article L2131-4 à la numération des autosomes. ».
Pour comprendre, un autosome est un chromosome non sexuel. En clair, l’article proposait ni plus ni moins de savoir s’il y avait une trisomie (en particulier 21) dans l’embryon humain avant implantation dans l’utérus. On parle d’aneuploïdie qui signifie qu’une cellule ne possède pas le nombre normal de chromosomes (c’est le cas pour une trisomie 21).
Cela pose de graves problèmes, notamment celui du handicap : les personnes trisomiques 21 ainsi que leurs parents pourraient être particulièrement stigmatisés par cette mesure, d’autant plus que, par ailleurs, la législation tend à favoriser ce qu’on appelle la "société inclusive", c’est-à-dire tend à permettre aux personnes en situation de handicap de pouvoir vivre dans la société dans les meilleures conditions possibles.
Un tel diagnostic préimplantatoire dirait aux parents ou même à l’enfant trisomique : vous êtes stupides, avec le DPI, vous pouviez éviter de commencer le processus visant à la naissance de cet enfant trisomique. Pourtant, malgré les difficultés, des familles ont réussi à vivre heureuses, avec amour, même si la vie est loin d’être facile tous les jours. Il y a un côté utilitariste de ce genre de conception de DPI qui voudrait aboutir à un "enfant sans défaut".
Aude Bono-Vandorme a fait part de son étonnement : « La commission spéciale [a] cru bon revenir sur des dispositions que nous avions repoussées en première lecture. La question nous est donc posée à nouveau : faut-il permettre un diagnostic préimplantatoire avec recherche d’aneuploïdies visant à trier les embryons ayant des anomalies du nombre de chromosomes ? ».
La députée a alors cité l'ancienne ministre Agnès Buzyn lors de l’examen en première lecture : « On aboutit ainsi au mythe de l’enfant "sain". (…) L’étape suivante, le glissement naturel, c’est d’aller chercher d’autres maladies génétiques fréquentes. ». Et la députée de poursuivre : « Elle concluait (…) en soulignant qu’il ne fallait pas faire croire aux parents qu’on réglerait tous les problèmes avec ces tests. Concrètement, quelles seraient les maladies à rechercher, et qui en déciderait ? Pour elle, il y avait là, éthiquement, "une dérive eugénique claire", l’analyse génétique des embryons devant aboutir à une société qui n’aura pas décidé d’être eugéniste, mais au sein de laquelle tout le monde voudra demander un enfant sain. Les couples qui procréent naturellement pourraient donc s’en trouver désavantagés et être amenés à demander une PMA. Or, qui voudrait implanter un embryon atteint de trisomie 21 ? Nous glisserions vers le tri d’embryons. "C’est horrible, une société eugéniste", ajoutait Mme Buzyn, précisant qu’il s’agissait d’une "dérive (…) qu’on ne verra même pas venir". Alors, pourquoi rouvrir le débat ? ».
Et probablement qu’Aude Bono-Vandorme a donné le meilleur argument : « J’ai entendu prononcer à de nombreuses reprises dans cette enceinte le mot "amour" pour défendre ce texte. Autoriser le tri d’embryons est un message d’intolérance et de rejet des personnes différentes. Ce n’est en rien de l’amour. Mes valeurs sont celles d’une société inclusive qui accepte les différences : j’ai la certitude que l’on peut grandir avec elles. L’humanité ne se construit pas dans les laboratoires. ».
Le Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, qui avait voté pour cet article 19 bis en première lecture (en tant que député), a répondu ainsi : « La question du DPI-A, ou diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies, est très compliquée d’un point de vue éthique et, surtout, d’un point de vue scientifique et médical. En tant que toubib, médecin qui veut faire progresser la recherche et reculer les problèmes de santé quels qu’ils soient, j’ai tendance à l’approuver, sur le principe, la démarche qui consiste à autoriser le diagnostic préimplantatoire à la recherche d’une aneuploïdie pour éliminer les risques de malformations et d’anomalies chromosomiques susceptibles d’entraîner une fausse-couche ou l’apparition de problèmes de santé graves pour un enfant. ».
De plus, Olivier Véran ne croit pas à une dérive eugéniste : « Je ne crois pas à l’argument de l’eugénisme. Je considère que ni les parents engagés dans une démarche de DPI-A ni les médecins désireux que soient pratiqués ces diagnostics n’ont une vision eugéniste de la société ou l’intention d’éliminer un enfant parce qu’il serait porteur d’une anomalie chromosomique. Je n’y crois pas. ». En ce sens, Agnès Buzyn était plus méfiante puisqu’elle expliquait que cette société eugéniste se ferait sans qu’on n’en ait conscience. Apparemment, le ministre actuel n’aurait pas la même vigilance.
Cependant, Olivier Véran a proposé la suppression de l’article 19 bis pour que la recherche se fasse dans le cadre de programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) sur trois ans (au lieu d’être inscrite dans la loi).
Thibault Bazin est lui aussi opposé à l’article 19 bis : « Si on légalise le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies en créant un droit de trier les embryons ab initio en fonction du génome, avec des embryons qu’on pourrait qualifier d’imparfaits, on crée une tentation et on permet finalement une forme de dérive potentielle, le recours à la PMA devant permettre d’être certain, même sans problème de fertilité, d’avoir un enfant génétiquement correct. (…) Derrière cette question, il y a celle de l’acceptation des personnes différentes et vulnérables, et de notre rapport au handicap. Notre société acceptera-t-elle, demain, l’existence de personnes atteintes d’un handicap ? Par cohérence avec la volonté de rendre la société de plus en plus inclusive, il ne faudrait pas initier des démarches qui iraient en sens inverse. ».
La députée Blandine Brocard s’est, elle aussi, interrogée : « Pouvez-vous, par exemple, m’expliquer pourquoi ceux-là mêmes d’entre vous qui fustigent le tout business et le tout commercial sont parmi les premiers à appeler de leurs vœux l’autorisation et la généralisation de techniques impliquant forcément le développement de nouveaux marchés économiques au détriment de la fragilité et de l’âme même de notre humanité ? ». Autre question : « À l’heure où l’écologie tient le devant de la scène et pèse dans toutes les décisions que nous sommes amenés à prendre, à l’heure où nous constatons les dramatiques méfaits de l’action de l’homme sur la nature et les limites du tout technologique sur notre environnement et sur notre humanité même, comment pouvons-nous encore décider d’être, envers et contre tout, maîtres et possesseurs de la nature ? ».
Et de conclure : « Quelle société voulons-nous ? Une société qui refuse tout signe de faiblesse et de vulnérabilité ? Ou bien une société qui prend soin des plus faibles et des plus vulnérables ? Oui, notre humanité est fragile et c’est ce qui fait sa beauté. La rationaliser à tout prix, à n’importe quel prix, c’est lui faire perdre son âme. Soyons imparfaits, acceptons de ne pas tout maîtriser et contrôler pour, au contraire, préserver notre humanité, dans son environnement naturel. Nous allons vers un monde uniforme où le différent est éradiqué, à l’opposé d’une société inclusive que l’on prétend vouloir construire avec les personnes fragiles. Comment peut-on aller vers une société inclusive si l’on commence par dire que ces personnes ne doivent pas exister ? C’est de notre humanité profonde qu’il est question, de notre relation à l’altérité, à la différence, à la fragilité. N’est-ce pas ce qu’on appelle fraternité ? ».
Marie Tamarelle-Verhaeghe est également intervenue dans le même sens : « Certains avancent que le diagnostic de la trisomie 21 permettrait d’éviter une interruption médicale de grossesse en empêchant l’implantation d’embryons atteints. Mais cet argument interroge sur la finalité du DPI-A : éviter les fausses couches ou éviter l’implantation d’embryons susceptibles de présenter des anomalies chromosomiques ? L’article 19 bis est perçu de façon très douloureuse par nombre d’associations et de parents d’enfants touchés par le handicap, qui y voient une intention d’éliminer les enfants qui pourraient être porteurs de cette anomalie, et donc, comme une négation de leurs enfants ou comme une violence qui leur est faite. ».
Aurore Bergé a soutenu aussi la suppression de ce dispositif : « Sur ce sujet, je n’ai pas varié depuis la première lecture : je persiste à penser que nous franchirons l’une des bornes éthiques que ce texte entend défendre si nous inscrivions l’accès au DPI-A dans la loi. Ce texte de révision de lois de bioéthique, par sa nature, doit créer des droits nouveaux comme la PMA pour toutes, mais aussi poser des interdits, et le DPI-A doit rester un interdit majeur. (…) Le DPI-A ne doit pas intégrer notre droit. ».
Agnès Thill a repris l’argument de l’amour utilisé par ses contradicteurs : « Accepter d’avoir un enfant, c’est accepter un mystère ; c’est accepter de ne pas savoir comment il sera ; c’est accepter ce qu’il sera. Le moment est venu de réfléchir véritablement à cet amour dont vous parliez : de quel amour s’agit-il ? Pour aimer un enfant, faut-il qu’il soit comme on veut qu’il soit ? Est-ce vraiment aimer quelqu’un que de l’aimer comme on veut qu’il soit ? Ce serait trop facile. Aucun enfant n’est comme on veut et c’est tant mieux. Je ne veux pas d’un monde qui ferait l’être humain comme on le veut ! ».
De même, dans son unique intervention dans ce débat, Dominique Potier, qui a été très actif dans le passé sur la bioéthique, a exprimé son point de vue très clairement : « Je l’ai dit en première lecture, le texte [de l’article 19 bis] suscite en moi une opposition radicale, pour des raisons philosophiques et anthropologiques. (…) La manière dont vous en avez énoncé les termes n’est pas satisfaisante, monsieur le ministre. Je tiens à dire d’emblée que l’idée même d’un ordre naturel ou ancien comme seul justificatif du bien commun m’est totalement étrangère. Je crois profondément à la République comme cadre et creuset où s’affrontent et se cherchent des options intellectuelles et spirituelles en vue de construire une vérité toujours inachevée. Dès lors, le clivage entre progressistes et conservateurs est totalement désuet ; c’est même une supercherie intellectuelle. Il n’y a ni progressistes ni conservateurs, mais des chercheurs de vérité qui se respectent, s’écoutent et peuvent partager une quête humaniste dont nous devons leur faire crédit. Le pire consisterait à considérer, comme on n’a cessé de le faire à propos de ce projet de loi, que la modernité et l’évolution de la société s’imposent à la manière d’un absolutisme nouveau. L’archaïsme, c’est la modernité présentée comme un absolu. Il faut combattre cette idée, politiquement et philosophiquement. Puisque la science et la technique nous permettent de dépasser des limites anciennes, ce qui importe n’est pas d’être modernes ou anciens, mais de savoir ce qui nous humanise ou non. ».
Concrètement, sur le texte, Dominique Potier était plus que dubitatif : « Nous ne sommes pas des poissons isolés dans l’océan, nous nageons en banc : chaque fois que l’un de nous agit, cela retentit jusqu’au bout du monde et sur l’ensemble de la société. Je le dis au nom d’une valeur de la gauche qui n’est pas libertaire, qui peut sembler conservatrice, mais que je revendique. J’avoue un sentiment de vertige à l’idée que l’on entérine une filiation lacunaire, un droit à concevoir seul, que l’on interroge ainsi les principes mêmes qui fondent la médecine et la sécurité sociale. Incidemment, prend corps l’idée même d’une conception sur mesure réduisant l’être humain à sa matérialité. ».
Et de terminer ainsi : « Mes questions, sans réponse évidente, portent sur les conséquences pour l’enfant comme personne, mais également pour la société dans le temps long. Mon alerte la plus vive, qui justifie à elle seule que je n’aie pas voté le projet de loi en première lecture et que je m’apprête à nouveau à ne pas le faire, est le risque d’une marchandisation accrue du vivant, non délibérée, par une dérive de l’individualisme libéral. En nous affranchissant de certaines limites, nous consentirons ainsi à une nouvelle servitude. Pour paraphraser Camus, chaque génération a la responsabilité d’engendrer la suivante. Rappelons-nous avec lui (…) que l’on peut attacher de la valeur à l’idée que notre humanité se grandit moins dans la manifestation de sa toute-puissance que dans son attention au fragile. ».
Marc Delatte a évoqué aussi les faibles connaissances finalement qu’on a actuellement : « Peut-être certains d’entre nous, moi le premier, car je n’ai pas fait de test ADN récréatif, sont-ils porteurs sans le savoir d’une anomalie génétique, qui ne s’est simplement pas exprimée. Pour ce qui est du mosaïcisme, une équipe de recherche de l’Université de l’Oregon, à Portland, a mené une étude dont les résultats suggèrent que les embryons mosaïques sont capables, notamment à un stade très précoce, d’empêcher le développement de certaines cellules dites anormales. (…) L’implantation d’un embryon en mosaïque pourrait ainsi déboucher sur une grossesse tout à fait normale et sur la naissance d’un enfant tout à fait sain. Tout ceci pour souligner que nos connaissances scientifiques en la matière sont loin d’être abouties. C’est ce que disent les membres du Comité consultatif national d’éthique, dont je fais partie : le sort d’une personne est loin d’être scellé dans ses gènes. ».
Comme on le voit, le débat à propos du DPI-A a été très riche et soutenu. Notons aussi que le corapporteur Philippe Berta a pris la défense du DPI-A avec beaucoup de conviction et d’humanité, son argumentation se basant sur la capacité à faire que les embryons implantés soient viables et puissent aller jusqu’au terme de la grossesse : « Le but n’est donc pas de sélectionner, puisque le tri est fait en fonction de la pathologie : il s’agit de choisir un embryon viable. ». En dehors de la trisomie 21, la plupart des autres trisomies engendrent généralement des fausses couches et empêchent le projet parental.
À 23 heures 50, une très large majorité s’est dégagée pour la suppression de cette possibilité de DPI-A : 78 voix contre 24 et 6 abstentions. C’est une bonne nouvelle, une digue de l’éthique n’a pas été franchie, celle, grave, du tri d’embryons.
L’interruption médicale de grossesse (IMG)
En revanche, une disposition concernant l’interruption médicale de grossesse (IMG) a été adoptée de façon très rapide et de manière imprévue, par ce qu’on appelle un cavalier législatif (c’est-à-dire, un amendement qui profite d’un projet de loi pour être inscrit dans la loi sans en être réellement l’objet).
L’amendement 524 soutenu par Marie-Noëlle Battistel et par la délégation aux droits des femmes vise à préciser (à inclure) "ce péril pouvant résulter d’une détresse psycho-sociale" dans le 3e alinéa de l’article 20 sur l’IMG : « Lorsque l’interruption de grossesse est envisagée au motif que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, ce péril pouvant résulter d’une détresse psycho-sociale, l’équipe pluridisciplinaire chargée d’examiner la demande de la femme comprend au moins… etc. ».
Le corapporteur Jean-François Eliaou était opposé à cet amendement car sur le fond, la détresse psycho-sociale de la femme est déjà prise en compte en cas de demande d’IMG, d’autre part : « Le problème n’est pas le droit, mais la pratique. (…) Oui, l’IMG constitue une possibilité, et la santé de la femme doit être prise dans sa globalité, dont fait partie la santé mentale. Toutefois, le préciser dans ce texte me gêne. Puisque cette possibilité existe déjà dans la loi, pourquoi la rappeler ? (…) Enfin, je crains qu’on n’envoie, en inscrivant cette précision dans la loi, un signal complexe sur la frontière entre IVG et IMG. ».
L’enjeu fut donc donné crûment : en évoquant les considérations psychosociales, ce qui reste très flou, on peut effectivement transformer l’IVG en IMG. Or, la grande différence entre les deux, c’est que l’IVG doit se faire avant les 12 semaines de grossesse, tandis que l’IMG peut être effectuée à tout moment, même au-delà des 12 semaines légales. On imagine aisément qu’une femme qui souhaiterait faire une iVG mais qui s’y prendrait trop tard pourrait ainsi demander une IMG sans qu’on puisse réellement s’y opposer, si l’amendement 524 était adopté.
La position du secrétaire d’État Adrien Taquet, le seul représentant de l’État, a semblé s’en laver les mains, comme Ponce Pilate : « Je suis sensible à l’argument du rapporteur : pourquoi introduire dans la loi un seul motif, à l’exclusion de tous les autres, d’autant qu’il est difficile de décrire la détresse psychosociale d’une femme ? Cependant, parce qu’il comprend et partage votre objectif, le gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée. ».
L’amendement a été adopté avec un très court débat contradictoire et sans vote public alors qu’il est très important et grave. Il semblerait que l’opposition n’ait pas percuté sur les conséquences de cet amendement qui pourrait transformer une IVG en IMG sans limitation dans le temps. Cela va à l’encontre totale de l’esprit de la loi que Simone Veil avait défendue il y a plus de quarante-cinq ans.
Révision des lois de bioéthique : fréquence de révision
La fréquence est actuellement de tous les sept ans, mais il est vrai que le monde va beaucoup plus vite, notamment le monde de la technologie. La majorité voulait ainsi augmenter la fréquence de révision de ces lois, tous les cinq ans (article 32 du texte).
Cependant, je trouve qu’un tel rythme est beaucoup trop fréquent car avant de faire de nouvelles lois, il faut avoir le temps d’évaluer les anciennes. La bioéthique est un temps long, pas un temps court, et en donnant une fréquence tous les cinq ans, cela signifie que chaque Président de la République pourrait faire son "petit caprice" avec la bioéthique, comme chaque Président de la République voudrait faire son "petit caprice" avec les institutions en cherchant à les réformer. Mais la différence, c’est qu’on ne peut pas réviser la Constitution sans l’accord à la fois de l’Assemblée Nationale et du Sénat, et éventuellement du Congrès ou du peuple français.
Réduire la durée entre deux lois de bioéthique me paraît donc participer à l’instabilité législative sur des sujets ultrasensibles. L’amendement 1429 défendu par Pierre Dharréville vise ainsi à conserver la durée à sept ans (au lieu de cinq ans voulus par la commission spéciale). La corapporteure Laëtitia Romeiro Dias a pour sa part émis un avis défavorable à cette fréquence tous les sept ans pour en rester à la version de la commission spéciale : tous les cinq ans. Quant au gouvernement, il n’a pas d’avis sur la question (ce qui est très étrange !!!).
À la surprise générale, l’amendement 1429 a été finalement adopté contre l’avis de la commission spéciale. Je m’en réjouis. De quoi faire dire à Thibault Bazin : « On sent un certain flottement ! ».
En fait, à mon sens, le plus pertinent serait de constitutionnaliser les lois de bioéthique. Pourquoi ? Parce que, comme cela a été dit par des orateurs opposés au vote final du projet de loi de bioéthique, une loi de bioéthique doit faire le consensus dans la représentation nationale. Les sujets touchent à la conscience individuelle et rarement à des postures politiques, les sujets sont ultrasensibles et le pays doit prendre des décisions dans ces domaines avec un relatif consensus.
Or, l’expérience de ce projet de loi de bioéthique, c’est que la majorité a refusé le principe du choix consensuel. Au contraire, la commission spéciale a voulu mener la danse sous la houlette d’un "ultra", Jean-Louis Touraine, rapporteur général du projet de loi, et cela d’autant plus que la majorité était très divisée sur certains sujets. Donc, l’idée d’écouter l’opposition était assez éloignée des préoccupations gouvernementales, dans la mesure où le gouvernement voulait en revenir à la version adoptée en première lecture.
En donnant une valeur constitutionnelle aux lois de bioéthique, on obligerait le législateur à trouver, à construire un réel consensus, et pas seulement un texte simplement majoritaire et de circonstance (dictée par les sondages).
Le processus législatif suit son cours. Le texte adopté ce samedi 1er août 2020 à 3 heures 40 du matin va être déposé sur le bureau du Sénat pour un examen au Sénat. Cela ne se fera pas immédiatement, puisque, pour l’heure, le Sénat est pleinement absorbé par son renouvellement de moitié pour dans un mois et demi…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 août 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bioéthique 2020 (8) : diagnostic préimplantatoire (DPI) et interruption médicale de grossesse (IMG).
Bioéthique 2020 (7) : l’inquiétante instrumentalisation du vivant.
Document : le rapport approuvé le 3 juillet 2020 de la commission spéciale de l’Assemblée Nationale sur la bioéthique (à télécharger).
Bioéthique 2020 (6) : attention, un train peut en cacher un autre !
Vincent Lambert.
La Charte de déontologie des métiers de la recherche (à télécharger).
Claude Huriet.
Document : le rapport approuvé le 8 janvier 2020 de la commission spéciale du Sénat sur la bioéthique (à télécharger).
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
La PMA et ses sept enjeux éthiques.
Les 20 ans du PACS.
Harcèlement sexuel.
Pédophilie dans l’Église catholique.
Le projet de loi sur la bioéthique adopté par les députés le 15 octobre 2019.
Texte du projet de loi sur la bioéthique adopté le 15 octobre 2019 par l’Assemblée Nationale (à télécharger).
Quel député a voté quoi pour la loi sur la bioéthique ? Analyse du scrutin du 15 octobre 2019.
Attention, les embryons humains ne sont pas que des "amas de cellules" !
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
Chaque vie humaine compte.
L’embryon puis le fœtus est-il une personne humaine ?
La PMA.
Le mariage pour tous.
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La peine de mort.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Jacques Testart.
Simone Veil.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200801-bioethique.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/bioethique-2020-8-diagnostic-226168
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/08/02/38461734.html