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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
26 janvier 2021

Nuits blanches et homme en blanc

« Eddie vivait comme un milliardaire, mais je crois que, le pauvre, il a terminé sa vie pratiquement sans le sou. » (Caroline, dernière épouse, avril 2020).



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Quel point commun y a-t-il entre Dalida, Dave, Charles Aznavour, Henri Salvador, Jacques Brel, Eddy Mitchell, Alain Bashung et Bernard Lavilliers ? Je pourrais en citer encore (voir plus loin) mais cette liste hors du temps et hors des cases bien rangées a la particularité d’avoir été produite par un seul homme, Eddie Barclay, l’homme aux mille (jeunes et jolies) femmes, l’homme des rave parties d’avant l’heure, l’homme des mille chanteuses et des chanteurs français, l’homme des disques français à succès (et moins à succès)… Eddie Barclay est né il y a un siècle, le 26 janvier 1921 à Paris, et il était sans doute le meilleur symbole du talent français, ou, du moins, francophone de la chanson d’après-guerre. Il est mort il y a un peu plus de quinze ans, le 15 mai 2005 près de Paris, à l’âge de 84 ans.

Était-il un résistant à 20 ans ? Difficile de le dire vraiment mais en quelque sorte, oui. Il n’était pas maquisard, mais il était un fêtard clandestin. Ses parents tenaient un café devant la gare de Lyon, et lui, déjà, servait à boire. Sous l’Occupation, le jeune homme occupait les autres jeunes dans des fêtes interdites, cela fait penser un peu à cette période de couvre-feu. Il y avait de l’alcool, du tabac et surtout, de la musique, du jazz au début, et aussi des musiciens, des chanteurs. Il a rencontré ainsi Édouard Herriot, maire de Lyon, lorsque l’ancien Président du Conseil revenait par le train à Paris et qui s’arrêtait à ce café. Il discutait avec le jeune passionné.

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Au départ, Édouard Ruault, qui devint Eddie Barclay après la guerre, avec une forte connotation américaine comme son look et comme la culture qu’il découvrait (il a importé le microsillon en France qui durait plus longtemps, une demi-heure sur chaque face), était doué au piano. Mémoire auditive sans doute. Pianiste de bar, qu’il fut, il jouait avec un autre pianiste, Louis de Funès, qui s’est reconverti un peu plus tard. Ses amis germanopratins étaient déjà Boris Vian, Quincy Jones (futur découvreur de Michael Jackson), Django Reinhardt, Michel Legrand, Moustache, Ella Fitzgerald, Louis Armstrong, Glenn Miller, Édith Piaf, Charles Trenet, etc.

Ses atouts devaient sans doute être une très bonne oreille qui, au-delà de ses dispositions à faire de la musique, était de savoir l’écouter et de dénicher des jeunes talents, et sa capacité personnelle de liant humain, de réseautage, d’entremises tant pour travailler que pour faire la fête, de toute façon, son travail était de faire la fête.  Son métier était de produire des disques, ce qu’il fit pour Eddie Constantine et a suffi, grâce au succès, à bâtir la fortune d’Eddie Barclay dès le début des années 1950. Dès lors, il avait les moyens de prendre des risques et de miser sur de nouveaux chanteurs qui ont, eux aussi, très bien "marché".

Eddie Barclay s’est assuré aussi de distribuer des disques qui fonctionnaient bien aux États-Unis, notamment de Dizzy Gillespie, Ray Charles, The Platters ("Only You"), etc. Il a recruté pour son label des personnalités très talentueuses, comme Boris Vian (directeur des variétés), Quincy Jones (directeur artistique), Michel Legrand (orchestrateur), et même Philippe Bouvard (comme attaché de presse).

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Le "système" fonctionnait à merveille : Eddie Barclay produisait les vedettes, Lucien Morisse, patron de la station Europe 1, passait en boucle leurs chansons à la radio, on faisait passer les stars à la télévision, et Bruno Coquatrix, directeur de l’Olympia, s’assurait des soirées concerts à la Madeleine. Eddie Barclay a initié la méthode marketing désormais classique du matraquage médiatique. Premier sur le marché français du disque 33 tours, il vendait aussi des grands classiques, les Fugues de Bach, l’Adagio d’Albinoni, etc.

Au-delà de l’intuition artistique, il a eu donc, à l’évidence, une démarche économique particulièrement réussie. Producteur indépendant, il était son propre patron et pouvait signer les contrats bien plus rapidement que des grands labels. Pendant une cinquantaine d’années, il y a eu une influence considérable sur le showbiz tant à Paris qu’à Saint-Tropez où il invitait tout ce beau monde à faire la fête. On pouvait y voir Jack Nicholson, Barbra Streisand, Jean-Luc Lagardère, André Bercoff (qui l’a aidé à écrire sa biographie), etc. Lui expliquait l’intérêt de faire la fête : « Mes bals font parler d’eux. En publicité, ils me remboursent l’argent que j’ai investi. ». Mais il dépensait sans doute plus qu’il n’engrangeait.

Parmi les artistes produits ou les amis d’Eddie Barclay, hors ceux déjà cités, on peut aussi évoquer pêle-mêle : Juliette Gréco, Jean Ferrat, Léo Ferré, Thierry Le Luron, Alain Delon, Stéphane Collaro, Carlos, Darry Cowl, Claude Nougaro, Robert Charlebois, Chantal Goya, Olivier de Kersauson, Brigitte Bardot, Mireille Mathieu, Nicoletta, Hugues Aufray, Françoise Hardy, Nicoletta, Björk, Patrick Juvet, Michel Delpech, Frank Alamo, Maxime Le Forestier, Nino Ferrer, Noir Désir (plus tard)… De très nombreux succès qui continuent encore de faire pleuvoir l’or. Selon Eddie Barclay, celui qui lui a fait gagner le plus d’argent fut Frank Alamo avec "Ma Biche".





Notons qu’Eddie Barclay n’était pas seul à découvrir les nouveaux talents pour son label, heureusement car sans certains collaborateurs qui ont su flairer les succès, il serait probablement passé à côté de Michel Sardou, de Pierre Perret et aussi de Daniel Balavoine. Il n’a pas non plus découvert Jacques Brel, qui était initialement chez Philips mais ce label lui avait refusé "Le Plat Pays". Eddie Barclay l’a échangé à Philips contre son ami Johnny Hallyday. Charles Aznavour aussi a changé de label pour rejoindre Eddie Barclay puis l’a quitté quand ce dernier a revendu en 1978 au futur Universal Music Group (ex-Philips, ex-Polygram). Dalida, en revanche, était un pur produit Barclay : « Elle ne chantait pas très bien, elle était mal coiffée. Mais on avait décidé d’en faire une vedette, elle en avait les qualités et les bases. ».

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Pour la petite histoire, comme Marcel Dassault, Françoise Sagan, Juliette Gréco, Fernand Raynaud et Alain Griotteray, Eddie Barclay a fait partie des premiers actionnaires de l’hebdomadaire "Minute" lors de sa création le 6 avril 1962 par l’ancien résistant et journaliste Jean-François Devay (1925-1971), ami de Boris Vian. À l’origine, "Minute" tirait environ 250 000 exemplaires, proposait des articles satiriques sur le showbiz, et était essentiellement de centre-droit antigaulliste (l’hebdomadaire a soutenu Jean Lecanuet, Alain Poher et Valéry Giscard d’Estaing). Le Professeur Choron (ami de Jean-François Devay) et Jean Montaldo furent parmi les collaborateurs. Ce ne fut qu’à la fin des années 1970 que, repris par François Brigneau puis Patrick Buisson, le périodique a viré vers l’extrême droite en soutenant Jean-Marie Le Pen puis en fustigeant Marine Le Pen et Florian Philippot (le dernier numéro est sorti le 19 janvier 2020).

Noceur impénitent, Eddie Barclay, toujours immaculé de son costume blanc, celui de la fête, aimait les jolies demoiselles. Il a rencontré sa dernière épouse, Caroline, quarante-sept ans plus jeune que lui (il en avait 67 ans, elle 20 ans), lors d’une audition pour l’adaptation au théâtre de "Angélique, Marquise des anges" par Robert Hossein. Piège à belles filles de la province n’ayant jamais connu Paris ? Peut-être. Mais il semblait être dans l’amour courtois, il a mis un certain temps à conquérir le cœur de celle qui resta dix ans sa dernière épouse officielle.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 janvier 2021)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
Eddie Barclay.
Daniel Balavoine.
Jean Ferrat.
John Lennon.
Kim Wilde.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210126-eddie-barclay.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/nuits-blanches-et-homme-en-blanc-230485

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/01/24/38778071.html




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