Nouvelle-Calédonie : le vent du boulet ?
« Mes chers compatriotes, depuis plus de trente ans, nous parcourons ensemble un chemin inédit. Nous regardons en face notre histoire en Nouvelle-Calédonie, qui est une histoire coloniale. Et nous cherchons à la dépasser, pour ne pas qu’elle nous enferme. Nous savons aujourd’hui que nous sommes à la croisée des chemins. » (Emmanuel Macron, le 4 octobre 2020 à l’Élysée).
Ce dimanche 4 octobre 2020, les 180 598 électeurs néo-calédoniens inscrits sur les listes électorales ont été convoqués pour le deuxième référendum sur l’indépendance, prévu par les Accords de Nouméa du 5 mai 1998 (lire plus précisément ici). Le premier référendum avait eu lieu le 4 novembre 2018 et avait dégagé une solide avance pour les partisans du maintien dans la République française avec une forte participation.
La participation à ce référendum de 2020 a été encore plus forte qu’il y a deux ans, puisqu’elle s’est élevée à 85,64% des inscrits (81,01% en 2018). En revanche, les résultats se sont très resserrés puisque les partisans du maintien dans la République ne sont plus que 53,26% des suffrages exprimés au lieu de 56,67% en 2018. L’apport en participation a donc plutôt avantagé les indépendantistes sur les loyalistes.
Si l’on regarde en absolu (nombre d’électeurs), en sachant qu’il y a eu un peu plus d’électeurs inscrits qu’en 2018 (174 165 en 2018, 180 598 en 2020), le nombre d’électeurs indépendantistes a progressé de 60 199 à environ 70 130 (au maximum, 72 290, je n’ai pas encore, à cette heure, le nombre de bulletins nuls et blancs). En gros, il y a eu entre 2018 et 2020 un apport d’environ 10 000 électeurs supplémentaires choisissant l’indépendance. Certes, comme la participation et le nombre d’inscrits étaient en hausse, il y a eu aussi une progression (en absolu) du nombre d’électeurs loyalistes, de 78 734 en 2018 à environ 81 130 (au maximum 82 374), ce qui ne fait qu’une hausse de 1 000 voire 2 000 électeurs, loin des 10 000 pour le "oui" à l’indépendance. À ce rythme-là, lors de l’éventuel troisième référendum avant 2022, les électeurs indépendantistes pourraient donc être majoritaires.
Cependant, pour l’heure, dans une courte allocution télévisée, le Président Emmanuel Macron a salué la victoire des loyalistes : « Les électeurs se sont exprimés. Ils ont majoritairement confirmé leur souhait de maintenir la Nouvelle-Calédonie dans la France. En tant que chef de l’État, j’accueille cette marque de confiance dans la République avec un profond sentiment de reconnaissance. J’accueille également ces résultats avec humilité : j’entends la voix de celles et ceux qu’anime la volonté de l’indépendance et je veux leur dire : c’est avec vous, ce n’est qu’ensemble que nous construirons la Nouvelle-Calédonie de demain. ».
Ce bémol présidentiel, la forte "résistance" du courant indépendantiste, a aussi été exprimé à propos de la campagne référendaire : « Cette deuxième campagne référendaire a certes connu des soubresauts ; elle a été marquée par davantage de tensions, d’oppositions. C’est la logique propre au référendum. ». Pourtant ces tensions n’étaient pas si présentes lors du premier référendum.
L’un des signes que les deux camps commencent à se "radicaliser", c’est justement la forte participation. Comme lors des précédents scrutins, il y a trois provinces, les indépendantistes sont largement majoritaires dans la Province du Nord et dans les Îles Loyauté, tandis que les loyalistes sont largement majoritaires dans la Province du Sud (Nouméa). Et cette mobilisation s’est faite au profit des indépendantistes.
Ainsi, la Province du Nord est passée de 86,0% à 88,7% de participation, et de 75,8% à 77,8% en faveur de l’indépendance. Les Îles Loyauté de 61,2% à 74,9% de participation, et de 82,2% à 84,3% en faveur de l’indépendance. Tandis que la Province du Sud est passée de 83,0% à 86,6% en participation, mais de 74,1% à seulement 70,9% en faveur du maintien dans la République. Ainsi, la lente progression des indépendantistes pourrait atteindre la majorité lors d’un troisième référendum, si, en face, aucun projet d’avenir au sein de la République n’est proposé pour intégrer complètement ceux qui, parmi les indépendantistes, se sentent encore trop exclu de la société et de l’économie.
Ce troisième référendum est politiquement inéluctable même si juridiquement, il pourra être un peu plus compliqué à organiser que les deux précédents. Néanmoins, il est l’une des conditions de l’Accord de Nouméa qui est un accord de paix que toutes les parties, les trois parties (indépendantistes, loyalistes, État), doivent respecter pour pérenniser la paix en Nouvelle-Calédonie.
Le plus dur est devant nous, car la société néo-calédonienne reste morcelée et nouveau référendum ou pas nouveau référendum, la Nouvelle-Calédonie devra, dans tous les cas, sortir du cadre institutionnel prévu par l’Accord de Nouméa. Il s’agira donc de préparer un nouveau cadre institutionnel, cette fois-ci définitif et pas transitoire, que ce soit dans le cadre de la France ou en dehors. Et ce cadre institutionnel devra également être approuvé par référendum, si bien que ce troisième référendum est doublement une nécessité : d’une part, les indépendantistes, renforcés par leur forte progression, le demanderont assurément ; d’autre part, il faut sortir de l’Accord de Nouméa d’ici à 2022 et donc la France voudra aussi ce référendum pour définir des institutions pérennes.
C’est le sens de l’allocution présidentielle : « Il nous revient tous ensemble de préparer cet avenir. Le moment est en effet venu de répondre et d’appréhender les conséquences concrètes de tous les scénarios. Et l’État, sans se départir de son impartialité garanti par les Accords de Matignon s’engagera dans cette voie. (…) Nous aurons aussi besoin de l’ensemble des formations politiques nationales qui, dans le cadre du débat démocratique, auront à dessiner leur vision de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Je les y invite. (…) Nous avons, devant nous, deux années pour dialoguer et imaginer l’avenir, et pas seulement l’avenir institutionnel. ». (On notera au passage que dans deux ans, ce sera un autre quinquennat).
Et Emmanuel Macron d’énumérer les grands enjeux pour la Nouvelle-Calédonie : « Lors de ma visite en 2018, j’avais évoqué trois défis : l’indopacifique ; le développement économique ; le défi climatique dont on mesure chaque jour un peu plus combien il est prégnant, urgent. À ces défis, comme ceux de l’éducation ; de l’agriculture, de l’industrie et de l’énergie ; du tourisme, des services et de la mer ; des alliances et des solidarités régionales ; de la sécurité au quotidien ; de l’égalité entre les femmes et les hommes, à tous ces défis, nous ne pouvons bien sûr répondre par "oui" ou par "non". Embrasser l’ensemble de ce qui permet de bâtir un nouveau projet sera au cœur des initiatives que prendra le gouvernement dans les prochains jours. ».
Tout le monde n’est pas Michel Rocard qui a réussi l’exploit d’en finir avec la guerre civile et de permettre un dialogue pacifique entre deux camps qui aiguisaient leurs antagonismes. Les tensions de 2020 pourraient s’amplifier et rendre la situation d’autant plus compliquée en Nouvelle-Calédonie que la bataille présidentielle va commencer sur tout le territoire de la République. Il y a une petite contradiction à refuser tous les séparatismes, comme Emmanuel Macron l’a répété dans son discours le 2 octobre 2020 aux Mureaux, et il a raison d’insister sur l’unité et l’indivisibilité de la République, et à institutionnaliser en Nouvelle-Calédonie la partition sociale en entités purement ethniques ou communautaires.
Tout le monde devra donc porter attention sur ce risque d’une nouvelle explosion de la violence. Le vivre ensemble, plus que jamais, va devoir se décliner rapidement et politiquement en Nouvelle-Calédonie. Pas sûr que ce soit un enjeu qui intéresse les Français hors de Nouvelle-Calédonie.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Nouvelle-Calédonie : le vent du boulet ?
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 4 octobre 2020 sur la Nouvelle-Calédonie.
Résultats du référendum du 4 octobre 2020 en Nouvelle-Calédonie.
Nouvelle-Calédonie : bis repetita ?
Jean-Marie Tjibaou fut-il un martyr de la cause kanake ?
Nouvelle-Calédonie : un timide oui pour la France.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 4 novembre 2018 sur la Nouvelle-Calédonie.
Résultats du référendum du 4 novembre 2018 en Nouvelle-Calédonie.
Paris à l’écoute de la Nouvelle-Calédonie.
Discours du Président Emmanuel Macron le 5 mai 2018 à Nouméa.
Discours du Premier Ministre Édouard Philippe le 5 décembre 2017 à Nouméa.
L’assaut de la grotte d’Ouvéa selon Michel Rocard.
Jacques Lafleur.
Dick Ukeiwé.
Edgard Pisani.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201004-nouvelle-caledonie.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/nouvelle-caledonie-le-vent-du-227569
https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/09/20/38544152.html