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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
28 février 2021

Annie Girardot, une femme moderne

« Je ne sais pas si j’ai manqué au cinéma français, mais à moi, le cinéma français a manqué follement, …éperdument, …douloureusement. Et votre témoignage, votre amour me font penser que peut-être, je dis bien peut-être, je ne suis pas encore tout à fait morte. » (Annie Girardot, le 2 mars 1996 à Paris).



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Déjà vingt-cinq ans au Théâtre des Champs-Élysées, une "séquence émotion" pour la consécration d’une femme hors de l’ordinaire. Et hélas, il y a dix ans, le 28 février 2011, à Paris, l’actrice Annie Girardot est morte des suites de sa grave maladie. Elle avait 79 ans (elle est née le 25 octobre 1931 à Paris) et cela faisait une quinzaine d’années qu’une sale maladie la rongeait, la rongeait de l’intérieur, rongeait ses nerfs, rongeait sa mémoire : « Je cherche ma mémoire, mais ne la trouve plus. J’ai perdu quelques bouts ou bribes de ma mémoire. ». Refusant de s’avouer vaincue, refusant de s’arrêter, elle a continué encore très longtemps à jouer sur scène, acceptant l’oreillette pour compenser sa mémoire défaillante devant une salle médusée et émue.

À voir la foule du tout Paris venue l’honorer une dernière fois à l’église Saint-Roch (l’église des artistes), le 4 mars 2011, on pouvait se rendre compte à quel point Annie Girardot comptait pour la culture en général et pour le cinéma français et italien en particulier (et elle était très appréciée en Russie où elle a joué dans une série policière en 2007). Mais ce n’était pas seulement les artistes et les Jack Lang de substitution qui la pleuraient, beaucoup de Français la pleuraient pour ce qu’elle était, certains aussi pour ce qu’elle n’était plus.

Des dizaines de films, téléfilms, pièces de théâtre… elle l’affirmait elle-même : « Plus d’une centaine de films qui tous ne furent pas des chefs-d’œuvre. Certains ne sont même pas sortis en France, d‘autres, je veux les oublier. J’ai souvent dit "oui" à n’importe quelles conditions. ». Elle a commencé très jeune et son talent fut rapidement reconnu, dès le début des années 1950. Jean Cocteau la voyait en 1956 comme « le plus beau tempérament dramatique de l’après-guerre ». Elle joua avec Jacqueline Maillan, Michel Serrault, Jean Poiret, etc. La Comédie-Française lui a proposé d’être sociétaire, ce qui est une offre prestigieuse (et rassurante pour l’alimentaire) mais elle a démissionné dès 1957, à cause de sa sacro-sainte liberté.

En fait, sa vie a vite bifurqué du théâtre vers le cinéma. Elle a côtoyé toutes les stars des cinémas français et italien des années 1950, 1960, 1970, 1980… C’est impressionnant et cela explique à quel point Annie Girardot était loin d’être seule. Elle a eu de nombreuses récompenses dont trois Césars (en 1977, 1996 et 2002), un Sept d’or (en 1996) et deux Molières (en 2002). Elle présida même la soirée des César du 8 février 1997. Malgré ces multiples reconnaissances, Annie Girardot avait eu le sentiment d’avoir été lâchée, d’avoir été oubliée, abandonnée, et en effet, elle a eu un "trou d’air" en 1980, moins de sollicitations cinématographiques, ce qui l’encouragea à enregistrer des disques et à revenir au théâtre.

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Très étrange trajectoire d’Annie Girardot qui, très jeune, était une très belle star… j’oserais presque dire, comme les autres. Mais ensuite, elle n’a pas voulu poursuivre de ce registre et a préféré les rôles de femmes de caractère, dont la féminité, sans être absente, n’est pas le point essentiel. Femme sans chichi, familière, franche. Les cheveux coupés court (ce qui lui allait très bien), elle ressemblait à ces femmes modernes, entreprenantes, qui n’attendaient rien de leur mari voire ne se mariaient pas, et qui choisissaient leur vie en toute liberté : « Je décide de ma vie puisque personne ne s’en occupe. ».

Dans le jeu intemporel des sept familles, j’aurais envie de la mettre comme l’amie de la mère, aussi familière, aussi directe qu’une mère, peut-être moins maternelle parce que plus "bousculante", plus dérangeante, sorte de tornade pleine de vie qui éclaire et qui nettoie, qui élague et qui purifie, qui secoue et vivifie, comme lorsqu’on plonge son visage dans l’eau froide, sentiment un peu inconfortable mais comme on se sent bien après. Annie Girardot, c’est la femme sur qui l’on peut compter, "leader" sans être dominatrice, qui mène la vie et les cadences et surtout, qui refusent qu’on mène la sienne à sa place.

Dans "Annie Girardot, un destin français" (éd. Michel Lafon), sorti le 25 octobre 2012, où l’on peut lire de nombreux témoignages sur l’actrice, tant de Michel Piccoli, Robert Hossein, Claudia Cardinale, Mireille Darc que de Jane Birkin, Marlène Jobert, Nicole Croisille, Catherine Lara, etc., la fille de la grande dame, Giulia Salvatori écrivait : « Ne garder que le fantastique, l’incroyable, l’irréel, voilà pour moi la vérité. Les rondes enfantines, les confitures de nos grands-mères, la sagesse, la coquerie, pourquoi pas ? La liberté de m’envoler, d’extrapoler… Chercher, inventer encore et toujours le temps qui passe si vite, peur d’oublier quelque chose avant le grand voyage… ».

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Fantastique ? Irréel ? Peut-être. Des très nombreux films qu’elle a tournés, je propose de n’en retenir que neuf comme les neuf vies qu’ont (paraît-il) les chats. Neuf pépites en fait. C’est peu et c’est très arbitraire, mais c’est un choix, pas vraiment personnel parce que ces films sont très connus et ont été très appréciés.

1. Dans le chef-d’œuvre "Rocco et ses frères" de Luchino Visconti (sorti le 6 septembre 1960), longue et exceptionnelle chronique d’une famille italienne, elle est une prostituée que rencontre l’un des frères, le frère criminel, Renato Salvatori (qui fut le père de sa fille dans la vie réelle), et (le talentueux) Alain Delon est l’un des autres frères.

2. Dans "Vivre pour vivre" de Claude Lelouch (sorti le 14 septembre 1967), elle est la femme trompée d’un journaliste, Yves Montand, avec Candice Bergen, Anouk Ferjac et Uta Taeger. La musique est de Francis Lai et Annie Girardot et Nicole Croisille y chantent "Des ronds dans l’eau".

3. Dans "Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause !" de Michel Audiard (sorti le 17 avril 1970), elle est au centre du jeu des acteurs, elle est ce qui n’existe pratiquement plus avec les digicodes et autres interphones, la concierge, une concierge très bavarde, celle d’un obsédé sexuel véreux qui travaille dans une banque, Bernard Blier, d’une présentatrice de télévision Mireille Darc et d’un éducateur pour enfants défavorisés Sim. Avec également Jean-Pierre Darras, Jean Le Poulain, Jean Carmet, Robert Dalban, etc., ce film a eu un grand succès. À noter que Michel Audiard (antigaulliste notoire) s’est amusé à faire l’éloge funèbre de De Gaulle (alors encore vivant) : « Les poètes voyaient en lui un grand soldat, les soldats un grand poète. » dit dans la bouche de Jean-Pierre Darras.

4. Le film "Mourir d’amer" d’André Cayatte (sorti le 20 janvier 1971), dont le titre a été repris pour une chanson de Charles Aznavour (qui n’est cependant pas dans la bande originale du film), évoque le drame de Gabrielle Russier, la professeure éprise d’amour pour l’un de ses élèves adolescent, qui a été condamnée puis qui s’est suicidée le 1er septembre 1969. Dans sa conférence de presse du 22 septembre 1969, le Président Georges Pompidou a parlé de cette tragédie de manière "mystérieuse" en citant des vers de Paul Éluard en guise de conclusion. Annie Girardot joue le rôle de l’enseignante (elle fut en une de "L’Express" du 15 février 1971, car le film a eu beaucoup d’échos médiatiques à cause de la polémique qu’il a suscitée). Parmi les autres acteurs, on peut citer Jean Bouise, Jacques Marin, Yves Barsacq, Marthe Villalonga, etc.

5. Dans "Elle cause plus… elle flingue" de Michel Audiard (sorti le 23 août 1972), Annie n’a rien à voir avec la concierge qui a fait le succès du précédent film de Michel Audiard, elle est Rosemonde du Bois de la Faisanderie, la productrice de faux reliques, qui doit être vigilante avec Bernard Blier, le commissaire de police, avec Maurice Biraud, Jean Carmet, Roger Carel, Darry Cowl, Michel Galabru, André Pousse, Daniel Prévost, etc.

6. Dans "Tendre Poulet" de Philippe de Broca (sorti le 18 janvier 1978), Annie Girardot aurait pu faire appeler le film "tendre poulette", puisque le poulet, en l’occurrence, c’est elle, commissaire de police embarquée dans une enquête difficile. Au-delà de l’intrigue policière, il y a une histoire amoureuse avec Philippe Noiret, ancien camarade et prof de grec ancien à la Sorbonne, totalement hors sol. Les autres personnages sont à peine moins fantasques, comme le succulent Hubert Deschamps, le concierge, Roger Dumas, l’inspecteur, Guy Marchand, le commissaire à la morale un peu olé olé, Catherine Alric, la jeune et belle maîtresse, ingénue, Georges Wilson, le mari de cette dernière, médecin et député (assassiné), Paulette Dubost, la mère d’Annie Girardot, etc.

7. Dans "La Zizanie" de Claude Zidi (sorti le 15 mars 1978, en pleines élections législatives !), le film que je trouve peut-être le meilleur d’Annie Girardot, elle est horticultrice, en couple avec Louis de Funès qui est patron (au bord de la faillite) et maire, en pleine commande industrielle et en pleine campagne électorale. Annie Girardot, qui en a marre de vivre avec des machines dans son salon et des vidanges dans sa serre, décide de se présenter contre son mari. Joie du Clochemerle dans la famille, la collaboration entre les deux acteurs fut excellente (Louis de Funès a parlé d’une grande complicité) mais n’a pas eu l’occasion de se renouveler (Louis de Funès malade est parti quelques années plus tard). Parmi les autres acteurs, il y a Julien Guiomar, le médecin, qui devient le chef de l’opposition, Jacques François, le préfet, Maurice Risch, Jean-Jacques Moreau, etc. Au-delà du jeu de dissension théâtrale dans le couple, le fait de vouloir se présenter aux élections, pour une femme, était assez novateur, ce qui avait placé Annie Girardot dans une position beaucoup plus efficace dans la promotion des femmes que les militantes du MLF de l’époque. Autre fait de société important, l’inspiration politique de la liste d’Annie Girardot est écologiste, ce qui est très visionnaire à une époque du tout productivisme…

8. Dans "Les Misérables", la version de Claude Lelouch (sortie le 22 mars 1995), elle joue le rôle de Madame Thénardier (ce qui lui a valu son deuxième César), aux côtés de Jean-Paul Belmondo (Jean Valjean), Philippe Léotard (Monsieur Thénardier), Philippe Khorsand (Javert), Clémentine Célarié (Fantine). Également : Michel Boujenah, Ticky Holgado, Jean Marais, Nicole Croisille, Rufus, Robert Hossein, Micheline Presle, William Leymergie, Antoine Duléry, Darry Cowl, Jacques Gamblin, Sylvie Joly, Pierre Vernier, etc.

9. Dans "Caché" de Michael Haneke (sorti le 5 octobre 2005), l’un de ses derniers films, Annie Girardot est la mère de Daniel Auteuil, un journaliste, victime d’une surveillance malsaine et inquiétante, marié à Juliette Binoche, avec notamment Denis Podalydès et Bernard Le Coq.

Dans "Ma vie contre la tienne, à jeu découvert" (éd. Robert Laffont), sorti le 1er décembre 1993, Annie Girardot se confiait : « Il m’est arrivé très souvent au cours de mon existence de pressentir quelque chose ou d’attendre un événement inattendu, de le flairer, prête à bondir dès qu’il pointe le bout de son nez. C’est cela l’aventure. Tu dois faire abstraction de tout passé, toute attache, rester sur ton propre cordon, ce pourquoi tu es là et pas ailleurs. ». Cette capacité à s’émerveiller et à capter l’instant présent, cette capacité à saisir toutes les occasions de vivre, elle a pu le transmettre à ceux qui l’ont admirée et appréciée…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 février 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Annie Girardot.
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Richard Berry.
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Jean-Pierre Bacri.
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Robert Hossein.
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Claude Brasseur.
Jean-Louis Trintignant.
Jean-Luc Godard.
Michel Robin.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210228-annie-girardot.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/annie-girardot-une-femme-moderne-231279

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