Samuel Paty : faire des républicains
« Samuel Paty fut tué parce que les islamistes veulent notre futur et qu’ils savent qu’avec des héros tranquilles tels que lui, ils ne l’auront jamais. Eux séparent les fidèles des mécréants. Samuel Paty ne connaissait que des citoyens. Eux se repaissent de l’ignorance. Lui croyait dans le savoir. Eux cultivent la haine de l’autre. Lui voulait sans cesse en voir le visage, découvrir l’altérité. Samuel Paty fut la victime de la conspiration funeste de la bêtise, du mensonge, de l’amalgame, de la haine de l’autre, de la haine de ce que profondément, existentiellement, nous sommes. » (Emmanuel Macron, le 21 octobre 2020 à Paris).
La République française a rendu un hommage national ce mercredi 21 octobre 2020 à la Sorbonne, cœur des Lumières, à l’un de ses hussards, Samuel Paty, tombé sur le champ d’honneur de l’enseignement de ses valeurs. Si une cérémonie ne remplacera jamais la vie, il était important pour les proches qu’il fût honoré comme il se devait. Devenu à titre posthume (ce qui, je le répète, ne lui rendra jamais la vie) commandeur des palmes académiques et chevalier de la légion d’honneur, Samuel Paty était de ces profs qui vous marquaient à vie dans une scolarité.
Regardez la vôtre, combien de profs sont restés, ont été essentiels dans votre développement, dans votre maturité, dans votre cheminement intellectuel et moral ? Il a marqué de son vivant des générations d’élèves parce qu’il voulait leur enseigner quelques valeurs essentielles du vivre ensemble.
C’est la raison de cette lecture de la lettre très émue du grand écrivain à son instituteur, lorsqu’il a reçu son Prix Nobel de Littérature. L’alpha et l’oméga. L’origine du monde, ou plutôt, l’origine de son monde, l’origine de ce qu’il a été et de ce qu’il est devenu. Albert Camus avait de la reconnaissance pour cet enseignant et je suis sûr que chacun, aussi loin que cela puisse paraître pour certains, a en tête un ou deux noms, peut-être même plus, d’enseignant qui était indispensable, qui a fait faire des connexions, qui a rendu intelligible une partie du monde si compliqué auquel on se préparait. Un peu comme dans Le Cercle des Poètes disparus. Ou cette institutrice…
En disant : « Samuel Paty est devenu vendredi le visage de la République. », le Président de la République Emmanuel Macron a voulu, dans un discours assez sobre, saluer une personnalité hors du commun et pourtant si ordinaire, car tous ces enseignants qui se dévouent, cœur et âme, qui sont les vecteurs de cette transmission fondamentale de génération en génération de ce qu’est notre Nation, ils sont nombreux, nombreux, ces héros humbles et inconnus à, chaque jour, tenter de "faire des républicains".
Emmanuel Macron a toujours réfléchi à voix haute. Parce qu’il a été longtemps novice en politique, il a souvent appris sur le tas. Mais il apprend vite. Ce soir, il a reconnu qu’une prise de conscience s’était faite dans son esprit : « Vendredi soir, j’ai d’abord cru à la folie aléatoire, à l’arbitraire absurde : une victime de plus du terrorisme gratuit. ». Mais cela fait plus de huit ans et demi que ce terrorisme-là est loin d’être aveugle :il n’y a pas de hiérarchie dans l’horreur, mais que dire des cibles de cet islamisme radical qui en veut à nos valeurs ? Enfants juifs, militaires musulmans, policiers, dessinateurs satiriques, glandeurs qui se prélassent sur la terrasse d’un café, spectateurs d’un concert, touristes sur le bord de mer, prêtre catholique, etc. et maintenant enseignant d’éducation civique. La liste est longue. Il n’y a rien d’aléatoire.
En fait, cela fait plus de trente et un ans que l’islamisme radical souhaite conquérir nos campagnes, nos esprits, nos institutions. Chaque fois, il a eu quelques petites victoires, quelques petites avancées, au nom de la tolérance, au nom du respect des religions, au nom de la neutralité des pouvoirs publics. Des failles dans le système démocratique. L’histoire du voile à l’école a mis quinze ans à être résolu, par une simple loi, une loi simple, mais quinze ans où le débat public était intense, passionné, parfois haineux. Chaque fois un détail, mais quand on accumule tous les détails, cela fait un mode de vie, un mode de vie différent du nôtre, de celui de la France.
Cette prise de conscience présidentielle est prometteuse. En tout cas salutaire. Les intentions sont maintenant les suivantes : « notre volonté de briser les terroristes, de réduire les islamistes, de vivre comme une communauté de citoyens libres dans notre pays », et aussi : « notre détermination à comprendre, à apprendre, à continuer d’enseigner, à être libres ».
Le programme n’est pas seulement guerrier, il est intellectuel, n’hésitant pas à évoquer les polémiques concernant la pandémie du covid-19 : « Nous aimerons de toutes nos forces le débat, les arguments raisonnables, les persuasions aimables. Nous aimerons la science et ses controverses. ». Il a poursuivi : « Comme vous, nous cultiverons la tolérance. Comme vous, nous chercherons à comprendre, sans relâche, et à comprendre encore davantage ceux-là qu’on voudrait éloigner de nous. Nous apprendrons l’humour, la distance. Nous rappellerons que nos libertés ne tiennent que par la fin de la haine et de la violence, par le respect de l’autre. ».
Les phrases font penser un peu aux "Nourritures terrestres" d’André Gide. Nul doute qu’Emmanuel Macron a été très touché par l’assassinat de Samuel Paty car il sait bien ce qu’est un enseignant. En ponctuant ses phrases par « Nous continuerons, professeur ! », il a affirmé haut et fort que la France ne se coucherait pas devant les islamistes politiques.
Le tout est de ne pas réagir en faisant des gesticulations mais en s’attaquant au vrai problème, au bon endroit : ni démagogie ni affichage, il faut de l’efficacité et l’on ne pourra le juger que sur le temps.
Il y a peut-être une spécificité propre à cet attentat dégueulasse : c’est que l’enquête saura certainement déterminer toutes les circonstances, tous les liens de cause à effet, tous les maillons qui, d’un incident particulièrement banal, une fronde injustifiée de parents d’élève de mauvaise foi, on a pu en arriver à cet assassinat insupportable. Avec toutes les chaînes de responsabilité plus ou moins volontaire. Avec les réseaux sociaux, c’est même assez facile de retracer les choses heure par heure, minute par minute, de retrouver l’origine des contacts, des rencontres, des besoins.
De ce parent d’élève vindicatif, absolument odieux, qui a traité Samuel Paty de "voyou" et qu’il voulait faire radier de la fonction publique, quel est son sentiment aujourd’hui ? Est-il heureux de l’assassinat ? l’assume-t-il même ? ou au contraire, est-il effondré, parce qu’il n’imaginait pas jusqu’où cela irait ? Je n’ai pas la réponse, peut-être qu’elle a déjà été donnée, peut-être qu’on ne la connaîtra jamais dans son écrin de pureté de sincérité.
Peut-être que des personnes proches de l’islamisme radical, mais incapables d’aller jusqu’au passage à l’acte, refusant d’aller au passage à l’acte, vont-elles comprendre que leurs mots, leurs paroles, ont un effet, du moins pour une infime partie de la population, mais il suffit d’une seule personne pour commettre l’irrémédiable, l’irréparable ? Peut-être vont-elles, elles aussi, pas seulement ceux qui les craignent, mais elles aussi, peut-être vont-elles s’autocensurer pour ne pas se rendre complices du terrorisme le plus abject ? Par précaution juridique sinon morale ?
"Faire des républicains", Emmanuel Macron a eu raison d’insister sur finalement l’objectif pédagogique général de Samuel Paty qui est la mission de l’Éducation nationale. Construire des citoyens libres et autonomes, capables de penser par eux-mêmes, prêts à refuser toute autorité lorsque celle-ci s’érige en violence, haine, terrorisme. Emmanuel Macron a opportunément cité Ferdinand Buisson : « Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain, si petit et si humble qu’il soit (…), et lui donner l’idée qu’il faut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi, ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef, quel qu’il soit. ».
Dans tous les cas, cet hommage national, c’est aussi le meilleur hommage fait par un Président de la République au corps enseignant, à l’ensemble des professeurs, un hommage à leur vocation de transmission qu’Albert Camus avait lui-même traduit le 19 novembre 1957 : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. (…) Vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. ».
À son tour, la République est reconnaissante de ses héros, Samuel Paty aujourd’hui, comme Arnaud Beltrame hier. Et son cœur continuera toujours à battre et à faire battre leur souvenir dans la mémoire nationale.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Samuel Paty : faire des républicains.
Discours du Président Emmanuel Macron le 21 octobre 2020 à la Sorbonne en hommage à Samuel Paty (texte intégral et vidéo).
Samuel Paty : les enseignants sont nos héros.
Déclaration du Président Emmanuel Macron le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine sur l’assassinat de Samuel Paty (texte intégral et vidéo).
Discours du Président Emmanuel Macron le 2 octobre 2020 aux Mureaux sur le séparatisme (texte intégral et vidéo).
Polémiques indécentes sur la libération de Sophie Pétronin.
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5 ans de Soumission.
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Strasbourg : la France, du jaune au noir.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201021-samuel-paty.html
https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/samuel-paty-faire-des-republicains-227989
https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/10/21/38602043.html