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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
22 septembre 2020

L’extrême centrisme de Frère Michael Lonsdale

« Ce doux mystique a travaillé avec les plus grands (Bunuel, Welles, Truffaut, Eustache, Spielberg…) sans cesser d’expérimenter, en s’aventurant dans l’avant-garde, en devenant même une sorte de parrain pour la nouvelle garde du cinéma français (Bruno Podalydès, Thierry Jousse, Sophie Fillières, Nicolas Klotz…). Jamais installé, Lonsdale. Toujours, il chemine, lentement, migre à travers les continents et les époques. À la fois pèlerin et mammouth. » (Jacques Morice, "Télérama", 2010).



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Quelle tristesse d’apprendre la mort de Michael Lonsdale, ce géant du cinéma et du théâtre, qui s’est éteint dans son sommeil à Paris ce lundi 21 septembre 2020 à l’âge de 89 ans (il est né le 24 mai 1931 à Paris). Selon le journal lyonnais "Le Progrès", le cardinal Philippe Barbarin (ancien archevêque de Lyon) était à ses côtés, à son chevet, la veille de sa mort. D’origine franco-britannique et irlandaise, Michael Lonsdale s’était converti au catholicisme en 1953 et a toujours montré un intérêt très fort pour la religion (ce qui lui a valu le rôle qui lui a donné la consécration de la profession).

C’est un peu commun de dire qu’un acteur dégage une forte présence dans une œuvre, puisque c’est justement le rôle de l’acteur d’être présent et de faire exister par lui une œuvre (théâtrale ou cinématographique). Ce l’est donc pour Michael Lonsdale mais en plus fort encore. Car dans ses plus de cent cinquante films auxquels il a participé, il n’a eu souvent que des rôles mineurs, ou, plus exactement, secondaires, mais sa présence justement n’en faisait plus des rôles mineurs : sa voix très grave, très rassurante, enfin, aussi rassurante qu’un médecin qui cherche à ménager son patient avant de confirmer un méchant diagnostic, était là pour rappeler sa présence. Le comédien chuchotait à ses débuts, parlait à voix trop basse.

Michael Lonsdale a été formé au cours d’art dramatique de Tania Balachova, il y avait Antoine Vitez, Jean-Louis Trintignant, etc. Au théâtre, il a joué dans une soixantaine de pièces de grands auteurs comme Samuel Beckett, Marguerite Duras, Friedrich Dürrenmatt, François Billetdoux, Eugène Ionesco, Georges Perec, Aimé Césaire, etc. Il aimait tellement le théâtre qu’il a créé en 1972 le Théâtre musical des Ulis (subventionné). Mais il n’a pas voulu entrer à la Comédie-Française, il voulait garder son indépendance et éviter les sentiers battus, créer de nouveaux personnages et de nouvelles pièces.

Au cinéma, Michael Lonsdale a joué avec les plus (ou moins) grands réalisateurs (en plus de la liste citée plus haut et ceux cités plus loin, rajoutons notamment Louis Malle, Jean-Pierre Mocky, Gérard Oury, Michel Deville, Yves Robert, René Clément, Gilles Grangier, Marcel Carné, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Bertrand Blier, Milos Forman, Yves Boisset, Georges Lautner, etc.), dans des types de film très diversifiés, des rôles aussi très divers mais souvent inquiétants, lugubres, mystérieux, voire méchants, ou alors dans des rôles d’autorité (prêtre, policier, ministre, etc.). Aussi dans de nombreuses productions anglophones (puisqu’il était bilingue).

Dans les dernières années de sa vie, il arborait une barbe gris blanc avec des cheveux de même couleur, un peu à la manière de Panoramix ou d’un Père Noël (sans le déguisement), et pourtant, il n’était pas si éloigné, en look, de ses jeunes années. Des cheveux coiffés toujours de la même manière, une bouche très délicate qui laissait échapper l’esprit de finesse là où les yeux quasi-autoritaires imposaient une certaine soumission confortée par la voix. La corpulence aussi complétait l’esprit de terreur dont il pouvait se couvrir en cas de besoin.

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Oui, Michael Lonsdale faisait partie du cinéma français des belles années au même titre que de nombreux prodigieux acteurs comme Michel Bouquet, Jean-Pierre Marielle, Michel Aumont, Claude Piéplu, Jean Rochefort, Jean Bouise, Jacques François, Claude Rich, Michel Piccoli, etc. Il lui manqua sans doute quelques premiers rôles dans des grands films, mais cette frustration est très fréquente dans la profession, comme l’a confié Jean Piat pas mécontent d’avoir privilégié le théâtre sur le cinéma.

Dans "Hibernatus" d’Édouard Molinaro (sorti le 10 septembre 1970), Michael Lonsdale est le médecin expert en hibernation. Son ton posé en fait un médecin très crédible, et on aurait même pu l’imaginer sur les plateaux de télévision parler du covid-19 ces derniers mois. Il s’est bien entendu avec Louis de Funès qu’il qualifiait pourtant de "tyran" sur le plateau du tournage : « J’ai compris très vite qu’il fallait toujours improviser, ne pas chercher à caser ses répliques, car lui était incapable de dire une réplique normalement. (…) Moi, je jouais plutôt avec ce qu’il faisait, du coup, on s’est amusé, il était content que je sois à l’aise dans l’impro et m’a félicité. (…) Madame de Funès débarquait souvent sur les plateaux pour demander aux gens, mine de rien, leurs opinions politiques, histoire de vérifier qu’il n’y avait pas trop de communistes. (…) Quand elle m’a posé la question je lui ai répondu que j’étais d’extrême centre. Elle n’a pas compris l’astuce. » ("Les Inrocks" de juillet 2011).





Dans l’excellent film d’Alain Resnais "Stavisky" (sorti 15 mai 1974), retraçant la course folle d’un escroc qui fut l’un des grands scandales politiques de la Troisième République, Michael Lonsdale continue à jouer un médecin aux côtés de Jean-Paul Belmondo et d’Anny Duperey. Tandis qu’il est le méchant milliardaire Hugo Drax dans le James Bond "Moonraker" de Lewis Gilbert (sorti le 26 juin 1979), l’ennemi de Roger Moore.





Avec "Section spéciale" de Costa-Gavras (sorti le 23 avril 1975), le sujet abordé est très grave (la décision d’exécuter arbitrairement cinq innocents sous l’Occupation) et Michael Lonsdale est l’ignoble Ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu (pas plus ignoble que le Ministre de la Justice magistralement joué par l’impressionnant Louis Seigner). Les magistrats dans ce film sont nombreux : Pierre Dux, Michel Galabru, Jacques François, Jean Bouise, Claude Piéplu, Jacques Perrin, Julien Guiomar, etc. Même période noire dans "Monsieur Klein" de Joseph Losey (sorti le 22 mai 1976) aux côtés d’Alain Delon et Jeanne Moreau.





Adapté du roman d’Umberto Eco, "Le Nom de la rose" de Jean-Jacques Annaud (sorti le 24 septembre 1986) met en scène Michael Lonsdale dans le rôle de l’abbé, aux côtés d’autres grands acteurs comme Sean Connery.





Dans "Ma vie est un enfer" de Josiane Balasko (sorti le 4 décembre 1991), il joue l’archange Gabriel aux côtés notamment de Daniel Auteuil.





Dans l’étonnant film de James Ivory "Les vestiges du jour" (sorti le 5 novembre 1993), Michael Lonsdale est Dupont d’Ivry et fait au nom de la France de la "diplomatie de château" avec d’autres représentants, britanniques, allemands et américains, alimentant une naïveté allant jusqu’à la surprise d’être face à des interlocuteurs américains et allemands très cyniques, l’idée restant d’éviter la Seconde Guerre mondiale.

L’un des rôles les plus troublants de Michael Lonsdale fut sans doute dans "Nelly et Monsieur Arnaud" de Claude Sautet (sorti le 18 octobre 1995), celui d’un maître chanteur doublé de lâche et "parasite", qui interrompt le duo entre Michel Serrault et Emmanuelle Béart.

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En jouant Frère Luc, l’un des moines de Tibhirine qui ont été kidnappés le 20 avril 1996 puis assassinés par des terroristes islamistes algériens, dans le film de Xavier Beauvois "Des hommes des dieux" (sorti le 8 septembre 2010), aux côtés de Lambert Wilson, Michael Lonsdale ne pouvait que s’épanouir dans un rôle qui lui tenait à cœur et qui lui a apporté son unique César (du meilleur acteur de second rôle) le 25 février 2011. Il expliquait en 2010 : « En France, on est étiqueté. Voyez mes rôles d’Église : curé de campagne, moine, prêtre révolutionnaire, évêque, cardinal, pape, j’ai tout fait. Y compris l’archange Gabriel (…). Je m’étais juré d’arrêter. Mais le film de Beauvois, c’était impossible de refuser. » ("Télérama").





Par ailleurs, Michael Lonsdale est aussi un artiste peintre reconnu et l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont un hommage à Charles Péguy sorti en 2014 ("Entre ciel et terre", éd. Cerf) : « Son œuvre est pour moi une forme d’apostolat. Le moi sentimental et le moi religieux y sont confondus. Il me touche car il a toute sa vie cherché l’unité intérieure, et que ce fut dans la confusion. Les paradoxes, les contradictions, les contrastes me le rendent encore plus attachant. (…) Son constat de désolation et de choses prdues est impressionnant. Prophétique même. Songez aux passages de "Eve" qui renvoient à la corruption : on ne peut les relire sans convenir de l’incroyable lucidité de Péguy. (…) Péguy aurait aimé Frère Luc à cause de l’espérance. Le Christ a accepté de souffrir la condition la plus horrible sur la terre, tant physiquement que moralement, par solidarité avec le monde des pauvres. Il a tout pris sur lui pour sauver le monde et éradiquer le péché ; c’est magnifique, cette histoire, non ? même s’il savait que la résurrection était au bout. Marie savait tout, elle aussi, mais ne disait rien. Enfin, c’est peut-être moi qui gamberge… » (La République des livres, 24 décembre 2014). Georges Bernanos est aussi un auteur que l’acteur appréciait beaucoup.

Ce modeste tour très parcellaire de Michael Lonsdale donne une petite idée de la très grande richesse et diversité de ses prestations tout au long d’une soixantaine d’années de carrière. Il n’a jamais caché sa foi, ce qui est plutôt rare au cinéma : « J’aime cette parole du Christ : "Si vous n’êtes pas comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume [des Cieux]". Les enfants jouent pour se construire, inventer, imaginer. Le jeu, c’est quelque chose de prodigieux. ». Grand ami de Marguerite Duras, metteur en scène d’un spectacle sur Sœur Emmanuelle, cet homme qui se disait lent mais qui était en fait un calme, serein, était un enfant joueur ; qu’il repose en paix !









Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 septembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean-Luc Bideau.
Bourvil.
Michael Lonsdale.
Claude Chabrol.
Charles Denner.
Annie Cordy.
Vanessa Marquez.
Maureen O'Hara.
Ennio Morricone.
Zizi Jeanmaire.
Yves Robert.
Suzanne Flon.
Michel Piccoli.
Jacques François.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200921-michael-lonsdale.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/l-extreme-centrisme-de-frere-227249

https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/09/21/38547356.html






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